Les milices soudanaises Janjaweed accompagnées d’individus recrutés localement au Tchad ont massacré plus de 100 personnes dans un groupe de villages de l’Est du Tchad, a découvert Human Rights Watch.
Des témoins ont montré aux chercheurs de Human Rights Watch l’un des sites des massacres, dans quatre villages adjacents, à environ 70 kilomètres à l’ouest de la frontière avec le Soudan. Ces témoins ont confirmé que 118 personnes au total avaient été tuées les 12 et 13 avril, lorsque les groupes rebelles tchadiens basés au Darfour ont mené une offensive vers l’Ouest, sur la capitale tchadienne, N’djamena. (Des photos et des vidéos sur le site du massacre sont disponibles. Voir les détails plus bas).
« Les miliciens soudanais pénètrent de plus en plus profondément au Tchad. Ils pillent et tuent des villageois tchadiens, » a déclaré Peter Takirambudde, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Nombre d’assaillants portaient des uniformes soudanais mais ils ont formé des alliances locales et des Tchadiens participent également à ces attaques. »
Les survivants ont décrit des villageois sans armes, rassemblés puis abattus ou mutilés à mort à la machette par des miliciens portant l’uniforme bleu de l’armée soudanaise et un turban. Les témoins ont décrit leurs assaillants comme étant des Janjaweed et ont noté que des Tchadiens ayant récemment émigré au Soudan étaient avec eux.
Les récentes attaques des milices au Tchad semblent s’inscrire dans un mouvement plus vaste de violence transfrontalière décrit par Human Rights Watch au cours de l’année écoulée, période pendant laquelle l’Etat soudanais du Darfour occidental, limitrophe du Tchad sur plus de 500 kilomètres, est devenu de plus en plus instable. Plus d’une douzaine de groupes armés, dont quatre factions des mouvements rebelles du Darfour, plusieurs milices soutenues par le gouvernement et des groupes rebelles tchadiens sont actifs le long de cette frontière très poreuse. Les raids lancés contre les troupeaux sont devenus pratique courante mais les attaques d’avril contre les quatre villages tchadiens se distinguent par leur nombre élevé de victimes.
« De nombreuses questions relatives à ces attaques restent sans réponse mais la conclusion est claire : les civils tchadiens ont expressément besoin de protection, » a déclaré Takirambudde.
Les chercheurs de Human Rights Watch qui se sont rendus sur le site des attaques en mai ont recueilli de nombreux récits faits par des témoins oculaires.
La violence du 13 avril s’est concentrée sur le village tchadien de Djawara, à l’Est du pays où 75 personnes auraient été tuées en quelques heures seulement. Lorsque les chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus à Djawara, début mai, ils ont trouvé plus d’une douzaine de flaques de sang sec, sur le sol dans un bosquet composé d’arbres et d’arbustes, à environ 500 mètres à l’ouest du village, là où les villageois s’étaient rassemblés pour prier au moment de l’attaque.
Le lieu était jonché de douilles, de magazines d’armes à feu, de vêtements et d’amulettes fréquemment portées comme protection contre les balles.
Les villageois sur place ont montré à Human Rights Watch six fosses communes toute proches dans lesquels ils ont affirmé avoir enterré 25 personnes au total. 12 autres corps ont été tirés et jetés dans un fossé et partiellement recouverts par des nattes de paille. Un corps en décomposition a été trouvé au pied d’un arbre tout proche. 37 hommes supplémentaires auraient été tués ailleurs dans le village.
Entre le 12 et le 13 avril, les milices Janjaweed auraient attaqué trois autres villages des environs, Gimeze, Singatao et Korkosanyo, tuant 43 personnes. Les chercheurs de Human Rights Watch n’ont pas pu se rendre longuement dans ces trois villages à cause de l’insécurité continue dans la région. Cependant, des récits faisant état de la destruction partielle par le feu de Singatao ont été confirmés et Singatao, Djawara et Gimeze ont été abandonnés.
Un groupe d’hommes chargés d’enterrer les victimes est retourné à Djawara le 23 avril mais ils ont essuyé des coups de feu tirés par des assaillants inconnus avant de pouvoir achever la mise en terre des morts.
Des villageois à Djawara ont rapporté que quelques jours avant l’attaque, des «émissaires » Janjaweed avaient prévenu qu’une attaque était imminente et des femmes et enfants en grand nombre avaient été envoyés dans un village proche. Des flèches trouvées parmi les douilles à Djawara suggèrent que les villageois ont lutté contre leurs assaillants avec des armes primitives. Des membres d’un groupe villageois d’autodéfense ont confirmé qu’ils avaient riposté lors de l’attaque contre le village, principalement avec des arcs, des flèches et des machettes même si quelques uns disposaient d’armes automatiques. Après un bref accrochage, le groupe villageois d’autodéfense a capitulé et 75 villageois ont été tués par balle ou mutilés à mort.
Si l’on présume généralement que le vol de cheptel est la raison première des raids des milices au Tchad, le massacre de Djawara pourrait être un acte de vengeance après un incident antérieur au cours duquel le groupe villageois d’autodéfense a tenté de récupéré du bétail volé. Des douzaines de personnes auraient été tuées en septembre autour de Modoyna, à 60 kilomètres au nord de Djawara, après la tentative lancée par des villageois pour récupérer du bétail volé par une milice soudanaise. Des sources locales évoquent un bilant de 53 à 72 civils tués dans les attaques de septembre. La plupart des media évoquent un total de 36 morts.
Récits de Djawara (des pseudonymes ont été utilisés) :
« Ils sont venus à cheval et à pied… Les Janjaweed qui sont entrés dans le village ont commencé à nous tirer dessus. On s’est défendu comme on a pu. On n’avait que 4 kalachnikovs [fusils d’assaut] et des flèches. Ils étaient trop nombreux et on a vite été dépassé. Les Janjaweed ont continué de tirer, de piller et de tout détruire. »
Ibrahim, 45 ans, habitant du village de Djawara
« J’ai couru mais j’ai été rattrapé avec les autres par un groupe de Janjaweed… J’étais avec 10 autres personnes de mon village. Ils ont essayé de nous tuer avec des machettes et des couteaux. J’ai été frappé à la tête… Et puis, le gars a pris sa kalachnikov et a tiré. Tout le monde est tombé à terre. J’ai été touché au bras et je suis tombé. Après les tirs, les Janjaweed ont vérifié si on était mort. J’ai fait le mort et je suis resté immobile. Après quelques minutes, ils sont partis. »
Abdul, 45 ans, habitant du village de Djawara
« Lorsque les gens étaient touchés par des balles pendant l’attaque et qu’ils tombaient à terre, j’ai vu 8 ou 10 personnes courir vers eux et les achever avec des machettes. J’ai vu ça plus de 10 fois. Parfois, ils étaient 5 ou 8 ou 10 à se précipiter. Ceux qui faisaient ça étaient mélangés [portaient des vêtements mélangés], des uniformes ou étaient en civil. Il y avait beaucoup de bruit pendant l’attaque : des tirs, des cris … Les assaillants criaient des choses comme : ‘Ici ! Là ! Ils s’échappent par là !’ ou ‘On doit les tuer’ ou ‘Djaoub al nubia!’ [Tuer les Nuba !].’ »
Osman, 20 ans, habitant du village de Djawara
Pour voir le reportage de Channel 4 sur les suites du massacre, veuillez consulter l’adresse suivante :
ttp://www.channel4.com/news/special-reports/special-reports-storypage.jsp?id=2377
Pour voir les photographies de Tim Hetherington, membre de la mission de Human Rights Watch à Djawara, Tchad, veuillez consulter l’adresse suivante :
http://www.panos.co.uk/bin/panos.dll/go?a=disp&t=fttl.html&si=&feature=415
Pour acheter les photos mentionnées ci-dessus, veuillez contacter :
A Londres, Michael Regnier (Panos Pictures) : +44-20-7253-1424 ou pics@panos.co.uk