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CPI : Le travail d’enquête sur l’Afghanistan peut reprendre

La Cour pénale internationale devrait se pencher sur les crimes graves commis par toutes les parties au conflit dans ce pays

Le siège de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas, photographié en novembre 2019. © 2019 AP Photo/Peter Dejong, File

(La Haye) – La Cour pénale internationale (CPI) devrait examiner les crimes internationaux les plus graves commis par toutes les parties lorsqu’elle poursuivra son enquête sur la situation en Afghanistan, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 31 octobre 2022, les juges de la CPI ont annoncé que l’enquête du Bureau du Procureur sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre en Afghanistan pouvait reprendre. 

En mars 2020, après une enquête préliminaire qui a duré plusieurs années, les juges de la CPI ont autorisé le Bureau du Procureur à ouvrir une enquête. Mais l’enquête a été interrompue un mois plus tard quand l’ancien gouvernement afghan a demandé à la Cour de privilégier ses propres enquêtes. Invoquant la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, le procureur de la CPI, Karim Khan, a demandé en septembre 2021 que les juges de la cour l’autorisent à relancer une enquête.

« La CPI offre une occasion rare de faire progresser la justice dans un pays où l’obligation de rendre des comptes est totalement absente », a déclaré Patricia Gossman, Directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Cette enquête devrait porter sur les crimes graves commis par toutes les parties au conflit, y compris les forces américaines, afin de rendre justice même lorsque les nations les plus puissantes sont en cause. »

La CPI étant un tribunal de dernier recours, le Procureur de la CPI ne peut passer outre une demande de report comme celle de l’ancien gouvernement afghan que si les juges conviennent que le gouvernement n’est en fait pas disposé ou en capacité d’enquêter sur les mêmes crimes. Les juges de la CPI ont pris leur décision plus d’un an après la demande initiale du Procureur, et ont inclus un processus limité visant à prendre en compte le point de vue des victimes. Les juges ont estimé qu’il était essentiel de déterminer qui représentait l’Afghanistan sous le gouvernement taliban et de prendre des mesures pour donner à ces autorités la possibilité d’être entendues. En autorisant le Procureur à reprendre ses enquêtes, les juges ont considéré qu’actuellement, l’Afghanistan ne mène pas de véritables enquêtes qui justifieraient un nouveau report et que les autorités actuelles ne montrent pas d’intérêt non plus à poursuivre la demande de report que l’ancien gouvernement avait déposée en 2020.

L’enquête porte sur les crimes graves commis dans le pays depuis mai 2003, date à laquelle l’Afghanistan a rejoint la CPI pour la première fois. Les crimes relevant de la compétence de la Cour comprennent les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre présumés commis par les talibans et les forces qui leur sont affiliées, et par les forces de sécurité nationales afghanes. Le mandat inclut également les crimes présumés commis dans d’autres pays membres de la CPI depuis le 1er juillet 2002, qui ont un lien avec le conflit armé en cours et qui sont suffisamment liés à la situation en Afghanistan. Il inclurait donc également les crimes présumés commis par les forces armées américaines et l’agence du renseignement américain, la Central Intelligence Agency (CIA), tant en Afghanistan que dans les centres de détention clandestins de l’agence en Pologne, en Roumanie et en Lituanie, tous membres de la CPI.

En annonçant sa demande de reprise de l’enquête en septembre 2021, le Procureur de la CPI a indiqué que cette enquête se concentrerait sur les crimes présumés des talibans et de l’État islamique – Province de Khorassan (EIKP), un groupe affilié à l’État islamique, tout en retirant la priorité aux crimes présumés des forces de sécurité afghanes et du personnel américain. Plusieurs victimes d’abus, Human Rights Watch et d’autres organisations non gouvernementales ont critiqué cette décision, estimant qu’il y avait là un deux poids, deux mesures. Malgré cette déclaration publique du Procureur de la CPI, la Cour a autorisé la reprise de l’enquête « pour tous les crimes et acteurs présumés ».

Des recherches de Human Rights Watch ont révélé de nombreuses violations du droit humanitaire international par les forces gouvernementales afghanes, et ont documenté des cas de torture et de mauvais traitements de détenus par l’armée américaine et la CIA depuis l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis en 2001. Human Rights Watch a également constaté que des forces afghanes soutenues par la CIA ont procédé à des exécutions sommaires et à d’autres abus graves en toute impunité en Afghanistan avant la prise de pouvoir par les talibans. Le gouvernement américain, sous l’administration Trump, a menacé la Cour de mesures de rétorsion dans l’éventualité d’une enquête sur l’Afghanistan et a pris des sanctions contre Fatou Bensouda, alors Procureure de la CPI, et contre un autre haut responsable de la Cour, mesure que l’administration Biden a par la suite abrogée.

Compte tenu de l’absence quasi-totale d’obligation de rendre des comptes pour les crimes présumés commis par les forces américaines et afghanes, le Procureur de la CPI devrait reconsidérer sa décision de ne pas accorder la priorité à cette partie de l’enquête et confirmer le mandat qui est le sien, qui consiste à s’attaquer aux abus les plus graves commis par toutes les parties au conflit, a déclaré Human Rights Watch.

Human Rights Watch a également documenté de nombreux crimes graves commis par les talibans et par le groupe État islamique, qui devraient faire l’objet d’une enquête. Les forces talibanes ont procédé à des exécutions extrajudiciaires, à des disparitions forcées et à d’autres abus graves, visant principalement d’anciens membres des forces de sécurité et des responsables du gouvernement, mais aussi des journalistes, dont de nombreuses femmes. Les forces de sécurité talibanes ont aussi arbitrairement détenu et torturé des habitants du Panjshir et d’autres provinces, qu’elles ont accusés d’être associés à des groupes d’opposition, et leur ont infligé des châtiments collectifs.

Les forces de l’EIKP ont revendiqué de nombreuses attaques illégales, principalement contre les communautés hazara et chiite et contre d’autres minorités religieuses, qui ont tué au moins 1 500 civils et en ont blessé des milliers d’autres. Ces attaques ont été dévastatrices pour les communautés hazara et chiite, notamment en raison de l’impunité dont ont trop longtemps joui les précédents gouvernements afghan et taliban pour ces exactions.

La prise du pouvoir par les talibans a par ailleurs entraîné le retour de politiques draconiennes de violation des droits des femmes et des jeunes filles, avec notamment la fermeture de la quasi-totalité des écoles secondaires de filles dans le cadre d’une interdiction de fait de ces établissements, ainsi que d’autres restrictions en matière d’éducation, de liberté de mouvement et d’expression, et d’exclusion des femmes du marché du travail. Les talibans ont passé à tabac, détenu et torturé des femmes qui avaient pris part à des manifestations pour défendre leurs droits. Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont elles aussi victimes d’attaques. Le Statut de Rome de la CPI inclut dans les crimes contre l’humanité la persécution de tout groupe identifiable, notamment sur la base du sexe. Le Bureau du Procureur met actuellement en place une nouvelle initiative politique qui vise à faire progresser l’obligation de rendre des comptes en matière de persécution fondée sur le sexe.

L’enquête de la CPI va encore se heurter à de nombreuses difficultés, a déclaré Human Rights Watch. Un climat de sécurité tendu, marqué par les menaces et les intimidations fréquentes des talibans à l’encontre des personnes qui les critiquent, et un contexte politique difficile pour la justice en Afghanistan mettent en évidence à la fois la nécessité d’une enquête de la CPI et les problèmes que la Cour pourrait rencontrer pour recueillir des preuves. La CPI ne dispose pas d’une force de police, elle doit donc compter sur les États membres de la CPI, et notamment sur l’Afghanistan, pour coopérer avec la Cour dans le cadre de ses enquêtes, arrestations et poursuites.

La crise humanitaire et économique en Afghanistan, qui a poussé des milliers d’Afghans à fuir le pays, pourrait créer des occasions de s’entretenir avec certains témoins et victimes dans d’autres pays. La CPI devrait également coordonner son travail avec la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan et avec le Bureau du Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’Afghanistan, qui devraient tous deux soutenir les efforts de la CPI pour que les victimes de crimes et leurs familles aient accès à la justice.   

« Le travail de la CPI en Afghanistan reste essentiel pour rendre justice aux victimes de crimes terribles, notamment aux femmes et aux filles, aux minorités ethniques et aux personnes LGBT », a conclu Patricia Gossman. « L’impunité qui dure depuis des décennies des suites du conflit dans le pays ne fera que renforcer l’instabilité, la corruption, la discrimination et la reprise d’une violence que le peuple afghan subit depuis trop longtemps. » 

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