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Ukraine : Des mines terrestres interdites causent des souffrances aux civils

L’Ukraine devrait enquêter sur leur utilisation apparente par les forces armées ; l’utilisation de ces mines par les forces russes se poursuit

Deux conteneurs KPFM-1S-SK fabriqués en 1988, que les chercheurs de Human Rights Watch ont trouvés à Izioum, en Ukraine, en septembre 2022. Ces conteneurs sont utilisés pour la dispersion de mines PFM transportées par des roquettes Uragan 9M27K3, d’un calibre de 220 mm. Chaque conteneur s'ouvre en vol à l'aide d'une charge explosive pour la séparer de la roquette, permettant la dispersion au total de 312 mines PFM sur la zone ciblée. © 2022 Human Rights Watch

Mise à jour : Human Rights Watch salue l'engagement de l'Ukraine, exprimé dans une déclaration du ministère des Affaires étrangères le 31 janvier, à analyser de manière approfondie le rapport ci-dessous au sujet des mines terrestres antipersonnel. Nous espérons que le gouvernement mènera une enquête rapide, rigoureuse et impartiale au sujet de nos constatations. Nous serons heureux de poursuivre notre dialogue avec les autorités ukrainiennes sur cette question.

(Kiev, le 31 janvier 2023) – L’Ukraine devrait enquêter sur l’utilisation apparente par son armée de milliers de mines terrestres antipersonnel tirées par des roquettes dans et autour de la ville d’Izioum dans l’est du pays, pendant que les forces russes occupaient la zone, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Human Rights Watch a documenté de nombreux cas dans lesquels des roquettes transportant des mines antipersonnel PFM, aussi appelées mines « papillon » ou mines « pétale », ont été tirées sur des zones occupées par les troupes russes, à proximité d’installations militaires russes. L’Ukraine est un État partie à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel de 1997, qui interdit toute utilisation de ces armes.

Les forces russes ont utilisé des mines antipersonnel, y compris des pièges explosifs qui se déclenchent au contact des victimes, dans de nombreuses zones à travers l’Ukraine depuis leur invasion à grande échelle du pays le 24 février 2022. Human Rights Watch a précédemment publié trois rapports documentant l’utilisation par les forces russes de mines terrestres antipersonnel en Ukraine en 2022.

« Les forces ukrainiennes semblent avoir largement dispersé des mines terrestres autour de la zone d’Izioum , faisant des victimes civiles et posant un risque constant », a déclaré Steve Goose , directeur de la division Armes à Human Rights Watch. « Les forces russes ont utilisé des mines antipersonnel de façon répétée et commis des atrocités à travers le pays, mais cela ne justifie pas l’utilisation par l’Ukraine de ces armes interdites. »

Une mine antipersonnel PFM-1S (également appelée mine « papillon » ou mine « pétale ») ayant explosé, retrouvée par Human Rights Watch dans la région d'Izioum, en Ukraine, en septembre 2022. Ce type de mine est disponible en plusieurs couleurs, dont vert et marron. Chaque mine contient 37 grammes d'explosif liquide, conçu pour exploser lorsqu'une pression cumulative suffisante est appliquée sur la mine. Les mines PFM-1S sont équipées d’un détonateur « autodestruction » conçu pour exploser après 40 heures au maximum, mais ce mécanisme tombe souvent en panne, ce qui rend la mine dangereuse pour des années à venir. © 2022 Human Rights Watch

Alors que la plupart des types de mines antipersonnel sont mises en place à la main, les mines antipersonnel PFM utilisées à Izioum et dans les environs ne fonctionnent que lorsqu’elles sont dispersées par des avions, des roquettes et des obus d’artillerie, ou lorsqu’elles sont tirées depuis des véhicules ou des lanceurs spécialisés. L’utilisation de mines antipersonnel viole le droit international humanitaire, car ces armes ne font pas la distinction entre civils et combattants. Les mines terrestres non neutralisées provoquent des déplacements, entravent l’acheminement de l’aide humanitaire et empêchent les activités agricoles.

L’armée russe s’est emparée d’Izioum et des zones environnantes le 1er avril et a exercé un contrôle total sur cette région jusqu’au début du mois de septembre, quand les forces ukrainiennes ont lancé une contre-offensive. Pendant leur occupation, les forces russes ont détenu arbitrairement, interrogé et torturé des habitants, et dans certains cas, ont fait disparaître de force et tué des civils.

Human Rights Watch a effectué des recherches dans le district d’Izioum du 19 septembre au 9 octobre, menant des entretiens avec plus de 100 personnes, notamment des témoins de l’utilisation de mines terrestres, des victimes de ces armes, des secouristes, des médecins et des démineurs ukrainiens. Toutes les personnes interviewées ont indiqué avoir vu des mines sur le sol, connaître quelqu’un qui a été blessé par l’une d’elles ou avoir été averties de leur présence pendant l’occupation russe d’Izioum.

Human Rights Watch a documenté l’utilisation de mines PFM dans neuf zones différentes dans et autour de la ville d’Izioum, et a vérifié les cas de 11 victimes civiles de ces mines.

Des personnels soignants ont déclaré avoir traité près de 50 civils, dont au moins cinq enfants, qui avaient apparemment été blessés par des mines antipersonnel dans la zone pendant ou après l’occupation militaire russe. Environ la moitié des blessures impliquaient des amputations traumatiques du pied ou de la jambe inférieure, des blessures correspondant à celles causées par des mines à effet de souffle PFM. Les chercheurs n’ont pas pu déterminer si des soldats russes avaient été blessés ou tués lors des tirs de roquettes qui ont dispersé des mines terrestres.

« Elles sont partout », a déclaré un démineur ukrainien, faisant référence aux mines PFM dans la zone d’Izioum. Les démineurs ont estimé qu’il faudrait des décennies pour débarrasser la zone des mines terrestres et d’autres munitions non explosées.

Human Rights Watch a vu des éléments physiques probants montrant l’utilisation de mines antipersonnel PFM dans sept des neuf zones situées à Izioum et aux alentours. Cela comprend des mines non explosées, des restes de mines et des cassettes métalliques qui contiennent les mines dans les roquettes. A plusieurs endroits, les chercheurs ont vu des signes d’explosion qui correspondaient à la quantité d’explosif contenue dans les mines antipersonnel PFM. Dans les deux autres zones, plusieurs témoins ont déclaré avoir vu des mines correspondant à la description des mines PFM.

Dans six des neuf zones, les témoins ont décrit des attaques correspondant à des mines terrestres lancées par des roquettes d’artillerie. A trois endroits dans la zone d’Izioum, Human Rights Watch a pu constater comment le moteur d’une roquette d’artillerie Uragan, qui peut être utilisée pour la dispersion des mines, était logé dans le sol ou avait frappé un bâtiment d’une manière qui indiquait qu’elle provenait de la direction où les forces ukrainiennes contrôlaient le territoire, et se trouvaient dans la portée maximale de 35 kilomètres de ces roquettes, au moment de l’attaque.

Les neuf zones étaient toutes proches de l’endroit où les forces militaires russes étaient positionnées à ce moment-là, ce qui suggère que ces dernières en étaient la cible. Début septembre, les forces russes ont commencé à se retirer de ces positions, mais des témoins ont déclaré que les deux attaques des 9 et 10 septembre, documentées par Human Rights Watch, ont eu lieu quand les forces russes étaient encore présentes dans ces zones.

Plus de 100 habitants d’Izioum et des environs ont déclaré que les forces russes ou les autorités d’occupation avaient affiché et distribué des prospectus pour avertir du danger des mines terrestres. Elles ont également retiré des mines terrestres de zones publiques et de propriétés privées appartenant à des civils, et ont emmené certaines victimes de mines en Russie pour des soins médicaux – des actions ne cadrant pas avec le fait d’être responsable de la pose de ces mines. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux victimes de mines terrestres qui ont indiqué que les forces russes les avaient transférées par hélicoptère militaire en Russie, pour des soins médicaux.

Human Rights Watch a documenté l’utilisation par la Russie d’autres types de mines antipersonnel en Ukraine, mais n’a pas vérifié les affirmations selon lesquelles les forces russes auraient utilisé des mines PFM dans le conflit armé.

La Convention sur l’interdiction des mines de 1997 interdit totalement les mines antipersonnel et exige la destruction des stocks, le déminage des zones affectées et l’assistance aux victimes. L’Ukraine a signé cette Convention le 24 février 1999, et l’a ratifiée le 27 décembre 2005. La Russie n’a pas adhéré au traité, mais elle continue de violer le droit international par son utilisation des mines antipersonnel, compte tenu de leur nature intrinsèquement indiscriminée. La Convention sur l’interdiction des mines est entrée en vigueur le 1er mars 1999. Parmi les 164 États signataires figurent tous les États membres de l’OTAN à l’exception des États-Unis, et tous les États membres de l’Union européenne.

L’Ukraine a hérité d’un important stock de mines antipersonnel après l’éclatement de l’Union soviétique. Le pays a détruit plus de 3,4 millions de mines antipersonnel entre 1999 et 2020, notamment des mines PFM. En 2021, l’Ukraine a signalé au Secrétaire général des Nations Unies que 3,3 millions de mines PFM encore en stock devaient être détruites. Selon des responsables ukrainiens, le seul type de mines antipersonnel encore présentes dans les stocks de l’Ukraine sont les mines PFM contenues dans les roquettes 9M27K3 de 220 mm. En 2014 et 2015, Human Rights Watch a documenté l’utilisation en Ukraine de mines antipersonnel par des groupes armés soutenus par la Russie.

En vertu de l’article 20 de la Convention sur l’interdiction des mines, un État partie engagé dans un conflit armé n’est pas autorisé à se retirer du traité avant la fin du conflit armé. La Convention n’est pas non plus soumise à des réserves.

Le 3 novembre, Human Rights Watch a posé une série de questions sur l’utilisation des mines antipersonnel PFM à Izioum et dans ses environs aux ministères ukrainiens de la Défense et des Affaires étrangères, ainsi qu’au bureau du phabitant, et a sollicité une réunion. Human Rights Watch a également contacté plusieurs responsables du gouvernement pour faciliter une telle réunion.

Le 23 novembre, le ministère de la Défense a fourni une réponse écrite, affirmant que l’armée respectait ses obligations internationales, dont l’interdiction de l’utilisation de toutes les mines antipersonnel, mais sans répondre à aucune des questions concernant l’utilisation de mines PFM à Izioum et dans les environs, en expliquant que « les informations sur les types d’armes utilisées par l’Ukraine... ne doivent pas être commentées avant la fin de la guerre ».

Lors de la 20ème réunion des États parties à la Convention sur l’interdiction des mines, le 24 novembre 2022, l’Ukraine a déclaré être un « [État] partie responsable » à ce traité, et n’avoir « jamais envisagé » d’utiliser ses stocks de mines antipersonnel à des fins défensives.

L’Ukraine devrait s’engager à nouveau à respecter les interdictions strictes de la Convention sur l’interdiction des mines, ouvrir une enquête sur l’utilisation apparente récente de mines antipersonnel PFM, faire en sorte que les responsables rendent des comptes, et prendre des mesures pour sécuriser et détruire ses stocks de mines antipersonnel, a déclaré Human Rights Watch. L’Ukraine devrait également veiller à faire en sorte d’identifier et d’aider les victimes, notamment en leur offrant une compensation appropriée et rapide, des soins médicaux et d’autres formes d’assistance, telles que, le cas échéant, la fourniture de prothèses et un soutien continu à la réadaptation, y compris un soutien psychosocial.

La Russie devrait cesser d’utiliser des mines terrestres antipersonnel en raison du fait qu’elles ne distinguent pas les combattants des civils, enquêter sur l’utilisation qu’en font les forces russes, et adhérer à la Convention sur l’interdiction des mines, a déclaré Human Rights Watch.

Human Rights Watch a cofondé et préside la Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel (International Campaign to Ban Landmines, ICBL), co-lauréate du prix Nobel de la paix en 1997.

« Toute utilisation de mines terrestres antipersonnel est illégale, et l’Ukraine devrait mener une enquête approfondie sur ce qui s’est passé et veiller à ce que ses forces ne les utilisent pas », a conclu Steve Goose. « Les autorités devraient également veiller à ce qu’une assistance soit fournie à toute victime ou à sa famille, qui aurait été blessée par ces armes qui frappent de manière indiscriminée. »

© 2023 Human Rights Watch
Informations complementaires sur les incidents liés aux mines terrestres documentés par Human Rights Watch, réponse du gouvernement ukrainien

Les mines PFM, également appelées mines « pétale » ou mines « papillon », sont de petites mines à effet de souffle en plastique qui, tirées sur une zone, atterrissent au sol et explosent lorsqu’une pression est appliquée sur le corps de la mine, par exemple si quelqu’un marche dessus. La mine PFM peut également exploser lorsqu’elle est manipulée ou déplacée. Certaines mines PFM peuvent s’autodétruire et exploser de manière aléatoire jusqu’à 40 heures après avoir été dispersées. Les mines antipersonnel explosent du fait de la présence ou la proximité d’une personne, ou le contact avec celle-ci, et peuvent tuer et blesser des personnes longtemps après la fin des conflits armés.

Tous les témoins interrogés ont décrit le même type de mine. Certains ont décrit les couleurs de la mine, ses caractéristiques physiques et son mode de fonctionnement. De nombreuses personnes interviewées ont déclaré avoir vu des mines sur le sol et ont montré aux chercheurs les restes physiques de ces mines. D’autres ont reconnu une image de mines antipersonnel PFM après avoir décrit ce qu’ils avaient vu.

Une autre mine antipersonnel PFM-1S (également appelée mine « papillon » ou mine « pétale ») ayant explosé, retrouvée par Human Rights Watch dans la région d'Izioum, en Ukraine, en septembre 2022. Ce type de mine est disponible en plusieurs couleurs, dont vert ou marron, comme celle-ci. © 2022 Human Rights Watch

Zones et périodes d’utilisation des mines PFM dans le district d’Izioum

 

Village/Ville

Zone

Date de la découverte

1

Village de Kapytolivka, à l’est d’Izioum

 Centre du village

Fin avril

2

Izioum

District central/le long de la rue Heroiv – Chornobyltsiv

Début juin

3

Izioum

District central/proche du Jardin d’enfants n° 12

Été

4

Izioum

District central/Hôpital central d’Izioum

Mi-juillet/fin d’été

5

Izioum

District central/Sud d’Izioum

Mi-juillet/début août

6

Izioum

District central/partie nord de la rive droite

Juillet/Mi-Août

7

Village de Hlyns’ke, au nord-ouest d’Izioum.

Extrémité ouest du village

Fin août 

8

Izioum

Quartier au sud de la rue Shakespeare

9/10 septembre

9

Izioum

Environs de l’École n° 6

10 septembre

Zones principales et périodes où des témoins ont vu des mines antipersonnel à Izioum et ses alentours. Pour chaque incident, Human Rights Watch a corroboré la période auprès de plusieurs personnes. Les chercheurs ont soit vu directement des restes de mines dans ces zones, soit les témoins ont déclaré avoir vu des mines antipersonnel de type PFM avec l’aide de documents de référence. A chaque endroit, les témoins ont vu ou signalé la présence d’au moins plusieurs mines.

......................

Les roquettes Uragan ont une portée de 10 à 35 kilomètres. Pendant toute la durée de l’occupation russe d’Izioum et de ses environs, les forces ukrainiennes contrôlaient le territoire au nord-ouest, à l’ouest, au sud-ouest et au sud d’Izioum, suffisamment proche pour leur permettre d’atteindre Izioum avec des roquettes d’artillerie Uragan porteuses de sous-munitions et de mines PFM.

Les forces russes ont également contrôlé le territoire autour d’Izioum pendant toute la durée de l’occupation, et auraient pu tirer des roquettes d’artillerie à une distance minimale de 10 kilomètres à partir de celui-ci, dans les zones occupées par ses forces et les civils ukrainiens. Toutefois, un scénario selon lequel la Russie, à plusieurs reprises pendant cinq mois, aurait utilisé des mines terrestres antipersonnel contre ses propres troupes et sur un territoire qu’elle espérait contrôler de manière permanente est hautement improbable.

Les habitants d’Izioum ont déclaré qu’ils avaient commencé à voir des membres des forces ukrainiennes dans la partie centrale de la ville d’Izioum, soit tardivement le 10 septembre, soit le 11 septembre. Human Rights Watch n’a pas documenté d’utilisation de mines PFM dans la zone après cette date.

Lancement par roquette de mines antipersonnel PFM

Les mines antipersonnel PFM peuvent être dispersées de différentes manières : par des lanceurs terrestres portés à la main, par des lanceurs montés sur des véhicules, des avions et des hélicoptères, et par des roquettes Grad de 122 mm et des roquettes Uragan de 220 mm, tirées depuis le sol. Human Rights Watch n’a trouvé aucun reste des cassettes de la série KSF-1 ou des cassettes BKF-PFM nécessaires à la dispersion de ces mines au moyen de dispositifs autres que des roquettes, comme des camions ou des moyens aériens, ou encore des lanceurs terrestres portés à la main.

La roquette de dispersion de mines Uragan 9M27K3 de 220 mm s’ouvre en vol à l’aide d’une petite charge explosive qui la sépare de la partie moteur de la roquette de l’arme et disperse 312 mines PFM sur une zone. Les chercheurs de Human Rights Watch ont trouvé plusieurs types spécifiques de cassettes, dont la KPFM-1S-SK, utilisées pour la dispersion de mines PFM par des roquettes Uragan de 220 mm.

Human Rights Watch s’est entretenu avec des témoins dont les descriptions de l’utilisation de mines PFM dans six zones étaient concordantes avec celles d’un lancement par roquettes. Chaque témoin a dit avoir entendu une roquette ou une explosion suivie du bruit des mines frappant ou « claquant » le sol ou les toits des bâtiments, ou les avoir vues pour la première fois dans les minutes suivant les explosions aériennes des roquettes, que de nombreux habitants ont confondues avec une attaque aux armes à sous-munitions, qui disperserait des dizaines de petites sous-munitions conçues pour exploser au moment de l’impact. Des habitants d’Izioum ont déclaré à Human Rights Watch que les attaques à la roquette étaient fréquentes pendant l’occupation russe. Human Rights Watch enquête sur des allégations d’utilisation d’armes à sous-munitions lancées par des roquettes à Izioum et sur le territoire environnant pendant l’occupation russe de ces zones.

Fragments de trois conteneurs KPFM-1S-SK fabriqués en 1988, que les chercheurs de Human Rights Watch ont trouvés à Izioum, en Ukraine, en octobre 2022. Ces conteneurs sont utilisés pour la dispersion de mines PFM transportées par des roquettes Uragan 9M27K3, d’un calibre de 220 mm. Chaque conteneur s'ouvre en vol à l'aide d'une charge explosive pour la séparer de la roquette, permettant la dispersion au total de 312 mines PFM sur la zone ciblée. © 2022 Human Rights Watch

Zones et périodes où des attaques à la roquette ont été observées

  

Village/Ville

Zone

Date 

1

Village de Kapytolivka, à l’est d’Izioum

  Centre du village

Fin avril

2

Izioum

District central/

Hôpital central d’Izioum

Mi-juillet

3

Izioum

District central/

Izioum du Sud

Mi-juillet

4

Izioum

District central/

Partie nord de la rive droite

Juillet

5

Izioum

Quartier au sud de la rue Shakespeare

9 septembre

6

Izioum

Quartier autour de

l’École n° 6

10 septembre

Dans une autre zone où des mines PFM ont été utilisées, Human Rights Watch n’a pas parlé aux témoins qui ont observé le moment où les mines ont été larguées, mais des éléments physiques probants indiquent que les mines qui se trouvent dans cette zone ont également été dispersées par roquette.

Les chercheurs de Human Rights Watch ont trouvé des sections de moteurs de roquettes Uragan, d’un type capable de transporter des sous-munitions, ainsi que des mines PFM dans des cassettes, qui étaient plantées dans le sol ou avaient touché des bâtiments de manière à indiquer qu’elles venaient du sud et de l’ouest de la zone d’Izioum, un territoire contrôlé par les forces ukrainiennes. Les tirs répétés de lance-roquettes sur la ville d’Izioum de fin février à début septembre, et les opérations de déminage en cours par les forces russes et ukrainiennes, ont empêché Human Rights Watch de déterminer quel moteur de roquette ou partie de lanceur était associé à chacune de ces attaques.

Victimes civiles

Human Rights Watch a vérifié 11 cas de victimes civiles de mines PFM à Izioum et aux alentours. Quatre ont perdu un pied ou la partie inférieure de leur jambe après avoir marché sur une mine. L’un d’entre eux, un homme de 77 ans, est mort quelques jours après avoir été blessé par une mine, bien que des facteurs autres que ses blessures dues aux mines aient pu jouer un rôle dans son décès.

Un travailleur de santé de l’hôpital central d’Izioum a déclaré qu’entre avril et le 21 septembre, le personnel médical avait amputé 20 à 30 membres inférieurs à la suite de blessures causées par ces mines. Le 24 octobre, des travailleurs de santé ont déclaré que le nombre de victimes civiles des mines, dont la plupart ont subi une amputation traumatique, était passé à près de 50 personnes, dont cinq enfants.

« Je sais qu’il s’agit de traumatismes dus aux mines papillon en raison de caractéristiques spécifiques : aucune trace de fragments dans les plaies, comme c’est le cas pour les autres », a déclaré un travailleur de santé. « On n’y trouve que de la substance explosive, et elle arrache le tiers inférieur de la jambe. Quand vous êtes un peu loin, ça ne fait pas de mal, mais si vous marchez dessus, ça fait mal. »

Un habitant de la région d’Izioum, en Ukraine, dont une jambe a dû être partiellement amputée après qu’il ait marché sur une mine antipersonnel PFM près de son domicile. © 2022 Human Rights Watch

Human Rights Watch s’est entretenu avec deux personnes qui, après avoir été blessées par ces mines, ont été transférées en hélicoptère militaire russe de l’hôpital central d’Izioum vers des hôpitaux en Russie, où elles ont reçu des soins médicaux. Toutes deux ont quitté la Russie après leur traitement.

Human Rights Watch n’a documenté aucune utilisation de mines PFM après le 10 septembre, date à laquelle les forces russes se sont retirées de la zone, mais les civils ont continué à être victimes des mines antipersonnel. Un professionnel de santé qui travaille à l’hôpital central a déclaré avoir vu le plus grand nombre de victimes de mines au cours des deux dernières semaines de septembre.

Les mines terrestres et autres munitions équipées de dispositifs d’autodestruction sont conçues pour exploser après une période prédéterminée. Cependant, il arrive fréquemment qu’elles n’explosent pas, laissant sur place des munitions non explosées qui mettent indéfiniment en danger les civils.

Un type de mine antipersonnel PFM, la PFM-1S, est équipé d’une fusée à autodestruction qui provoque la détonation de la mine dans les 40 heures, mais les mines qui ne s’autodétruisent pas peuvent rester fonctionnelles pendant bien plus longtemps. Human Rights Watch a trouvé des restes de mines PFM-1S et leurs cassettes de dispersion dans six des neuf zones. Des témoins dans plusieurs parties de la ville d’Izioum ont déclaré que de nombreuses mines ont explosé d’elles-mêmes, parfois la nuit ou tôt le matin. L’augmentation des déplacements dans les zones contaminées, en particulier après la fin des combats, peut entraîner une augmentation des blessures, notamment pour les civils.

Incidents particuliers

Près du Jardin d’enfants 12, dans le district central

Douze habitants du district central d’Izioum, près du Jardin d’enfants 12, ont déclaré y avoir trouvé des mines PFM à plusieurs reprises au cours de l’été et de l’automne. Les forces russes étaient stationnées dans au moins une maison du quartier.

Quatre habitants ont déclaré avoir vu des mines pour la première fois en juillet. Les habitants ont identifié les mines PFM en utilisant les descriptions et références visuelles fournies par Human Rights Watch. Cinq des personnes interviewées ont affirmé que les mines étaient vertes, et l’une d’entre elles a dit qu’elles étaient brunes.

Après que les mines ont été posées, les habitants ont déclaré que les soldats russes et les forces de la LNR – la prétendue « République populaire de Louhansk », expression qui se réfère à une zone de la région de Louhansk actuellement occupée par la Russie – étaient venus tirer sur les mines dans les rues et dans les propriétés privées des maisons appartenant à des civils, lorsqu’on leur demandait, pour les faire exploser et les détruire. « Les soldats russes passaient tout le temps dans ces rues », raconte un habitant. « Ils cherchaient des mines par eux-mêmes, mais les habitants des maisons leur demandaient aussi d’aller dans les jardins [pour les détruire]»

Une autre habitante a déclaré que l’administration militaire russe à Izioum avait distribué un prospectus qui avertissait les habitants d’éviter les mines et qu’elle en avait trouvé l’un de ces prospectus dans sa boîte aux lettres. Human Rights Watch a montré la photo d’un prospectus trouvé dans le centre d’Izioum en septembre à l’habitant, qui a confirmé qu’il s’agissait du même document.

Les habitants ont continué à trouver des mines après le retrait des forces russes. Fin septembre, un homme que ses voisins ont identifié comme étant Anatoliy Vodinov, 77 ans, a pensé que la situation était suffisamment sûre pour recommencer à jardiner sur sa propriété, où il avait auparavant déjà trouvé deux mines, selon un voisin. Cet après-midi-là, un autre voisin de Vodinov s’est approché de sa propriété avec un ami pour lui apporter de l’eau :

En approchant, nous avons vu qu’il criait ; il était dans la cour et marchait vers la porte de sa maison. Il avait la main qui saignait, et tous ces fragments dans le visage, qui saignait aussi. J’ai couru jusqu’à la maison et j’ai pris des bandages, du coton et de l’antiseptique. Mon ami s’est précipité sur la route jusqu’à un groupe de soldats ukrainiens, et un médecin militaire est venu l’aider. Il lui a refait des pansements, puis ils l’ont emmené à l’hôpital. Sa main n’était pas complètement arrachée, mais sa paume gauche était ouverte... Il avait une grande blessure au front et des coupures à la joue.

Un voisin qui a parlé à Vodinov après l’incident, et a dit avoir vu deux mines vert foncé qu’ils ont identifié comme des mines PFM dans le jardin de Vodinov avant l’incident, a déclaré que Vodinov leur avait expliqué qu’il pensait que les mines n’étaient pas dangereuses, et qu’il en avait ramassé une qui avait explosé.

Quatre voisins ont déclaré que Vodinov avait été emmené à l’hôpital, d’où il était sorti quelques jours plus tard, mais qu’il était mort le lendemain de son retour chez lui. Son certificat de décès indique qu’il est décédé le 5 octobre. La cause exacte du décès reste incertaine.

Hôpital central d’Izioum, dans le district central

Le district central d’Izioum a été à maintes reprises visé par des mines terrestres selon plusieurs personnes qui travaillaient à l’hôpital central d’Izioum ou qui vivaient dans la région. Si l’hôpital central a continuellement été pourvu en personnel civil ukrainien, les militaires russes ont, dès le début de l’occupation, investi un bâtiment au centre du complexe où, selon plusieurs membres du personnel de l’hôpital et des témoins, ils ont traité des soldats russes et, occasionnellement, des civils ukrainiens. Le personnel de l’hôpital et les travailleurs médicaux ont déclaré que des mines étaient éparpillées partout sur le terrain de l’hôpital.

« Je me souviens de ces pétales, éparpillés partout dans l’hôpital », a déclaré une employée de l’hôpital. « Ça s’est passé en juin. Je ne me souviens pas quel jour. Le matin, il n’y avait pas de pétales et quand nous sommes sortis à midi, il y en avait partout. Ils étaient vert foncé. » Beaucoup de mines ont explosé d’elles-mêmes les trois jours suivants, a-t-elle expliqué, mais certaines mines ont aussi été retrouvées intactes jusqu’au mois de septembre.

Dix employés de l’hôpital et travailleurs médicaux ont déclaré ne pas avoir connaissance de blessures survenues dans l’enceinte de l’hôpital, mais l’un d’entre eux a dit avoir vu un camion de l’armée russe rouler sur une mine « pétale » et lui endommager un pneu. Le personnel de l’hôpital a déclaré que les forces russes avaient déminé les zones situées sur les principales voies d’accès en tirant sur les mines avec leurs fusils.

Deux personnes qui se trouvaient dans les locaux de l’hôpital central presque tous les jours pendant l’occupation russe, et qui ont demandé à ne pas être nommées, ont déclaré que des mines avaient atterri sur le terrain de l’hôpital à la fin de l’été.

Dans les quartiers situés au sud-est de l’hôpital, les habitants ont trouvé des mines dispersées autour de leurs propriétés et dans les rues. Un homme, qui a demandé à rester anonyme, a déclaré qu’en fin de matinée, il avait entendu une roquette passer au-dessus de sa tête, suivi d’un « claquement ». Les mines « pétales » sont apparues après que lui et sa femme se soient réfugiés dans leur sous-sol :

J’ai entendu un fracas dans le ciel. Auparavant, je savais que si une arme à sous-munitions explosait au-dessus de nos têtes, les sous-munitions passeraient au-dessus de nous du fait de l’inertie. Vu l’endroit où elles se trouvaient, j’ai compris qu’elles allaient nous tomber dessus. J’ai donc prévenu ma femme et nous sommes allés nous réfugier au sous-sol. Mais il n’y a pas eu d’explosion. Notre voisin a dit : « Regardez, il y a un pétale par terre ».

Le voisin de cet homme a été gravement blessé le 11 juillet lorsqu’il a utilisé une pelle pour déplacer une mine PFM qui avait atterri dans son jardin. « Ses vêtements étaient déchirés et il était couvert d’une grande quantité de sang », a déclaré l’homme. Le voisin a essayé de se panser et est resté chez lui quelques jours avant de quitter la région.

Un autre habitant de la zone, qui a demandé à ne pas être identifié, a déclaré que des mines terrestres étaient apparues dans la rue devant sa maison en juin ou juillet et qu’il avait trouvé 20 mines PFM sur et autour de sa propriété. Il a également récupéré une plaque métallique que Human Rights Watch a identifiée comme étant un composant de la cassette qui transporte les mines PFM dans les roquettes Uragan. Il a déclaré que des mines PFM étaient tombées après qu’il eût entendu le son d’une roquette, suivi d’un « grand boum ».

La voisine de cet homme a également déclaré que des mines étaient apparues pour la première fois au cours d’une soirée de juin ou juillet. Elle a trouvé cinq mines PFM sur sa propriété, a-t-elle dit, et l’armée russe est venue les détruire après qu’elle ait demandé de l’aide à plusieurs reprises.

Sud d’Izioum, dans le district central

La partie sud du district central d’Izioum a été attaquée au moins deux fois avec des mines lancées par des roquettes, en juillet et en août. Human Rights Watch a parlé à 10 habitants qui ont vu des mines PFM dans cette zone. Un responsable de l’unité de secours de l’État chargé de ce territoire a déclaré qu’il avait travaillé à Izioum pendant toute l’occupation et que les mines étaient fortement concentrées dans cette zone.

Un mari et sa femme qui vivaient dans le quartier ont déclaré que les mines étaient apparues pour la première fois en juillet. « Nous avons entendu quelque chose voler, nous nous sommes cachés et nous avons entendu un son que nous n’avions jamais entendu avant », a déclaré la femme. « Ensuite, les voisins se sont mis à crier que ces [mines] étaient apparues. Le missile a explosé au-dessus de notre maison, mais la plupart [des mines] sont tombées au nord d’ici. »

Immédiatement après l’attaque, le couple a essayé de ne pas sortir car, selon eux, l’armée russe leur avait dit que les mines pouvaient exploser pendant 72 heures après leur chute. « La pratique générale [en présence d’une mine terrestre] était d’informer les soldats russes, puis ils pouvaient venir, et les soldats russes tiraient sur les mines avec un fusil d’assaut », a déclaré la femme. Le couple a déclaré avoir trouvé plusieurs « mines papillon » de couleur brune sur leur propriété et celle de leurs voisins.

Une autre attaque sur le quartier, début août, a eu des conséquences dévastatrices. Une femme de 41 ans a déclaré qu’elle et son mari avaient entendu une explosion alors qu’ils étaient chez eux, la nuit du 6 août. Tôt le lendemain matin, la femme est sortie sur le chemin menant à leurs toilettes extérieures, qu’elle avait utilisées avant qu’ils n’entendent l’explosion. « Je n’avais pas allumé de lampe de poche car l’heure du couvre-feu était dépassée quand je suis allée aux toilettes », a-t-elle déclaré. « Il y a eu une explosion et l’instant d’après, j’avais perdu ma jambe. »

L’explosion lui a arraché la jambe droite et a causé des blessures mineures à sa jambe gauche. Elle a crié à son mari : « Ne sors pas, c’est miné ». Le mari de la femme a dit qu’il s’était approché lentement en utilisant la lumière de son téléphone, qu’il l’avait soulevée et l’avait emportée dans la rue, où des soldats russes lui ont fait un garrot. Un voisin qui avait une voiture a ensuite conduit la femme à l’hôpital, mais son mari a dit qu’il n’y avait pas de place à bord pour l’emmener.

Une fois qu’elle est arrivée à l’hôpital, on a dit à la femme qu’ils ne pouvaient pas faire l’amputation sur place et qu’elle devait être emmenée vers une ville de Russie. « Je ne voulais pas aller en Russie, mais ils ont dit que c’était nécessaire », a déclaré la femme. « Là-bas, ils ont fait l’amputation et ont refermé les plaies. Je n’y suis restée qu’une journée pour l’opération, puis ils m’ont emmenée à Belgorod dans un hôpital spécialisé dans la rééducation pour ce genre de blessures. » La femme a ensuite été emmenée par une organisation bénévole en Biélorussie puis en Allemagne, où elle est toujours soignée.

Le matin qui a suivi la blessure de sa femme, son mari a trouvé plusieurs mines PFM dans le jardin.

Partie nord de la rive droite, dans le district central

Plusieurs endroits situés dans la partie nord du district central d’Izioum, communément appelé « Rive droite », notamment le long de la rue Heroiv – Chornobyltsiv et près de la rive du fleuve, ont été attaqués avec des mines PFM à au moins deux reprises au cours de l’été, à partir du mois de juin. Les habitants ont à chaque fois décrit et identifié les mines PFM à l’aide de références visuelles ou de restes conservés par eux.

Un homme a déclaré que les mines étaient tombées sur sa propriété et dans les environs de celle-ci au milieu de l’été. « J’ai vu la fusée Uragan avec les mines », a-t-il dit. « Quand une bombe à sous-munition se déclenche, vous avez 5-6 secondes pour vous cacher. Quand les roquettes avec les mines sont arrivées, il n’y a pas eu d’explosions – juste les mines. Au début, j’ai entendu le son de la roquette, suivi d’un "paf". Ce n’était pas très fort. Après quoi les mines papillon se sont mises à tomber. »

Dans une partie du district, les habitants ont commencé à trouver des mines « pétales » vers le 14 août. Sept habitants les ont identifiées comme des mines PFM à l’aide d’images de référence fournies par Human Rights Watch. Après avoir trouvé des mines sur leur propriété, ils ont fait appel à l’armée russe et les soldats ont tiré sur les mines avec des fusils.

Le 16 août, un habitant du quartier a marché sur l’une de ces mines. « Le matin, j’emmenais ma chèvre au jardin, et en revenant, je me suis un peu écarté du chemin sur lequel je marchais, et il y a eu une explosion », a-t-il déclaré. La mine PFM lui a arraché la jambe droite, sous le tibia. La femme de l’homme a fabriqué un garrot improvisé pour arrêter l’hémorragie, tandis qu’un ami en visite chez eux s’est rendu au poste de contrôle russe le plus proche pour demander de l’aide. L’homme a déclaré que lorsque les soldats russes étaient arrivés, ils lui avaient donné des analgésiques et l’avaient transporté à l’hôpital central d’Izioum. En raison de la gravité de ses blessures, ils l’ont ensuite transféré dans un hôpital russe où il a été opéré. Il est resté en Russie pendant plus de deux semaines avant de pouvoir rentrer chez lui.

Quartier au sud de la rue Shakespeare (vulytsia Shekspira), district du Nord-Ouest

Le 9 septembre ou autour de cette date, des mines PFM étaient dispersées sur une large zone du district nord-ouest d’Izioum, pour la plupart concentrée autour de la rue Tsusimsʹka. Human Rights Watch a parlé à 13 habitants de cette zone qui ont été témoins de la présence des mines, dont un secouriste et un responsable du service d’urgence de l’État à Izioum. Human Rights Watch a parlé à trois personnes qui ont été blessées par des mines, dont deux ont subi des amputations traumatiques entre la cheville et le tibia.

Le responsable du service d’urgence, qui était présent pendant toute la durée de l’occupation russe, a déclaré que les mines pétales étaient fortement concentrées dans cette zone.

Le soir du 9 septembre, un habitant rentrait de chez un voisin avec son ami près de la rue Tsusims’ka lorsqu’il a « entendu une explosion dans le ciel ». Il a dit que sa réaction a été de « courir pour se cacher ». Au moment où il s’est mis à courir, il a entendu une autre explosion :

Et à ce moment précis, j’étais à terre, sur le dos. J’avais une douleur dans le dos. J’ai regardé ma jambe et elle ressemblait à une rose ouverte… Je me suis mis à crier et des gens m’ont entendu. Des habitants du quartier, je ne me souviens plus qui, sont venus me voir. Ils m’ont fait un garrot de fortune avec une ceinture. Une ambulance est arrivée et m’a emmené à l’hôpital. La dernière chose dont je me souviens, c’est que j’étais à l’hôpital la nuit, sans mon pied.

Une autre habitante du quartier, une femme de 69 ans, a déclaré que les mines avaient été dispersées dans la zone dans la nuit du 9 au 10 septembre. Le lendemain, a-t-elle expliqué, les forces russes abandonnaient leurs positions, et dans la soirée, elle a marché sur l’une de ces mines. « Cela s’est produit à 18 h 50 », a-t-elle déclaré. « J’ai saigné pendant quatre heures. »

La femme a dit qu’elle avait eu du mal à rejoindre l’hôpital parce que le pont principal était endommagé, et qu’il était difficile de traverser la rivière pour rejoindre l’hôpital central. « Je n’ai pu être opérée qu’entre 22 heures et 23 heures. » En raison de la gravité de ses blessures, les médecins de l’hôpital central d’Izioum ont dû amputer le bas de sa jambe gauche.

Une autre femme du quartier, âgée de 59 ans, a déclaré que le 9 septembre, elle allait voir sa mère dans le village voisin en scooter, lorsque ce dernier a heurté une mine PFM. « Le scooter a encaissé la majeure partie de la force de l’explosion, mais je suis tombée et je me suis blessée à la jambe », a-t-elle déclaré. Human Rights Watch a pu constater les dommages subis par le scooter, ainsi que la blessure subie par la femme après sa chute.

Neuf témoins du quartier ont dit qu’ils avaient trouvé des mines PFM éparpillées autour de leurs propriétés, notamment sur leurs toits, dans leurs jardins et sur la route. Les chercheurs de Human Rights Watch ont vu des restes de mines PFM à plusieurs endroits du quartier, notamment les parties en métal des plaques qui composent les cassettes transportées dans les roquettes, ainsi que des traces d’explosion correspondant à celles des mines PFM, sur plusieurs propriétés.

Le 19 septembre, un membre de l’unité de déminage ukrainienne a emmené Human Rights Watch au domicile d’un habitant d’Izioum, où le démineur a déclaré avoir personnellement tiré sur une mine PFM quelques heures auparavant pour tenter de la détruire. Il a déclaré à Human Rights Watch qu’il avait personnellement éliminé environ 70 mines antipersonnel PFM depuis son arrivée à Izioum, après que les forces ukrainiennes aient repris le contrôle de la zone.

Au moment où les mines ont été utilisées, de nombreux témoins ont déclaré que les forces russes étaient toujours dans la zone et qu’elles avaient aidé au moins une victime à obtenir une assistance médicale et avaient détruit les mines en leur tirant dessus. Au moins un véhicule militaire russe a été endommagé lorsqu’il a heurté une mine.

Quartier autour de l’Ecole n° 6

Le quartier situé plus au sud, autour de l’Ecole n°6, que les forces russes ont utilisé comme base militaire pendant qu’elles occupaient la zone, a également été attaqué par des mines PFM. Human Rights Watch s’est entretenu avec 20 habitants du quartier, qui ont déclaré avoir trouvé des dizaines de mines en de nombreux endroits, notamment sur leurs propriétés et dans les rues, et qu’elles avaient blessé plusieurs personnes. Le responsable de l’unité de secours, qui était présent pendant toute la durée de l’occupation, a déclaré le 4 octobre que la zone avait été fortement contaminée par les mines.

Une femme a déclaré que des mines avaient été dispersées sur sa maison et ses environs à 11h45 le 10 septembre, le jour de l’anniversaire de son gendre. « J’ai entendu une grosse explosion, puis un bruit de claquement sur le toit, un bruit de claquement au sol », a-t-elle expliqué. « J’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu quelque chose ». Le mari de la femme a déclaré qu’une partie de l’arme qui larguait les mines PFM avait atterri à proximité.

Deux autres habitants, qui vivent à quelques centaines de mètres de là, ont dit avoir entendu des explosions au même moment. « Nous avons entendu une explosion qui ressemblait à une bombe à sous-munitions, alors nous nous sommes cachés au sous-sol », a déclaré l’un d’eux, un homme de 45 ans. Sa voisine de 26 ans a dit qu’elle était en face de sa maison et qu’elle était sortie pour voir ce qui s’était passé environ 10 minutes plus tard. À peu près au même moment, l’homme a également quitté son sous-sol et a regardé dans la rue pour voir ce qui s’était passé :

J’ai vu Artem [un autre voisin] en bas de la rue faire la même chose. Nous avons vu que la maison de notre voisin était endommagée. Je suis allé de mon portail jusqu’à la route et Artem a fait de même pour voir l’ampleur des dégâts. Juste devant moi, Artem a marché sur la mine, et elle a explosé. Je l’ai vu tomber juste devant moi à cause de l’explosion. Il a pris sa jambe et a tenté d’arrêter le saignement. Il a crié : « Arrête ! Regarde autour de tes jambes ». Je me suis arrêté et j’ai vu les mines. S’il n’avait pas été là, la même chose me serait probablement arrivé.

Cet homme dit avoir vu des mines dans toute la rue alors qu’il essayait d’atteindre Artem pour l’aider. Lorsqu’il est arrivé jusqu’à lui, il a dit que le pied d’Artem avait disparu. À l’aide d’une ceinture, l’homme a fabriqué un garrot improvisé pour tenter de stopper l’hémorragie, puis il a appelé son ami pour qu’il l’aide à trouver un médecin. L’ami lui a dit qu’il se dirigeait vers le nord, vers l’Ecole n° 6, lorsqu’il a croisé un véhicule blindé de transport de troupes russe avec des soldats russes à son bord.

Lorsque l’ami s’est approché et est sorti de la voiture, il a crié à l’aide, et ils lui ont dit de reculer et de partir. Il a de nouveau appelé à l’aide, et ils lui ont tiré dessus avec un fusil d’assaut. Alors qu’il faisait demi-tour pour partir, ils ont à nouveau tiré, touchant son véhicule et le forçant à abandonner sa voiture et à retourner à pied vers l’endroit où Artem avait été blessé. L’homme a déclaré que les parents d’Artem avaient finalement réussi à faire venir un véhicule vers le haut de la rue. Ils l’ont ensuite transporté jusqu’à la voiture en contournant les mines PFM qui étaient encore éparpillées sur la route. Artem a fini par arriver à l’hôpital central, où il a été soigné avant d’être transféré à Kharkiv pour des soins supplémentaires, selon deux de ses voisins.

Une autre habitante du quartier, une femme de 46 ans, a déclaré avoir été blessée par une mine alors qu’elle se rendait à l’Ecole n° 6 pour ramasser du maïs le 10 septembre. « J’étais en état de choc lorsque l’arrière de la roue de mon vélo a heurté la mine et qu’elle a explosé », a-t-elle déclaré. Des morceaux d’aluminium et de plastique provenant du vélo lui ont transpercé les jambes et sa jambe droite a été cassée, dit-elle.

Peu de temps après la chute des mines, de nombreux voisins se sont rassemblés pour ramasser les mines sur les routes et chez les gens. Les habitants ont déclaré avoir ramassé plus de 200 mines. Human Rights Watch a vu trois mines non explosées dans la zone et de nombreux restes de plastique et de métal appartenant à des mines PFM, ainsi que des restes de cassettes utilisées pour transporter les mines dans une fusée Uragan.

Malgré les efforts déployés par les forces russes et les habitants pour enlever les mines, et des efforts similaires déployés par l’armée ukrainienne à son arrivée, les habitants ont déclaré qu’il y avait davantage de victimes. Un habitant a expliqué que le 12 septembre, un homme qui venait de le croiser dans la rue avait fait exploser une mine PFM et qu’il avait vu le pied de cet homme pendre de sa jambe. Une infirmière qui vivait à proximité a prodigué les premiers soins avant que l’homme ne soit emmené pour recevoir des soins supplémentaires, a-t-il déclaré.

La plupart des habitants ont indiqué que les forces ukrainiennes avaient été vues dans la zone le jour suivant l’utilisation des mines PFM, et l’un d’entre eux a déclaré que les forces ukrainiennes étaient arrivées dans la soirée suivant la dernière attaque du 10 septembre. Certains habitants ont déclaré que les soldats russes s’étaient retirés de certaines parties de la ville avant l’attaque et qu’ils ne les avaient pas vus dans leur secteur dans les jours précédant cette attaque, mais ils ont confirmé qu’il y avait plusieurs bases militaires russes, notamment un dépôt de munitions, à moins de 500 mètres de la zone de dispersion.

La dispersion des mines dans cette zone est cohérente avec les incidents antérieurs d’utilisation de mines tout au long de l’occupation militaire russe. Dans ce cas, les troupes russes étaient toujours dans les environs et les habitants ont vu des restes de cassettes de mines PFM larguées par des roquettes à deux endroits, faits qui ont été vérifiés par les chercheurs de Human Rights Watch.

Avertissements

Les habitants d’Izioum et des zones environnantes ont déclaré avoir été avertis de la présence et du danger des mines PFM par des tracts affichés par l’armée russe et les autorités d’occupation. Human Rights Watch a vu un tract affiché par les autorités d’occupation militaire sur le marché du centre d’Izioum. Deux personnes qui vivent près du marché ont déclaré que le tract était affiché depuis le mois de mai.

Sur le tract, on voit des images de mines PFM et une description de leur apparence. Le tract indique également l’emplacement et les coordonnées du bureau de l’administration militaire russe à Izioum, où les habitants peuvent se rendre pour demander un déminage.

La plupart des habitants d’Izioum interrogés ont déclaré avoir vu ces tracts à divers autres endroits, notamment dans des zones où les gens avaient l’habitude de se rassembler.

Une photo postée sur Instagram sur un compte privé (@Izyum_live) le 28 juillet montre le même message d’avertissement à l’entrée sud du pont piétonnier sur la rivière dans le centre d’Izioum. Plusieurs habitants ont dit avoir vu le tract à cet endroit.

D’autres habitants ont déclaré que les soldats russes les avaient mis en garde contre les mines lors de leur passage ou aux points de contrôle.

Efforts de déminage

Tous les habitants interrogés ont déclaré que les soldats russes recherchaient les mines PFM dans les zones ouvertes au public et les détruisaient ou répondaient aux demandes des habitants de les détruire, ainsi que d’autres munitions qui avaient atterri sur ou près de leur propriété. Selon les habitants, lorsque les forces ukrainiennes sont arrivées dans la ville le 11 septembre et après cette date, elles se sont également engagées de manière proactive dans le déminage et ont répondu aux demandes individuelles de retrait ou de destruction des mines PFM.

Human Rights Watch s’est entretenu à Izioum avec des démineurs ukrainiens du service d’urgence de l’État ukrainien, qui ont déclaré que les mines PFM étaient « partout » et qu’ils avaient cessé d’en faire le décompte après en avoir détruit environ 3 000. Un démineur a déclaré qu’il faudrait des décennies pour débarrasser la zone d’Izioum des munitions non explosées.

Utilisation de mines antipersonnel par l’armée russe

Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier les affirmations selon lesquelles les forces russes auraient utilisé des mines PFM à Izioum ou ailleurs. L’ancien procureur général ukrainien a déclaré que les forces russes avaient utilisé des mines PFM dans la région de Kharkiv dès le 26 février. Le rapport Landmine Monitor 2022 de la Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel, édité par Human Rights Watch, a également fait état d’allégations selon lesquelles les forces russes auraient utilisé des mines PFM dans la région de Soumy en mars 2022, et dans la région de Donetsk en avril.

Human Rights Watch a néanmoins documenté l’utilisation répétée par les forces russes d’au moins huit autres types de mines antipersonnel interdites depuis le mois de février, notamment les mines MOB, MON-50, MON-100, OZM-72, PMN-4, POM-2, POM-2R et POM-3.

En septembre, octobre et décembre, Human Rights Watch s’est entretenu avec des démineurs ukrainiens qui ont participé à des opérations de déminage dans la région de Kharkiv, notamment à Izioum, après le retrait des forces russes. Ils ont identifié de nombreux types de mines antipersonnel trouvées et désactivées dans des zones récemment reprises aux forces russes, dont on sait que toutes sont présentes dans les stocks russes, notamment des mines à fragmentation de type OZM-72 et des mines à effet de souffle de type PMN (PMN-2 et PMN-4). Ils ont également déclaré que de nombreux pièges explosifs qui se déclenchent au contact des victimes avaient été retirés des zones auparavant sous contrôle russe. Ces pièges ont été construits avec différents types de grenades à main équipées de fils-piège à trébuchement, notamment des grenades de type F-1, RGD-5 et RGN.

Actuellement, il n’existe pas de compte-rendu systématique sur le nombre d’incidents liés aux mines antipersonnel et sur les victimes, et aucune information globale sur les victimes n’est accessible au public.

Assistance aux victimes

Human Rights Watch a interrogé quatre personnes qui se sont retrouvées handicapées par l’explosion de mines PFM dans leur quartier. Deux d’entre elles avaient été emmenées en Russie pour un premier traitement, et l’une d’entre elles se trouve maintenant en Allemagne. Une autre personne, qui a reçu l’intégralité de son traitement en Ukraine, a exprimé des inquiétudes quant aux soins qu’elle serait en mesure de recevoir en Ukraine et à la possibilité de bénéficier d’un accompagnement financier, matériel et médical, notamment pour les prothèses. « Ce n’est pas un traumatisme ordinaire que je subis », a-t-il déclaré. « Ce n’est pas un traumatisme dû au fait d’avoir touché quelque chose ou fait quelque chose ; c’est dû à la guerre. »

Pour soutenir ces victimes, l’Ukraine devrait s’assurer qu’elle s’efforce d’identifier les victimes, de collecter des données complètes sur les victimes et leurs besoins, de les informer de leurs droits et des services disponibles, et de fournir une indemnisation, une assistance et un soutien appropriés et opportuns aux personnes blessées et aux familles des personnes tuées par ces mines, y compris en matière de soins médicaux, de soutien psychosocial, de prothèses le cas échéant et de besoins de rééducation à long terme, ainsi qu’aux autres victimes de mines antipersonnel en Ukraine. Les pays donateurs devraient soutenir les efforts du gouvernement ukrainien pour identifier les victimes, fournir de l’assistance médicale ou autre, détruire les stocks de mines et nettoyer les zones contaminées par les mines.

Réponse du gouvernement ukrainien

Le 3 novembre 2022, Human Rights Watch a écrit aux ministères ukrainiens de la Défense et des Affaires étrangères ainsi qu’au bureau du Président (en anglaisen ukrainien), pour présenter aux autorités un résumé de ses conclusions et poser des questions sur l’utilisation des mines antipersonnel autour d’Izioum. Human Rights Watch a également contacté plusieurs interlocuteurs au sein du gouvernement, et a rencontré la délégation ukrainienne lors d’une réunion de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel aux Nations Unies à Genève le 22 novembre.

Le 24 novembre, le vice-ministre de la Défense Oleksandr Polishchuk a envoyé une réponse, accusant réception de la lettre de Human Rights Watch.

Le vice-ministre n’a pas fourni de réponses directes aux questions concernant l’utilisation par les forces ukrainiennes de mines PFM pendant le conflit armé en général, ou dans et autour d’Izioum pendant l’occupation russe de la zone. Sa lettre indiquait :

L'Ukraine est un membre responsable de la communauté internationale, et elle s’engage pleinement à respecter toutes ses obligations internationales dans le domaine de l’utilisation des mines. Cela inclut la non-utilisation de mines antipersonnel pendant la guerre.

Le vice-ministre a ajouté :

[Au cours de] la guerre, les forces armées ukrainiennes ont strictement respecté les normes du DIH [droit international humanitaire] et les dispositions des conventions internationales auxquelles l’Ukraine est partie. Il s’agit notamment de la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production... (ci-après dénommée Convention d’Ottawa), ainsi que de la Convention sur certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination.

Le vice-ministre Polishchuk a par ailleurs écrit que les autorités ukrainiennes ne pouvaient pas faire de commentaires sur les types d’armes utilisées pendant le conflit armé « avant la fin de la guerre et le rétablissement de notre souveraineté et de notre intégrité territoriale ».

Il a accusé les forces russes d’« utilisation massive de mines antipersonnel par ses unités armées contre les civils ukrainiens ».

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