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Face au Covid-19, la levée des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins serait plus efficace que le don de doses

Publié dans: L'Obs
Une professionnelle de la santé tient une dose d'un vaccin COVID-19 à Istanbul, en Turquie, le 9 octobre 2020. © 2020 Emrah Gurel/AP Photo

Le monde fait face à une pandémie à deux vitesses. Alors que la France déconfine, les cas de Covid-19 sont à la hausse en Inde, au Népal, au Cambodge ou encore au Brésil. « Ce qui compte, c’est la dynamique épidémique », s’est félicité le ministre français de la Santé Olivier Véran au début du mois face à la réduction de moitié du nombre de nouveaux cas hebdomadaires dans l’Hexagone. Mais la dynamique épidémique à l’échelle mondiale est inquiétante.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), davantage de cas ont été signalés dans le monde au cours des deux dernières semaines d’avril qu’au cours des six premiers mois de la pandémie. Une tendance exacerbée par des inégalités inadmissibles en matière d’accès aux vaccins contre le coronavirus : les pays à faible revenu – qui regroupent 47% de la population mondiale – n’ont reçu que 17% des vaccins disponibles, tandis que l’Europe stocke déjà des doses de rappel pour une utilisation future.

Depuis plus de deux semaines, toute personne âgée de plus de 50 ans en France peut se faire vacciner, ainsi que les plus de 18 ans lorsque des créneaux de vaccination sont disponibles. Dans de nombreuses régions du globe, en revanche, les personnes âgées et les personnels de santé les plus exposés pourraient encore avoir à attendre des mois, voire des années, pour être vaccinés. La concurrence pour les vaccins contre le Covid-19 est féroce et ne pourra être résolue que par une augmentation de leur production. À Washington, l’administration Biden a surpris le monde entier en annonçant qu’elle soutiendrait la levée de certains des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins contre le Covid-19, dans l’espoir d’élargir leur accès.

L’éventail et le nombre de ceux qui plaident pour une telle dérogation par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont impressionnants. Après que l’Inde et l’Afrique du Sud l’ont présentée en octobre, la proposition a recueilli le soutien du patron de l’OMS, de lauréats du prix Nobel et d’anciens dirigeants politiques, de parlementaires européens, du Pape, des syndicats et d’innombrables organisations de la société civile du monde entier. Mais la Commission européenne y reste opposée et le gouvernement français souffle le chaud et le froid.

Dans la foulée de l’annonce américaine, le président Emmanuel Macron a déclaré le 6 mai être « tout à fait favorable à la levée de la propriété intellectuelle » sur les vaccins. Mais il a fait marche arrière dès le lendemain, affirmant que « la propriété intellectuelle n’est pas vraiment le sujet » et que le don de doses, la fin des restrictions aux exportations et le transfert de technologies devraient être privilégiés à la place. La semaine dernière lors du Sommet sur le financement des économies africaines, Emmanuel Macron a insisté sur la nécessité que soient levées toutes « les contraintes en termes de propriété intellectuelle qui bloquent la production de tout type de vaccins que ce soit en Afrique ». Mais au lieu de cela, la déclaration finale du sommet n’évoque que la possibilité de licences volontaires ce qui n’est rien de plus que le statu quo. Vendredi dernier lors du Sommet de la santé mondiale, le président français a finalement conditionné sa position sur le sujet à la conduite d’une étude par l’OMS et l’OMC qu’il leur demande de réaliser pour… octobre 2021.  

La France a été le premier pays à mettre à disposition de COVAX, l’initiative mondiale se donnant pour but d’assurer un accès équitable à la vaccination contre le Covid-19, des doses issues de ses propres stocks. Mais les dons sont loin de suffire. C’est une production plus diversifiée et davantage de sites de production à travers le monde qui sont nécessaires. Avec la propagation des variants, l’augmentation de la production est essentielle et les gouvernements devrait chercher à moins rationner au lieu de débattre des moyens de mieux rationner.

Le scepticisme d’Emmanuel Macron à l’égard de la levée des droits de propriété intellectuelle semble s’appuyer sur une vision dépassée des capacités du monde en développement. Le président français considère que même en cas de dérogation à ces droits, les pays d’Afrique, par exemple, ne seraient pas dotés des moyens de fabriquer des vaccins contre le Covid-19. Mais les temps changent. Les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies ont déjà identifié des capacités de production pour les vaccins au Sénégal, en Afrique du Sud, au Maroc, en Égypte et en Tunisie. Le président du Rwanda, Paul Kagame, s’est dit prêt à accueillir dans son pays la toute première usine de fabrication de vaccins ARNm en Afrique. L’OMS a élaboré des plans pour un Groupement d’accès aux technologies contre le COVID-19 et pour une série de centres de partage de la technologie ARNm. Celle-ci, a averti l’OMS, doit être exempte des contraintes de la propriété intellectuelle, ce qui rend la levée des droits d’autant plus essentielle. La France devrait soutenir ces propositions et trouver des moyens de garantir la participation des laboratoires pharmaceutiques.

Cent gouvernements, parmi lesquels les pays les plus pauvres du monde et ceux du continent africain tout entier, appuient la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud. Certes, d’autres facteurs ont un impact sur l’offre mondiale, mais si la levée des droits de propriété intellectuelle avait été adoptée en octobre dernier, lorsqu’elle a été proposée pour la première fois, elle aurait peut-être ouvert la voie à de nouvelles capacités de production, stimulant l’offre et élargissant l’accès mondial aux vaccins.

Depuis un an, le président Macron proclame que les vaccins doivent être un « bien public mondial ». Et il a tout à fait raison. Mais la France n’a pas traduit ces paroles en actes. Enhardis par le changement de position des États-Unis, les dirigeants d’Espagne, de Belgique et d’Irlande ont exprimé à leur tour leur soutien à cette initiative. Même la présidente de la Commission européenne s’est déclarée disposée à discuter de la manière dont la proposition de levée des droits pourrait aider à accroître la production de vaccins. Il est urgent que la France cesse de tergiverser et agisse, et pousse l’UE dans la bonne direction.

Akshaya Kumar est directrice du plaidoyer sur les situations de crise à Human Rights Watch. Bénédicte Jeannerod dirige le bureau de Paris de Human Rights Watch.

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