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Burundi : Répression à l’approche du référendum sur le mandat présidentiel

Des opposants sont tués, emprisonnés, menacés

Simon Bizimana (à gauche) est décédé en mars 2018, probablement des passages à tabac subis alors qu’il était détenu pour avoir refusé de se faire inscrire pour voter au Burundi. Des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir ont tué Dismas Sinzinkayo (à droite) en février 2018. Ce dernier n’avait pas pu produire un récépissé attestant qu’il s’était fait inscrire en vue du référendum. © 2018 Privé

(Bruxelles) – Les forces gouvernementales du Burundi, ainsi que des membres du parti au pouvoir, ont tué, passé à tabac ou intimidé des citoyens perçus comme étant des opposants à un référendum constitutionnel prévu pour le 17 mai 2018 qui permettrait au président de rester au pouvoir au-delà du terme de son mandat actuel, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces exactions reflètent l’impunité dont jouissent généralement les autorités locales, la police et les membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, pour les abus qu’ils commettent.

Depuis le 12 décembre 2017, lorsque le président Pierre Nkurunziza a annoncé l’organisation du référendum, des agents de l’État et des membres des Imbonerakure – « ceux qui voient de loin » en kirundi, la langue prédominante au Burundi – ont eu recours à des tactiques d’intimidation et à la répression pour s’assurer que le résultat du vote soit favorable à Nkurunziza. Le référendum permettrait à ce dernier, qui effectue déjà un troisième mandat controversé à la tête du pays, de se maintenir au pouvoir jusqu’à 2034.

« Il n’y a guère de doute que le référendum qui s’annonce sera accompagné de nouveaux abus », a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Des responsables burundais et les Imbonerakure commettent des violences avec une impunité quasi totale afin de permettre à Nkurunziza de renforcer son emprise sur le pouvoir. »

Human Rights Watch a confirmé 19 cas d’abus commis depuis le 12 décembre, visant tous apparemment à faire pression sur les Burundais pour qu’ils votent ‘oui’ au référendum. Parmi ces abus, figurent le passage à tabac ayant entraîné la mort d’un homme qui n’avait pas pu produire un récépissé attestant qu’il s’était fait inscrire en vue du vote, le passage à tabac d’une autre personne en détention qui aurait entraîné sa mort, ainsi que les arrestations, les passages à tabac et mauvais traitements de beaucoup d’autres. La plupart de ces personnes étaient membres du parti politique d’opposition, les Forces nationales de libération (FNL).

L’ampleur véritable de cette vague d’abus est très probablement beaucoup plus grande. Plusieurs sources dignes de foi ont affirmé à Human Rights Watch que les abus de ce genre étaient monnaie courante dans tout le pays. Des médias ont fait état de tendances similaires. Le 18 janvier, une coalition politique connue sous le nom d’Amizero y’Abarundi (« l’Espoir des Burundais »), composée pour une large part de membres des FNL, a annoncé que 42 de ses membres avaient été arrêtés arbitrairement depuis le 12 décembre.

Mais il est devenu plus difficile de confirmer les détails des abus commis dans le climat de peur qui s’est emparé du pays. Depuis 2015, lorsque la crise actuelle a éclaté à la suite de l’annonce par le président Nkurunziza de son intention de briguer un troisième mandat controversé, les médias indépendants et les organisations non gouvernementales du Burundi, traditionnellement dynamiques, ont été décimés, et plus de 397 000 personnes ont fui le pays.

Les nouveaux constats dressés par Human Rights Watch sont basés sur des entretiens effectués en février et mars avec plus de 30 victimes, témoins et autres, qui ont décrit toute une gamme d’abus commis dans sept des 18 provinces du Burundi.

Un agriculteur âgé de 20 ans, membre des FNL, a ainsi décrit un incident survenu alors qu’il prenait un verre avec un ami dans un bar dans la province de Kirundo en janvier : « Nous nous sommes tous les deux mis d’accord pour voter contre la révision de la constitution. Un Imbonerakure nous a entendus et a appelé ses camarades … Six Imbonerakure sont alors arrivés dans le bar et nous ont frappés à coups de bâtons, puis nous ont emmenés au cachot. » Cet homme est resté détenu pendant 15 jours.

Selon le code électoral burundais, la campagne en vue du référendum commence 16 jours avant la date du vote. Le gouvernement a clairement indiqué qu’il repèrerait et punirait quiconque serait perçu comme faisant campagne contre le référendum. Dans un discours prononcé le 12 décembre, Nkurunziza a averti que les individus qui oseraient « saboter » le projet de révision de la constitution « par la parole ou par l’action » seraient considérés comme ayant franchi une « ligne rouge. »

Le 13 février, le porte-parole du ministère de la Sécurité publique, Pierre Nkurikiye, a déclaré publiquement, faisant référence aux individus arrêtés pour avoir prétendument encouragé d’autres personnes à ne pas se faire inscrire en vue du vote: « C’est un avertissement, une mise en garde contre toute personne qui par son action ou son verbe est en train d’entraver ce processus… il sera immédiatement appréhendé par la police et traduit devant la justice. »

Les autorités locales ont amplifié ces menaces. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent les autorités encourageant les gens à être vigilants à l’égard de toute personne qui pourrait être opposée au référendum. Par exemple, le 27 janvier, Revocat Ruberandinzi, le représentant du parti au pouvoir dans la commune de Butihinda, dans la province de Muyinga, a déclaré lors d’une réunion qui a été filmée et affichée en ligne : « Quiconque sera surpris en train d’inciter des gens à voter non à la constitution [au référendum], amenez nous cette personne. Est-ce clair ? L’OPJ [la police judiciaire] n’arrivera pas jusqu’ici ; nous allons le prendre nous-mêmes … » Dans un autre exemple, le 13 février, Désiré Bigirimana, administrateur de la commune de Gashoho, dans la province de Muyinga, a déclaré devant un rassemblement: « Quiconque dit quoi que ce soit contre le ‘oui’ ou contre Peter [le président Nkurunziza], frappez-le sur la tête et appelez-moi quand vous l’aurez ligoté. »

Des responsables gouvernementaux ont également déclaré ouvertement aux Burundais qu’ils devaient voter ‘oui’. Un habitant de la commune de Kayogoro, dans la province de Makamba, a déclaré à Human Rights Watch : « L’administrateur de la commune a organisé une réunion en janvier pour expliquer le référendum et pourquoi nous devons voter ‘oui’. Il a déployé les Imbonerakure pour aller chercher les gens et les forcer à assister à la réunion. Nous y avons passé toute la journée ; personne n’a pu travailler. Les Imbonerakure avaient des gourdins et ils vous en frappaient si vous refusiez d’assister à la réunion. »

Gaston Sindimwo, le premier vice-président du Burundi, a été cité le 18 janvier, dans un article de la Voix de l’Amérique (Voice of America) comme ayant dit : « Les opposants qui font campagne pour le ‘non’ doivent être arrêtés car, pour nous, ce sont des rebelles aux instructions du chef de l’État. » Sindimwo a également déclaré : « Si un membre du gouvernement a fait campagne pour le ‘oui’, c’est une erreur qui va être corrigée. »

Les autorités burundaises devraient ordonner immédiatement et publiquement aux responsables et aux membres des Imbonerakure de cesser d’intimider, de passer à tabac, d’arrêter illégalement et de maltraiter les gens, a déclaré Human Rights Watch. Le système judiciaire burundais devrait enquêter sur les crimes documentés par Human Rights Watch et poursuivre leurs auteurs. Le gouvernement devrait également ordonner publiquement à la police de démanteler les barrages routiers illégaux dressés par les Imbonerakure.

Dans une lettre adressée en 2016 à Human Rights Watch, Nancy-Ninette Mutoni, secrétaire exécutive chargée de la communication et de l’information pour le parti au pouvoir, a écrit que les Imbonerakure menaient des activités politiques « dans le calme et la sérénité » et ne se livraient pas à des arrestations. « Celui [parmi les Imbonerakure] qui transgresse [le règlement disciplinaire du parti] est sévèrement sanctionné d’abord par les lois internes [du parti] et au cas nécessaire, on fait recours aux lois pénales », a-t-elle affirmé.

Human Rights Watch a communiqué ses constatations les plus récentes à Mme Mutoni mais n’a pas reçu de réponse de sa part.

« Le gouvernement a commis des abus généralisés contre les citoyens burundais au cours des trois dernières années, depuis l’annonce par Nkurunziza de sa candidature pour un troisième mandat controversé, et maintenant le gouvernement veut forcer la population à prolonger sa présidence encore davantage », a affirmé Ida Sawyer. « La campagne en vue du référendum paraît susceptible d’entraîner encore plus de crimes contre la population. »

Dérive vers le non-droit

Le Burundi a sombré dans le non-droit depuis avril 2015, après l’annonce par Nkurunziza de sa candidature pour un troisième mandat controversé, en dépit de la limite de deux mandats fixée par les Accords d’Arusha. Cet accord-cadre politique, signé en 2000, était le premier d’une série de compromis de partage du pouvoir destinés à mettre fin à la guerre civile dans le pays.

Le président burundais Pierre Nkurunziza arrive pour les célébrations marquant le 55ème anniversaire de l’indépendance au stade du Prince Louis Rwagasore de Bujumbura, au Burundi, le 1er juillet 2017. © 2017 Evrard Ngendakumana/Reuters

Si le troisième mandat de Nkurunziza a été simplement controversé, l’actuelle constitution n’en autorise pas un quatrième. Mais le président et son parti, le CNDD-FDD, ont appelé à l’organisation d’un référendum pour modifier la constitution afin d’allonger à sept ans la durée du mandat présidentiel et de le rendre renouvelable une seule fois. Toutefois, le compte des mandats déjà accomplis serait ramené à zéro, permettant à Nkurunziza de briguer la présidence pour deux nouveaux mandats de sept ans, en 2020 et 2027. Le changement pourrait ainsi lui permettre de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2034.

Une Commission d’enquête des Nations Unies a ouvert une investigation sur les graves crimes commis dans le pays depuis avril 2015. Dans un rapport publié en septembre 2017 au bout de sa première année de travail, la commission a conclu qu’elle avait « des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis, depuis avril 2015, et continuent à être commis au Burundi. » À la suite de ce rapport, la Cour pénale internationale a ouvert sa propre enquête sur le Burundi.

Depuis 2015, les opposants politiques au Burundi ont subi de plus en plus de pressions et beaucoup affirment craindre pour leur vie. En 2016, Human Rights Watch a publié un rapport sur la manière dont les agents des services de renseignement avaient torturé et maltraité un grand nombre d’opposants présumés au gouvernement, soit dans leurs locaux soit dans des lieux secrets répartis à travers le pays. En 2015 et 2016, Human Rights Watch a également documenté le fait que des groupes armés d’opposition avaient attaqué des membres des forces de sécurité et des membres du parti au pouvoir, y compris des policiers et des Imbonerakure.

Des membres des Imbonerakure ont été impliqués dans de multiples violations des droits humains depuis au moins 2009. Lors de la période ayant précédé les élections de 2010, dont Nkurunziza est sorti victorieux pour son second mandat en dépit de nombreuses allégations de fraude, le parti au pouvoir s’est servi de membres des Imbonerakure pour intimider et harceler l’opposition politique, notamment lors d’affrontements dans la rue avec les branches jeunesse des partis d’opposition.

Depuis le début de la crise actuelle en avril 2015, les membres des Imbonerakure sont devenus de plus en plus puissants dans certaines régions du pays, torturant, arrêtant, passant à tabac et attaquant des membres des FNL et d’autres opposants présumés au gouvernement. Dans un rapport de mai 2016, Human Rights Watch a documenté le fait que certaines victimes de viol et de violences sexuelles étaient en mesure d’identifier des membres des Imbonerakure qui les avaient violées. Certaines avaient été visées parce que leurs maris ou des membres masculins de leurs familles étaient des adhérents du parti d’opposition.

Dans un autre rapport, en 2017, Human Rights Watch documentait de nombreux cas à travers le pays dans lesquels les Imbonerakure avaient tué avec une extrême brutalité, torturé et sévèrement battu des individus. Des témoins ont pu affirmer que certains Imbonerakure sont plus puissants que la police, qui n’intervient pas, même lorsqu’elle sait que des membres des Imbonerakure commettent de graves abus.

Décès liés au référendum

Les Imbonerakure ont tué au moins un homme qui n’avait pas pu produire un récépissé attestant qu’il s’était fait inscrire en vue du référendum, et un autre est mort, probablement des passages à tabac subis alors qu’il était détenu pour avoir refusé de se faire inscrire.

Le 24 février, quatre Imbonerakure se sont présentés au domicile de Dismas Sinzinkayo, âgé de 36 ans, membre des FNL dans la commune de Butaganzwa, dans la province de Kayanza. Un témoin a raconté à Human Rights Watch :

Les Imbonerakure se sont rendus à son domicile vers 10h30 du soir et ont demandé à voir son récépissé [attestant qu’il s’était fait inscrire]. Il a refusé de le leur montrer. Les Imbonerakure l’ont alors fait sortir de force de sa maison et ont commencé à le frapper. Alors qu’ils le passaient à tabac, ils continuaient à demander le récépissé. Il a affirmé qu’il s’était fait inscrire mais à ce stade, ils ne s’en souciaient plus. Il est mort sur le champ.

Une personne proche de Sinzinkayo a déclaré que ce dernier s’était bien fait inscrire pour le référendum mais qu’il avait peut-être eu peur de donner son récépissé aux Imbonerakure de nuit, craignant qu’ils ne le détruisent pour avoir un prétexte pour l’arrêter plus tard.

Plusieurs habitants de Kayanza ont affirmé que les quatre Imbonerakure avaient été arrêtés et détenus pendant trois jours, puis remis en liberté. Dans un rapport, une organisation burundaise de défense des droits humains a divulgué les noms des quatre Imbonerakure.

Contacté par téléphone, le commissaire de police de Kayanza, Méroe Ntunzwenimana, a affirmé à Human Rights Watch qu’il n’était pas au courant de cette affaire, ni même de l’existence de Sinzinkayo. Ntunzwenimana a ri quand Human Rights Watch lui a dit que Sinzinkayo avait été tué par des Imbonerakure, affirmant que c’était impossible.

Un récépissé d’inscription pour le vote au Burundi en 2018. © 2018 Privé

Le 14 février, les autorités locales de la commune de Cendajuru (province de Cankuzo) sont allées chercher Simon Bizimana, 35 ans, à son domicile, parce qu’il avait refusé de se faire inscrire en vue du vote. Elles l’ont emmené à une réunion d’administrateurs locaux, où il a été filmé en train d’expliquer qu’il ne s’était pas fait inscrire en raison de ses principes religieux.

Des médias burundais ont affirmé que les autorités locales avaient frappé Bizimana à coups de barre de fer après la réunion. Quoique Human Rights Watch ne soit pas en mesure de confirmer ceci, un témoin qui assistait à la réunion a affirmé qu’une responsable gouvernementale de haut rang avait frappé Bizimana avant qu’il ne soit conduit en prison. « Elle l’a frappé avec sa Bible », a déclaré ce témoin. « Elle lui a crié : ‘Si nous étions en temps de guerre, nous t’enterrerions vivant !’ ». Sollicitée pour un commentaire, cette responsable n’a pas répondu.

Une personne proche de Bizimana, qui a pu lui rendre visite pendant sa détention, a affirmé qu’il avait dit que son corps était totalement endolori par les passages à tabac qu’il avait subis. Le 14 mars, Bizimana a été transporté à l’hôpital local dans un état comateux. Des témoins à l’hôpital ont indiqué à Human Rights Watch qu’il ne pouvait plus parler et que les policiers avaient dû le transporter en fauteuil roulant. Bizimana est mort à l’hôpital le 18 mars.

Le 19 mars, la police burundaise a affiché sur Twitter une déclaration selon laquelle elle avait remis Bizimana en liberté en bonne santé le 14 mars, accompagnée d’une photocopie d’un rapport médical affirmant qu’il était mort du paludisme. Toutefois, un responsable de l’hôpital a affirmé à Human Rights Watch qu’un test de dépistage du paludisme effectué sur Bizimana s’était avéré négatif et qu’il était « déjà à l’article de la mort » quand la police l’avait amené.

Passages à tabac, mauvais traitements, arrestations arbitraires

Human Rights Watch a documenté 17 cas d’arrestations, de passages à tabac et d’autres formes de mauvais traitement par les autorités locales, la police et des membres des Imbonerakure à l’encontre de personnes soupçonnées, soit de ne pas s’être fait inscrire en vue du référendum, soit d’avoir l’intention de voter ‘non’. Les Imbonerakure ne sont pas juridiquement habilités à arrêter qui que ce soit. Les inscriptions en vue du vote se sont déroulées du 8 au 17 février. 

Un habitant de la colline de Moya (commune de Buhiga, province de Karusi), a ainsi décrit un passage à tabac dont il a été témoin fin janvier à un barrage routier tenu par les Imbonerakure :

Le chef de zone et les Imbonerakure avaient installé une barrière en travers de la route pour vérifier les récépissés et voir si les gens s’étaient fait inscrire. C’était juste à la fin de la période des inscriptions. Je les ai vus demander son récépissé à un conducteur de Muyinga, mais il ne l’avait pas. Les Imbonerakure étaient armés de bâtons, ils l’ont sorti de force de sa voiture et l’ont passé à tabac … Il y avait deux Imbonerakure. Alors qu’ils le frappaient, ils criaient : « Si tu ne te fais pas inscrire, cela veut dire que tu es contre le référendum ! » Cela s’est passé non loin de mon domicile et quand j’ai vu cela, j’ai compris que je ne pouvais pas me déplacer sans mon récépissé.

Un homme d’affaires de la commune de Buhiga (province de Karusi) a déclaré que les Imbonerakure l’avaient passé à tabac le 10 février à un barrage routier. Il avait son récépissé mais n’a pas voulu le montrer, insistant sur le fait qu’il était burundais et n’avait pas à prouver quoi que ce soit. « Ils étaient nombreux et certains étaient armés de câbles métalliques », a-t-il dit. « Ils ont commencé à me frapper et je suis tombé de ma bicyclette. Ils ont continué de me frapper à terre et ils criaient : ‘Nous combattrons tous les opposants !’ Cela se passe dans tout le pays ; tout le monde a peur des Imbonerakure. »

Un habitant de Muyinga a déclaré qu’un membre des Imbonerakure l’avait frappé le 27 février après l’avoir entendu dire à une femme qu’il allait voter ‘non’. « Cela ne sert à rien de voter », avait-il dit, « mais je vais voter contre. » Il a ainsi expliqué ce qu’il s’est passé ensuite :

Un Imbonerakure m’a entendu, il s’est approché et m’a giflé deux fois. Puis il m’a emmené à la prison. J’y ai passé trois jours. Lorsque j’ai demandé à l’officier de police judiciaire de m’expliquer pourquoi j’étais détenu, il m’a répondu : « Tu incites les gens à voter contre le référendum, donc cette affaire n’est pas de mon ressort. J’attends un ordre de ma hiérarchie pour savoir ce que je dois faire de toi. » Ils m’ont laissé partir au bout de trois jours et je suis retourné à l’université [dans une autre province]. Maintenant, j’ai peur de retourner chez moi mais il faut que je vote. Je n’ai pas le choix.

Un membre des FNL a indiqué qu’il était soupçonné d’inciter les gens de son quartier à voter ‘non’. Les Imbonerakure l’ont arrêté le 2 février dans la commune de Kirundo (province de Kirundo) :

Les Imbonerakure se sont présentés chez moi à 7h00 du matin, affirmant être envoyés par le chef de la communauté locale. Ils étaient cinq et ont immédiatement commencé à me frapper. Ils m’ont passé à tabac devant ma femme et mes enfants. Alors qu’ils me frappaient, ils disaient : « On nous a dit de venir nous occuper de toi car tu incites les gens à voter ‘non’ ! » Mais ce n’était pas vrai…. J’ai été conduit à la prison et les policiers m’ont dit que je devrais attendre là jusqu’à ce que je sois inculpé. Je n’avais pas d’avocat. En fin de compte, j’ai été libéré sans inculpation. Ils m’ont juste dit de partir … Quand je suis sorti de prison, les autorités et les Imbonerakure étaient en train de lancer leur propre campagne et disaient aux gens de voter ‘oui’ au référendum… J’ai peur d’être de nouveau arrêté ou tué lors de la période électorale.

Cet homme a été remis en liberté le 20 février, soit 18 jours après son arrestation.

Deux membres des FNL ont également été arrêtés à Kirundo le 24 janvier. Human Rights Watch s’est entretenu séparément avec chacun d’eux. L’un des deux a déclaré :

Nous étions dans un bar et nous discutions du référendum. Nous sommes tombés d’accord pour voter contre le changement de la constitution. Un Imbonerakure nous a entendus et a appelé ses camarades … Six Imbonerakure sont venus et nous ont frappés à coups de bâtons, puis nous ont emmenés à la prison. Pendant qu’ils nous frappaient, ils nous demandaient qui nous avions incité à voter ‘non’. J’ai répondu : « Non, c’est juste notre opinion ; nous ne voulons pas qu’on change la constitution. » Nous avons passé deux semaines en prison. Nous n’avons jamais été inculpés mais nous avons dû payer des frais de 20 000 FBU [environ 11 dollars] chacun et nous avons été libérés. Quand on nous a remis en liberté, un membre des autorités locales a dit : « Si j’entends encore dire que vous voterez ‘non’, nous vous ferons disparaître. »

Un autre membre des FNL de la commune de Gasorwe (province de Muyinga) a déclaré :

Il est connu que je suis membre des FNL. J’ai été agressé dans un bar par les Imbonerakure le 20 janvier. J’ai couru au poste de police pour demander une protection et ils ont accepté de me mettre dans une cellule. Mais les Imbonerakure m’ont suivi jusqu’au poste de police et ont affirmé que j’avais incité des gens à voter ‘non’ au référendum, mais c’était un mensonge. L’administrateur a alors donné l’ordre de me maintenir en détention. Avant mon transfert à la prison centrale, le procureur est venu me voir et m’a dit : « Si vous menez une campagne en incitant les gens à voter ‘non’ au référendum, alors c’est une atteinte à la sécurité de l’État. »

Cet homme a été détenu pendant deux mois et remis en liberté le 20 mars.

Human Rights Watch s’est entretenu individuellement avec trois membres des FNL qui ont déclaré avoir été détenus car ils étaient soupçonnés d’avoir fait campagne contre le référendum. Ces entretiens ont eu lieu le 16 mars, jour où ces trois personnes ont été remises en liberté provisoire au bout de près de deux mois de détention dans une prison de la province de Muyinga. Chacun d’eux a dû payer une amende de 50 000 FBU [environ 28 dollars]. L’un d’eux a déclaré :

Une photo retouchée du secrétaire général du parti au pouvoir au Burundi, Évariste Ndayishimiye, portant une casquette sur lequel on peut lire « Votez ‘non’ » en kirundi. Un homme a été inculpé d’atteinte à la sécurité de l’État parce qu’il avait envoyé cette image sur WhatsApp. © 2018 Privé

En janvier, je m’entretenais avec une femme qui habite près de chez moi. Je lui ai dit que j’allais voter contre le changement de la constitution. Ce soir-là, vers 7h30, les Imbonerakure sont venus. Ils étaient nombreux ; ils étaient accompagnés de leur chef et d’un membre des autorités locales. Ils voulaient que je sorte de chez moi, mais j’ai refusé de sortir pour leur parler car je savais qu’ils me passeraient à tabac. Ils ont appelé la police pour qu’elle vienne m’arrêter. J’ai été emmené à la prison et le lendemain, l’officier de police judiciaire a affirmé que j’avais « lancé une campagne contre le référendum. » J’ai nié avoir fait une telle chose, mais ils m’ont fait signer des documents qu’ils ne m’ont pas permis de lire, puis ils m’ont conduit en prison.

Certaines des personnes arrêtées n’ont aucun lien avec les partis politiques. Jean-Claude Niyongere, un médecin de la province de Karusi, a été arrêté le 22 février à cause d’un message qu’il avait envoyé sur WhatsApp. Ce message contenait une photo retouchée du secrétaire général du parti au pouvoir, Évariste Ndayishimiye, portant une casquette sur lequel on pouvait lire « Tora Oya » (« Votez ‘non’ » en kirundi). Niyongere a été remis en liberté provisoire à la mi-mars mais il a été inculpé de crimes graves, y compris d’atteinte à la sécurité de l’État. S’il est déclaré coupable, il risque une peine de 15 ans de prison et une amende de 600 000 FBU [environ 340 dollars].

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