Mise à jour 28.11: Dans la soirée du 28 novembre, les autorités émiriennes ont gracié les cinq militants.
(Abou Dabi, le 28 novembre 2011) – Le verdict de culpabilité émis à l’encontre de cinq militants par la Cour suprême fédérale des Émirats arabes unis le 27 novembre 2011 est une atteinte à la liberté d’expression et le résultat d’un procès inique, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le jury de quatre juges étrangers a délivré le verdict via une déclaration de dix minutes au tribunal, condamnant Ahmed Mansoor, un éminent réformateur émirien, à trois ans d’emprisonnement, et chacun des autres prévenus à deux ans, pour insultes publiques aux autorités des Émirats. Les détenus n’ont aucun droit de faire appel dans cette affaire.
À l’extérieur du tribunal, un partisan du gouvernement a agressé physiquement un membre de la famille d’un des détenus, a déclaré Human Rights Watch, qui a été témoin de l’agression en même temps qu’un représentant de Alkarama (« Dignité »), également venu à Abou Dabi pour observer le procès.
« Aujourd’hui, le gouvernement émirien a montré que ses dirigeants ne sont capables de tolérer aucune critique », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les immeubles de luxe, les musées internationaux ou les universités ne peuvent blanchir un gouvernement qui emprisonne des citoyens appelant à des réformes pacifiques. »
Les militants, surnommés par leurs défenseurs « les cinq des Émirats », ont été arrêtés en avril 2011 et par la suite inculpés pour avoir « insulté publiquement » de hauts responsables des Émirats arabes unis. Ces cinq militants, dont le procès s’est ouvert le 14 juin à Abou Dabi, sont : Ahmed Mansoor, ingénieur, blogueur et membre du comité consultatif de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ; Nasser Bin Ghaith, économiste, conférencier à l’Université Sorbonne-Abou Dhabi ; et les cyber-activistes Fahad Salim Dalk, Ahmed Abdul-Khaleq et Hassan Ali Al Khamis.
Tous les cinq ont été inculpés en vertu de l’article 176 du code pénal, qui criminalise l’insulte publique de hauts responsables, et pour avoir utilisé le forum politique en ligne interdit UAE Hewar. Comme dans cette affaire les poursuites sont engagées selon des procédures de la sécurité d’État, il n’ont aucun droit de faire appel. Human Rights Watch a examiné les messages prétendument postés par les accusés, tous se contentent de critiquer la politique du gouvernement ou des responsables politiques. Il n'y a aucune preuve que ces personnes aient utilisé ou incité à la violence dans le cadre de leurs activités politiques.
Une coalition internationale d’organisations de défense des droits humains, incluant Alkarama, Amnesty International, le Réseau arabe d’information sur les droits humains (ANHRI), Front Line Defenders, le Centre du Golfe pour les droits humains (GCHR), Human Rights Watch et Index On Censorship, a déclaré que les poursuites contre les cinq hommes viole la liberté d’expression garantie par la constitution des Émirats aussi bien que par le droit international relatif aux droits humains.
Le 13 novembre, les hommes ont entamé une grève de la faim pour protester contre les atteintes à leurs droits élémentaires par les responsables du système judiciaire, de l’accusation et de la prison, y compris, disent-ils, leur détention prolongée pour des motifs politiques et un procès manifestement injuste. On n’a pas de bonnes nouvelles de leur santé, a rapporté un avocat de la défense à Human Rights Watch.
Après l’annonce du verdict, un partisan du gouvernement a empêché un parent de l’un des cinq détenus de parler aux médias à l’extérieur du tribunal puis l’a agressé physiquement, malgré la lourde présence policière. Pendant l’attaque, l’agresseur hurlait des grossièretés et le menaçait de pratiques dignes de groupes d’autodéfense, en disant, « même si les [détenus] sont libérés de prison, nous les jugerons nous-mêmes ». L’agresseur a ensuite frappé ce membre de la famille au visage à trois reprises, lui causant des hématomes.
Les policiers de Khalidiya, à Abou Dabi, ont déclaré qu’ils enquêtaient sur l’incident du 27 novembre. L’attaque est la plus récente d’une campagne de menaces de mort, de calomnies et d’intimidations dirigée contre les militants, leurs familles et leurs avocats, pour laquelle les autorités n’ont lancé aucune procédure judiciaire. Un rapport indépendant du 25 novembre, rédigé au nom du GCHR avec l’aide de chercheurs de Human Rights Watch, a détaillé les menaces des sympathisants du gouvernement et l’atmosphère d’impunité dans laquelle elles ont été émises.
« La campagne contre ces militants et leurs familles s’est intensifiée, depuis les menaces et les intimidations jusqu’aux actes de violence physique », a déclaré Sarah Leah Whitson. « Les autorités des Émirats investissent des ressources dans les poursuites judiciaires contre des réformateurs pacifiques, mais ne font rien pour enquêter sur ceux qui utilisent la violence et la menace et les emprisonner ».
Contexte
D’après la coalition de défense des droits humains, la Cour suprême a violé le droit des militants à un procès équitable. Le tribunal n’a pas permis aux inculpés d’examiner les éléments de preuve et les chefs d’inculpation contre eux jusqu’à six mois après le début du procès. Le tribunal n’a pas autorisé les avocats de la défense à soumettre un des témoins de l’accusation à un contre-interrogatoire et n’a pas accordé assez de temps pour le contre-interrogatoire des autres. Sans explication, les autorités ont fermé les quatre premières audiences du procès au public, aux journalistes, aux observateurs internationaux et aux familles des accusés. À plusieurs reprises, le tribunal a soit refusé, soit ignoré les requêtes de mise en liberté provisoire sous caution des inculpés, alors qu’aucun d’entre eux n’est inculpé d’un délit avec violence et que les autorités n’ont jamais suggéré qu’ils risqueraient de fuir la justice. Les quatre juges du jury examinant l’affaire sont étrangers. Deux sont Egyptiens, un est Syrien, et un est Soudanais. En tant que juges étrangers, ils ne sont pas de statut titulaire comme les juges émiriens.
Le code pénal des Émirats Arabes Unis criminalise le fait d’exprimer pacifiquement des points de vue critiques sur les autorités, punissable d’une peine de prison, ce qui va à l’encontre de la liberté d’expression garantie par les dispositions internationales sur les droits humains. L’article 176 du code pénal permet une peine de jusqu’à cinq ans de prison pour « quiconque insulte publiquement le Président de l’État, son drapeau ou son emblème national ». L’article 8 du code élargit l’application de cette disposition pour inclure le vice-président, les membres du Conseil Suprême de la Fédération, entre autres.
Mansoor était également inculpé pour avoir incité d’autres personnes à violer la loi, pour avoir appelé à un boycott des élections et à des manifestations. En mars, peu avant son arrestation, il avait publiquement soutenu une pétition signée par plus de 130 personnes, appelant à un scrutin universel direct pour élire le Conseil National Fédéral (FNC), un conseil consultatif du gouvernement, et à des pouvoirs législatifs pour ce conseil. Avant son arrestation, il avait donné de nombreuses interviews télévisées et dans d’autres médias sur le sujet.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) établit que « toute personne a droit à la liberté d'expression (…), de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce». Même si les Émirats n’ont pris aucune part dans le PIDCP, il reflète les critères internationaux qui font autorité, qui ne permettent de réduire la liberté d’expression que sur le fond, dans des circonstances extrêmement limitées, comme les cas de calomnie ou de diffamation contre des individus, ou encore les discours qui menacent la sécurité nationale.
L’article 32 de la Charte arabe sur les droits humains, qui a été ratifiée par les Émirats, garantit le droit à la liberté d’opinion et d’expression, et celui de partager des informations avec autrui par tous les moyens. Les seules restrictions à l’exercice de ce droit qui sont concédées sont celles qui sont imposées par « le respect des droits d’autrui, de sa réputation, ou la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé publique ou des bonnes mœurs ». L’article 13(2) de la Charte exige également que les audiences soient « publiques, sauf pour les cas exceptionnels où cela ne serait pas dans l’intérêt de la justice dans une société démocratique qui respecte la liberté et les droits humains ».
La Déclaration des Nations-Unies sur les Défenseurs des droits humains prévoit que les pays doivent « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne (…) de toute violence, menace, représailles, discrimination de factoou de jure, pression ou autre action arbitraire » qui résulterait de son engagement en faveur des droits humains.