Au moins un sénégalais est mort dans les prisons de Hissène Habré, tandis qu’un autre s’est sauvé grâce à l’intervention du gouvernement sénégalais, d’après les archives de la police politique de l’ancien dictateur tchadien. Deux bijoutiers sénégalais, Demba Gaye et Abdou Gaye, arrêtés en 1987 par des agents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS) qui voulaient leur dérober des bijoux, ont été emmenés dans une des pires prisons de Habré, où Demba Gaye est mort à la suite des mauvaises conditions de détention, comme tant d’autres prisonniers, révèlent ces documents ainsi que le témoignage de co-prisonniers.
Hissène Habré, qui vit au Sénégal depuis 1990, a été inculpé en Belgique pour tortures et crimes contre l’humanité et fait face actuellement à une procédure d’extradition. « Le régime de Hissène Habré n’a pas épargné les Sénégalais », déclare Alioune Tine, secrétaire général de la RADDHO, avant d’ajouter. « Il faut que les Sénégalais sachent que Hissène Habré a été un des dictateurs les plus sanglants de l’histoire de l’Afrique ». Les archives de la DDS, retrouvés par l’ONG Human Rights Watch à N’Djaména confirment cette triste histoire.
Demba Gaye et Abdou Gaye ont été arrêtés le 25 mars 1987 à l’aéroport de N’Djaména où ils sont arrivés à bord d’un avion militaire français. Officiellement, ils sont arrêtés car suspectés par la sûreté nationale en raison de leur présence sur des zones militaires interdites. Mais d’après un co-prisonnier qui a partagé une cellule avec eux, interrogé par Human Rights Watch, ils ont été arrêtés par des agents de la DDS qui souhaitaient leur dérober l’or et les bijoux qu’ils venaient vendre au Tchad.
Abritant en moyenne cent à deux cents prisonniers dans seulement 5 cellules, la prison des « Locaux » étaient l’un des plus grands centres de détention de la DDS. « Pendant la règne de Hissène Habré, placer une personne en prison équivalait presque à une sentence de mort, tant le taux de mortalité était élevé », a déclaré Reed Brody de Human Rights Watch. Une analyse des documents de la DDS suggère qu’environ un pour cent des détenus politiques, en moyenne, mourrait par jour. D’où une espérance de vie de 100 jours environ.
Demba Gaye n’échappera pas à cette règle. D’après son certificat de décès retrouvé dans les archives de la DDS, Demba Gaye serait mort le 15 novembre 1987 à 18h30. Officiellement, il serait décédé des suites « d’œdèmes inflammatoires récidivants des membres inférieurs et supérieurs, de dysenterie amibienne et d’anémie sévère ». Mais les causes de la mort de Demba Gaye sont en réalité liées à la malnutrition, au manque de soins, aux mauvais traitements et à la dysenterie dont il souffrait.
Dans un document écrit pendant la détention des deux citoyens sénégalais, le Chef du service pénitencier de la DDS a exposé la raison principale de l’affaiblissement des prisonniers, à savoir les repas qu’ils recevaient : « Nos détenus souffrent souvent des affections telles que rhumatisme articulaire aigu. […] Toutes ces maladies énumérées ci-dessus proviennent par manque d’équilibration du régime alimentaire des détenus ».
Tall Nogaye, résidant au Tchad depuis 1987 et Consul officiel du Sénégal depuis 1987, a confirmé que Demba Gaye et Abdou Gaye sont arrivés au Tchad en mars 1987 pour faire du commerce et qu’ils ont été arrêtés et emprisonnés. Le Consul est intervenu pour obtenir leur mise en liberté mais fut informé que Demba Gaye avait déjà succombé en prison. L’intervention de Tall Nogaye a permis la libération d’Abdou Gaye en 1988 qui a été remis à son ambassadeur Papa Louis Fall.
Demba Gaye a été enterré par Sabadet Totodet—un prisonnier qui maintenant lutte pour traduire Hissène Habré en justice—dans les fosses communes de Hamral-Goz, où se trouvent les cadavres de milliers de prisonniers politiques ayant trouvé la mort aux mains de la DDS.
Résumé de l’affaire Hissène Habré
Hissène Habré dirigea l’ancienne colonie française du Tchad de 1982 jusqu’à son renversement en 1990 par l’actuel président Idriss Déby et sa fuite vers le Sénégal. Les archives de la DDS, découvertes par Human Rights Watch, contiennent les noms d’au moins 12.321 victimes et apportent des preuves sur les cas de 1.208 individus morts en détention. En février 2000, Hissène Habré fut inculpé au Sénégal pour complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie mais la Cour de Cassation sénégalaise a jugé que ce dossier ne relevait pas de sa compétence territoriale. Les victimes de Hissène Habré ont alors déposé une plainte en Belgique sur le fondement de la loi belge dite « de compétence universelle » qui est maintenant abrogée et le Sénégal a accepté de faire droit à la demande des Nations Unies consistant à maintenir Hissène Habré sur son territoire dans l’attente d’une demande d’extradition. Le 19 septembre un juge belge a inculpé Hissène Habré pour violation massive des droits de l’homme et la Belgique a demandé l’extradition de l’ancien dictateur.