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Une solution pour le Darfour

Les plus hauts responsables des missions de l’ONU proposent de placer les revenus du pétrole dans un fonds international hors de portée des militaires soudanais et des jenjawids.

Pour restreindre la faculté de Khartoum à financer continuellement tueries, bombardements et nettoyage ethnique, le Conseil de sécurité des Nations unies devrait introduire un fonds d’investissement pétrolier obligatoire - le Fonds pour le rétablissement du Darfour - tel que l’ont proposé Aegis Trust et Human Rights Watch.

Après quatre ans de crimes commis à grande échelle au Darfour et de nombreux mois passés à bloquer la mise en place d’une mission de maintien de la paix efficace dans la région, l’accord du 12 juin dernier à Addis-Abeba par le gouvernement soudanais d’une force hybride Union africaine-Nations unies de 19 000 hommes est bienvenu, mais ne peut être tenu pour acquis. De même ne devons-nous pas présumer que l’acceptation de la force hybride signifie que Khartoum cessera ses violations des droits de l’homme au Darfour, annulera le nettoyage ethnique qu’il a mené ou entamera une démarche qui obligera les responsables de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité au Darfour à rendre des comptes devant la justice.

Khartoum est passé maître dans l’art de revenir sur ses pas, et n’a jamais suffisamment ressenti la pression internationale pour mettre fin à ses méthodes brutales contre l’insurrection. Il s’est plutôt senti abrité par une importante augmentation des revenus du pétrole.

Ces revenus du pétrole ont été utilisés pour financer ses abus militaires au Darfour et pour recruter, armer et payer la milice jenjawid. Pour restreindre la faculté de Khartoum à financer continuellement tueries, bombardements et nettoyage ethnique, le Conseil de sécurité des Nations unies devrait introduire un fonds d’investissement pétrolier obligatoire - le Fonds pour le rétablissement du Darfour - tel que l’ont proposé Aegis Trust et Human Rights Watch. Dans le cadre de ce fonds, les exportations se poursuivraient sans interruption, assurant la continuité pour les clients du Soudan, tels que la Chine. Les contrats et les concessions existants seraient conservés. Les revenus du pétrole seraient placés dans le fonds d’investissement pour tenir les sommes d’argent loin des militaires soudanais et des jenjawids.

Les produits du fonds (nets des sommes dues aux compagnies exportant le pétrole) seraient toujours dépensés par le gouvernement du Soudan pour des projets de développement ou humanitaires, seraient distribués au gouvernement du Sud-Soudan en fonction des procédures de répartition de revenus de l’accord global de paix de 2005, et utilisés comme indemnisation des victimes de la crise du Darfour.

Les opérations liées au fonds cesseraient une fois que le gouvernement du Soudan aurait accepté des conditions bien précises incluant : le déploiement complet de la force hybride Union africaine - Nations unies ; l’arrêt des attaques sur les civils par ses forces armées et les milices soutenues par le gouvernement ; le désarmement de la milice jenjawid ; l’autorisation d’accès sans entrave aux agences humanitaires et aux médias ; et la coopération avec les Nations unies et la Cour pénale internationale dans leurs enquêtes sur les violations du droit international en amenant ceux qui sont accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité devant la justice, soit devant de véritables cours nationales, soit devant la Cour pénale internationale. Certaines similarités de façade avec le programme «pétrole contre nourriture» (PPCN) en Irak pourraient entraîner certains à repousser cette proposition, mais cela serait une erreur. La Commission internationale d’enquête sur le PPCN a découvert plusieurs faiblesses importantes dans le programme. Il est utile d’identifier ces faiblesses et d’en tirer un apprentissage. Le but du PPCN était de retirer à Saddam Hussein les ressources lui permettant de se réarmer et d’effrayer ses voisins tout en prenant le contre-pied des conséquences humanitaires néfastes de la politique de sanctions globales. Cela a fonctionné en partie. Plus des trois quarts des 75 milliards de dollars américains de revenus potentiels ont été détournés des mains de Saddam. Le programme a également réduit de façon substantielle les effets humanitaires néfastes de la politique de sanctions totales.

Cependant, la Commission d’enquête a découvert que les sanctions contre l’Irak n’étaient pas hermétiques à la fraude : du fait d’une mauvaise gestion du programme, Saddam s’est servi du projet de façon à recevoir plus de 1,5 milliard de dollars en commissions occultes. De nombreux Etats, comprenant les Etats-Unis et des membres de l’Union européenne, tout comme des voisins comme la Turquie et la Jordanie, ont fermé les yeux sur des exportations illégales de pétrole au profit du régime de Saddam. La responsabilité des faiblesses du programme pour l’Irak doit être partagée entre tous les Etats membres, le Conseil de sécurité et le Secrétariat des Nations unies. Nombre d’entre elles, notamment dans les secteurs de direction et d’audit, ainsi qu’une commission interne, peuvent être corrigées par une action administrative au sein du Secrétariat.

Dans le cas du Fonds de recouvrement du Darfour, tous les revenus pétroliers payables au fonds seraient administrés par une institution financière internationale indépendante, soumise à des audits périodiques indépendants sur tous les fonds reçus et dépensés, et impliquerait un groupe beaucoup plus restreint d’acheteurs de pétrole que le PPCN. Le Fonds pour le rétablissement du Darfour est conçu à la fois pour faire peser sur les dirigeants du Soudan des mesures fortes et efficaces afin qu’ils cessent leur mise à mal des droits de l’homme au Darfour, tout en respectant les besoins humanitaires du peuple du Soudan et le besoin de sécurité énergétique des acheteurs de pétrole soudanais. Nous demandons instamment aux ministres qui se réunissent à Paris de soutenir une action rapide de la part du Conseil de sécurité pour la mise en place du fonds comme signe de l’engagement de la communauté internationale à prendre ses responsabilités et à protéger les civils au Soudan.

© Libération

(*) Romeo Dallaire: commandant de la Force de l’ONU au Rwanda (1994)  -  Richard Goldstone: ancien procureur des Tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda  -  Jan Pronk: chef de la mission de l’ONU au Soudan (2004-2006)  -  Kenneth Roth: directeur de Human Rights Watch  -  James Smith: directeur de Aegis Trust  -  Jody Williams: chef de la mission au Darfour, Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

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