La présence, dans un document des Nations unies livré à la presse qui liste les personnes passibles de sanctions, des noms de responsables soudanais de haut rang identifiés pour leur implication flagrante dans des abus contre les droits humains met en évidence l’échec manifeste du Soudan à protéger les civils au Darfour, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité des Nations unies doit approuver la formation d’une force des Nations unies solide pour assurer la protection des civils au Darfour. Il doit également imposer des sanctions aux personnes responsables de graves abus contre les droits humains.
Lundi, le Conseil de sécurité des Nations unies doit examiner le rapport de son Panel d’experts sur le Darfour, notamment les annexes confidentielles du rapport, livrées à la presse mi-février. Le rapport lui-même a été rendu public le 30 janvier. Or, lorsque le Panel a soumis le rapport au Comité des sanctions du Conseil de sécurité concernant le Soudan, le 9 décembre, il a continué à considérer comme confidentiels les noms d’individus spécifiques listés en annexe. Il recommandait, à leur égard, aux Nations unies une interdiction de voyager et un gel des avoirs sur la base d’abus contre les droits humains et d’autres violations des résolutions du Conseil de sécurité.
« Les noms présents sur la liste des sanctions des Nations unies soulignent la façon dont des responsables soudanais de haut rang sont responsables des atrocités actuellement perpétrées au Darfour, » a déclaré Peter Takirambudde, directeur exécutif de la division Afrique à Human Rights Watch. « Puisque Khartoum ne veut rien faire pour les protéger, les civils du Darfour ont besoin de toute urgence d’une force des Nations unies avec un mandat solide et la capacité d’assurer leur protection. »
Parmi les noms listés dans les annexes confidentielles se trouvent ceux du Ministre soudanais de la Défense, le Général de division Abdel Rahim Mohammed Hussein et du Directeur de la sécurité nationale, Salah Abdalla (connu sous le nom de « Gosh »). Dans un rapport publié en décembre, Human Rights Watch a présenté les raisons pour lesquelles la Cour pénale internationale devrait enquêter sur ces deux responsables et sur d’autres à cause du rôle qu’ils ont joué dans la coordination des atrocités commises au Darfour. De plus, les annexes fournissent la liste de plusieurs commandants soudanais dans l’armée et la police, de deux responsables de milices Janjaweed et de cinq commandants rebelles.
« Le Conseil de sécurité doit imposer des sanctions aux personnes responsables de crimes contre les droits humains au Darfour et la communauté internationale devrait s’assurer que ces personnes seront traduites en justice, » a déclaré Takirambudde.
Le Panel d’experts a désigné au total 17 individus passibles de sanctions et cinq autres dont les noms doivent être envisagés à l’avenir pour d’éventuelles sanctions. Parmi les cinq personnes listées pour une action future, se trouvent deux commandants de haut rang du mouvement rebelle de l’Armée de libération du Soudan (SLA) qui pourraient être passibles de sanctions si leurs luttes de pouvoir entravent le processus de paix. Ils ont également été cités pour divers abus contre les droits humains, dont l’utilisation d’enfants soldats et des exécutions sommaires de combattants faits prisonniers.
Le Panel d’experts a noté l’existence de violations multiples dans chacun des trois domaines qu’il devait examiner : les mouvements d’armes au Darfour et les vols militaires offensifs, les entraves au processus de paix et les violations du droit international humanitaire et des droits humains.
Les discussions au Conseil de sécurité sur les suites à donner aux recommandations du Panel relatives aux sanctions sont cependant apparemment au point mort. Les négociations au Conseil se sont plutôt centrées sur le mandat et le calendrier de la nouvelle force des Nations unies devant remplacer la mission de l’Union africaine (U.A.) au Darfour, responsable à la fois du suivi du cessez-le-feu et de la protection des civils.
Le gouvernement soudanais est confronté à une action du Conseil de sécurité sur deux fronts, les forces des Nations unies de maintien de la paix et les sanctions. Il a publiquement rejeté des propositions relatives à une transition au Darfour des 7 000 observateurs militaires de l’U.A. aux soldats de maintien de la paix des Nations unies. Les autorités soudanaises ont également remis en question les conclusions du Panel d’experts sur le Darfour dans un document de contestation de plus de 100 pages.
Si les actions sur les sanctions ont pris du retard depuis décembre, les discussions sur la transition d’une mission de l’U.A. à une force de maintien de la paix des Nations unies ont fait surface en février. L’U.A. doit donner son approbation officielle pour une transition vers une mission de maintien de la paix des Nations unies en mars, préparant ainsi la voie à une action du Conseil de sécurité.
Le gouvernement soudanais ne peut résister sur les deux fronts selon les observateurs des Nations unies et il est probable qu’il accepte une mission des Nations unies. Toutefois, si le Conseil de sécurité divulguait nommément l’identité de certaines personnes, l’affront personnel serait plus important.
« Les alliés du Soudan au Conseil doivent encourager Khartoum à accepter le passage inévitable à une force conséquente des Nations unies pour le maintien de la paix au Darfour, » a déclaré Takirambudde. « Les protestations du gouvernement soudanais qui ne veut pas de troupes non africaines au Darfour sont ridicules. Les Nations unies ont déjà déployé des milliers de troupes asiatiques dans le Nord du Soudan, sans protestation de Khartoum. »
Le Qatar est actuellement, avec la Chine et la Russie, l’un des plus solides alliés du Soudan au Conseil de sécurité. Des sources diplomatiques ont affirmé à Human Rights Watch que les représentants du Qatar au Conseil de sécurité et dans son comité des sanctions ont à plusieurs reprises freiné la mise en œuvre des sanctions ciblées depuis que le pays a assumé ses fonctions en janvier. Le Qatar et d’autres pourraient se livrer à des actions visant à retarder le déploiement au Darfour d’une force des Nations unies de maintien de la paix.
La mission de l’Union africaine au Soudan dont les ressources étaient insuffisantes a été confrontée à d’importants obstacles dressés par des responsables du gouvernement soudanais. Ces derniers ont récemment imposé un couvre-feu aux patrouilles de nuit et ont empêché les forces de l’U.A. d’entrer dans un aéroport du Darfour pour surveiller les flux illégaux d’armes.
Selon le rapport public du Panel, le gouvernement soudanais a bravé les dispositions explicites de la résolution 1591 en matière d’embargo sur les armes. Le Panel a découvert que des responsables du gouvernement avaient fait parvenir par bateau des armes, des camions, des hélicoptères d’attaque et d’autres équipements militaires au Darfour sans avoir requis la permission du Comité des sanctions. Khartoum a également utilisé des hélicoptères d’attaque en appui à des offensives terrestres, ce qu’interdit la résolution du Conseil de sécurité.
Le rapport du Panel a également nommé les mouvements rebelles du Darfour, en particulier la SLA, pour avoir violé l’embargo sur les armes et avoir attaqué des civils, notamment en tuant des combattants gouvernementaux faits prisonniers qui doivent être protégés selon le droit international. Le rapport donne une description détaillée de l’exécution sommaire de 20 soldats du gouvernement faits prisonniers lors des combats dans Sheiria et dans ses environs, au Sud Darfour, entre le 19 et le 22 septembre. Le commandant SLA considéré comme responsable est nommé dans les annexes du rapport tout comme quatre autres commandants rebelles dans d’autres parties du Darfour.
Aujourd’hui au Darfour, plus de deux millions de personnes sont toujours maintenues éloignées par la force de leurs maisons et de leurs fermes du fait de ce que Human Rights Watch a décrit comme étant une campagne gouvernementale de crimes contre l’humanité et de « purification ethnique » ayant démarré début 2003.
Depuis décembre, les chercheurs de Human Rights Watch ont recueilli des informations sur un nombre croissant d’attaques transfrontalières perpétrées par des miliciens soudanais et tchadiens avec le soutien du gouvernement soudanais. Le Panel des Nations unies a noté que les frontières entre le Soudan, la Libye et le Tchad sont « très poreuses » et a recommandé le renforcement de l’embargo sur les armes en l’étendant à l’ensemble du territoire soudanais.
« Le Conseil de sécurité ne doit pas rester passif face à cette instabilité régionale croissante, » a déclaré Takirambudde. « Si le Conseil de sécurité ne veut pas être perçu comme une institution faible, il doit mandater une opération conséquente de maintien de la paix au Darfour. »
Le rapport de Human Rights Watch publié en décembre 2005, « Impunité inébranlable : responsabilité gouvernementale dans les crimes internationaux commis au Darfour » est disponible à l’adresse :
https://www.hrw.org/reports/2005/darfur1205/