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Philippines : Les exactions commises par une puissante famille dans le sud de l’archipel impliquent le gouvernement

Un an après le massacre de Mindanao, le président Aquino devrait interdire les milices et ordonner une enquête sur les armées privées

(Manille, le 16 novembre 2010) - Une famille puissante qui fait régner sa loi dans l'île de Mindanao, située dans le sud de l'archipel des Philippines, a commis des meurtres et autres exactions durant plus de deux décennies avec le soutien de représentants de l'État et des forces de sécurité gouvernementales, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Un an après le massacre de 58 personnes survenu le 23 novembre 2009 dans la province de Maguindanao  et qui aurait été commandité par la famille Ampatuan et son « armée privée », le gouvernement philippin n'a toujours pas enquêté sérieusement sur les atrocités commises par les puissantes familles qui font régner leur loi dans cette région, ni interdit les milices qui commettent des exactions, ou restreint l'accès des fonctionnaires locaux à l'armement militaire.

Le rapport de 96 pages, intitulé « ‘They Own the People': The Ampatuans, state-backed militias, and killings in the Southern Philippines » (« ‘Les gens leur appartiennent' : Les Ampatuans, les milices appuyées par l'État et les massacres perpétrés dans le sud des Philippines »), retrace la montée en puissance du clan Ampatuan, notamment son recours à la violence pour étendre son contrôle sur l'île et éliminer toute menace à son pouvoir. Ce rapport est basé sur plus de 80 entretiens, menés notamment auprès de personnes ayant des connaissances intimes de la structure sécuritaire du clan Ampatuan, ainsi qu'auprès de victimes d'exactions et de membres de leur famille, et des témoins de crimes.

« Le massacre de Maguindanao n'était pas une aberration, mais la conséquence prévisible de l'absence de mesures visant à réprimer des meurtres et autres exactions graves dans cette région », a observé James Ross, directeur des affaires juridiques et politiques à Human Rights Watch. « Pendant deux décennies, les Ampatuans ont commis des atrocités avec une « armée privée » composée de policiers et de soldats portant des armes fournies par le gouvernement. »

À la suite du massacre de novembre 2009, Human Rights Watch s'est rendu à Mindanao et a enquêté sur de nombreuses exactions impliquant les Ampatuans, notamment plus de 50 cas de meurtres, de torture, d'agressions sexuelles et d'enlèvements. Ces cas sont souvent caractérisés par une brutalité effrénée, comme la torture et le meurtre à la tronçonneuse des individus soupçonnés d'être impliqués dans un attentat à la bombe contre un membre de la famille Ampatuan en 2002.

Le rapport détaille la manière dont l'armée et la police ont fourni à la famille Ampatuan de la main d'œuvre, des armes militaires modernes et une protection contre les poursuites judiciaires. La plupart des membres de leur armée privée ont également été membres de la police, de l'armée, ou de forces paramilitaires reconnues par l'État, notamment les Organisations de volontaires civils (Civilian Volunteer Organizations) et les Unités territoriales paramilitaires des forces de défense civiles (Citizen Armed Force Geographical Units, CAFGU).

La montée en puissance et l'expansion des Ampatuans a été facilitée par la présidente au moment du massacre, Gloria Macapagal Arroyo, qui s'est appuyée sur le soutien de cette famille pour recueillir des votes cruciaux, et dans le cadre du conflit armé de longue durée avec les groupes armés Moro à Mindanao. Sous l'administration de Gloria Arroyo, les milices, qui ont une longue histoire de violations des droits humains aux Philippines, ont été considérablement renforcées grâce à la hausse des ventes d'armes militaires aux fonctionnaires locaux, et à d'autres formes d'assistance. L'administration a également omis de lutter contre l'impunité pour les violations graves de droits : en 2002, Gloria Arroyo a été directement informée de 33 meurtres qui auraient été perpétrés par les Ampatuans, mais elle semble n'avoir entrepris aucune action.

« Les familles comme les Ampatuans ont utilisé des paramilitaires officiellement reconnus par l'État en tant qu'armées privées, pour répandre la terreur et conserver le pouvoir », a ajouté James Ross. « Le gouvernement doit cesser de faire partie du problème, mais plutôt démanteler ces milices et exiger des comptes aux auteurs d'exactions. »

Human Rights Watch a expliqué que la police, le ministère de la justice et autres organismes gouvernementaux ont depuis longtemps omis d'enquêter sur les crimes liés aux Ampatuans. Par conséquent, les membres de la famille ont agi comme s'ils étaient au-dessus de la loi et sans crainte d'être tenus responsables de leurs actes.

Après le massacre et l'attention dont il a fait l'objet aux Philippines et à l'étranger, le gouvernement a arrêté des membres de la famille Ampatuan impliqués dans les meurtres, notamment l'ancien gouverneur de Maguindanao, Andal Ampatuan Sr, et le maire local d'alors, Andal Ampatuan Jr, le principal suspect. Une source gouvernementale a indiqué à Human Rights Watch que lorsque les autorités ont arrêté Andal Ampatuan Jr à la suite du massacre, il a demandé : « Dans quel hôtel vais-je être logé ? ».

Le gouvernement a inculpé 195 personnes pour les meurtres, dont 19 sont actuellement en procès, mais 115 d'entre elles sont toujours en fuite.

Human Rights Watch a exprimé sa préoccupation quant au fait que les causes sous-jacentes de ce massacre et l'impunité dont jouissent les milices n'ont généralement pas été abordées par le gouvernement philippin. La milice des Ampatuans était seulement l'une des plus de 100 armées privées dont on estime qu'elles ont opéré dans l'ensemble des Philippines. Dans la pratique, leur taille et leur armement ne sont limités que par la capacité des hommes politiques locaux à financer les coûts opérationnels. Les administrations successives n'ont pas démantelé et désarmé ces milices, comme le stipule la Constitution des Philippines de 1987, pas plus qu'elles n'ont mené des enquêtes et des poursuites sur les activités illégales des individus qui les contrôlent, les arment et les utilisent à des fins privées.

Human Rights Watch a appelé le président récemment élu, Benigno Aquino III, à tenir ses promesses de campagne de rendre justice aux victimes du massacre de Maguindanao et autres violations de droits en demandant au Bureau national d'enquête de donner la priorité aux enquêtes sur les exactions présumées des Ampatuans et de leur milice. Benigno Aquino III devrait tenir sa promesse d'abolir les armées privées en interdisant toutes les forces paramilitaires et les milices dans les Philippines. Et il devrait agir pour enrayer la propagation des armes militaires à des groupes armés en dehors des forces de sécurité nationales professionnelles.

« Le gouvernement philippin aurait pu transformer la tragédie nationale du massacre de Maguindanao en campagne visant à éliminer les armées privées et traduire tous les responsables d'exactions en justice », a conclu James Ross. « Le peuple philippin - et la réputation du pays - continueront de souffrir tant que des familles puissantes feront régner leur loi ».

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Extraits de « ‘They Own the People' : The Ampatuans, state-backed militias, and killings in the Southern Philippines » (« ‘Les gens leur appartiennent' : Les Ampatuans, les milices appuyées par l'État et les massacres perpétrés dans le sud des Philippines ») :

« [Un voisin] est venu chez moi et m'a dit qu'ils avaient été massacrés. Seuls la mère et un fils ont survécu. Les agresseurs étaient des hommes armés de Datu Kanor, l'homme de confiance de Datu Unsay [Ampatuan Jr]. Des témoins les ont vus et les ont reconnus. »

  - Une femme dont le mari et sept autres membres de la famille, notamment un garçon de 12 ans, ont été tués par les Ampatuans en 2008, tandis qu'ils récoltaient leurs champs de riz.

« [Un jour, Ampatuan Sr avait] demandé à tous ses amis et parents de se rendre chez lui [pour un rassemblement]. Je me suis rendu chez lui.... Après quelques instants, j'ai entendu des gens crier. J'avais peur de sortir pour voir ce qui se passait. Puis, j'ai entendu le bruit d'une tronçonneuse ainsi que les voix de gens qui criaient.... J'ai entendu quelqu'un dire : « Tant que vous ne nous direz pas qui étaient vos compagnons, nous continuerons de vous faire cela ». J'ai également entendu crier : « À l'aide, aidez nous ». J'ai supposé qu'ils avaient été tués à la tronçonneuse cette nuit-là, car j'ai constamment entendu les voix qui criaient et le bruit de la tronçonneuse jusqu'au moment où je ne l'ai plus entendu. »

  - Un habitant de Shariff Aguak, Maguindanao, décrivant un incident survenu en 2002.

« Nous avions peur de déposer [des plaintes pénales] parce qu'en ce temps-là, tous les organismes gouvernementaux étaient sous le contrôle des Ampatuans. Personne n'osait déposer un dossier car les gens considèrent Datu Andal Ampatuan Sr comme [s'il était] le petit président. »

  - Un homme qui a assisté à l'assassinat de deux de ses proches, Mamasapano, Maguindanao.

« Vous ne pouvez pas être nommé directeur régional [de la police] si vous n'êtes pas d'accord avec les politiques du gouvernement [d'Ampatuan]. [Un agent de police] doit fournir au moins 50 armes [aux Ampatuans] pour devenir directeur régional, notamment des M14, des M16. Une [fois], ... ils ont demandé environ 700 armes... La fourgonnette [transportant les armes à feu] est entrée dans le camp, au bout de quelques heures elle a été escortée par les policiers de Maguindanao, et emmenée à la résidence [Ampatuan]. »

  - Un agent de police, en poste à Maguindanao depuis plusieurs années.

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