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Le sort de Hissène Habré désormais entre les mains du Président sénégalais

La Justice sénégalaise se déclare incompétente sur l’extradition de l'ex-président tchadien

(Dakar)- La Cour d’appel de Dakar s'est déclaré vendredi incompétente pour juger de l'extradition vers la Belgique de l'ex-président tchadien Hissène Habré, réclamé par la justice belge pour violations massives des droits de l'homme. La décision finale doit revenir maintenant au Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, qui a, par le passé, affirmé qu’il extraderait Habré si cela ne tenait qu'à lui.

En effet, aux termes de la loi sénégalaise sur l’extradition, si l’avis de la chambre d’accusation « repousse la demande d’extradition, celle-ci ne peut être accordée. » (Article 17). « Dans le cas contraire, l’extradition peut être autorisée par décret. » (Article 18). C’est dans ce second scénario que s’inscrit aujourd’hui la demande d’extradition de Hissène Habré. En effet, si la Chambre d’accusation a décliné sa compétence en la matière, elle n’a pas opposé son refus a la demande d’extradition. En d’autres termes, il revient désormais au président Wade de trancher sur la demande d’extradition de l’ancien président tchadien.

Les victimes et les organisations de défense des droits de l’homme qui les soutiennent ont appelé le Président Wade à procéder à la signature du décret d’extradition.

« Le redoutable privilège de trancher incombe désormais au président Wade, » a déclaré Alioune Tine Sécrétaire-Général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO). « Il faut qu’il le fasse en respectant les engagements internationaux du Sénégal et en préservant l’image d’un pays démocratique et respectueux des droits humains. En signant le décret d’extradition pour que Hissène Habré puisse répondre devant la justice des accusations qui lui sont imputées, le président Wade permettra enfin aux nombreuses victimes de l’ex-dictateur tchadien de connaître la vérité sur ce qui leur est arrivé. »

«Après quinze ans de combat, les victimes de Hissène Habré ne perdent pas l’espoir de voir leur bourreau répondre de ses crimes», a déclaré Reed Brody de Human Rights Watch.

La Cour d’appel a cité dans sa décision « l’immunité de juridiction » d’un ex-chef d’état pour motiver son incompétence. En effet, dans l´affaire « Yérodia » la Cour Internationale de Justice (CIJ) avait reconnu une « immunité de juridiction » aux chefs d´Etat en exercice ainsi qu’à certains hauts responsables et ex-responsables contre toutes poursuites devant les juridictions nationales d´un autre Etat. Mais la CIJ a confirmé que ces responsables « ne bénéficient plus de l’immunité de juridiction à l’étranger si L’Etat qu’ils représentent ou ont représenté décident de lever cette immunité. » Human Rights Watch tient a rappeler que le Ministre de la Justice du Tchad – favorable aux poursuites - a adressé en 2002 au juge d’instruction belge en charge du dossier Habré une lettre déclarant officiellement qu’ « Il est clair que Monsieur Hissène Habré ne peut prétendre à une quelconque immunité de la part des Autorités Tchadiennes ».

« Nous comptons maintenant sur le président Wade. Nous le supplions de ne pas nous laisser tomber. » Ismaël Hachim, Président de l’association des victimes de crimes et répressions politiques au Tchad (AVCRP), qui a passé près de deux ans dans les geôles de Habré et a notamment subi la torture de l’ « Arbatachar », l’une des méthodes les plus cruelles et les plus inhumaines qui consistait à lier dans le dos les quatre membres d’un prisonnier, de manière à couper la circulation sanguine et à provoquer rapidement la paralysie.

Le 20 Septembre 2001, le Président Wade avait déclaré que « si un pays, capable d’organiser un procès équitable – on parle de la Belgique – le veut [Hissène Habré], je n’y verrais aucun obstacle. » Le 23 février 2003, il confirma sa position : « Tout Etat qui le souhaite peut introduire auprès de la justice sénégalaise une demande d'extradition qui recevra, si cela ne tient qu'à moi, une suite favorable». Dernièrement pourtant, il a déclaré qu’il consulterait ses homologues africains avant de rendre sa décision finale.

Le gouvernement et le peuple tchadien soutiennent à l’unisson l’extradition de l’ancien président tchadien vers la Belgique. Ainsi, Jeudi à Bruxelles, le président tchadien Idriss Déby a lancé un appel à son homologue sénégalais de « faire les choses comme il l'a dit » et d’extrader Hissène Habré vers la Belgique. Il y a deux semaines, des milliers de Tchadiens ont manifesté dans les rues de N’Djamena pour exprimer leur soutien à l’extradition de l’ancien dictateur de leur pays.

L’extradition de Hissène Habré est également soutenue par des autorités internationales telles que M. Kofi Annan, Secrétaire général des Nations Unies, Mme. Louise Arbour, Haut Commissaire aux droits de l’Homme des Nations-Unies, M. Alpha Konaré, Président de la Commission de l’Union Africaine, Manfred Nowak, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la question de la torture et M. Christos Pourgourides, Président de la Sous-commission des Droits de l’Homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Tous ont appelé le Sénégal à extrader l’ex-Président tchadien.

Résumé de l’affaire

Hissène Habré a dirigé l’ancienne colonie française du Tchad de 1982 à 1990 jusqu’à son renversement par l’actuel président Idriss Déby et sa fuite vers le Sénégal. Son régime de parti unique fut marqué par une terreur permanente, de graves et constantes violations des droits de l’homme et des libertés individuelles et de vastes campagnes de violence à l’encontre de son propre peuple. Habré a périodiquement persécuté différents groupes ethniques dont il percevait les leaders comme des menaces à son régime, notamment les Sara et d’autres groupes sudistes en 1984, les Hadjeraïs en 1987 et les Zaghawas en 1989. Les archives de la police politique de Hissène Habré, découvertes par Human Rights Watch, révèlent les noms de 1,208 personnes mortes en détention, ainsi que les noms de plus de 12,000 victimes d’abus de toute sorte.

En février 2000, un juge sénégalais a inculpé Hissène Habré pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité d'actes de torture et de barbarie et l’a placé en résidence surveillée. En mars 2001, toutefois, la Cour de Cassation du Sénégal s’est déclarée incompétente pour juger des crimes commis à l’étranger. Les victimes de l’ancien dictateur ont alors immédiatement annoncé qu’elles chercheraient à faire extrader Habré vers la Belgique, où des plaintes avaient déjà été déposées contre lui par 21 de ses victimes, dont trois de nationalité belge. Suite à l’enquête menée par un juge belge, la Belgique a délivré un mandat d’arrêt international à l’encontre de Habré le 19 septembre 2005. C’est en vertu de ce mandat que ce dernier a été arrêté mardi.

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