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Dans la course à l’élection présidentielle qui doit avoir lieu le 30 juillet prochain, les enfants des rues du Congo sont les grands oubliés. Cette population, qui a grandi à l’ombre de la désolation est pourtant très nombreuse. Ils sont 30 000, rien qu’à Kinshasa.

Au Congo, la guerre, officiellement terminée depuis 2003, a fait depuis 1998 plus de 4 millions de morts. Le pays est dévasté, le tissu communautaire en lambeaux. Aujourd’hui encore, on estime à 1200 le nombre de morts quotidiens des suites de la guerre au Congo. Les orphelins, récupérés par la famille proche, deviennent des poids économiques pour ces dernières, qui doivent déjà subvenir aux besoins de leurs propres enfants malgré une économie exsangue. Ils deviennent donc souvent des souffre-douleurs pour cette famille qui ne les a pas voulus.

Parfois, ils s’enfuient d’eux-mêmes du foyer à cause des mauvais traitements, mais il n’est pas rare que ce soit la famille elle-même qui les mette à la rue, sous un prétexte fallacieux, en les accusant de sorcellerie par exemple. Les agences qui travaillent avec ces enfants à Kinshasa estiment que 70% des enfants des rues ont été accusés de sorcellerie avant d’y échouer. La rue, malgré sa violence, devient alors leur famille.

Ces enfants qui dorment sur le trottoir sont une proie facile pour les adultes et les enfants plus âgés. Viols, prostitution, exploitations en tous genres, sans cesse en danger, ils se regroupent, forment de petites bandes solidaires. Et les forces de l’ordre, loin d’être effrayées par les prétendus pouvoirs surnaturels de ces gamins, ne sont pas les dernières à les rançonner et les abuser, physiquement ou sexuellement.

Dans le contexte de fièvre électorale qui règne au Congo, des partis tels que le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de Joseph Kabila ou l'Union Pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), le parti d'opposition mené par Tshisekedi, n’hésitent pas à enrôler ces enfants. En échange de cadeaux ou d’argent, ils ont pour ordre de troubler des manifestations, de gonfler le nombre de participants à un meeting électoral, ou d’intimider la population. Les shégés sont des recrues malléables et peu chères. En outre, s’ils viennent à mourir, personne ne demandera des comptes.

Ainsi, au cours des dernières années, des dizaines de ces enfants ont été tués et beaucoup d'autres blessés en participant à des rassemblements politiques au cours desquels des affrontements ont éclaté entre la police et les manifestants. En mai et juin 2005, les troupes gouvernementales et la police ont tué des civils qui protestaient contre le report des élections nationales. Parmi les morts et les blessés, on dénombrait de nombreux enfants de la rue qui avaient été recrutés pour participer aux mouvements de protestation.

Si des troubles éclatent, ces enfants seront les premières victimes des violences. Les émeutes de septembre 2004 à Mbuji Mbaji montrent bien comment, dans ce contexte, même la simple cohabitation des habitants d’une ville avec les « shégés » peut être explosive.

Instrumentalisés par les partis, les shégés de cette ville du centre du pays s’étaient peu à peu grisés de leurs pouvoirs et avaient commencé à rançonner la population. Après un épisode de racket particulièrement flagrant sur des mineurs transportant des diamants de grande valeur, ces derniers, en compagnie d’une population ulcérée, avaient décidé d’en finir. Les enfants, dont certains n’avaient pas 10 ans, avaient été pourchassés par une foule en furie, et une vingtaine d’entre eux brûlés vifs puis jetés à la rivière.

Depuis cet épisode, des responsables du gouvernement, des policiers et des membres d'ONG se réunissent régulièrement à Mbuji-Mayi pour traiter les questions relatives aux shégés et éviter un nouveau bain de sang. « Les enfants de la rue ne sont pas tombés du ciel, ce sont nos enfants, » expliquait une infirmière d'un centre pour enfants des rues de Mbuji-Mayi. « En quelque sorte, ce massacre des enfants de la rue par les mineurs, c'est comme si des parents avaient tué leurs propres enfants. »

Car des solutions existent. Dans la perspective des élections, les autorités congolaises devraient, comme cela a déjà été le cas à Kinshasa et Lumumbashi, interdire aux shégés de participer à toute activité politique. A plus long terme, le vrai défi est de leur fournir un toit, une éducation gratuite et des soins appropriés, mais aussi de les protéger. La période électorale doit être saisie comme une opportunité de s’attaquer aux abus dont ces enfants sont victimes.

La situation des enfants des rues apparaît comme le miroir grossissant de la société congolaise actuelle et de ses problèmes. Les shégés sont un peu les victimes expiatoires d’une société incapable de protéger ses citoyens les plus jeunes et les plus vulnérables contre l’extrême violence dont elle est gangrenée.

Sans une prise de conscience et un investissement réel de la part des pays bailleurs de fonds et des autorités congolaises pour améliorer les conditions de vie de ces enfants, qui sont aussi le futur du Congo, le processus de transition, dont la réussite est tout sauf certaine, risque de déboucher sur un échec.

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