(New York) - La condamnation à Dakar le 6 janvier 2009 de neuf hommes engagés dans des actions de prévention du HIV, accusés d'"actes indécents et contre nature" et de "formation d'association de criminels", montre comment les lois contre les comportements homosexuels font du tort aux efforts de prévention du HIV et du SIDA ainsi qu'au travail des défenseurs des droits droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
"Ces accusations ont un effet dissuasif sur les programmes concernant le SIDA" confirme Scott Long, directeur du programme sur les droits des lesbiennes, gays, bi et transsexuels (LGBT) de Human Rights Watch. " Les travailleurs sociaux et les personnes à la recherche de prévention ou de traitement du HIV ne devraient pas avoir à s'inquiéter de persécutions policières. Le Sénégal devrait retirer ces accusations et abroger sa loi contre la sodomie".
Au Sénégal, les défenseurs des droits des personnes exposées au HIV et au SIDA signalent que le jugement a semé une grande panique au sein des organisations s'occupant du HIV et du SIDA, particulièrement celles qui travaillent avec des hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes, ainsi que celles qui travaillent avec d'autres populations marginalisées.
Ces neuf hommes ont apparemment été arrêtés simplement car ils étaient soupçonnés de comportement homosexuel. Dans ce cas, les dispositions internationales en matière de droits de l'homme exigent leur libération immédiate. Aussi longtemps qu'ils restent détenus - étant donné le climat général d'hostilité à l'égard d'hommes perçus comme homosexuels et le risque de violences qu'ils encourent - les autorités sénégalaises doivent assurer leur sécurité en les séparant des autres prisonniers si c'est nécessaire. Les autorités doivent aussi s'assurer que ces hommes reçoivent tous les soins médicaux nécessaires, y compris les thérapies anti VIH.
Ces hommes ont été placés en détention le 19 décembre 2008, après que plusieurs officiers de police ont fait irruption au domicile d'un travailleur social s'occupant du HIV, à quelques miles de Dakar, à 11 heures du matin, et les ont arrêtés dans la maison. La police a confisqué des préservatifs et des lubrifiants -accessoires utilisés pour la prévention du HIV. La police a forcé plusieurs de ces hommes à révéler les numéros de téléphone de membres de leur famille et les ont menacés d'informer celles-ci. Selon des informations recueillies par Human Rights Watch, ces hommes ont été battus lors de leur détention, ce qui constituerait une violation significative des obligations internationales du Sénégal en matière de droits humains.
Ces hommes ont été accusés de violer l'article 319.3 du code pénal sénégalais, qui stipule que "quiconque commet un acte indécent ou contre nature avec une personne de même sexe sera puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans". Les rapports reçus par Human Rights Watch indiquent qu'ils n'étaient engagés dans aucune activité considérée comme criminelle au regard de la loi sénégalaise.
Au procès, les procureurs se sont apparemment servi du matériel trouvé dans la maison, c'est-à-dire des accessoires ordinaires de prévention du HIV, comme preuve du comportement homosexuel, pour lequel ces hommes ont été condamnés à la peine maximum de cinq ans. Ils ont aussi été déclarés coupables d'"association criminelle" en violation de l'article 238 du code pénal, permettant au juge d'ajouter trois années à la période de cinq ans.
"La loi sénégalaise contre la sodomie s'immisce dans la vie privée, criminalise le travail social, justifie la brutalité et nourrit la crainte", affirme Scott Long. "Cet exemple montre pourquoi il est temps pour la loi sur la sodomie de disparaître."
L'arrestation et la détention de ces hommes violent l'article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), qui garantit le droit à la liberté et à la sécurité d'une personne et les droits à ne pas être arbitrairement détenu. Le Sénégal a ratifié sans réserves l'ICCPR en 1978. Les procés criminels se fondant sur l'article 319.3 du code pénal violent les engagements du Sénégal issus de ce traité. Le Sénégal devrait abroger l'article 319.3 qui gêne aussi fortement la prévention en matière d'HIV et de SIDA ainsi que les efforts éducatifs, privant d'importantes parties de la population de traitement et de soins.
Ces hommes ont été arrêtés quelques jours après que le Sénégal a accueilli la 15ème Conférence Internationale sur le SIDA et les Infections sexuellement transmissibles en Afrique (ICASA). Lors de cette conférence, des exposés ont signalé les apparentes contradictions qui existent dans quelques pays, tel que le Sénégal, qui ciblent des efforts de prévention du HIV et du SIDA vers les populations d'hommes qui ont des rapports sexuels avec d'autres hommes, et qui continuent à criminaliser les relations homosexuelles.
Les avocats travaillant sur la prévention du HIV et du SIDA montrent qu'une telle approche conduit nécessairement les populations ciblées à la clandestinité et atténue l'efficacité des efforts d'intervention sur le HIV.
L'article 7 de la Déclaration de l'ONU sur les défenseurs des droits humains stipule que "chacun a le droit, individuellement et en association, d'élaborer de nouveaux principes et et idées dans le domaine des droits de l'homme, d'en discuter et d'en promouvoir la reconnaissance". Le rapport sur les défenseurs des droits humains rendu par le représentant spécial du secrétaire-général et présenté devant l'Assemblée générale de l'ONU, identifie spécifiquement les défenseurs des droits de l'homme issus des communautés lesbiennes, gay, bi et transsexuelles, et des communautés intersexuées, comme présentant un risque particulier, et il a appelé à une plus grande vigilance dans la protection de leurs droits.
Le Comité des droits de l'homme de l'ONU, qui fait autorité pour interpréter l'ICCPR et évalue la conformité à ses dispositions, a estimé en 1994, dans le cas Toonen c. Australia que les lois criminalisant un comportement homosexuel consenti entre adultes violaient les protections prévues par l'ICCPR. Selon les données de l'ONUSIDA, au moins 5 à 10 pour cent des infections HIV dans le monde proviennent de relations sexuelles entre hommes, bien que ce chiffre varie considérablement selon la région concernée. Les lois criminalisant un comportement sexuel consenti conduisent à la clandestinité ces populations vulnérables et autorise des violations flagrantes des droits fondamentaux à la vie, à la liberté d'expression et d'association, et à la santé.