(Phnom Penh, le 20 juillet 2010) - Le gouvernement cambodgien devrait réagir rapidement pour mettre un terme à la violence contre les travailleuses du sexe et fermer définitivement les centres gouvernementaux où ces travailleuses sont illégalement détenues et maltraitées, a déclaré Human Rights Watch dans un nouveau rapport publié aujourd'hui. Human Rights Watch a également exhorté le gouvernement cambodgien à suspendre les dispositions de la loi de 2008 sur la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation sexuelle qui facilitent le harcèlement et les abus policiers.
Le rapport de 76 pages de Human Rights Watch, intitulé « Off the Streets: Arbitrary Detention and Other Abuses against Sex Workers in Cambodia » (« Raflées sur le trottoir : Détention arbitraire et autres exactions commises contre les travailleuses du sexe au Cambodge »), s'appuie sur plus de 90 entretiens et discussions de groupe avec des travailleuses du sexe- dont plusieurs transgenres - à Phnom Penh, Battambang, Banteay Meanchey et Siem Reap. Le rapport décrit comment les travailleuses du sexe subissent toutes sortes d'exactions, notamment des passages à tabac, des actes d'extorsion et des viols commis par les autorités, en particulier à Phnom Penh.
« Depuis bien trop longtemps, la police et d'autres autorités ont illégalement détenu les travailleuses du sexe, les ont battues et ont abusé d'elles sexuellement, et les ont dépouillées de leur argent et autres biens », a déclaré Elaine Pearson, directrice par intérim pour l'Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement cambodgien devrait ordonner une enquête indépendante et approfondie sur ces violations systématiques des droits humains des travailleuses du sexe et fermer les centres où ces personnes ont été victimes d'exactions. »
La police arrête les travailleuses du sexe lors de rafles régulières effectuées dans les rues et les parcs de Phnom Penh. Certaines violences sont spontanées, tandis que d'autres exactions se produisent couramment lors de descentes et de raids périodiques de la police et des autorités de district, soit quand ces opérations ciblent les travailleuses du sexe en particulier, soit quand les travailleuses du sexe sont détenues en même temps que d'autres groupes de personnes marginalisées dans les rues.
La police fait subir des abus aux travailleuses du sexe en toute impunité. Les travailleuses du sexe ont expliqué à Human Rights Watch que les policiers les battaient à coups de poing, de bâtons, de manches en bois et de matraques électriques. Dans plusieurs cas, des policiers ont violé les travailleuses du sexe alors qu'elles étaient en garde à vue. Toutes les travailleuses du sexe avec qui Human Rights Watch s'est entretenu ont dû verser des pots de vin ou se sont fait voler leur argent par des policiers.
Une loi cambodgienne de 2008 sur la traite et l'exploitation sexuelle pénalisait la traite des êtres humains sous toutes ses formes, notamment le travail forcé. Human Rights Watch a constaté que les policiers peuvent parfois utiliser les articles de cette loi qui pénalisent le « racolage » et « l'achat » de sexe commercial pour justifier le harcèlement des travailleuses du sexe. Les dispositions sont également assez larges pour pouvoir être utilisées afin de pénaliser les activités de plaidoyer et de sensibilisation menées par des groupes de travailleuses du sexe et les personnes qui les soutiennent.
Human Rights Watch a exhorté le gouvernement cambodgien à consulter les groupes de travailleurs du sexe, les organismes des Nations Unies et les organisations travaillant sur les droits humains, la traite et la santé pour examiner et aborder l'impact sur les droits humains des personnes engagées dans le travail du sexe des dispositions de la loi de 2008 sur la traite des personnes et l'exploitation sexuelle, avant la mise en œuvre de ces dispositions.
« Dans un environnement où la police agit déjà en toute impunité, le gouvernement cambodgien doit reconnaître que la pénalisation du racolage est une recette pour la poursuite des violations des droits humains », a indiqué Elaine Pearson. « Le gouvernement devrait réévaluer ses plans - en commençant d'abord par de vastes consultations des travailleurs du sexe et d'autres groupes - avant de poursuivre l'application des dispositions qui ont été utilisées abusivement par la police. »
À Phnom Penh, la police renvoie les travailleuses du sexe au Bureau municipal des Affaires sociales et de là, à des ONG ou au centre gouvernemental des Affaires sociales, Prey Speu. Les conditions à Prey Speu sont épouvantables. Les travailleuses du sexe, les mendiants, les toxicomanes, les enfants des rues et les sans-abri détenus à Prey Speu ont décrit comment les membres du personnel du centre ont battu, violé et maltraité les détenus, y compris les enfants. Des travailleurs locaux des droits humains, citant des témoins oculaires, affirment qu'au moins trois personnes, et peut-être plus, ont été battues à mort par des gardes de Prey Speu entre 2006 et 2008.
À la suite des plaidoyers d'organisations cambodgiennes et internationales, en 2009 et en 2010, le Bureau municipal des Affaires sociales a commencé à renvoyer la plupart des travailleuses du sexe ramassées lors de rafles à la garde des organisations non gouvernementales (ONG) plutôt qu'à Prey Speu. Cependant, depuis mai 2010, au moins huit travailleuses du sexe y ont été détenues. Les travailleuses du sexe détenues à Prey Speu en juin 2010 ont été enfermées dans leurs chambres, seulement autorisées à en sortir deux fois par jour pour se baigner dans un bassin d'eau sale ou, accompagnées d'un gardien, pour aller aux toilettes.
Human Rights Watch a appelé le gouvernement cambodgien à fermer définitivement les centres d'Affaires sociales tels que Prey Speu où les gens sont détenus illégalement. Dans un rapport de janvier 2010, « Skin on the Cable » (« Fouettés avec des câbles »), Human Rights Watch a également documenté des exactions horribles perpétrées dans des centres de détention pour drogués au Cambodge à l'encontre des toxicomanes. Le gouvernement cambodgien devrait également mettre en place une commission spéciale pour enquêter sur les exactions de manière approfondie et indépendante, et exiger des comptes aux agresseurs. Jusqu'à présent, la police et d'autres autorités ont échappé à l'obligation de rendre compte de ces abus.
« Le gouvernement cambodgien devrait fermer immédiatement et définitivement les centres de détention tels que Prey Speu où les gens sont détenus illégalement, battus et maltraités », a ajouté Elaine Pearson. « Les poursuites engagées contre les individus qui commettent ces crimes enverront un message fort que les exactions à l'encontre des travailleuses du sexe ne sont pas tolérées. »
Les bailleurs de fonds qui soutiennent la lutte contre la traite des êtres humains et la formation des policiers, tout particulièrement les États-Unis, l'Australie, le Japon, l'Union Européenne et l'ONU devraient revoir les financements accordés à la police et au ministère des Affaires sociales jusqu'à ce qu'il y ait une enquête indépendante complète sur les allégations d'exactions ainsi que des poursuites à l'encontre des personnes jugées responsables, et que les centres des Affaires sociales tels que Prey Speu soient fermés définitivement. En dépit d'années de formation pour la police, les violences policières continuent, même de la part d'unités qui ont été formées avec l'appui des bailleurs de fonds internationaux, telles que les unités de police spécialisées dans la lutte contre la traite des êtres humains.
« Au lieu d'investir dans la formation de fonctionnaires qui commettent des exactions, les bailleurs de fonds devraient plutôt prendre des mesures renforçant l'obligation de rendre des comptes au sein du gouvernement cambodgien », a conclu Elaine Pearson.
Témoignages de travailleuses du sexe publiés dans le rapport « Off the Streets » :
Neary, une travailleuse du sexe transgenre MtF, a décrit les tortures subies aux mains de la police :
« Trois policiers m'ont violemment battue au poste de police de la commune de Wat Phnom après m'avoir ramassée au parc. L'un des policiers a pointé son arme sur ma tète et a appuyé sur la détente, mais la balle n'est pas partie. Ils m'ont donné des coups de pied au cou, à la taille, et m'ont frappée à la tète et sur le corps avec un manche à balai. Cela a duré environ une demi-heure. Je les ai suppliés de ne pas me battre. Les policiers étaient cruels et ne m'ont pas donné la raison pour laquelle ils m'avaient fait cela ».
Tola, vingt ans, a décrit comment la police extorque de l'argent aux travailleuses du sexe :
« Au poste de police [du district de Daun Penh], la police nous a demandé si nous avions un « me-ka » [patron]. La police m'a permis ainsi qu'à d'autres travailleuses du sexe d'appeler nos me-kas pour venir payer le lous [pot de vin] en échange de notre libération. Quinze des vingt [travailleuses du sexe] ont été libérées après que leurs patrons soient venus payer la police. Quant au reste d'entre nous, nous avons été gardées au poste de police pendant trois jours avant d'être envoyées au Bureau des Affaires sociales puis à un centre d'accueil géré par une ONG ».
Srey Pha, 27 ans, a décrit son expérience à Prey Speu :
« [Prey Speu] C'était comme l'enfer. J'étais enfermée dans une pièce avec 30 personnes, hommes, femmes et enfants. Pas de toilettes dans la pièce, mais deux seaux servaient de toilettes pour nous tous. Il y avait des taches de sang partout sur les murs. Je ne pouvais pas dormir la nuit car j'avais si peur et j'étais inquiète. J'ai reçu peu de nourriture à manger sous forme de deux repas par jour - du riz avec du prahok (pâte de poisson fermentée) et quelques tamarins. Pas d'assiette ni de cuillère, j'ai dû manger dans un sac plastique. La nuit, le garde a gravement battu un homme qui avait tenté de s'échapper ».
Nika, 28 ans, a décrit un passage à tabac par des agents de sécurité de parcs municipaux :
« Un agent s'est d'abord approché et m'a donné un coup de pied et m'a dit : « Pourquoi ?» Puis trois autres agents sont arrivés. Deux d'entre eux me tenaient les bras tandis que les deux autres me frappaient. Ils m'ont giflée. Ils semblaient un peu ivres. Ils m'ont frappée à la tête et sur le corps avec des cannes en bambou et leur radio. Ils ont déchiré mes habits. Des policiers se sont approchés mais ils n'ont rien fait. Les agents de sécurité ont continué à me battre pendant près d'une demi-heure. Plusieurs personnes ont vu la scène, mais tout le monde avait trop peur pour intervenir. Le chef de la sécurité a dit aux autres gardes que s'ils me voyaient encore à cet endroit, ils devaient me battre à mort ».