(Kampala, le 21 novembre 2007) – Lors de la rencontre des chefs de gouvernement du Commonwealth à Kampala cette semaine pour leur réunion bisannuelle, ils devraient s’occuper des atteintes contre les droits humains commises dans leurs propres rangs, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Human Rights Watch a appuyé la suspension du Pakistan des conseils du Commonwealth si l’état d’urgence n’est pas levé.
Les chefs d’Etat de 53 pays vont se réunir lors de la rencontre des chefs de gouvernement du Commonwealth (CHOGM) du 23 au 25 novembre, dont le thème sera « transformer les sociétés du Commonwealth pour assurer un développement politique, économique et humain ».
« Toute discussion sérieuse au sommet du Commonwealth devrait reconnaître que les violations des droits humains sont contraires au développement durable », a affirmé Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch. « Les membres du Commonwealth doivent exiger des comptes à leurs dirigeants si leurs politiques d’atteintes aux droits humains contrarient le développement de leurs propres pays ».
Au Pakistan, l’instauration de l’état d’urgence, l’arrestation de défenseurs des droits humains, de militants de l’opposition et d’avocats, ainsi que le fait que des juges soient démis de leurs fonctions, constituent une attaque frontale contre les protections des droits humains dans ce pays, a expliqué Human Rights Watch.
Human Rights Watch s’est félicité de l’ultimatum lancé le 12 novembre au Pakistan par l’organisme chargé de contrôler les violations graves des valeurs politiques du Commonwealth. Le Groupe ministériel d’action du Commonwealth (CMAG) a menacé le Pakistan de suspension si l’état d’urgence n’était pas levé d’ici le 22 novembre, veille du sommet du Commonwealth. Le Commonwealth a suspendu le Pakistan en 1999 après la prise du pouvoir par le Général Pervez Musharraf lors d’un coup d’Etat militaire. Il a levé la suspension en 2004 lorsque le Président Musharraf a promis de démissionner du commandement de l’armée, promesse qu’il n’a pas tenue.
« Les attaques de Musharraf contre l’Etat de droit vont à l’encontre de tout ce que le Commonwealth représente », a déclaré Brody. « Les dirigeants qui vont se réunir à Kampala devraient rester fermes et affirmer que l’état d’urgence n’a pas sa place dans le Commonwealth. Ils devraient dire à Musharraf qu’il doit sans délai rétablir la constitution et l’appareil judiciaire. »
Human Rights Watch a appelé le pays fondateur du Commonwealth, le Royaume-Uni, ainsi que le pays qui accueille le sommet cette année, l’Ouganda, à jouer un rôle de premier plan pour la tenue des engagements du Commonwealth à l’égard des droits humains et de l’Etat de droit.
Les mesures antiterroristes abusives prises au Royaume-Uni ont donné le mauvais exemple au Commonwealth et, à vrai dire, au reste du monde, a déploré Human Rights Watch. Les tentatives du gouvernement pour expulser des personnes soupçonnées d’activités terroristes sur la base de douteuses « assurances diplomatiques » contre des traitements inhumains ébranlent l’interdiction mondiale de la torture.
La limite fixée à 28 jours en Grande-Bretagne pour la détention sans inculpation dans les cas de terrorisme est déjà la plus longue de l’Union européenne. Une proposition d’extension à 56 jours violerait le droit élémentaire à la liberté et irait aussi à l’encontre des efforts antiterroristes en s’aliénant les communautés dont la coopération est vitale pour combattre le terrorisme.
Le respect de l’Etat de droit en Ouganda impose l’arrêt de l’intimidation des tribunaux civils. En mars, les forces armées de sécurité ont pris d’assaut le bâtiment de la Haute Cour à Kampala pour empêcher la libération des co-accusés du Dr. Kizza Besigye, dirigeant du parti d’opposition Forum démocratique pour le changement. Ces co-accusés avaient été libérés sous caution après 15 mois de détention. C’était la deuxième fois que les forces de sécurité sabotaient la procédure judiciaire dans cette affaire.
Le gouvernement ougandais doit aussi garantir que des poursuites sont engagées contre les crimes les plus graves commis durant le conflit qui s’est déroulé dans le nord-est de l’Ouganda, et exiger que ses soldats rendent des comptes pour les violations des droits humains perpétrées l’année dernière pendant les opérations menées dans la région de Karamoja.
« Aucun pays du Commonwealth ne devrait échapper au contrôle lorsqu’il s’agit des droits humains », a insisté Brody. « Sans protections des droits humains, le développement durable est lettre morte. »
Human Rights Watch a déclaré que le bilan en matière de droits humains d’autres pays membres était aussi en désaccord avec le thème du sommet, le « développement politique, économique et humain ».
La reprise du conflit au Sri Lanka a entraîné des milliers de disparitions forcées et d’enlèvements, et le déplacement de 315 000 personnes depuis le mois d’août 2006. En mars, le gouvernement sri lankais a annoncé qu’il allait créer une « zone de haute-sécurité » comportant des « zones économiques spéciales » sur des terres dont des milliers de personnes ont été chassées, ce qui selon Human Rights Watch menace gravement toute éventualité de solution au conflit. Le gouvernement de transition du Bangladesh appuyé par l’armée a promis de mettre un terme à la corruption et d’organiser des élections libres. Human Rights Watch a exprimé des doutes quant à la possibilité d’élections libres dans le contexte de l’état d’urgence actuellement en vigueur, de l’embargo mis sur l’activité politique et de la suspension des libertés civiles.
Au Nigeria, qui a accueilli la CHOGM en 2003, le Président Umaru Yar’Adua n’a pas jusqu’ici résolu la corruption endémique et le manque de responsabilisation du gouvernement, qui ont alimenté le détournement de revenus pétroliers en plein essor. Ces recettes publiques seraient plus que suffisantes pour améliorer les vies des citoyens nigériens. En dépit de budgets gouvernementaux florissants, la plupart des familles nigériennes restent engluées dans une pauvreté écrasante, et chaque année environ 1 million d’enfants nigériens meurent avant l’âge de cinq ans. Bien que le delta du Niger soit la source de l’immense richesse pétrolière nationale, nombre de ses institutions gouvernementales locales et nationales ont été détournées par des politiciens violents et corrompus, dont les agissements ont transformé la relative richesse de la région en une source de violations croissantes des droits humains au lieu de développement.
Human Rights Watch a déclaré que le gouvernement du Roi Mswati III du Swaziland continuait à laisser les forces de police nationales commettre des actes de brutalité en toute impunité, à savoir la détention, la torture et le meurtre extra-judiciaire de membres anti-monarchistes et de l’opposition.
Les bilans médiocres en matière de droits humains de nombreux pays membres vont à l’encontre du noble rôle du Commonwealth de promouvoir les droits humains, la démocratie et l’Etat de droit, a déclaré Human Rights Watch. Les chefs d’Etat qui vont se réunir à Kampala devraient aider à combler le fossé entre les valeurs du Commonwealth et les réalités du Commonwealth, en agissant conjointement pour la protection des droits humains. Au niveau mondial, cela inclue de porter les situations de pays devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et de s’engager rigoureusement dans le nouveau processus d’examen périodique universel du Conseil.
« Les 13 pays du Commonwealth membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont le pouvoir de secouer sa léthargie et d’en faire une véritable force pour la protection des droits humains », a ajouté Brody.