(Genève, le 18 janvier 2011) - Le Comité des Nations Unies contre la Torture a appelé le Sénégal à se conformer à son « obligation » de faire juger ou d'extrader l'ancien dictateur du Tchad en exil, Hissène Habré, a révélé Human Rights Watch aujourd'hui.
Les mesures du Comité sont intervenues en réponse à la déclaration du Président du Sénégal Abdoulaye Wade indiquant qu'il « en avait assez » de l'affaire Habré et qu'il allait « s'en débarrasser ».
« Les Nations Unies se tiennent aux côtés des milliers de victimes de Habré qui cherchent à obtenir justice au Sénégal depuis vingt ans », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique auprès de Human Rights Watch, représentant des victimes devant le Comité . « Le Président Wade ne peut pas simplement « se débarrasser » de l'affaire, il a l'obligation légale de s'assurer que Habré sera confronté à la justice. »
Le Comité des Nations Unies contre la Torture est composé de dix experts élus par les 147 Etats ayant ratifié la Convention contre la Torture. En 2006, le Comité avait déclaré que le Sénégal violait son obligation légale de livrer Habré à la justice. Dans une lettre au Sénégal en date du 12 janvier 2011, le Rapporteur pour le suivi des décisions du Comité, Fernando Mariño, a rappelé que si le Sénégal ne jugeait pas Habré, il devait, en vertu de la Convention, l'extrader en Belgique ou vers un autre pays afin qu'il y soit jugé.
Habré est accusé de milliers d'assassinats politiques et de torture systématique alors qu'il dirigeait le Tchad entre 1982 et 1990, et avant qu'il ne s'enfuie au Sénégal.
Le Sénégal a retardé le procès de Habré depuis des années, affirmant attendre de recevoir les fonds pour couvrir les coûts du procès. Le 18 novembre 2010, une décision de la Cour de Justice de la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a décidé que le Sénégal devait faire juger Habré devant une juridiction spéciale. Le 24 novembre, les donateurs internationaux se sont réunis à Dakar et ont engagés les fonds couvrant intégralement le budget estimé de 11,7 millions de dollars. Le ministre de la justice sénégalais a d'ailleurs affirmé à cette occasion que la Table ronde des donateurs était « le parachèvement du long processus de préparation, devant aboutir au démarrage effectif du procès », et que le Sénégal examinerait avec l'Union africaine les moyens de répondre à la décision de la Cour de CEDEAO.
Le Président Wade a ensuite semblé revenir à nouveau sur ces avancées. Le 10 décembre 2010, il a ainsi annoncé: « Que l'Union africaine reprenne son dossier... sinon Hissène Habré je vais le renvoyer quelque part. Moi maintenant, j'en ai assez... je vais m'en débarrasser. Point final ».
Le 12 janvier, une délégation de l'Union africaine dirigée par le Commissaire de l'Union africaine à la paix et à la sécurité, S.E Ramtane Lamamra, a présenté au Sénégal un projet permettant de répondre à la décision de la CEDEAO par la création d'une juridiction spéciale au sein des tribunaux sénégalais, dans les limites des ressources budgétaires disponibles. Cette juridiction pourrait notamment comporter deux juges nommés par l'Union africaine.
Le 13 janvier, le Président Wade a tout de même annoncé à son conseil des ministres qu'il « renvoyait » l'affaire Habré à l'Union africaine.
Dans sa lettre, le Rapporteur des Nations-Unies insiste sur le fait que le « financement est aujourd'hui à disposition de l'Etat partie, grâce à une mobilisation de fonds provenant de diverses sources » et que « le Comité souhaite dès lors rappeler [au Sénégal] ses obligations au regard de la Convention contre la Torture « de soumettre la présente affaire à ses autorités compétentes pour l'exercice de l'action pénale ou, à défaut, dans la mesure où il existe une demande d'extradition émanant de la Belgique, de faire droit à cette demande » ou à toute autre demande d'extradition conforme à la Convention.
Il est prévu que l'Union africaine discute de l'affaire Habré lors de son Sommet à Addis Abeba, en Ethiopie, les 30 et 31 janvier.
En juillet 2010, l'archevêque Desmond Tutu ainsi que 117 groupes de 25 pays africains dénonçaient « l'interminable feuilleton politico-judiciaire » auquel étaient soumises les victimes depuis vingt ans.
« Si le Président Wade en « a assez », que croit-il que nous ressentions ? », s'interroge Souleymane Guengueng, qui a été victime de maltraitance dans les prisons de Hissène Habré pendant vingt-sept mois, et qui a fondé une association de victimes afin d'obtenir justice. « Nous n'en pouvons plus : nous voulons que justice soit faite maintenant ! » C'est la plainte de M.Guengueng qui avait amené le Comité contre la Torture à se prononcer contre le Sénégal en 2006.