Skip to main content

Tunisie : Le gouvernement devrait cesser de punir arbitrairement les anciens prisonniers politiques

En obligeant les ex-détenus à pointer régulièrement, c'est la police et non les tribunaux qui restreint leurs libertés

(Washington, le 2 juillet 2010) - La Tunisie devrait arrêter d'obliger les anciens prisonniers politiques à venir émarger au poste de police, une mesure contraignante qui n'est basée sur aucun fondement juridique clair selon le droit tunisien, a indiqué Human Rights Watch aujourd'hui. Certains prisonniers se voient contraints de venir émarger quotidiennement à une heure précise et doivent souvent attendre, ce qui ne favorise pas le retour à une vie normale et à l'emploi.

Human Rights Watch a publié les courriers qu'elle a échangés avec le gouvernement tunisien au sujet de l'obligation d'émargement, une des multiples mesures policières arbitraires imposées aux prisonniers politiques après leur libération.

« Cette obligation d'émargement montre bien que c'est la police, et non le système judiciaire, qui décide du peu de liberté dont un ancien prisonnier peut bénéficier », a expliqué Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Ces mesures, présentées en détail dans le rapport de mars 2010 de Human Rights Watch, « Répression des anciens prisonniers politiques en Tunisie : ‘Une prison plus vaste' », comprennent notamment la privation arbitraire de passeport, la surveillance et le harcèlement permanents exercés par la police et les ordres verbaux des policiers qui confinent les prisonniers libérés à leur quartier d'origine. Dans sa correspondance avec Human Rights Watch, le gouvernement tunisien n'apporte aucune base juridique à cette obligation d'émargement.

Le code pénal tunisien autorise les tribunaux à imposer des peines « complémentaires » de « contrôle administratif », qui fixent le lieu de résidence des anciens prisonniers pendant une certaine durée. Il n'est nullement indiqué que le contrôle administratif peut inclure l'obligation pour l'ancien prisonnier de pointer régulièrement au poste de police. Pourtant, la police oblige de nombreux prisonniers récemment libérés à venir émarger quotidiennement, en les faisant souvent attendre pendant des heures et en les menaçant de les arrêter à nouveau s'ils ne respectent pas cette obligation. Contraignante et consommant beaucoup de temps, cette mesure ne fait qu'ajouter aux difficultés auxquelles les anciens prisonniers sont confrontés pour trouver un emploi.

La police emprisonne souvent ceux qui désobéissent aux ordres oraux d'émargement, et cela, malgré la réaction des tribunaux tunisiens qui se rangent souvent du côté des prisonniers qui portent plainte contre ces agissements. En 2009, la Cour de Cassation (la plus haute cour d'appel de Tunisie) a acquitté Qabil an-Nasri, de Menzel Bourguiba, accusé d'avoir désobéi à son obligation de contrôle administratif. Le tribunal a indiqué que l'ordonnance avait fixé son lieu de résidence, mais qu'elle ne contenait aucune obligation d'émargement.

Malgré de tels jugements, la police continue d'émettre des ordres d'émargement. Le 23 mars 2010, la police de Bizerte a emprisonné Zied Ferchichi, un autre ancien prisonnier, qui avait refusé de venir émarger au motif que cette obligation n'avait aucun fondement juridique. M. Ferchichi est sous le coup de trois années de contrôle administratif suite à sa sortie de prison en 2008.

Il a été libéré le 7 avril, le tribunal de première instance de Bizerte l'ayant acquitté des charges de non-respect de l'ordonnance de contrôle administratif qui pesaient contre lui. Mais, le 9 mai, selon M. Ferchichi, la police l'avait à nouveau emprisonné sans explication avant de le relâcher quatre jours plus tard sans accusation mais avec un avertissement oral l'enjoignant de venir régulièrement se présenter au poste de police.

Les officiels tunisiens qui ont rencontré Human Rights Watch les 22 et 23 mars ont insisté sur le fait que l'obligation d'émargement n'est pas arbitraire. Ridha Khemakhem, coordinateur général des droits de l'homme au ministère de la Justice, a indiqué que cette obligation était basée sur une circulaire qui, même si elle n'avait pas été publiée, avait force de loi. Ni Khemakhem ni Tahar Fellous Refaï, directeur général au ministère de l'Intérieur, n'ont accepté de fournir cette circulaire à Human Rights Watch.

« Un pays où prévaut l'État de droit  ne doit pas invoquer des lois ou des circulaires non publiées lorsque les libertés fondamentales d'un individu sont en jeu, et quand le non-respect de ces lois ou circulaires est synonyme de prison », a indiqué Mme Whitson.

M. Khemakhem a reconnu que les demandes d'émargement ne sont pas transmises aux anciens prisonniers par écrit. Mais il a indiqué que la police leur demande de signer un procès verbal dans lequel ils reconnaissent qu'ils ont été sommés par voie orale de venir émarger.

Dans sa réponse écrite à  Human Rights Watch, le ministère de la Justice a indiqué que le système judiciaire fixait et appliquait des peines de contrôle administratif basées sur le droit et soumises « à des règles précises, qu'il s'agisse de la territorialité dudit contrôle ou de la fréquence de la signature de la personne astreinte à cette peine auprès de l'autorité ayant juridiquement compétence pour en assurer l'exécution ».

La lettre du ministère de la Justice ne fournit cependant aucun fondement juridique à l'obligation d'émargement. Les articles du code pénal qui définissent le contrôle administratif ne mentionnent qu'une seule sorte de restriction (la désignation de la résidence de la personne) et n'autorisent pas les autorités à y ajouter des mesures supplémentaires restreignant la liberté de mouvement des anciens prisonniers.

« Comme dans de nombreux pays, les tribunaux tunisiens imposent certaines restrictions aux prisonniers libérés », a conclu Mme Whitson. « Ce qui est toutefois inacceptable, c'est que la police tunisienne aille au-delà de ces mesures juridiques et transforme la vie des anciens prisonniers politiques en ce que plusieurs d'entre eux appellent ‘une prison plus vaste'. »

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.