Lorsqu'il commandait un groupe de rebelles il y a dix ans, pendant le sanglant conflit en République démocratique du Congo (RDC), le général Jérôme Kakwavu était déjà connu pour son extreme brutalité. Désormais, on se souviendra de lui pour autre chose : il est le premier général congolais condamné pour viol.
La semaine dernière, un tribunal militaire congolais a déclaré Kakwavu coupable de trois crimes de guerre : viol, meurtre et torture, et l'a condamné à dix ans de prison. Le verdict de culpabilité et la condamnation à dix ans de prison d'un seul général pour viol peut apparaître comme un résultat bien modeste dans un pays où des centaines de milliers de femmes et de filles, de tous âges, ont été victimes de violences sexuelles depuis le début du conflit en RDC en 1996. Mais il est en fait remarquable, car les membres de la haute hiérarchie militaire de la RDC semblaient jusqu'ici intouchables en ce qui concerne leurs crimes ou ceux qui ont été commis par les troupes placées sous leur commandement. Sur les 187 condamnations prononcées par les tribunaux militaires congolais pour violences sexuelles entre juillet 2011 et décembre 2013, compilées par les Nations Unies, seulement trois concernaient des officiers supérieurs de l'armée ayant le grade de lieutenant-colonel.
J'ai documenté de nombreuses exactions commises par Kakwavu. En 2004, une collègue et moi nous sommes rendues dans le nord-est de la RD Congo où Kakwavu, qui n’était alors qu’un chef rebelle, a exercé son pouvoir avec une grande brutalité de 2002 à 2004. Des victimes et des témoins sont venus nous voir, souvent de nuit, craignant d'être surpris en train de parler à des activistes des droits humains mais en même temps bien décidés à faire en sorte que les crimes de Kakwavu soient dénoncés. À voix basse, ces personnes nous ont raconté comment Kakwavu avait commis de nombreuses exécutions sommaires publiques, tirant lui-même sur les victimes attachées à des palmiers. Une de ses victimes a décrit comment Kakwavu, assis dans un fauteuil, avait assisté à la séance de torture à son encontre, avant de saisir lui-même le fouet quand il estimait que ses hommes le maniaient trop mollement.
Mais ce qui m'a le plus frappée, c'est la crainte que Kakwavu inspirait aux parents de jeunes filles. Kakwavu ordonnait régulièrement à ses combattants d'aller dans les écoles à la recherche de jolies jeunes filles, dont il faisait ensuit ses esclaves sexuelles pendant des jours ou des semaines. Les parents qui tentaient désespérément d’obtenir la libération de leurs filles étaient arrêtés ou menacés. Certains parents ont cessé d'envoyer leurs filles à l'école, craignant pour leur sécurité.
En 2004, Kakwavu et son groupe rebelle ont été intégrés dans l'armée congolaise, sans qu’il ne soit questionné sur ses actes passés, bien que Human Rights Watch et les représentants des Nations Unies chargés des droits humains eurent exprimé des préoccupations concernant les graves violations qu'il avait commises. À la suite de pressions consécutives à une visite en RD Congo d'une délégation d'ambassadeurs des États membres du Conseil de sécurité de l'ONU, Kakwavu a été arrêté en 2005, mais a été remis en liberté provisoire et maintenu dans ses fonctions de général. Il a fallu des pressions de la part de la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton, lors d'une visite en RD Congo en 2009, pour que les autorités congolaises placent enfin Kakwavu en détention préventive, dans l'attente d'un procès.
Les enquêtes ont traîné en longueur et le procès a été retardé à de nombreuses reprises, suscitant des questions au sujet du respect du droit de l'accusé à bénéficier d'une procédure régulière. Le système judiciaire en RDC demeure handicapé par la corruption, le manque de moyens et les ingérences politiques. En fin de compte, deux jeunes filles courageuses ont accepté de témoigner au sujet de leur mise en esclavage sexuel, ce qui s'est révélé crucial pour obtenir la condamnation pour viol.
La condamnation de Kakwavu vient briser l'illusion selon laquelle les généraux sont à l'abri de la loi. Les autres officiers qui envisageraient de commettre des violations des droits humains en RD Congo devraient en prendre note.
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