(New York) - Le tribunal populaire qui a condamné François-Xavier Byuma, un militant rwandais des droits humains, à 19 ans de prison suite à des accusations liées au génocide a violé tant le droit rwandais que le principe fondamental en vertu duquel les accusés doivent bénéficier d’un procès équitable devant un tribunal impartial, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le tribunal, qui a rendu sa décision le 27 mai, fait partie d’un système judiciaire innovateur connu sous le nom de gacaca, mis sur pied en vue de juger près de 818 000 personnes accusées d’avoir participé au génocide des Tutsis perpétré au Rwanda en 1994.
La loi qui a instauré les gacaca exige le désistement des juges ayant eu dans le passé un conflit avec un accusé, reflétant le principe selon lequel pour être juste, le juge doit être indépendant et impartial. Pourtant, dans ce cas précis, le président de la juridiction gacaca, Fraridhi (Saudi) Imanzi, a eu un conflit avec Byuma mais ne s’est pas désisté lorsqu’il a été prié de le faire. Au lieu de cela, il a entrepris d’instruire l’affaire aux côtés de quatre autres juges.
« Pour que les tribunaux gacaca rendent justice, les juges doivent être indépendants et impartiaux », a souligné Alison Des Forges, conseillère principale à la division Afrique de Human Rights Watch.
Byuma, qui dirige une organisation de défense des droits des enfants dénommée Turengere Abana, avait précédemment enquêté au sujet d’allégations selon lesquelles Imanzi avait violé une jeune fille. Imanzi avait été détenu et interrogé pendant une courte période, mais n’a jamais été poursuivi pour viol.
Lors d’une première audience portant sur les accusations de génocide, Byuma était présent mais a refusé de prendre la parole en guise de protestation contre le refus du tribunal de récuser les juges comme l’exigeait la loi. Lors d’une deuxième audience, il a tenté de se défendre lui-même face aux accusations mais Imanzi, qui présidait la séance, a interrompu bon nombre de ses réponses ainsi que celles de plusieurs témoins qui cherchaient à déposer pour sa défense, et à une occasion, il a accusé un témoin de mentir.
Byuma était accusé d’avoir été présent à l’une des barrières érigées en vue d’empêcher les Tutsis de fuir le génocide, d’avoir été en possession d’une arme à feu et d’avoir participé à un entraînement sur l’utilisation des armes. Le tribunal l’a acquitté des deux premiers chefs d’accusation mais l’a reconnu coupable de participation à un entraînement sur l’utilisation des armes.
Par ailleurs, le tribunal l’a reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation non mentionnés lors de la première lecture de l’acte d’accusation, notamment l’agression et l’enlèvement d’une femme. La femme a déposé lors du procès, affirmant qu’elle aurait été enlevée mais elle a témoigné de façon contradictoire à propos de l’agression qu’aurait commise Byuma. Dans sa décision, le tribunal n’a ni concilié ni expliqué les contradictions entre ces éléments de preuve concernant l’incident.
Après l’annonce du verdict, Byuma a immédiatement déclaré qu’il ferait appel de la condamnation.
Le tribunal a acquitté deux autres personnes jugées en même temps que Byuma et accusées des mêmes faits, bien que l’un des deux acquittés ait admis sa culpabilité pour l’un des chefs d’accusation.
« Lorsque les tribunaux gacaca sont équitables, ils rendent justice pour le génocide », a expliqué Des Forges. « Mais lorsqu’ils s’abstiennent de respecter leurs propres règles et normes en matière de procès équitable, ils perdent de leur légitimité et minent les efforts consentis pour instaurer un Etat de droit au Rwanda. »
« La cour d’appel devrait examiner, sans délai et de manière approfondie, la justesse du verdict rendu dans l’affaire Byuma, tant sur le plan des preuves que du caractère équitable du procès », a ajouté Des Forges.