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Human Rights Watch est une organisation non gouvernementale internationale de défense des droits de l’homme, dont le siège social est à New York et, qui possède des bureaux autour du monde. Nous vous écrivons concernant le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, actuellement en examen au Sénat.

Human Rights Watch souhaiterait exprimer ses inquiétudes sur les dispositions actuelles du projet de loi qui augmenterait la durée maximum de la garde à vue pour les suspects de terrorisme, sans améliorer les protections à l’égard de l’accès à un avocat et à un contrôle judiciaire. Notre étude indique que ces propositions sont contraires aux obligations françaises envers la loi internationale des droits de l’homme. Nous vous conseillons vivement de profiter de cette opportunité pour conforter, plutôt que d’affaiblir, les garanties de procédure dans des cas relatifs au terrorisme.

L’article 10 ter du projet de loi, introduit comme un amendement à l’Assemblée nationale, envisage de modifier le code de la procédure pénale pour donner le droit au juge des libertés et de la détention d’ordonner deux prolongations supplémentaires de 24 heures de garde à vue, dans les cas où il y a un risque sérieux d’attaque terroriste imminente en France ou à l’étranger, ou bien quand la coopération internationale est tenue de poursuivre l’enquête. Ces extensions seraient un complément aux deux prolongations de 24 heures déjà permises pour les détentions concernant le terrorisme, et passerait à six jours le temps global qu’un suspect de terrorisme pourrait passé en garde à vue avant une audience devant un juge d’instruction.

Human Rights Watch admet que le temps supplémentaire peut être nécessaire, lors de situations exceptionnelles, pour achever l’enquête préliminaire ou pour prévenir une attaque imminente. Pourtant, d’importantes garanties de procédure doivent être mises en place pour protéger le droit du détenu à la défense effective et le droit de contester la légalité de la détention, aussi bien que pour protéger l’intégrité physique de ce dernier. Les changements en question ne rectifient pas l’accès déjà limité à un avocat et à un contrôle judiciaire dans les pratiques actuelles. Quand elles sont combinées avec l’incapacité de prévenir une tierce personne à propos de la détention, ces conditions créent une situation de détention au secret. Alors que cette dernière n’est pas, en soi, interdite, conformément à la loi internationale, il y a un accord significatif parmi les organismes des droits de l’homme des Nations Unies indiquant qu’elle peut engendrer de graves violations des droits de l’homme et devrait donc être interdite. Le Comité des droits de l’homme recommande que des dispositions soient prises contre la détention isolée, une condition systématiquement réaffirmée par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies 1.

L’accès à un avocat. Conformément à la loi, le détenu aurait accès à un avocat après 96 heures puis de nouveau après 120 heures. Ces entretiens seraient un complément à l’entretien actuellement disponible pour le détenu après les premières 72 heures. Chaque entretien peut durer seulement 30 minutes, et les avocats n’ont pas accès au dossier de l’affaire avant ces rencontres. Dans ces circonstances, l’avocat est un peu plus qu’un observateur et peut faire peu, si ce n’est tout, pour fournir un conseil juridique solide à son ou sa cliente.

Un accès sensiblement limité à toute consultation d’avocat est alarmant à plusieurs niveaux. En premier lieu, la police peut interroger un détenu pendant toute la période de détention sans qu'un avocat ne soit présent et, les déclarations effectuées par les détenus, dans ces conditions, sont recevables par la Cour. Deuxièmement, les détenus ne sont pas informés de leur droit de garder le silence. D'après ce que nous avons compris, la notion de droit notifiée dans ce cas fut introduite au code de procédure pénale en 2000 et ne fut eliminée en 2003. Le résultat est la probabilité renforcée de pouvoir faire pression sur un détenu de manière illégale. Au final, l'absence d'accès à un avocat empêche le détenu de contester la légalité de la détention.

Le droit, de toute personne accusée d'un crime, de recevoir l'assistance d'un avocat est une garantie procédurale fondamentale. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies et la Cour européenne des droits de l'homme ont déclaré que le droit à une défense effective, prévue dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l'homme, est applicable aux périodes de garde à vue.2 Le Comité des droits de l'homme avait exprimé ses inquiétudes concernant l'absence d'accès à un avocat pendant les 72 premières heures de garde à vue, en France, en 1997, et avait recommandé, à ce moment-là, que les lois anti-terroristes "soient mises en complète conformité avec les conditions des articles 9 et 14 du Pacte." 3En outre, depuis 1996, le Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme a recommandé à plusieurs reprises que les détenus en garde à vue aient accès à un avocat dès le début de la détention, comme garantie fondamentale contre toute maltraitance. Dans son rapport le plus récent, basé sur une visite en France en 2003, le Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme a regretté que la France n'ait pas encore mis en oeuvre ses recommandations.4

Contrôle judiciaire. Ce projet de loi donne au juge des libertés et de la détention l'autorité pour accorder les deux prolongations de 24 heures au-delà des 96 premières heures de la garde à vue. Il n'y a aucune disposition pour que le détenu puisse être traduit devant le juge avant que cette autorisation ne soit accordée, et un sous-amendement qui aurait exigé du juge de s'entretenir avec l'avocat du détenu avant de prendre la décision, a été rejeté par l'Assemblée nationale. En effet, M. Alain Marsaud, le rapporteur pour la commission des lois, s'est opposé à cette demande, précisément parce qu'elle aurait créé une audience additionnelle devant le juge, une opinion soutenue par le ministre de la Justice Pascal Clément.

L'échec de ce texte, dans sa tentative d'imposer de meilleures garanties, est caractéristique de la situation actuelle en France, où le contrôle judiciaire est insatisfaisant. Après les 48 premières heures de garde à vue, le procureur, le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention peuvent autoriser les deux premières prolongations de 24 heures. L'article 706-88 du code des procédures pénales stipule que l'autorité judiciaire doit voir le détenu avant d'accorder la première prolongation, ce qui n'est pas le cas pour la seconde. Des avocats de la défense pénale en France ont dit à Human Rights Watch que dans la pratique, les prolongements sont automatiques et que les détenus ne sont pas toujours traduits devant l'autorité juridique compétente.

Nous considérons que des détenus devraient systématiquement être traduits devant un juge. La Convention européenne des droits de l'homme stipule que toute personne arrêtée "doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires" (art. 5(3)). Tandis que la Cour européenne des droits de l'homme s'est abstenue d'associer une période précise au sens du mot "aussitôt", la cour a soutenu que l'importance accordée aux usages spéciaux d'un cas ne peut pas servir de prétexte à altérer le principe du droit d'être traduit devant un juge. Par exemple, dans le cas Brogan contre le Royaume-Uni, la cour a constaté que l'article 5(3) avait été violé dans le cas de quatre individus détenus en garde à vue pendant des périodes s'étendant de quatre jours et onze heures à six jours et seize heure et demie sans être traduit devant un juge. Basé sur cette jurisprudence, il est probable qu'une garde à vue de six jours sans audience avec un juge soit contraire aux engagements de la France auprès la Convention européenne des droits de l'homme.

Avis des tiers. Le projet de loi stipule que les détenus, dont le droit d’informer un tiers de sa détention a été dénié, peuvent réitérer leur demande après quatre jours de garde à vue. L'article 63-2 du code de procédure pénale permet actuellement au procureur, sur recommandation de l'officier de police judiciaire, de refuser à un détenu le droit d'informer un tiers de sa détention, et ceci, dès le début de cette détention. D'après ce que nous avons compris, ce déni est la norme, plutôt que l'exception, dans les cas associés à des actes de terrorisme. Les termes actuels du projet de loi suggèrent que, tandis que le détenu peut renouveler sa demande, il relève de la seule appréciation du procureur de réitérer son refus. Le Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme a statué qu'un délai maximum de 48 heures avant qu'un détenu ait le droit d'informer un tiers de sa détention rendrait plus équilibré le rapport entre les besoins de l'enquête et les intérêts des personnes détenues.

Examen médical. Un des soucis majeur de la détention au secret est qu'elle met en place des conditions propices à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitement. À cet effet, les organes internationaux de droits de l'homme ont, à plusieurs reprises, souligné l'importance des examens médicaux comme garantie contre de tels actes. Human Rights Watch a noté que les détenus, sujets à une garde à vue prolongée, ont le droit de demander un examen médical, qu'un tel examen est obligatoire quand la garde à vue est prolongée au delà de 48 heures, et que le projet de loi imposerait un examen médical au début de chaque prolongation de 24 heures au delà de 96 heures. Les termes du texte suggèrent que le but de cet examen soit de vérifier que le détenu n'ait aucun problème médical qui exclurait la prolongation : "le médecin requis devra se prononcer sur la compatibilité de la prolongation de la mesure avec l'état de santé de l'intéressé."

Human Rights Watch croit que les examinateurs médicaux, qui, sous le système actuel, sont désignés par une autorité judiciaire, devraient être spécialement entraînés à s’informer et à détecter toutes les formes de mauvais traitements interdites. Nous partageons aussi l’avis du Comité des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme selon lequel les détenus devraient aussi avoir le droit d’être examinés par un docteur de leur choix comme garantie supplémentaire contre les mauvais traitements.

Human Rights Watch comprend l'obligation du gouvernement français de protéger ses citoyens des attaques terroristes potentielles. Pourtant, la France a aussi un devoir tout aussi suprême de soutenir les droits fondamentaux, y compris le droit à la présomption d'innocence, le droit à la défense et le droit à un procès équitable dans un laps de temps convenable. Nous vous préconisons de profiter de cette occasion pour renforcer les protections de procédure pour les suspects du terrorisme pendant la garde à vue en incluant, dans la législation actuelle:

  • L’accès au conseil juridique dès le début de la détention et tout au long de la période de détention;

  • Le droit de s’entretenir en privé avec leurs avocats pour des durées de temps illimitées et dans des conditions garantissant la confidentialité;

  • Le droit d’avoir un avocat présent lors des interrogatoires policiers;

  • Une responsable pour informer les détenus de leur droit de garder le silence;

  • Le droit d’être auditionné rapidement par un juge;

  • Le droit de contester la légalité de la détention, dès le début;

  • L’examen médical par un docteur de leur choix et le droit de révéler les mauvais traitements; et

  • Le droit d’informer une tierce personne de leur choix dès le début de la détention. Tout délai devrait être exceptionnel et aussi bref que possible.

Le modèle de contre-terrorisme français est largement considéré comme un des plus efficaces en Europe. Il est juste que la France utilise le système judiciaire légal pour lutter contre le terrorisme, mais le respect des droits de l'homme et de la règle de loi doivent être une part intégrale de cet effort.

En vous remerciant pour votre considération.

Nous vous prions d’agréer l’expression de notre haute considération.

Holly Cartner
Directrice Exécutive
Division Europe et Asie Centrale
Human Rights Watch



1United Nations Human Rights Committee (Comite des droits de l’homme des Nations Unies), Remarques générales Numéro 20, paragraphe 1; voir aussi United Nations Commission on Human Rights (Commission des droits de l’homme des Nations Unies), Résolution 2003/32, paragraphe 14.
2Le Comite des droits de l’homme notait que la disposition de la loi sur le terrorisme (Terrorism Act) au Royaume-Uni (2000) permettant aux suspects d’être détenus pendant 48 heures sans accès à un avocat était en “concordance suspecte” avec les articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. CCPR/CO/73/UK, paragraphe 13 (2001). La Cour européenne des droits de l’homme notait de la même façon que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme s’applique même au stade préliminaire d’une enquête de police. Dans l’arrêt Imbroscia contre Suisse, la cour statua que “le but premier de l’article 6, dans la mesure où les questions criminelles sont concernées, est certainement de garantir un jugement équitable par un ‘tribunal’ compétent à déterminer toute charge criminelle,’ mais elle ne suit pas le fait que l’article 6 n’a aucune application dans les procédures du pré jugement” et que les exigences de l’article 6 (3), incluant le droit à l’assistance légale, “peuvent… être pertinentes avant qu’une affaire soit envoyée en jugement, si et, dans la mesure où, l’honnêteté du jugement portera sûrement un sérieux préjudice par un échec initial à s’y soumettre.” Imbroscia c. Suisse (13972/88) [1993] ECHR 56 (24 Novembre 1993), ECHR, Series A, Numero 275, paragraphe 36.
3United Nations Human Rights Committee (Comite des droits de l’homme des Nations Unies), Observations finales: France, CCPR/C/79/Add.80, 4 aout 1997, paragraphe 23.
4European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants), Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le Comité européen pour la prévention de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 11 au 17 juin 2003, CPT Inf (2004) 6, paragraphe 63.

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