(New York) - L’Union africaine doit inviter le gouvernement du Sénégal à respecter ses engagements et à veiller à ce que l’ancien dictateur tchadien, Hissène Habré, soit traduit en justice, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Un groupe d’experts juridiques de l’Union africaine commence aujourd’hui, à Addis-Abeba en Ethiopie, ses travaux sur les options envisageables pour juger Hissène Habré.
Habré, qui s’est réfugié au Sénégal en 1990, a dirigé le Tchad de 1982 à 1990. Sa présidence a été marquée par de graves violations des droits de l’homme. Inculpé et arrêté au Sénégal en 2000, les juridictions sénégalaises se sont déclarées, par la suite, incompétentes pour le juger. Les victimes de Habré ont poursuivi leur quête de justice en se tournant vers la Belgique, laquelle a inculpé Habré en Septembre 2005.
En Novembre 2005, après qu’un tribunal sénégalais ait refusé de statuer sur la demande d’extradition, le gouvernement sénégalais a saisi l’Union africaine du dossier Habré. L’Union africaine, réunie en Sommet à Khartoum en Janvier 2006, a décidé de constituer un groupe d’experts afin d’examiner le cas Habré. Le « Comité d’éminents juristes africains » est appelé à soumettre ses propositions au prochain Sommet de l’Union africaine en Juillet 2006.
La Convention des Nations Unies contre la Torture de 1984, ratifiée par le Sénégal en 1986, oblige les Etats membres soit à poursuivre soit à extrader les présumés tortionnaires qui se trouvent sur son territoire. La semaine dernière, le Comité des Nations Unies contre la Torture a condamné le Sénégal pour avoir failli à son obligation de traduire Hissène Habré en justice et a demandé à l’Etat membre de la Convention contre la Torture de juger Habré ou de l’extrader.
Dans une note de 29 pages à l’attention du groupe d’experts de l’Union africaine, Human Rights Watch a déclaré que l’extradition de Habré vers la Belgique ou sa traduction en justice au Sénégal constituaient les seules voies envisageables afin qu’une réelle justice soit rendue aux victimes.
« Les experts de l’Union africaine doivent veiller à ce que le Sénégal respecte ses engagements internationaux l’obligeant à extrader ou à poursuivre Hissène Habré, » a déclaré Reed Brody de Human Rights Watch. « L’extradition de Habré vers la Belgique demeure l’option la plus réaliste, car garantissant un procès rapide, juste et équitable. Toutefois, si le Sénégal persistait dans son refus d’extrader Habré, l’Union africaine se verrait contrainte d’envisager le jugement de l’ancien dictateur au Sénégal ou dans un autre pays. »
Human Rights Watch a rappelé que l’Union africaine a refusé de révéler les noms des membres composant le groupe d’experts de même qu’elle n’a pas autorisé les victimes et leurs avocats à rencontrer les membres du Comité.
Suite au transfert du dossier Habré à l’Union africaine, le gouvernement belge a déclaré que la Belgique saisirait les voies de recours prévues par l’article 30 de la Convention des Nations Unies contre la Torture, et le cas échéant porterait son différend avec le Sénégal devant la Cour internationale de Justice, si ce dernier refusait d’extrader Hissène Habré. Une décision de cette haute instance aurait un caractère juridiquement contraignant pour le Sénégal.
En Mars dernier, le Parlement européen a également invité le Sénégal à traduire en justice Hissène Habré ou à l’extrader vers la Belgique. (La résolution peut être consultée à l’adresse suivante )
L’analyse développée par Human Rights Watch parvient à la conclusion que l’extradition de Habré vers la Belgique apparaît comme l’alternative la plus accessible et la plus prometteuse en vue de juger Habré. L’institution d’un nouveau tribunal africain s’avérerait être une solution trop lointaine, trop aléatoire, et de surcroît coûteuse.. Par ailleurs, l’analyse a exclu l’éventualité d’un retour de M. Habré au Tchad, considérant les risques que ce dernier y encourrait et les maigres probabilités qu’il y reçoive un procès équitable, a déclaré Human Rights Watch.
Le Sénégal, qui avait inculpé Habré en 2000 avant de se déclarer incompétent pour le poursuivre, a depuis réaffirmé à plusieurs reprises son opposition à accueillir le procès de Habré au Sénégal. Selon Human Rights Watch, si l’Union africaine en venait à recommander que le procès de Habré se tienne en Afrique, elle devrait s’assurer que le Sénégal revienne sur sa position et permette le déroulement du procès de Habré sur son territoire.
Rappels des faits
Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990 jusqu'à son renversement par l'actuel président Idriss Déby Itno et sa fuite vers le Sénégal. Son régime de parti unique fut marqué par une terreur permanente, de graves et constantes violations des droits de l'homme et des libertés individuelles et de vastes campagnes de violence à l'encontre de son propre peuple. Habré a périodiquement persécuté différents groupes ethniques dont il percevait les leaders comme des menaces à son régime. Les archives de la police politique de Hissène Habré, la DDS (Direction de la Documentation et de la Sécurité), découvertes par Human Rights Watch en 2001, révèlent les noms d'au moins 1,208 personnes mortes en détention. Les noms de plus de 12,321 victimes d'abus de toute sorte y sont par ailleurs mentionnés. Sur la base de ces documents, il a été également établi que Hissène Habré a reçu 1,265 communications directes de la DDS concernant le statut de 898 détenus.
En Septembre 2005, un juge belge a lancé un mandat d'arrêt international à l'encontre de M. Habré, inculpant l’ancien président du Tchad pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture. En exécution du mandat d’arrêt et de la demande d’extradition adressée par la Belgique au Sénégal, les autorités sénégalaises ont procédé à l’arrestation de Habré le 15 Novembre 2005. Le 25 Novembre pourtant, la Cour d'appel de Dakar s'est déclarée incompétente pour statuer sur la demande d'extradition. Le Sénégal a alors annoncé qu’il avait demandé à l'Union africaine de recommander « la juridiction compétente pour juger cette affaire. » En janvier dernier, l’Union africaine, réunie en Sommet à Khartoum, a décidé d’instituer un Comité d’éminents juristes africains afin d’examiner les options pour juger Habré. Le groupe d’experts est appelé à soumettre ses conclusions au prochain Sommet de l’Union africaine en Juillet 2006.
Le 19 Mai 2006, le Comité des Nations Unies contre la Torture a conclu que le Sénégal avait violé la Convention contre la Torture en manquant à son obligation de poursuivre ou d’extrader Habré. Le groupe d’experts a demandé au Sénégal soit de poursuivre Habré au Sénégal soit de l’extrader vers la Belgique ou vers un autre Etat.