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Ukraine

Événements de 2022

Une famille marche au milieu de véhicules militaires détruits à Boucha, près de Kiev, en Ukraine, le 6 avril 2022.

© 2022 AP Photo/Phelipe Dana.

L'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie le 24 février et la guerre qui a suivi ont eu un impact désastreux sur les civils, les biens civils ainsi que les infrastructures énergétiques, et ont éclipsé toutes les autres préoccupations en matière de droits humains dans le pays. Les forces russes ont commis une longue liste de violations du droit international humanitaire, notamment des bombardements et des pilonnages d’artillerie indiscriminés et disproportionnés de zones civiles qui ont touché des maisons et des établissements de santé et d'enseignement. Dans les zones qu'elles ont occupé, les forces russes ou affiliées à la Russie ont commis des crimes de guerre apparents, notamment des actes de torture, des exécutions sommaires, des violences sexuelles et des disparitions forcées. Les personnes qui ont tenté de fuir les zones de combat ont été confrontées à des épreuves terrifiantes et à de nombreux obstacles ; dans certains cas, les forces russes ont transféré de force un nombre important d'Ukrainiens vers la Russie ou les zones d'Ukraine occupées par la Russie, et ont soumis bon nombre d'entre eux à des contrôles de sécurité abusifs.

Début janvier 2023, la Mission de surveillance des droits de l'homme des Nations Unies en Ukraine (HRMMU) avait confirmé au moins 6 919 morts civils et plus de 11 000 blessés depuis le début du conflit et estimait que les chiffres réels étaient plus élevés. Au moment de la rédaction du présent rapport, plus de 14 millions de civils avaient été déplacés par la guerre : selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), il y avait 6,5 millions de déplacés internes en Ukraine, 5 millions avaient fui vers les pays européens, et 2,8 millions supplémentaires étaient allés en Russie et en Biélorussie.

En septembre, le président russe Vladimir Poutine a revendiqué les régions de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijia, partiellement occupées par les forces russes, comme faisant partie de la Russie. Cette revendication n'avait aucune valeur juridique. Les forces russes, dans les zones de ces régions sous leur contrôle, ont organisé des référendums sur l'adhésion à la Russie et, dans certains cas, ont forcé les habitants à voter sous la menace d'une arme.

Des informations ont également fait état de violations des lois de la guerre par des forces ukrainiennes, notamment des mauvais traitements et des exécutions sommaires apparentes de prisonniers de guerre, ce qui constituerait un crime de guerre.

Attaques russes indiscriminées et disproportionnées

Les forces russes ont mené de nombreuses attaques qui ont tué et blessé des milliers de civils. Certaines de ces attaques étaient illégales au regard du droit international humanitaire, notamment parce qu'elles étaient indiscriminées ou disproportionnées dans leur impact sur les civils.

Début mars, après avoir effectivement encerclé la ville de Tchernihiv, dans le nord-est du pays, les forces russes ont tué au moins 98 civils et en ont blessé au moins 123 lors de huit attaques contre la ville. Lors de l'une des plus meurtrières, le 3 mars, les forces russes ont largué plusieurs bombes aériennes non guidées sur des immeubles résidentiels, tuant au moins 47 civils. Le 16 mars, les forces russes ont attaqué des personnes qui faisaient la queue pour acheter du pain devant un supermarché, faisant au moins 17 morts, et elles ont mené deux autres attaques qui ont endommagé deux hôpitaux. Il y avait des cibles militaires ukrainiennes à proximité de certaines de ces attaques, mais Human Rights Watch a conclu qu'au moins quatre des huit attaques étaient illégales. Les attaques dans la région ont diminué une fois que les forces ukrainiennes ont repris la région fin mars.

Au cours de leur siège de trois mois à Marioupol, les forces russes ont utilisé des armes explosives à large rayon d'impact, rasé le paysage urbain, et tué et blessé un nombre incalculable de civils. Lors d'une attaque, le 16 mars, des avions russes ont largué des bombes sur le théâtre régional de Donetsk à Marioupol, provoquant l'effondrement du toit et des deux murs principaux. Au moment de l'attaque, des centaines de civils s'abritaient dans le théâtre, qui était également un centre de distribution de médicaments, de nourriture et d'eau aux civils. Une enquête d'Amnesty International a conclu que la frappe avait tué au moins une dizaine de personnes et probablement beaucoup plus, et en avait gravement blessé de nombreuses autres. Les forces russes ont pris le contrôle total de la ville le 20 mai.

Le 27 juin, les forces russes ont tiré un missile qui a frappé un centre commercial très fréquenté à Krementchouk, dans le centre de l'Ukraine. L'attaque a fait au moins 18 morts parmi les civils et des dizaines de blessés. Le cratère d'impact d'une frappe de missile russe quelques minutes plus tard et les dommages causés par le souffle de l'explosion au centre commercial adjacent, tels qu'examinés par Human Rights Watch, étaient compatibles avec la détonation d'ogives de près d’une tonne équipées de grosses charges utiles hautement explosives.

Un responsable régional de Kharkiv a déclaré que plus d'un millier de civils avaient été tués lors de frappes dans la région de Kharkiv en août. Human Rights Watch a documenté de nombreuses attaques illégales par les forces russes à Kharkiv, notamment l'utilisation d'armes explosives à large rayon d’impact sur des quartiers résidentiels densément peuplés. Le 9 mars, les forces russes ont largué par avion une munition de grande puissance sur un immeuble d'habitations dans la ville d'Izioum, tuant 51 civils, dont la plupart s'étaient réfugiés au sous-sol. Au moment de l'attaque, les combats se poursuivaient pour le contrôle du centre-ville d'Izioum, mais de nombreux témoins ont déclaré à Human Rights Watch qu'il n'y avait pas de forces ukrainiennes dans le bâtiment au moment de l'attaque. Human Rights Watch a documenté huit attaques illégales qui ont eu lieu à Kharkiv en mai et juin, soit une fraction seulement de toutes les attaques signalées dans la région au cours de cette période. Les huit attaques ont fait 12 morts parmi les civils et 26 blessés, et ont endommagé cinq bâtiments hospitaliers.

Attaques endommageant des hôpitaux

Les forces russes ont mené de multiples attaques, notamment avec des armes à sous-munitions, qui ont endommagé des établissements de santé dans plusieurs régions, sans tenir compte de la protection spéciale accordée à ces établissements en vertu des lois de la guerre. Depuis le 24 février 2022, l'Organisation mondiale de la santé a signalé plus de 600 attaques contre du personnel et des établissements de santé ainsi que des véhicules de transport, tuant et blessant plus de 200 personnes. Au 29 novembre, le ministère de la Santé a signalé que « 144 installations d'infrastructures médicales » avaient été détruites et 1013 autres endommagées.

Le 17 mars, alors que la ville de Tchernihiv était encerclée par les forces russes, Human Rights Watch a documenté comment au moins une roquette Ouragan a dispersé des sous-munitions sur un complexe médical contenant l'hôpital régional pour enfants de Tchernihiv. Selon des responsables locaux, les sous-munitions ont tué 14 civils et en ont blessé 24.

À Derhatchi, une localité proche de la ville de Kharkiv, les forces russes ont lancé au moins trois attaques frappant différents bâtiments de l'hôpital principal entre mars et mai.

Le 26 juin, un moteur-fusée et une partie arrière d'une roquette à sous-munitions Ouragan ont frappé l'hôpital de traumatologie clinique de la région de Kharkiv, perçant le toit et endommageant les sixième et septième étages. Des responsables de l'hôpital ont signalé que le complexe médical avait déjà été touché par des attaques à au moins quatre reprises.

Attaques et utilisation militaire des écoles

De nombreuses écoles ont été endommagées ou détruites par les attaques russes. Selon un rapport de situation du 21 septembre du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU, le ministère ukrainien de l'Éducation et des sciences a signalé que plus de 300 établissements scolaires avaient été détruits depuis le début de la guerre. Les forces russes ainsi que les forces ukrainiennes ont parfois utilisé des écoles à des fins militaires, ce qui les a amenées à être attaquées par la force adverse.

Meurtres de civils en fuite et attaque contre un convoi humanitaire par les forces russes

Les forces russes ont tiré sur des véhicules civils lors de multiples incidents, notamment dans des attaques ciblées contre des civils tentant de fuir les hostilités, sans aucun effort apparent pour vérifier si les occupants de ces véhicules étaient des civils. Dans les régions de Kiev et de Tchernihiv, Human Rights Watch a documenté trois incidents distincts au cours desquels les forces russes ont tiré sur des véhicules civils entre fin février et début mars, tuant six civils et en blessant trois. Dans l'un de ces cas, des soldats russes ont tiré un homme hors d'une camionnette et l'ont exécuté sommairement.

Le 6 mars, les forces russes ont bombardé à plusieurs reprises une intersection juste à l'extérieur d'Irpin, à six kilomètres de Kiev, où des centaines de civils tentaient de fuir l'avancée de l'armée russe. Au moins huit civils, dont deux enfants, auraient été tués dans le bombardement.

Le 30 septembre, une frappe de missiles des forces russes a touché un convoi à Zaporijjia alors qu'il se déplaçait depuis le territoire contrôlé par l'Ukraine vers le territoire occupé par la Russie pour acheminer de l'aide humanitaire. L'attaque a fait au moins 26 morts et plus de 50 blessés parmi les civils.

Bombes à sous-munitions

Des centaines d'attaques russes aux bombes à sous-munitions ont été documentées, signalées ou alléguées dans au moins 10 des 24 régions de l'Ukraine, tuant environ 689 civils entre février et juillet 2022. Human Rights Watch a documenté l'utilisation de bombes à sous-munitions par les forces russes dans les régions de Tchernihiv, Kharkiv, Mykolaïv et Donetsk.

Human Rights Watch a documenté l'utilisation par les forces russes de bombes à sous-munitions lors d'attaques contre des zones peuplées de Mykolaïv les 7, 11 et 13 mars, qui ont tué des civils et endommagé des maisons, des commerces et des véhicules civils. L'attaque du 13 mars a tué neuf personnes qui faisaient apparemment la queue à un distributeur automatique de billets.

Le 8 avril, un missile balistique à courte portée Tochka-U équipé d'une ogive à sous-munitions a frappé la gare de Kramatorsk et dispersé 50 sous-munitions 9N24 sur les voies, la gare et le parking. Les preuves indiquent que la Russie est responsable de l'attaque, qui a fait 61 morts et plus de 100 blessés parmi les civils, alors qu'ils attendaient des trains d'évacuation ou aidaient à l'évacuation elle-même, ce qui en fait l'un des incidents les plus meurtriers pour les civils depuis le début de l'invasion à grande échelle de la Russie.

Les forces ukrainiennes ont également utilisé des bombes à sous-munitions à plusieurs reprises. Le New York Times a rapporté que les forces ukrainiennes ont utilisé des roquettes à sous-munitions Ouragan lors d'une attaque contre Husarivka dans la région de Kharkiv le 6 ou 7 mars, alors que le village était sous contrôle russe. De mai à début septembre, les forces ukrainiennes ont attaqué à plusieurs reprises la ville d'Izioum et ses environs, qui étaient alors sous contrôle russe, avec des bombes à sous-munitions. Le 9 mai, deux civils ont été tués et quatre autres blessés lorsque plusieurs sous-munitions ont explosé autour de leur immeuble, qui se trouvait dans un quartier résidentiel au sud d'Izioum. Les forces russes étaient situées à moins de 150 mètres.

Les bombes à sous-munitions sont interdites par la Convention de 2008 sur les armes à sous-munitions, qui a été ratifiée par 110 États. Ni la Russie ni l'Ukraine ne sont des États parties à cette convention.

Mines antipersonnel

L'utilisation de mines antipersonnel en Ukraine s'est généralisée depuis le 24 février. Human Rights Watch a documenté l'utilisation de huit types de ces engins.

Dans la ville de Boutcha, à 30 kilomètres au nord de Kiev, après un mois d'occupation par les forces russes, l'unité de déminage du gouvernement ukrainien a trouvé un total de 20 pièges et mines antipersonnel activés par les victimes, dont deux corps avec des engins placés dessus.

Les démineurs ukrainiens ont également localisé et éliminé de nombreuses mines antipersonnel, notamment des grenades à main avec des fils-pièges, dans la région de Kharkiv, après le retrait des forces russes début septembre.

Human Rights Watch s'est entretenu avec plus de 100 témoins de la présence de mines antipersonnel et en a observé des restes dans de nombreux quartiers d'Izioum et à la périphérie de la ville, après le retrait des forces russes début septembre. Des professionnels de santé présents à Izioum pendant cette période ont déclaré avoir soigné des dizaines de victimes civiles. L'un d'eux a indiqué que le nombre total de victimes civiles était de près de 50, dont au moins cinq enfants. Ils ont expliqué que la plupart des amputations traumatiques des membres inférieurs qu'ils ont pratiquées au cours de cette période étaient dues à des blessures correspondant à des explosions de mines antipersonnel. Le chef de l'opération ukrainienne de déminage à Izioum a déclaré à Human Rights Watch que, du 15 au 30 septembre, ils avaient désactivé ou détruit des milliers de variantes de mines PFM-1 et qu'il y en avait tellement qu'ils avaient cessé de les compter.

L'Ukraine a signé  en 1999 le Traité d'interdiction des mines de 1997, et elle est devenue un État partie en 2006. La Russie n'y a pas adhéré.

Attaques contre les infrastructures énergétiques

À partir d'octobre, les forces russes ont lancé à plusieurs reprises des frappes de missiles et de drones sur des infrastructures énergétiques et d'autres infrastructures dans toute l'Ukraine, entraînant des coupures de courant et laissant périodiquement des millions de personnes sans chauffage, ni électricité, ni capacité de production d'eau et autres services vitaux avant les froids mois d'hiver. Les attaques ont fait au moins 77 morts et près de 300 blessés parmi les civils. Ces attaques semblaient conçues principalement pour semer la terreur parmi la population et leur rendre la vie intenable.

Impacts sur les personnes handicapées

Des organes de l'ONU ont exprimé leur inquiétude quant à la situation des personnes handicapées prises dans le conflit, notamment les enfants et les adultes handicapés vivant dans des institutions résidentielles. Le Comité des droits des personnes handicapées a pris note d’informations faisant état de personnes handicapées abandonnées ou piégées dans leurs maisons ou institutions, sans accès aux services de soutien. Les experts en droits humains de l’ONU ont également noté l'impact disproportionné du conflit sur les enfants handicapés, notamment ceux évacués des institutions des zones de conflit vers d'autres régions d'Ukraine ou à l'étranger.

Migrants

Au cours des premiers mois de l'invasion, l'Ukraine a continué à détenir arbitrairement des migrants et des demandeurs d'asile dans plusieurs sites à travers le pays, notamment près des lignes de front à Mykolaïv. Les autorités ukrainiennes ont finalement libéré ou déplacé la plupart des migrants vers des zones plus sûres.

Exactions des forces russes pendant l'occupation

Les forces russes ont commis des crimes de guerre apparents et de potentiels crimes contre l'humanité dans les zones occupées de l'Ukraine, notamment des mauvais traitements, des actes de torture, des détentions arbitraires, ainsi que la disparition forcée de civils et de membres des forces armées ukrainiennes. Certaines personnes détenues ont été sommairement exécutées, leurs corps portant des traces de torture.

Les forces russes ont torturé et détenu illégalement un grand nombre de civils, et les ont détenus pendant des jours et des semaines dans des conditions inhumaines et dégradantes dans des installations de fortune, telles que des fosses, des sous-sols, des chaufferies et des usines. En mars, dans le village de Yahidne, dans le nord-est du pays, les forces russes ont détenu pendant 28 jours plus de 350 villageois, dont au moins 70 enfants, dans un sous-sol d'école humide, froid et sale. Dix personnes âgées sont mortes pendant cette période.

Lorsque les forces russes ont détenu des civils, elles ont refusé systématiquement de reconnaître les détentions ou de fournir des informations sur le lieu où se trouvaient les détenus, ce qui constitue des disparitions forcées en violation du droit international. La HRMMU a documenté 457 cas de disparitions forcées entre fin février et juillet dans des zones contrôlées par des forces russes ou affiliées à la Russie.

Human Rights Watch a documenté sept cas dans les régions de Kiev et de Tchernihiv dans lesquels des militaires russes ont battu des détenus, utilisé des décharges électriques ou procédé à des simulacres d'exécution pour les contraindre à fournir des informations. Dans la région de Kharkiv, Human Rights Watch a documenté les cas de 14 hommes et une femme à Izioum qui ont été arbitrairement détenus et torturés pendant la période de 6 mois où les forces russes ont occupé la région. Les survivants ont décrit avoir été soumis à des décharges électriques, au simulacre de noyade, à des passages à tabac sévères, à des menaces d'une arme à feu, et avoir été forcés de rester dans des positions douloureuses pendant de longues périodes.

Human Rights Watch a documenté 42 cas survenus entre mars et juillet dans lesquels les forces russes ont fait disparaître de force des civils ou les ont détenus arbitrairement, dans certains cas au secret, dans les zones occupées des régions de Khersonska et de Zaporijjia. Bon nombre de ces personnes ont été torturées, notamment par des passages à tabac prolongés et, dans certains cas, des décharges électriques ; certaines ont eu les yeux bandés et ont été menottées pendant toute la durée de leur détention. À l'exception d'un cas, les forces russes n'ont pas indiqué aux familles où étaient détenus leurs proches, ni fourni d'autres informations sur leur sort.

En juin, la HRMMU a signalé que les forces russes avaient transféré « un nombre inconnu » de civils qu'elles avaient détenus en Ukraine vers la Fédération de Russie et d'autres endroits sous leur contrôle, où ils étaient « détenus dans des établissements pénitentiaires, souvent avec des prisonniers de guerre. »

Human Rights Watch a documenté la détention de dix civils, dont une femme, par les forces russes dans la région de Kiev, entre le 26 février et fin mars, qui les ont apparemment transférés de force dans des centres de détention dans les régions russes de Koursk et de Briansk. Cela constitue un crime de guerre. Des familles ont déclaré à Human Rights Watch qu'elles n'avaient appris où se trouvaient les détenus que par d'anciens prisonniers, et qu'elles n'avaient toujours pas reçu de confirmation de la part des autorités russes quant à leur détention.

Les forces russes ont exécuté sommairement des civils et d'autres personnes qui avaient été vues pour la dernière fois sous la garde des forces russes ; leurs corps montraient souvent des signes d'abus. La HRMMU a recensé 441 assassinats ciblés de civils, « par le biais d'exécutions sommaires et d'attaques contre des civils individuels » dans les régions de Kiev, Tchernihiv et Soumy entre le 24 février et le 6 avril 2022.

Le 27 février, dans le village de Staryi Bykiv dans la région Tchernihiv, les forces russes ont rassemblé six hommes de trois familles différentes, les ont emmenés à l'extrémité du village et les ont sommairement exécutés.

Pendant l'occupation russe de Boutcha du 4 au 31 mars, les forces russes semblent avoir commis de nombreuses exécutions sommaires, entre autres exactions. Après le retrait des forces russes, des responsables locaux ont rapporté avoir trouvé 458 corps éparpillés dans toute la ville, des civils en grande majorité. Une cinquantaine des corps avaient les mains liées et présentaient des signes de torture, suggérant fortement qu'ils avaient été détenus puis sommairement exécutés.

À Izioum, dans la région de Kharkivska, les forces russes et d'autres opérant sous leur commandement ont exécuté au moins trois hommes qu'elles détenaient, jetant leurs corps dans la forêt, retrouvés seulement quatre mois plus tard.

Violence sexuelle liée aux conflits

La Commission d'enquête de l’ONU, créée en mars par le Conseil des droits de l'homme de l’ONU, et la HRMMU ont signalé des cas de violence sexuelle et sexiste liés au conflit. En décembre, la HRMMU a indiqué qu'entre le 24 février et le 21 octobre 2022, elle avait recensé 86 cas de violence sexuelle, la plupart commis par les forces russes, dont des viols, des viols collectifs, des cas de nudité forcée et de déshabillage public forcé , dans plusieurs régions d'Ukraine et dans un établissement pénitentiaire en Russie. 

Les femmes, y compris des femmes âgées, et les filles constituaient la majorité des victimes signalées.

Human Rights Watch a documenté deux cas dans lesquels les forces russes ont violé des femmes ukrainiennes, un cas dans lequel elles ont violé une fille et un quatrième cas dans lequel un médecin qui avait soigné la survivante a fourni des informations sur l'agression. Dans l'un de ces cas, survenu le 13 mars, un soldat russe a violé à plusieurs reprises une femme réfugiée avec sa famille dans une école de la région de Kharkiv. La femme a déclaré à Human Rights Watch qu'il l'avait également battue et lui avait tailladé le visage, le cou et les cheveux.

Les survivantes de violences sexuelles sont confrontées à des difficultés importantes pour accéder à des services essentiels, notamment des soins médicaux urgents. Les hostilités actives, l'occupation, le déplacement et la destruction ou l'indisponibilité des services et du matériel médicaux ont entravé l'accès des survivantes aux services essentiels de soutien médical, psychosocial, juridique et socio-économique. La stigmatisation, la honte et la peur des représailles ont également dissuadé les survivantes de signaler les violences sexuelles ou de demander de l'aide.

Transferts forcés et processus de filtration

Des responsables russes ont déclaré aux civils ukrainiens fuyant les hostilités dans la région de Marioupol qu'ils ne pouvaient pas se rendre dans les zones contrôlées par l'Ukraine, mais qu'ils devaient se rendre en Russie ou dans d'autres régions de l'Ukraine occupées par la Russie. Les civils qui avaient leur propre voiture ou les moyens d'en louer une pouvaient y échapper. Cependant, pour les autres qui tentaient de fuir mais ne disposaient pas de tels moyens, des responsables russes et affiliés à la Russie les ont transportés en Russie ou dans des zones occupées par la Russie, dans le cadre de transferts massifs organisés, souvent contre leur gré ou dans un contexte où ils n'avaient pas vraiment le choix, ce qui constitue un crime de guerre.

Les autorités russes et affiliées à la Russie ont également soumis des milliers de citoyens ukrainiens tentant de fuir les hostilités à un contrôle de sécurité obligatoire, punitif et abusif connu sous le nom de « filtration ». Dans le cadre du processus de filtration, les autorités russes ont collecté de grandes quantités d'informations, notamment les données biométriques des civils. Ceux qui ont « échoué » au processus de filtration, apparemment en raison de leurs liens présumés avec l'armée ukrainienne ou des groupes nationalistes, ont vraisemblablement été détenus dans des régions sous contrôle russe.

Abus contre les prisonniers de guerre

Des prisonniers de guerre (prisoners of war, POW) [DS1] des deux camps ont été maltraités, torturés et, dans certains cas, apparemment exécutés sommairement. En novembre 2022, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a déclaré avoir identifié « des schémas de torture et de mauvais traitements de prisonniers de guerre [ukrainiens] détenus par la Fédération de Russie (et par des groupes armés affiliés) », notamment au moyen de passages à tabac, de décharges électriques, de simulacres d'exécution et de « maintien dans un lieu surchauffé ou une position éprouvante ».

Selon le HCDH, rien n'indique que les autorités russes aient mené des enquêtes sur ces abus qui aient abouti à des poursuites.

Le HCDH a documenté des épisodes de torture et de mauvais traitements de prisonniers de guerre russes détenus par les forces ukrainiennes, lors de leur capture et pendant leur internement, notamment des passages à tabac à l'entrée dans les lieux d'internement et l'agenouillement forcé pendant de longues périodes. Le HCDH a noté que des enquêtes avaient été menées par les autorités ukrainiennes sur deux exécutions extrajudiciaires de prisonniers de guerre, mais qu'il n'avait « constaté aucun progrès dans ces procédures. »

Le 29 juillet, selon la HRMMU, plusieurs dizaines de prisonniers de guerre ukrainiens ont été tués et plus de 100 blessés dans le centre de détention d'Olenivka, dans la région sous contrôle russe de Donetsk. Un grand nombre de prisonniers s'étaient rendus aux forces russes après la chute de Marioupol à la mi-mai. Le Secrétaire général des Nations Unies a mis en place une mission pour établir les faits, mais à ce jour, aucun enquêteur indépendant n'a été autorisé à accéder à la prison. Selon les médias, les passages à tabac et la torture des prisonniers dans l'établissement étaient monnaie courante.

Le 27 mars, les forces russes ont capturé trois membres des Forces de défense territoriales de Kherson et les ont torturés à plusieurs reprises. Le corps de l'un d’eux a été retrouvé, tandis qu'un second est décédé deux mois après sa capture, des suites de blessures infligées en détention. Le troisième homme souffrait encore de blessures causées par la torture lorsqu'il a été interrogé par Human Rights Watch en juillet.

Les autorités russes et ukrainiennes ont également diffusé des images et des détails sur les prisonniers de guerre capturés, les exposant ainsi à la curiosité du public en violation des Conventions de Genève.

Les 2 et 4 avril, la Russie a diffusé à la télévision d'État des programmes montrant des prisonniers de guerre ukrainiens détenus par la Russie à Sébastopol. Un rapport du 26 mars de la HRMMU a noté l'existence d'« un grand nombre de vidéos » montrant des prisonniers de guerre ukrainiens insultés, intimidés et interrogés immédiatement après leur capture.

Le Service de sécurité de l'État ukrainien (SBU) et le ministère de l'Intérieur ont également publié des centaines de photos et de vidéos sur leurs comptes de réseaux sociaux et sur un site Web apparemment géré par le ministère de l'Intérieur montrant des soldats russes capturés, souvent avec leurs passeports et documents d'identité. Un grand nombre de prisonniers de guerre russes semblaient être sous la contrainte ; certains des soldats avaient les yeux bandés, étaient bâillonnés ou masqués. Le 27 mars, des vidéos publiées en ligne ont montré des forces ukrainiennes abusant de combattants russes capturés, notamment tirant dans la jambe de trois d’entre eux. L'incident s'est apparemment produit dans un village près de Kharkiv. Une vidéo publiée le 28 mars par un journaliste ukrainien montre trois corps calcinés au même endroit, mais l'identité des corps et les circonstances entourant les décès restaient floues au moment de la rédaction du présent rapport.

Évolutions législatives

L'Ukraine n'a pas encore ratifié le traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI), mais a accepté la compétence de la Cour sur les crimes présumés commis sur son territoire depuis novembre 2013.

Le 20 juin, le parlement ukrainien a approuvé la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, connue sous le nom de Convention d'Istanbul. Pendant plus d'une décennie, les organisations de défense des droits des femmes ont plaidé en faveur de cette démarche pour lutter contre la violence à l'égard des femmes et des filles.

Le 30 août, le parlement ukrainien a adopté en première lecture un projet de loi sur les médias qui menace la liberté de la presse. Il étendrait les pouvoirs du Conseil national de la télévision et de la radio, l'organisme public de réglementation de la radiodiffusion, lui permettant, entre autres, de bloquer les médias en ligne sans ordonnance d’un tribunal.

Principaux acteurs internationaux

Dans le cadre d'une réponse sans précédent à l'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie, les organisations multilatérales et les gouvernements étrangers ont rapidement engagé une série de mécanismes et d'outils pour que les auteurs d’exactions rendent des comptes, soulignant l'importance de la justice pour les crimes graves.

Le 2 mars, le procureur de la CPI a ouvert une enquête sur des crimes graves présumés en Ukraine à la demande d'un groupe de pays membres de la CPI. Les autorités judiciaires de plusieurs pays d'Europe ont également ouvert des enquêtes pénales en utilisant leurs lois nationales pour examiner les crimes graves commis en Ukraine.

Le 4 mars, le Conseil des droits de l'homme de l’ONU a créé une commission d'enquête internationale indépendante pour enquêter sur les violations des droits humains et du droit humanitaire associées à la guerre ; la commission a été chargée de collecter, d'analyser et de consolider les preuves de violations, notamment d'identifier les responsables dans la mesure du possible afin qu’ils rendent des comptes.

Le 18 octobre, la commission a publié son premier rapport, basé sur des enquêtes menées dans quatre régions, concluant qu'« une série de crimes de guerre, de violations des droits humains et du droit international humanitaire ont été commis en Ukraine. » La commission a conclu que les forces russes étaient responsables de « la grande majorité des violations identifiées » et que les forces ukrainiennes… « ont commis des violations du droit international humanitaire dans certains cas, dont deux incidents équivalant à des crimes de guerre. »

Le 25 mars, l'Agence européenne de coopération en matière de justice pénale a soutenu la création d'une « équipe conjointe d'investigation » (ECI) pour faciliter la coopération entre les enquêtes pénales sur l'Ukraine d'un certain nombre de pays ainsi que de la CPI. Les pays participant à l'ECI sont la Lituanie, la Pologne, l'Ukraine, l'Estonie, la Lettonie, la Slovaquie et la Roumanie.

Pour soutenir les enquêtes criminelles des autorités ukrainiennes, de nombreux gouvernements, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et ceux de l'Union européenne, ont offert à l'Ukraine une assistance technique, opérationnelle et en matière de preuves, pour renforcer sa capacité judiciaire. Pendant ce temps, des organisations nationales et internationales de la société civile ont travaillé vigoureusement pour documenter les violations au fur et à mesure qu'elles se produisent.

Au moment de la rédaction du présent rapport, la manière dont ces mécanismes de responsabilisation seraient coordonnés n'était pas claire, même si de multiples efforts étaient en cours pour assurer des synergies entre les diverses initiatives.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu des débats publics sur les violations en Ukraine, notamment les préoccupations environnementales et humanitaires liées à l'occupation par la Russie de la centrale nucléaire de Zaporijjia. Le 27 avril, le Conseil de sécurité a tenu une réunion informelle et, le 22 septembre, a convoqué une réunion au niveau ministériel, toutes deux axées sur la responsabilité pour les crimes graves en Ukraine.

Le Conseil de sécurité n'a cependant pris aucune mesure de fond en raison du droit de veto de la Russie. Le lendemain de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le Conseil de sécurité a examiné une résolution ordonnant à la Russie d'arrêter l'invasion et de retirer ses troupes d'Ukraine. Selon la Charte des Nations Unies, en tant que partie au conflit, la Russie aurait dû s'abstenir lors du vote. Cependant, la Russie a opposé son veto, tuant la résolution. Aucune des quatre autres puissances ayant un droit de veto n'a critiqué la Russie pour cette violation apparente de la Charte. Peu de temps après, les membres du Conseil de sécurité ont renvoyé la situation en Ukraine à l'Assemblée générale, bien que le Conseil de sécurité continue de discuter périodiquement du conflit.

L'Assemblée générale, en revanche, a adopté quatre résolutions condamnant l'invasion de l'Ukraine par la Russie et les violations russes, dont une qui a suspendu l'adhésion de la Russie au Conseil des droits de l'homme. En réponse à sa suspension, la Russie a annoncé son retrait du Conseil des droits de l'homme. Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, s'est prononcé à plusieurs reprises sur les violations russes et, lors d'une visite en Russie et en Ukraine en avril, a exhorté Moscou à coopérer avec la CPI.

Quarante-cinq États membres de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont invoqué le mécanisme de Moscou à deux reprises (13 mars et 2 juin), permettant à l'organisation de déployer une mission d'experts en Ukraine. Dans son rapport du 14 juillet, la mission a constaté « une tendance claire de violations graves du [droit international humanitaire] imputables principalement aux forces armées russes », et a signalé des attaques indiscriminées contre des civils, ainsi que des signes de torture et de mauvais traitements des civils tués, comme preuve que la Russie avait violé le droit international.