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Tunisie : le projet de loi sur la justice doit être revu

Il faut améliorer les mesures favorisant l’indépendance des tribunaux

(Tunis, le 6 août 2012) – L’Assemblée nationale constituante (ANC) élue en Tunisie devrait s’intéresser de toute urgence aux failles d’un projet de loi qui permettrait d’empiéter à tout moment et de façon arbitraire sur l’indépendance de la justice.

Le projet de loi mettrait en place une Instance provisoire de la justice pour superviser la nomination, la promotion et la révocation des juges. L’ébauche de texte donne à l’exécutif un rôle moindre, mais encore significatif, dans la composition du conseil, et manque de directives précises pour une mesure aussi radicale que la destitution d’un juge. Telle qu’elle se présente, cette mesure laisserait la porte ouverte à une révocation ou une mutation arbitraire, a déclaré Human Rights Watch.

« L’ébauche de loi sur une Instance provisoire de la justice manque de protections contre le renvoi ou la mutation arbitraire des juges », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « L’Assemblée nationale constituante devrait corriger ce défaut avant d’adopter une loi qu’elle définit comme temporaire, mais qui pourrait avoir un impact durable ».

C’est en février 2012 que la commission de l’assemblée chargée de la législation générale a commencé à examiner des projets de loi mettant en place une Instance provisoire de la justice. Le 27 juillet, la session plénière de l’assemblée a commencé à passer en revue la version unifiée du texte de loi soumise par la commission. Les règles de procédure exigent que l’assemblée générale tienne une discussion en session plénière puis vote le projet de loi article par article.

Sous le gouvernement de Zine El Abidine Ben Ali, évincé du pouvoir en janvier 2011, un corps appelé le Conseil supérieur de la magistrature servait de vecteur à l’exécutif, qui à travers lui pouvait entraver l’indépendance de la Justice. Le président nommait directement ou indirectement 13 de ses 19 membres. L’assemblée a suspendu le Conseil supérieur de la magistrature en décembre.

Selon le projet de loi, le nouveau conseil serait formé de six membres élus directement par les juges et de cinq membres « de droit » – le président et le procureur général de la Cour de cassation; le procureur général chargé des affaires judiciaires; l’inspecteur général du ministère de la Justice; et le président du Tribunal immobilier. La loi créerait une commission électorale indépendante pour superviser les élections.

Cependant, cette proposition de loi est insuffisante sur le plan de la représentation des juges lorsqu’elle touche à un domaine de grande importance, celui de la discipline, a déclaré Human Rights Watch. Les membres élus du nouveau conseil incluraient deux juges de chacun des trois grades judiciaires. Or quand le conseil siègerait en tant que corps disciplinaire, seuls y prendraient part les deux juges de même grade que le magistrat affrontant une sanction disciplinaire, ainsi que les cinq membres nommés par l’exécutif, ce qui n’octroierait aux juges qu’une représentation minoritaire dans les procédures disciplinaires.    

En outre, le projet donnerait au Premier ministre le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou de rejeter les décisions du conseil concernant les nominations, les promotions et les mutations de juges, prolongeant ainsi le contrôle effectif du pouvoir exécutif sur le judiciaire.

Un point positif de l’ébauche de loi est qu’elle rétablirait le droit des juges à faire appel des décisions de l’Instance provisoire de la justice auprès du Tribunal administratif, et cela conformément aux critères internationaux, a déclaré Human Rights Watch. Par exemple les Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistraturegarantissent le droit à « une révision [par] un organe indépendant des décisions rendues en matière disciplinaire, de suspension ou de destitution ».

Sur d’autres plans, pourtant, le projet de loi ne contient pas suffisamment de garanties pour la sécurité d’emploi des juges, un des piliers de l’indépendance de la Justice. Le principe de la sécurité du poste fait partie intégrante de plusieurs standards internationaux et régionaux, comme les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique, adoptés par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. Ces principes exigent que les juges soient suspendus ou révoqués uniquement dans des circonstances exceptionnelles et selon des critères objectifs rigoureusement élaborés.

En vertu de la loi n°67-29, le statut de 1967 qui régit la plupart des aspects du système judiciaire et qui a encore besoin d’être remanié, les mutations de juges étaient autorisées en cas de « nécessité de service », un concept large qui sous Ben Ali facilitait les mutations punitives de juges faisant acte d’indépendance. Le projet de loi contient des expressions tout aussi vagues qui permettent de transférer des juges pour « les besoins du service judiciaire ». 

De même, le projet de loi ne définit pas suffisamment les fautes qui appellent des mesures disciplinaires, et se réfère seulement aux lois applicables actuellement. Selon la loi de 1967, le conseil disciplinaire peut agir contre « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur ou à la dignité ». Sans précisions sur les fautes ni sur les sanctions correspondantes, cela laisse la porte ouverte à l’exécutif pour initier des procédures disciplinaires sur des motifs arbitraires.

Le rapporteur spécial de l’ONU sur l’indépendance des juges et des avocats a déclaré qu’une loi régissant un système judiciaire devrait fournir des directives détaillées sur les infractions des juges susceptibles de déclencher des mesures disciplinaires, et sur la gravité de l’infraction nécessaire pour entraîner une mesure disciplinaire donnée.

« Une justice indépendante est un pilier fondamental d’un gouvernement démocratique »,  a déclaré Goldstein. « L’assemblée devrait adopter de solides protections de l’indépendance de la justice ».

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