(1er octobre 2010) - Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel de la Paix et avocate iranienne, Amnesty International, Human Rights Watch, la Campagne internationale pour les droits humains en Iran, la Commission internationale des juristes, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, la Ligue pour la défense des droits de l'homme en Iran, l'Union internationale des avocats et l'Organisation mondiale contre la torture ont condamné ce vendredi 1er octobre la détention prolongée en Iran, sans inculpation ni jugement, de l'avocate spécialiste des droits humains Nasrin Sotoudeh et ont demandé la libération immédiate et inconditionnelle de cette femme, détenue uniquement en raison de ses activités.
Ces organisations ont signalé que l'arrestation de cette femme était la dernière d'une série de mesures vouées à empêcher les Iraniens, en particulier ceux qui critiquent les autorités, de bénéficier d'une assistance juridique adaptée et compétente, ce qui constitue pourtant un droit fondamental et une garantie importante d'équité des procès.
Nasrin Sotoudeh, mère de deux enfants en bas âge, a représenté de nombreux éminents défenseurs des droits humains et militants politiques, notamment les journalistes Isa Saharkhiz et Heshmatollah Tabarzadi, dirigeant du Front démocratique d'Iran - une organisation interdite. La première a été condamnée et le second a été jugé après l'arrestation de Nasrin Sotoudeh. Celle-ci a également défendu des mineurs délinquants qui encouraient la peine de mort et représente Shirin Ebadi dans plusieurs affaires.
Nasrin Sotoudeh est détenue à la prison d'Evin, à Téhéran, depuis le 4 septembre 2010, date à laquelle est s'est présentée après avoir reçu une citation à comparaître. Elle n'a été autorisée à passer que trois appels téléphoniques : deux à son domicile et un à son avocat. En revanche, elle n'a pas encore pu recevoir la visite de ses proches ni de son avocat.
Les raisons précises de son arrestation demeurent floues, mais le mandat de comparution mentionnait « la propagande contre le régime » ainsi que « la réunion et la conspiration en vue de porter atteinte à la sûreté de l'État ». Ces charges formulées de manière vague figurent dans plusieurs articles du Code pénal islamique en vigueur en Iran - articles qui ont trait à la « sécurité nationale » et érigent en infraction des activités relevant simplement de l'exercice pacifique des droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion. Ces dispositions ont déjà servi à poursuivre des avocats pour des déclarations et des activités visant à défendre leurs clients.
Nasrin Sotoudeh avait précédemment été sommée de cesser de représenter Shirin Ebadi, faute de quoi elle ferait elle-même subir des représailles. Depuis son arrestation, son époux, Reza Khandan, et son avocat, Nasim Ghanavi, se sont vu interdire de s'exprimer en public au sujet de l'épreuve qu'elle traverse. Reza Khandan a même été convoqué devant la première chambre du tribunal révolutionnaire pour un interrogatoire qu'il a décrit comme une « succession de menaces ».
Ces derniers mois, les persécutions visant des avocats de la défense se sont multipliées. Mohammad Oliyaeifard, avocat et membre du bureau du Comité pour la défense des prisonniers politiques en Iran, une organisation de défense des droits humains, purge actuellement une peine d'un an de prison pour avoir dénoncé ouvertement l'exécution de l'un de ses clients, Behnoud Shojaee, dans des interviews accordées à des médias internationaux. Ce mineur délinquant avait été pendu pour un meurtre qu'il avait commis à l'âge de 17 ans. Mohammad Oliyaeifard a défendu de nombreux prisonniers d'opinion, notamment des syndicalistes indépendants, ainsi que des mineurs délinquants. Nasrin Sotoudeh est son avocate.
Deux autres avocats, collègues de Shrin Ebadi au sein du Centre de défense des droits humains (CDDH) - une ONG qu'ils ont co-fondée - risquent également d'être poursuivis pour leurs activités en faveur des droits humains. Abdolfattah Soltani et Mohammad Ali Dadkhah ont été tous les deux arrêtés à la suite de l'élection présidentielle controversée de juin 2009. Bien qu'ils aient été libérés sous caution par la suite, ils font toujours l'objet de poursuites judiciaires fondées sur des charges formulées de manière floue qui pourraient aboutir à leur emprisonnement et à leur éventuelle radiation du barreau. Mohammad Seyfzadeh, éminent avocat et membre fondateur du CDDH, est jugé pour avoir « créé une association [...] dont l'objectif est de porter atteinte à la sécurité nationale » et pour son « appartenance à une association dont l'objectif est de porter atteinte à la sécurité nationale ». Il est sous le coup d'une interdiction de quitter le territoire depuis 2009, tout comme Hadi Esmailzadeh, un autre membre du CDDH.
Les autorités ont également recours à d'autres méthodes pour empêcher les avocats d'exercer leur profession librement, notamment à des contrôles fiscaux sans autorisation qui leur permettent de geler les comptes bancaires et les autres actifs financiers des avocats visés et peuvent aboutir à la radiation de ces derniers. Shirin Ebadi a elle-même été placée dans un étau financier lorsque les autorités ont gelé, en violation de la loi, un compte bancaire contenant la récompense associée à son prix Nobel. Nasrin Sotoudeh, également victime de cette pratique, a découvert avant son arrestation que ses finances avaient été passées au crible mais aussi que les autorités voulaient accuser d'irrégularités fiscales 30 autres avocats.
En outre, les autorités tentent depuis des années de limiter l'indépendance de l'Ordre des avocats en interdisant à des candidats de se présenter aux postes les plus éminents pour des motifs discriminatoires, notamment leurs opinions politiques présumées et leurs activités pacifiques en faveur des droits humains. En 2008, par exemple, Mohammad Dadkhah, Hadi Esmailzadeh, Fatemeh Gheyrat et Abdolfattah Soltani - tous membres du CDDH - n'ont pas pu se porter candidats lors de l'élection du bureau central de l'Ordre des avocats en raison de leurs activités de défense des droits humains.
En juin 2009, moins d'une semaine après l'élection présidentielle controversée, de nouveaux règlements relatifs à la loi de 1955 établissant l'indépendance de l'Ordre des avocats ont été adoptés. Ils pourraient permettre au pouvoir judiciaire d'approuver ou non l'adhésion au barreau et les demandes de licence professionnelle des avocats, compromettant ainsi l'indépendance de cette organisation. À la suite de l'opposition du barreau et des avocats eux-mêmes, en juillet 2009, la mise en application de ces règlements a, semble-t-il, été suspendue pendant six mois. Cette suspension devrait se poursuivre, mais pourrait être interrompue à tout moment.
Shirin Ebadi n'est pas retournée en Iran depuis l'élection présidentielle car elle ne pourrait pas continuer ses activités en faveur des droits humains.
D'autres avocats ont été contraints à s'exiler pour leur sécurité. Shadi Sadr a quitté le pays après avoir été détenue pendant 11 jours en juillet 2009. Mohammad Mostafaei a également été forcé à fuir en juillet 2010 après que les autorités ont tenté de l'arrêter en raison de son engagement dans l'affaire de Sakineh Mohammadi Ashtiani, une Iranienne condamnée à la lapidation. Finalement, son épouse et le frère de celle-ci ont été arrêtés à sa place.
L'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l'Iran est partie, garantit le droit de toutes les personnes accusées d'une infraction de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense et de communiquer avec le conseil de leur choix.
Les Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau disposent que les avocats doivent être autorisés à exercer leurs activités « sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue ». En outre, ces Principes affirment le droit des avocats à la liberté d'expression - également inscrit dans l'article 19 du PIDCP - qui comprend « le droit de prendre part à des discussions publiques portant sur le droit, l'administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l'homme ».
Le Rapporteur spécial des Nations unies sur l'indépendance des juges et des avocats n'a pas été autorisé à se rendre dans le pays, malgré l'invitation permanente lancée en 2002 par l'Iran à toutes les instances des Nations unies compétentes en matière de droits humains. Depuis août 2005, aucun expert des Nations unies chargé des droits humains n'a été autorisé à effectuer une visite en Iran. Actuellement, huit demandes sont en attente mais les autorités iraniennes n'y ont pas encore accédé.
« Ayant défendu de nombreux prisonniers d'opinion dont les sept activistes bahaïs emprisonnés et d'autres personnes, je serais soumise à des restrictions inacceptables dans mon travail en faveur des droits humains si je retournais en Iran, si je n'étais pas moi-même arrêtée », a expliqué Shirin Ebadi. « Aujourd'hui, ma propre avocate - qui représente aussi de nombreux autres militants - est détenue, et son avocat a été menacé d'arrestation parce qu'il la défend. Qu'en est-t-il de la justice si votre avocat est arrêté parce qu'il vous défend ? »
Les organisations à l'origine de la présente déclaration estiment que, en faisant payer aux avocats le droit d'exercer leur profession par une privation de liberté, les autorités ne font que compromettre davantage un système judiciaire déjà profondément défaillant. Certains avocats étant derrière les barreaux et d'autres menacés, leurs clients - qui sont eux-mêmes victimes, pour la plupart, de violations des droits humains - se retrouvent sans défense face aux autorités.