(Douala, le 4 novembre 2010) - Les personnes camerounaises soupçonnées d'avoir des relations sexuelles avec une personne du même sexe se font agresser par la police, les politiciens, les médias et même leur propre communauté, affirment quatre organisations de défense des droits humains dans un rapport commun publié aujourd'hui.
Le gouvernement devrait agir sans plus tarder pour dépénaliser ces comportements consensuels et garantir l'entière protection des droits humains à tous les Camerounais, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, ont ainsi déclaré Alternatives-Cameroun, l'Association pour la défense des droits des homosexuels, Human Rights Watch et la Commission internationale pour les droits des gays et lesbiennes.
Le rapport de 70 pages, intitulé « Criminalisation des identités : Atteintes aux droits humains au Cameroun fondées sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre », renseigne en détail sur la manière dont le gouvernement camerounais recourt à l'article 347 bis du Code pénal pour refuser les droits fondamentaux aux personnes perçues comme étant gays, lesbiennes, bisexuelles ou transgenres (LGBT). Le rapport fait état d'arrestations, de passages à tabac par la police, d'exactions commises dans les prisons, ainsi que d'un climat homophobe qui encourage la mise au ban et la maltraitance au sein de la communauté. On ne punit pas une pratique spécifique interdite par la loi, mais une identité homosexuelle, déplorent les groupes.
« Ce sont les pauvres et les jeunes, qui n'ont souvent aucun moyen d'obtenir une aide juridique, qui souffrent le plus du climat homophobe qui règne au Cameroun », a affirmé Steave Nemande, président d'Alternatives-Cameroun. « Même une fois sortis de prison, il est fréquent qu'ils soient rejetés par leur famille et leurs amis. Ils se voient refuser une formation, un emploi, et même un logement. Leurs vies sont gâchées. »
Le rapport, qui s'appuie sur 45 entretiens avec des victimes, met en évidence les atteintes perpétrées par la police, qui bat notamment les victimes au corps et même à la plante des pieds. Les gardiens de prison, quant à eux, ignorent les exactions commises par les autres prisonniers qui, entre autres, donnent des coups aux victimes, les violent et urinent et défèquent sur leurs biens.
Les organisations qui ont rédigé le rapport ont constaté que les personnes arrêtées sur le fondement de l'article 347 bis sont systématiquement maintenues en garde à vue au-delà du délai maximum autorisé par la loi camerounaise. Les magistrats les condamnent à un emprisonnement sans preuves fiables de la commission d'un acte homosexuel. Lorsque les magistrats rejettent les accusations, certains procureurs n'hésitent pas à inculper à nouveau les mêmes individus avant leur sortie.
Les préjugés et la discrimination envers la population gay et lesbienne du Cameroun sont omniprésents. Les femmes qui ne s'habillent ou ne se comportent pas d'une manière « typiquement féminine » sont souvent montrées du doigt et victimes d'injustices. Tout comme les hommes, elles peuvent subir l'ostracisme de leur famille et la maltraitance de membres de leur famille, ce qui est tout particulièrement difficile dans une société où les femmes sont considérées comme devant rester dépendantes de la famille et dans le giron familial.
Les femmes soupçonnées d'avoir des rapports sexuels avec des femmes peuvent être accusées de viol ou d'agression sexuelle au sein de leur communauté et risquent de perdre la garde de leurs enfants. Elles ne recourent guère à la loi par crainte d'être arrêtées et emprisonnées.
Les médias camerounais exacerbent encore le climat répressif, observent les groupes. Ainsi, des journaux ont publié les noms de personnes considérées gays et inventé le terme « homocratie » pour promouvoir la peur et la haine envers les personnes qui ont des relations homosexuelles, les dépeignant comme avides de pouvoir, corrompues, riches et ayant pour objectif le contrôle du pays.
« Au Cameroun, les personnes lesbiennes, gays ou bisexuelles sont moins bien traitées que les chiens », a déclaré Sébastien Mandeng, de l'Association pour la défense des droits des homosexuels. « Elles font face à une grande injustice en raison de l'homophobie. »
La criminalisation des activités sexuelles a des conséquences sanitaires graves, déclarent les groupes. Le Cameroun n'a pas de programmes HIV/SIDA à destination spécifique des personnes LGBT, malgré les preuves de la vulnérabilité de cette population au virus. Le gouvernement ne tient pas de statistiques sur la prévalence du VIH et ne mène pas d'enquêtes sur les comportements de ces communautés en matière de transmission du virus. En outre, le gouvernement interdit la distribution de préservatifs en prison, alors que la prévalence du VIH y est élevée, les prisonniers y ayant des rapports homosexuels, et les viols étant fréquents.
« Les personnes qui vivent en cachette sont vulnérables au chantage et aux exactions », a ajouté Boris Dittrich, directeur chargé du plaidoyer pour le programme Droits LBGT à Human Rights Watch. « Les arrestations ont beau être relativement rares, la violence physique et la cruauté mentale à l'encontre de cette communauté sont dévastatrices. »
La condamnation de ces actes par diverses instances internationales n'a pas suffi à éliminer la persécution sur le fondement de l'article 347 bis. En décembre 2008, durant l'Examen périodique universel des pratiques camerounaises en matière de droits humains, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a recommandé la dépénalisation des actes homosexuels. En juillet 2010, le Comité des droits de l'homme de l'ONU invitait le gouvernement à mettre fin aux préjugés sociaux et à la stigmatisation des personnes LGBT, y compris dans les programmes de santé, pour « garantir l'accès universel à la prévention, au traitement, aux soins et à l'appui en matière de VIH/SIDA ». Le gouvernement camerounais a refusé les deux recommandations.
En novembre 2009, Alternatives-Cameroun a présenté à l'Assemblée nationale une pétition signée par plus de 1 500 personnes et demandant la dépénalisation des relations homosexuelles. L'Assemblée nationale n'a cependant même pas envisagé d'ouvrir un débat sur le sujet.
« La criminalisation des relations homosexuelles a des conséquences qui vont au-delà des arrestations manifestement inacceptables », a conclu Monica Mbaru, coordinatrice du programme régional africain de la Commission internationale pour les droits des gays et lesbiennes. « Cette criminalisation est source d'inégalités au sein du système juridique et encourage la violence au sein des foyers, des familles et des communautés. Le gouvernement camerounais se doit d'assumer ses responsabilités en s'assurant que tous les Camerounais puissent vivre sans devoir subir la moindre discrimination, quelle que soit leur orientation ou leur identité. »