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Droits de l'homme, le "détricotage" du sarkozysme se fait attendre

Les trois premiers mois de la présidence Hollande s'avèrent décevants sur le plan des droits humains

Publié dans: Le Monde ("Idées")

Au cours des trois premiers mois de la présidence Hollande, le "détricotage" des mesures emblématiques de la période Sarkozy était attendu. Dans les domaines fiscal et social – heures supplémentaires, TVA sociale, ISF, retraites –, il a bien commencé mais s'il est un domaine où le changement se fait attendre c'est celui des droits de l'homme, en France comme dans le monde.

La reconnaissance du droit au mariage des personnes homosexuelles constituera une avancée. Mais en dépit des décisions nécessaires mais partielles sur l'accès à l'emploi des Roms venu de Roumanie et de Bulgarie, les évacuations musclées ont rappelé aux observateurs que les pratiques répressives ont la vie dure et que les lois régissant l'entrée et le séjour des étrangers sur le sol français n'ont encore fait l'objet d'aucun "détricotage".

Le pouvoir en place les avait pourtant dénoncées lorsqu'il se trouvait dans l'opposition. Il s'honorerait d'abroger des dispositions législatives inacceptables visant de facto les Roms, et notamment les articles de loi votés en 2011 qui prévoient la reconduite à la frontière d'un étranger, y compris un citoyen de l'UE ayant résidé légalement en France pendant moins de trois mois, sur le simple soupçon qu'il pourrait "abuser de prestations sociales".

Le gouvernement devrait aussi réviser plusieurs autres dispositions législatives encadrant l'immigration et l'asile, indignes de notre pays, comme celle adoptée en 2011 étendant les "zones d'attente" où les droits des étrangers sont restreints, ou encore mettre fin au caractère non suspensif des appels formés par certaines catégories de demandeurs d'asile en cas de rejet de leur première demande par l'Office de protection des réfugiés et apatrides.

Quant au dossier sensible des contrôles d'identité, le candidat François Hollande s'est engagé à légiférer pour réduire autant que possible les contrôles au faciès, source d'humiliation dans les quartiers défavorisés. Le premier ministre a rappelé cette promesse à la veille du second tour des législatives. Le respect de cet engagement – dont la remise d'un récépissé en cas de contrôle n'est qu'un aspect nécessaire mais insuffisant – marquerait le quinquennat de François Hollande du sceau d'un plus grand respect des jeunes des banlieues défavorisées, un signal dont notre pays a besoin pour se réconcilier avec lui-même.

Sur la scène internationale, la France veut-elle être exemplaire ? L'attention de l'opinion est portée vers la Syrie et, dans ce domaine, la politique de la France est restée ferme. Même si elle n'est pas parvenue à convaincre tous ses partenaires européens de demander la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité sur la Syrie, elle maintient une position claire en faveur du respect des droits fondamentaux dans ce pays. Par souci de cohérence, il serait préférable d'éviter les faux pas, comme celui commis en juin pendant le Salon Eurosatory, lorsque Thales, en partie contrôlée par l'Etat, a signé un contrat avec le principal consortium russe d'armement, celui-là même qui continue de fournir des armes lourdes au régime syrien.

En matière de droits humains, la présidence Hollande semble presque aussi gênée aux entournures lorsqu'il s'agit de clamer haut et fort son indignation face à des régimes "influents". Le 27 juillet, François Hollande a reçu en catimini le roi du Bahreïn à l'Elysée. Le souverain passait ses vacances sur la Côte d'Azur et avait sollicité un entretien avec le président français. L'Elysée a hésité à accéder à cette demande pour finalement l'accepter sans en faire de publicité.

Si un photographe de l'AFP n'avait pris une photo, la visite serait passée inaperçue. Or il eut été plus judicieux de recevoir ouvertement le roi du Bahreïn et de faire savoir les attentes de la France en matière de respect des droits fondamentaux dans ce pays : libération des prisonniers politiques et fin des discriminations contre les chiites. Ce silence gêné aura été interprété comme un signal de faiblesse par les tenants de la ligne dure à Manama...

Quelques jours plus tôt, le 21 juillet, le président russe Vladimir Poutine a signé une loi – votée par la Douma et la Chambre haute – qui oblige désormais les associations russes financées par des fonds étrangers à arborer la mention "agent de l'étranger" sur tous les documents qu'elles publient. A ce jour, la France n'a fait aucun commentaire public sur ce sujet ni sur aucune autre mesure répressive autre que la condamnation des chanteuses des Pussy Riot, une condamnation qui ne suffira pas à faire fléchir M. Poutine sur les dérives autoritaires de son régime.

Concernant la Chine, il est encore trop tôt pour dresser un bilan. La visite de Laurent Fabius, préparatoire au voyage du président prévu à la fin de l'année, aura été marquée par une grande discrétion sur la question des droits de l'homme, seulement évoquée devant un parterre d'étudiants. Gageons que le président français saura trouver les mots pour interpeller ses interlocuteurs chinois, en particulier sur la détérioration de la situation au Tibet et sur le cas des prisonniers d'opinion, dont Liu Xiaobo, prix Nobel de la Paix 2010.

Les trois premiers mois de la présidence Hollande s'avèrent donc décevants sur le plan de l'affirmation par la France des principes fondamentaux qu'elle entend promouvoir de par le monde, des principes rappelés dans la stratégie européenne pour les droits de l'homme adoptée fin juin. Elle l'a fait avec trop de parcimonie et les deux déclarations contre des exécutions de condamnés à mort aux Etats-Unis ne comblent pas le manque ressenti d'une voix française forte.

Nous attendons bien plus de la présidence française qui ne doit pas se cacher derrière la voix européenne. Après une période marquée par des prises de position à géométrie variable et l'adoption de disposition législatives stigmatisant les étrangers, nous attendons que notre pays devienne une référence en matière de cohérence entre les paroles et les actes. Nous attendons le courage politique et diplomatique nécessaire pour aborder en public et pas seulement en privé les sujets qui fâchent, y compris avec les pays puissants ou économiquement attrayants. Nous attendons un vrai changement.

Jean-Marie Fardeau est le directeur France de Human Rights Watch, Il a été secrétaire général du Comité catholique contre la faim et pour le développement (1999-2007).

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