Malgré la libération bienvenue du directeur de journal Mohamed Benchicou prévue pour aujourd’hui, les détracteurs du gouvernement algérien n’en continuent pas moins d’être exposés à des représailles. Celles-ci s’expriment par une pléthore de procès en diffamation et, à l’occasion, dans des inculpations douteuses pour infractions pénales, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Ces poursuites judiciaires et autres pressions restreignent considérablement la liberté de la presse en Algérie, plus encore qu’il y a sept ans, lorsque le Président Abdelaziz Bouteflika avait été élu pour la première fois.
Benchicou, directeur du quotidien francophone Le Matin, basé à Alger, a purgé la totalité de la peine d’emprisonnement de deux ans à laquelle l’avait condamné un tribunal d’Alger pour une infraction au contrôle des changes. Avant sa condamnation en juin 2004, Benchicou et son journal avaient violemment critiqué Bouteflika et d’autres ministres de son gouvernement. En février de la même année, deux mois avant la réélection de Bouteflika pour un second mandat, Benchicou avait publié une biographie intitulée Bouteflika, une imposture algérienne.
Mohamed Benchicou, directeur du Matin
« Pour justifier son emprisonnement, les autorités ont prétendu que Benchicou avait violé les réglementations douanières », a expliqué Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. « Or, son seul crime est d’avoir attaqué le président et ses associés à un moment où ils étaient bien décidés à mettre une sourdine aux critiques. »
Les problèmes judiciaires de Benchicou ne sont pas terminés. Au moins 10 plaintes en diffamation portées contre lui ont pris le chemin des tribunaux, notamment certaines déposées par ou au nom d’institutions et de fonctionnaires publics pour des articles publiés dans Le Matin. Dans deux cas, des cours d’appel ont condamné Benchicou à la prison ferme, peines qu’il n’a pas encore commencé à purger pour la simple raison qu’il a fait appel des jugements devant la plus haute cour du pays, la Cour de Cassation.
Sous ce rapport, les difficultés rencontrées par Benchicou ressemblent à celles de bon nombre d’autres directeurs de publications et journalistes qui sont sans cesse appelés à comparaître devant les tribunaux pour répondre de plaintes en diffamation déposées contre eux pour des articles et des caricatures politiques. En 2001, le gouvernement a promulgué des amendements au code pénal, prévoyant des peines plus sévères pour les attaques verbales à l’encontre de fonctionnaires publics. Une disposition a expressément criminalisé les paroles ou les images jugées outrageantes, injurieuses ou diffamatoires envers le président, prévoyant pour ceux qui s’en rendent coupables une peine de prison pouvant aller jusqu’à 12 mois ainsi qu’une amende.
Une autre disposition prévoit les mêmes peines pour des injures et diffamations à l’encontre du parlement, du système judiciaire, de l’armée ou envers tout corps constitué ou toute autre institution publique. Bachir Larabi, correspondant du quotidien El-Khabar à El-Bayodh, a passé un mois en prison au début de cette année pour avoir « diffamé » des responsables locaux.
L’infraction pénale pour laquelle Benchicou a purgé une peine de deux ans de prison portait sur le fait qu’il n’avait pas déclaré aux autorités douanières des bons de caisse qu’il avait avec lui lors de son retour de l’étranger le 23 août 2003. Cet après-midi-là, la police des frontières de l’aéroport d’Alger a fouillé les bagages de Benchicou en sa présence et a trouvé des titres délivrés par une banque en Algérie pour une valeur de 11,7 millions de dinars algériens (127.000$US). Les agents ont photocopié, puis lui ont rendu les titres. Ils ont ensuite laissé partir Benchicou sans lui signaler qu’il avait commis la moindre infraction, sans lui demander de signer un procès-verbal et sans lui conseiller de déclarer les bons de caisse aux autorités douanières. Benchicou est alors passé à la douane sans les déclarer.
Le lendemain, l’agence de presse de l’Etat a diffusé une dépêche titrant « 11.700.000 DA découverts dans les bagages du directeur du quotidien Le Matin. » Le tribunal a alors ouvert une enquête et trois jours plus tard, il a placé Benchicou sous « contrôle judiciaire, » confisquant son passeport et l'empêchant de se rendre à l’étranger.
Le 14 juin 2004, le Tribunal correctionnel d’El-Harrach a jugé et condamné Benchicou pour avoir violé les lois régissant le mouvement des capitaux, au motif que ses bons de caisse constituaient une forme de capital que la loi exigeait de déclarer aux autorités douanières. Le juge l’a condamné à deux ans de prison et à une amende de 20 millions de dinars (217.000$US) et a ordonné son incarcération immédiate. Par la suite, des tribunaux de plus haute instance ont confirmé la condamnation et ont par ailleurs augmenté le montant de l’amende.
La défense de Benchicou a invoqué le fait que la loi ne stipule pas que les bons de caisse constituent des capitaux à déclarer et elle ne le laisse même pas sous-entendre car ces titres font davantage office de reçu pour un prêt et ne sont pas en soi de l’argent; par ailleurs leur « mouvement » n’entraîne pas le mouvement des capitaux qu’ils représentent, lesquels restent dans une banque en Algérie.
La défense a affirmé que c’était la toute première fois qu’en Algérie, le fait de ne pas déclarer des bons de caisse était poursuivi en tant que violation des réglementations relatives au mouvement des capitaux. Benchicou ignorait qu’il violait la loi et même la police des frontières qui avait trouvé les titres sur lui n’avait pas réagi comme s’il avait enfreint la loi, a encore invoqué la défense.
Au cours des deux années passées à la prison d’El-Harrach, Benchicou a fait des allers et retours au tribunal pour répondre d’accusations de diffamation portées contre lui et encore en suspens, que ce soit pour des propos écrits de sa main ou en sa qualité de directeur du Matin. Le 7 juin, il a comparu devant le tribunal pour répondre d’une plainte déposée par le ministre de l’énergie et des mines, Chekib Khelil, pour des articles publiés dans Le Matin et associant le ministre à des transactions immobilières douteuses. L’audience a été reportée au 12 juillet.
Dans une autre affaire, Benchicou et ses collègues sont poursuivis pour avoir diffamé le ministère de la défense dans un article accusant les forces de gendarmerie – forces de sécurité dépendant de ce ministère – d’avoir recouru à la violence et à la torture pour mettre fin aux troubles civils qui avaient éclaté dans la ville de Tkout située à l’est du pays. L’article, qui se basait fortement sur le témoignage de victimes, avait été publié peu avant la fermeture du Matin en 2004.
Benchicou espère récupérer son passeport lors de sa libération. Il lui a été confisqué en 2003, lorsque le tribunal a ouvert une enquête criminelle à son encontre. Sur le plan juridique, rien ne justifierait aujourd’hui qu’il ne lui soit pas restitué.
Fatiha Benchicou, l’épouse du directeur, a déclaré que son mari espérait relancer la publication du Matin. Le quotidien a cessé de paraître en juillet 2004 lorsque l’imprimerie d’Etat SIMPRAL a refusé de continuer à l’imprimer jusqu’à ce qu’il paie toutes ses factures en souffrance. Le mois précédant, peu après la condamnation de Benchicou, les autorités avaient saisi les avoirs du journal, notamment le bâtiment qu’il possédait à Alger, et les avaient vendus aux enchères pour, selon elles, éponger le redressement fiscal réclamé au Matin.
Un autre quotidien critique à l’égard du gouvernement, er-Raï (L’Opinion), n’a pas paru depuis 2003, moment auquel les imprimeries d’Etat ont réclamé le paiement de toutes les factures impayées dans un délai de 48 heures. Ahmed Benaoum, directeur d’er-Raï, a passé 11 mois en détention préventive avant d’être acquitté par un tribunal d’Oran, en juin 2005, pour des accusations de fraude fiscale et de falsification de documents officiels, accusations forgées de toutes pièces.
L’accès aux imprimeries d’Etat est une forme de subsides indirects qu'accordent les autorités à une grande partie de la presse écrite. Parfois, le gouvernement algérien refuse de fournir ces services ou les réduit en vue d’exercer des pressions ou de punir les journaux plus critiques tels que Le Matin et er-Raï.
« Lorsque Mohamed Benchicou sera remis en liberté aujourd’hui, l’Algérie ne comptera plus aucun journaliste en prison, » a déclaré Whitson. « Mais tant que les tribunaux ne garantiront pas des procès équitables aux détracteurs du gouvernement et tant que les autorités n’abrogeront pas les lois répressives en matière de diffamation, il est peu probable qu’il soit le dernier à avoir été derrière les barreaux. »