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Libéria : Malgré les élections, l'effondrement de la justice pose des risques

Le nouveau gouvernement devra garantir la justice relative aux crimes de guerres, et exclure les auteurs de violations de droits de l'homme de la police, de l'armée et de la fonction publique

(Dakar) — Afin d'éviter une reprise du conflit armé au Libéria, le nouveau gouvernement qui sera élu le 11 octobre devra garantir que les personnes responsables d'atrocités commises dans le passé soient traduites en justice, et que les auteurs de violations de droits de l'homme soient exclus de la police, de l'armée et de la fonction publique; c'est ce qu'affirme Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.

Le 11 octobre, le Libéria tiendra ses premières élections nationales depuis la signature d'un accord de paix en 2003. L'élection portera sur la Présidence, le Sénat (constitué de 30 sièges) et la Chambre des députés (constituée de 64 sièges). Alors que les préparatifs, les inscriptions et les campagnes dans le cadre de ces élections se sont déroulés sans irrégularités majeures, les dirigeants du futur gouvernement du pays devront être plus attentifs aux sujets cruciaux de la justice et des droits de l'homme qu'ils ne l'ont été durant la campagne, a déclaré Human Rights Watch.

Le rapport de 39 pages, intitulé « Le Libéria face à un carrefour: Les défis en matière de droits de l'homme pour le nouveau gouvernement » (“Liberia at a Crossroads: Human Rights Challenges for the New Government”) a prévenu que la transition du Libéria d'un État en quasi-faillite à un pays démocratique régi par le droit ne pourra pas être considérée comme complète avant l'accomplissement de progrès considérables dans plusieurs domaines clés. Premièrement, le système judiciaire du Libéria, qui continue de souffrir de défaillances flagrantes, devra être reconstruit avec l'aide de la communauté internationale. Deuxièmement, le processus de restructuration et de reconstitution de la police et de l'armée nationales du Libéria, qui durant des décennies ont exploité les populations qu'elles sont censées protéger, devra être achevé sans plus tarder. Enfin, les individus responsables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, commis durant les conflits armés du Libéria, devront être exclus de la fonction publique, de la police et de l'armée, et devront répondre de leurs crimes devant la justice.

« Après avoir enduré plus de deux décennies d'instabilité politique, dont 14 années de conflit armé brutal, le Libéria se trouve face à un carrefour sans précédent, » a déclaré Peter Takirambudde, Directeur exécutif de la division Afrique de Human Rights Watch. « Mais tout échec dans la tentative d'établir un État de droit, et de garantir la justice quant à des crimes de guerre atroces, pourrait atténuer la stabilité péniblement acquise au Libéria ainsi que dans toute la région. »

À partir du coup d'Etat de 1980 jusqu'au renversement du Président Charles Taylor en 2003, les citoyens du Libéria ont été soumis à des violations continues de leurs droits civiques et politiques par les gouvernements successifs, ainsi qu'à des crimes de guerre répandus et systématiques commis par l'ensemble des factions belligérantes durant les deux conflits armés dévastateurs. La violence a brisé les vies de dizaines de milliers de Libériens.

Parmi les candidats aux élections figurent au moins trois anciens commandants de factions armées, cinq individus soumis à des sanctions des Nations Unis en raison d'activités visant à fragiliser la paix au Libéria et dans la sous-région, ainsi que plusieurs anciens commandants militaires de haut rang accusés de crimes de guerres. Human Rights Watch a prévenu que s'ils étaient élus, ces individus—qui dans le passé ont fait preuve d'un mépris total à l'égard des concepts d'Etat de droit et de procédure légale—pourraient recourir à la force et à d'autres mesures extralégales afin de contourner et d'affaiblir le processus politique et le système judiciaire du Libéria.

Human Rights Watch a appelé le futur gouvernement—de concert avec la communauté internationale—à développer une stratégie concrète pour garantir la justice par rapport aux graves violations de droits de l'homme commises dans le passé, et à établir une commission indépendante chargée d'instaurer un processus de vérification permettant d'exclure les responsables de violations de droits de l'homme nommés à des postes dans la fonction publique, ou envisagés pour de tels postes.

Pendant des décennies, la police et l'armée libérienne ont été employées comme outils de répression par les gouvernements successifs et leurs partis dirigeants, et ont été la source d'une instabilité, d'une corruption et de violations de droits de l'homme considérables. Néanmoins, le processus de vérification conçu pour exclure du nouveau Service de Police libérien d'anciens responsables de violations des droits de l'homme a été de toute évidence inefficace pour le filtrage de tels individus. Parmi les problèmes de ce processus figuraient le manque de clarté des critères visant à écarter les responsables potentiels de violations des droits de l'homme, et l'inadéquation des ressources humaines requises pour mener des contrôles complets et systématiques des dossiers des postulants. Le nouveau gouvernement devra s'assurer que DynCorp, entreprise basée aux Etats-Unis et chargée de restructurer la nouvelle armée, sera attentive aux problèmes ayant miné le processus de vérification pour la Police nationale libérienne, et en corrigera un certain nombre.

Immédiatement après les élections, le nouveau gouvernement et la communauté internationale devront commencer à reconstruire le système judiciaire libérien qui est gravement dysfonctionnel, car il a été réduit en miettes par des années de guerre civile. Human Rights Watch a noté que l'absence de salles d'audience, de procureurs et de défenseurs publics en état de fonctionner—ainsi que la corruption au sein même des procédures judiciaires—favorise actuellement l'impunité au lieu de s'y attaquer.

Human Rights Watch s'est réjoui que l'actuel gouvernement du Libéria, les candidats à la présidence ainsi que la communauté internationale aient tous reconnu le rôle crucial joué par la corruption endémique dans la création de conditions propices au conflit armé et à l'instabilité politique. Toutefois, le nouveau gouvernement libérien et la communauté internationale devront en même temps s'engager à améliorer parallèlement les défaillances du système judiciaire libérien et des principales institutions publiques, tout en garantissant que les personnes portant la plus grande responsabilité des violations des droits de l'homme commises dans le passé soient traduites en justice.

« Le nouveau gouvernement élu au Libéria devra faire preuve de son engagement en faveur d'un État de droit et du respect des droits de l'homme en poursuivant les principaux individus qui ont été responsables d'atrocités dans les conflits armés du pays, » a déclaré Takirambudde.

L'un des individus à qui est imputée la principale responsabilité des crimes de guerre au Libéria est l'ancien président Charles Taylor, actuellement exilé au Nigeria. Human Rights Watch a demandé au prochain gouvernement du Libéria de demander au Nigeria de livrer Taylor au Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, afin qu'il y soit poursuivi pour son implication dans les crimes commis durant la guerre civile dans ce pays. Cependant le nouveau gouvernement devra également garantir que Taylor réponde des crimes de guerre qu'il est accusé d'avoir commis au Libéria.

« La livraison de Charles Taylor au Tribunal Spécial est cruciale pour garantir la justice aux victimes de crimes en Sierra Leone, » a affirmé Takirambudde. « Mais la justice doit également être rendue aux innombrables victimes des crimes de guerre que Taylor est accusé d'avoir commis au Libéria, en tant que commandant des insurgés et en tant que Président. »

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