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(Bruxelles) - Amnesty International Belgique, Avocats sans Frontières, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH), Human Rights Watch, Liga voor Mensenrechten, la Ligue des Droits de l'Homme, à l'occasion du prononcé des arrêts Sharon et Gbagbo par la Chambre des Mises en Accusation de Bruxelles ce jour, expriment leurs vives préoccupations quant à l'interprétation de la loi de compétence universelle du 16 juin 1993, en calquant son interprétation sur celle de l'arrêt du 16 avril 2002 sur Yerodia.

A cette date, la Chambre des Mises en Accusation de la Cour d'Appel de Bruxelles, autrement composée, avait prononcé l'irrecevabilité des poursuites contre Yérodia au motif que ce dernier ne pouvait pas être trouvé sur le territoire belge au moment du dépôt des plaintes. Les arrêts d'aujourd'hui confirment malheureusement cette interprétation de la loi de 1993 et déclarent donc également irrecevables les plaintes portées contre les complices de Sharon et de Gbabgo. Cette interprétation va à l'encontre de la volonté du législateur, qui a expressément indiqué lors du vote unanime de la loi de 1993 que les juridictions belges seraient compétentes même dans les cas où l'auteur présumé de l'infraction n'était pas trouvé sur le territoire belge. Il est intéressant à noter que les trois arrêts ont été prononcés d'un avis contraire à celui de l'Avocat général représentant le Parquet à l'audience.

Force est de constater que depuis 1994 la doctrine juridique, les juges d'instruction, et le Gouvernement lui-même ont interprété la loi dans le sens exprimé par le législateur en 1993. C'est ainsi que le Gouvernement a, par exemple, adressé des demandes d'extradition à d'autres pays, et plaidé avec énergie en faveur de l'extradition, par la Tanzanie, d'un militaire rwandais soupçonné d'être impliqué dans l'assassinat des casques bleus belges de la MINUAR. Faut-il rappeler que dans l'affaire Pinochet le Gouvernement belge a joué un rôle important dans un effort commun avec l'Espagne, la France et la Suisse, pour empêcher que le général chilien puisse librement retourner au Chili. Plusieurs déclarations politiques ont été faites à cet égard, aussi bien dans la presse belge, qu'au Parlement. Or, si l'on applique à la lettre les décisions prises aujourd'hui, les plaintes auraient dû être déclarées irrecevables, Pinochet n'étant pas présent sur le territoire belge lors du dépôt de la plainte.

Ainsi, les trois arrêts, celui du 16 avril 2002 et ceux d'aujourd'hui, créent de toutes pièces une controverse, qui paralyse actuellement l'instruction des dossiers en cours basés sur la loi du 16 juin 1993.

Exiger que la personne poursuivie soit présente sur le territoire belge lors du dépôt des plaintes risque de rendre irrecevable la quasi-totalité des plaintes déposées en application de la loi de 1993 et donc vider celle-ci de sa substance et rendre son objectif vain. Si cette décision est appliquée strictement, une victime belge de crimes contre l'humanité perpétrés à l'étranger par un étranger ne pourra pas s'adresser aux tribunaux de son propre pays si l'auteur présumé n'est pas trouvé sur le territoire belge. L'application de ces arrêts interdit, par exemple, aux familles des casques bleus belges massacrés au Rwanda ou des prêtres belges assassinés au Guatemala de s'adresser aux tribunaux belges pour demander justice.

Au-delà de la paralysie de l'application de la loi de 1993, la controverse risque également de porter atteinte à l'image de la Belgique sur la scène internationale, soit l'image d'un pays progressiste et exemplaire sur le plan du droit pénal international. Depuis plusieurs années, la Belgique occupe une place importante sur cette scène, sa législation étant devenue une référence en matière de compétence universelle.

Cette controverse aurait évidemment pu être évitée si la volonté clairement exprimée par le législateur au cours de la discussion parlementaire avait été tout aussi clairement traduite dans le texte même de la loi. Il appartient au législateur de prendre sa responsabilité.

En conséquence, les signataires de ce communiqué réaffirment que la loi belge de compétence universelle constitue l'un des éléments essentiels de la lutte mondiale engagée contre l'impunité dont bénéficient les responsables d'atrocités massives et dans la construction nouvelle d'une justice universelle. Elle est essentielle pour combattre l'impunité qu'organisent eux-mêmes les tyrans et les tortionnaires dans leurs propres pays.

La loi doit s'appliquer pleinement, la condition de présence de la personne poursuivie sur le territoire belge ne pouvant pas être retenue comme condition de recevabilité des plaintes.

Les organisations précitées appellent le Parlement belge à rétablir d'urgence la portée exacte de la loi du 16 juin 1993, telle que le législateur de l'époque l'a conçue. Elles font appel aux parlementaires pour qu'ils adoptent le plus vite possible une loi interprétative de la loi du 16 juin 1993, précisant que l'auteur présumé ne doit pas être trouvé en Belgique, comme l'exposé des motifs de la loi de 1993 le mentionnait déjà.

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