En 2023, des civils ont été pris pour cible, attaqués et tués à une échelle sans précédent dans l’histoire récente d’Israël et de la Palestine.
Le 7 octobre, des combattants menés par le Hamas en provenance de la bande de Gaza ont lancé une attaque dans le sud d’Israël, tuant délibérément des civils, tirant sur des foules, abattant des personnes dans leurs maisons et emmenant de force des otages à Gaza, dont des personnes âgées et des enfants ; ces actes constituent des crimes de guerre. Selon les autorités israéliennes, plus de 1 200 personnes, pour la plupart des civils, ont été tuées depuis le 7 octobre, et 133 personnes étaient toujours retenues en otages, à la date du 15 décembre.
Peu après, les autorités israéliennes ont coupé les services essentiels, dont l’eau et l’électricité, à la population de Gaza et bloqué l’entrée de toute marchandise à l’exception d’un mince filet de carburant et d’aide humanitaire cruciale, actes de punition collective qui constituent des crimes de guerre et qui se poursuivaient au moment de la rédaction de ce chapitre. Des frappes aériennes israéliennes se sont abattues sur Gaza de manière incessante, touchant des écoles et des hôpitaux et réduisant de vastes secteurs de certains quartiers à des tas de décombres, y compris lors d’attaques qui étaient apparemment illégales. Les forces israéliennes ont aussi illégalement utilisé des munitions au phosphore blanc dans des zones densément peuplées. Elles ont ordonné l’évacuation de tous les habitants du nord de Gaza et, au 11 décembre, avaient fait déplacer environ 85 % percent de la population du territoire — 1,9 million de personnes. Plus de 18 700 Palestiniens, pour la plupart des civils, dont plus de 7 800 enfants, ont été tués entre le 7 octobre et le 12 décembre, selon les autorités de Gaza.
Le bouclage du territoire a exacerbé une situation humanitaire déjà précaire résultant des sévères restrictions imposées depuis 16 ans par Israël aux mouvements des personnes et des biens vers et à partir de Gaza. Cet isolement prolongé, ainsi que les restrictions imposées par l’Égypte à sa propre frontière avec Gaza, ont privé les 2,2 millions de Palestiniens du territoire, à de rares exceptions, de leur droit à la liberté de déplacement et de possibilités d’améliorer leur vie ; sévèrement limité leur accès à l’électricité, aux soins médicaux et à l’eau ; et fortement perturbé l’économie.
En Cisjordanie, entre le début de 2023 et le 12 décembre, les forces israéliennes avaient tué 464 Palestiniens, dont 109 mineurs, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), soit plus de deux fois plus que lors de toutes les années précédentes depuis 2005, lorsque l’ONU a commencé à recenser systématiquement les victimes. Ce chiffre inclut des morts dues à l’usage excessif par Israël de la force létale et certains cas d’exécutions extrajudiciaires.
Les autorités israéliennes avaient également placé 2 873 Palestiniens en détention administrative, sans chef d’accusation ni procès, sur la seule base d’informations secrètes, à la date du 1er décembre, selon les données des Services pénitentiaires israéliens. Ce chiffre marque un pic pour les trois dernières décennies, selon l’organisation israélienne de défense des droits humains HaMoked.
Lors de la première moitié de 2023, le gouvernement israélien a approuvé la construction de 12 855 nouveaux logements dans des colonies de peuplement en Cisjordanie occupée. Il s’agit-là du nombre le plus élevé jamais enregistré par l’organisation israélienne Peace Now, qui effectue ce travail de comptabilité systématique depuis 2012. Le transfert de civils dans des territoires occupés constitue un crime de guerre.
Lors des huit premiers mois de 2023, les actes de violence de la part de colons israéliens contre des Palestiniens et leurs biens ont atteint leur plus haute moyenne quotidienne depuis que l’ONU a commencé à enregistrer ce genre d’incident en 2006 : une moyenne de trois incidents par jour, contre deux par jour en 2022 et un seul en 2021. Ces incidents ont inclus des actes de violence déchaînée par des bandes de colons à Huwara et Turmus Ayya. Ce taux s’est encore accru, jusqu’à atteindre plus de cinq incidents par jour, après le 7 octobre.
D’importantes organisations de la société civile palestiniennes demeurent interdites d’action car elles sont considérées comme des organisations « terroristes » et « illégales ». Les forces israéliennes ont perquisitionné leurs bureaux an août 2022.
La répression des Palestiniens par les autorités israéliennes, exercée dans le cadre d’une politique visant à maintenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens, équivaut aux crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution.
Bande de Gaza
Dans le contexte des intenses opérations militaires israéliennes déclenchées depuis le 7 octobre, plus de 46 000 logements avaient été détruits et 234 000 autres endommagés à la date du 24 novembre, ce qui représentait 60 % du patrimoine immobilier de Gaza, selon les organisations humanitaires. Au moins 342 écoles ont été endommagées, selon l’OCHA, et 187 « attaques contre des établissements de santé » ont été menées, endommageant 24 hôpitaux, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Les frappes aériennes israéliennes et le bouclage du territoire ont contraint la majorité des hôpitaux à cesser de fonctionner. Les pénuries d’électricité et de carburant ont forcé les usines de traitement des eaux usées et de désalinisation, ainsi que les boulangeries, à fermer et ont contribué à des pannes de télécommunications. Le manque d’eau a créé une crise de santé publique. Quoique des camions transportant de l’aide aient commencé à entrer à Gaza le 21 octobre, et que d’autres aient suivi lors d’un cessez-le-feu de plusieurs jours qui a débuté le 24 novembre, cette aide était insuffisante par rapport aux besoins de la population de Gaza.
L’ordre donné par Israël d’évacuer le nord de Gaza n’a pas pris en compte les besoins des personnes âgéees, des personnes handicapées et des malades, dont beaucoup n’ont pas la capacité de partir. Cette mesure risque d’aboutir à des déplacements de force, ce qui est un crime de guerre.
Une précédente flambée d’hostilités en mai, avec des frappes israéliennes sur Gaza et des tirs de roquettes sur Israël par les groupes armés palestiniens de Gaza, avait fait au moins 33 morts parmi les Palestiniens à Gaza, dont au moins 12 civils, et 2 morts civils en Israël, selon l’OCHA.
La politique israélienne de bouclage de Gaza
Depuis 2007, les autorités israéliennes empêchent la plupart des habitants de Gaza de se déplacer à travers le poste frontière d’Erez, le seul point de passage entre Gaza et Israël par lequel les Palestiniens peuvent voyager jusqu’à la Cisjordanie et vers l’étranger. Les autorités israéliennes invoquent souvent des raisons de sécurité pour justifier ce bouclage, intervenu après que le Hamas eut pris le contrôle politique de Gaza des mains de l’Autorité palestinienne (AP) dominée par le Fatah en juin 2007. Cependant, cette politique de bouclage n’est pas basée sur une évaluation individualisée des risques sécuritaires ; une interdiction de voyager généralisée s’applique à tous, à l’exception d’individus que les autorités israéliennes considèrent comme présentant des « circonstances exceptionnelles d’un point de vue humanitaire », soit essentiellement des personnes ayant besoin de soins médicaux vitaux et leurs compagnons, ainsi que des personnalités en vue du monde des affaires.
Même les personnes qui cherchent à obtenir des soins médicaux d’urgence à l’extérieur de Gaza se heurtent parfois à des refus ou à des retards d’autorisation. L’OMS a signalé que 839 Palestiniens de Gaza étaient morts entre 2008 et 2021 alors qu’ils attendaient une réponse à leur demande de permis de sortie.
Lors des huit premiers mois de 2023, en moyenne 1 653 Palestiniens de Gaza sont sortis du territoire chaque jour par le passage d’Erez, selon l’organisation israélienne de défense des droits humains Gisha. Ce chiffre représente une augmentation par rapport aux années précédentes, due pour une large part aux permis de travail, mais il reste inférieur à 7 % de la moyenne quotidienne de plus de 24 000 passages enregistrés avant le début de la seconde Intifada, ou soulèvement palestinien, en septembre 2000.
Les exportations de Gaza lors des huit premiers mois de 2023, essentiellement des produits frais destinés à la Cisjordanie et à Israël, ont été d’une moyenne de 607 cargaisons de camion par mois, soit moins que la moyenne mensuelle de 1 064 cargaisons enregistrée avant le durcissement du bouclage survenu en juin 2007, selon Gisha. Les autorités ont sévèrement restreint l’entrée de matériaux de construction et d’autres biens qu’elles considèrent comme « à double usage », c’est-à-dire pouvant aussi être utilisés à des fins militaires. La liste de ces biens comprend également des équipements de rayons X et de communication, des pièces détachées et des piles pour les appareils d’assistance aux personnes handicapées, et d’autres objets civils vitaux.
Depuis le 7 octobre et jusqu’au jour de la rédaction de ce chapitre, les autorités israéliennes ont verrouillé les points de passage vers Gaza, bloquant l’entrée des personnes et des biens, ainsi que les sorties de Gaza par Erez, y compris des habitants nécessitant des soins médicaux urgents. Les autorités israéliennes ont eu régulièrement recours à ce genre de mesures, qui ciblent les civils et équivalent à une punition collective illégale.
Le bouclage limite les accès aux services de base. Entre janvier et septembre 2023, les familles à Gaza étaient privées d’électricité provenant des centrales pendant une moyenne de 13 heures par jour, selon l’OCHA. Les coupures de courant chroniques compliquent de nombreux aspects de la vie quotidienne, comme le chauffage, la ventilation, le traitement des eaux usées, les soins médicaux et les affaires. Les coupures imposent des difficultés particulières aux personnes handicapées, qui ont besoin de lumière pour communiquer en langage des signes ou d’équipements fonctionnant à l’électricité pour se déplacer, tels que les ascenseurs ou les fauteuils roulants électriques. Plus de 96 % de l’eau des nappes phréatiques de Gaza, la seule source d’eau naturelle du territoire, est « impropre à la consommation humaine », selon l’Autorité palestinienne de l’eau et l’OCHA. Ceci rend la plupart des habitants de Gaza dépendants d’usines de désalinisation et d’eau acheminée via Israël, opérations qui sont perturbées par les hostilités. Avant le 7 octobre, environ 80 % des habitants de Gaza dépendaient de l’aide humanitaire, selon l’Office de secours et de travaux de l’ONU pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).
L’Égypte restreint également les allées et venues des personnes et des biens via son point de passage de Rafah vers Gaza, et le ferme parfois complètement. Lors des huit premiers mois de 2023, en moyenne 27 975 Palestiniens ont franchi ce passage chaque mois dans les deux sens, soit beaucoup moins que la moyenne mensuelle de plus de 40 000 observée avant le coup d’État militaire de 2013 en Égypte, selon Gisha.
Abus commis par le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens
Le 7 octobre, le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens ont délibérément tué des civils et commis toute une série d’autres abus, notamment la prise de civils en otages, et ont tiré sans discernement des milliers de roquettes sur des communautés israéliennes, actes qui représentent tous des crimes de guerre. Lors des attaques du 7 octobre, les combattants menés par le Hamas ont attaqué un festival de musique en plein air, le « Supernova Sukkot Gathering », tuant au moins 260 personnes, selon les services de secours israéliens, et ont envahi des maisons. Les groupes armés ont menacé d’exécuter les otages. Ils ont relâché certains otages fin novembre en échange de la libération par Israël de prisonniers palestiniens, dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu temporaire.
Human Rights Watch a enquêté sur une explosion survenue le 17 octobre à l’hôpital al-Ahli dans la ville de Gaza, qui a fait de nombreuses victimes, et a conclu qu’elle a apparemment été causée par une munition portée par une roquette, telle qu’elles sont régulièrement utilisées par les groupes armés palestiniens.
En juin 2022 et janvier 2023, les autorités du Hamas ont rendu publique des séquences vidéo qui semblent montrer Avera Mangistu et Hisham al-Sayed, deux civils israéliens atteints de troubles mentaux, qu’elles détiennent apparemment depuis plus de huit ans après qu’ils eurent pénétré à Gaza. Leur détention au secret est illégale.
Les tribunaux à Gaza ont condamné 203 personnes à la peine de mort depuis juin 2007 lorsque les autorités du Hamas ont pris le contrôle de Gaza, dont 14 personnes entre janvier et septembre 2023, selon deux organisations basées à Gaza, le Centre palestinien des droits de l’homme (CPDH) et al-Mezan. Les autorités du Hamas ont procédé à 33 exécutions depuis juin 2007 pour des infractions criminelles ordinaires et pour « collaboration » avec Israël ; aucune n’a été effectuée lors des neuf premiers mois de 2023.
Les autorités du Hamas ont dispersé par la force des protestataires lors des manifestations de l’été organisées sous le mot d’ordre « Nous voulons vivre » contre la difficulté des conditions de vie, brutalisant et arrêtant certains manifestants et des journalistes, selon le CPDH et al-Mezan. L’organe statutaire de surveillance palestinien, la Commission indépendante des droits de l’homme (ICHR), a reçu 56 plaintes contre les autorités du Hamas concernant des arrestations arbitraires et 81 concernant des actes de torture et des mauvais traitements, entre janvier et août 2023.
Les autorités du Hamas ont empêché des femmes de voyager en vertu de règles édictées en février 2021, qui permettent aux tuteurs masculins de demander aux tribunaux d’interdire à des femmes non mariées de quitter Gaza lorsqu’un tel voyage serait « absolument préjudiciable », des termes vagues qui permettent en réalité aux hommes de restreindre à volonté la capacité des femmes de voyager. En janvier, les autorités du Hamas ont localisé et renvoyé de force deux femmes, Wissam et Fatma al-Tawil, au domicile de leur père, qu’elles avaient fui après avoir fait état de graves violences domestiques, y compris de menaces de mort.
Cisjordanie
La répression par Israël des Palestiniens en Cisjordanie s’est intensifiée en 2023, en particulier après le 7 octobre.
Le recours à la force par Israël
Les forces israéliennes ont effectué plusieurs raids à grande échelle en 2023, prenant tout particulièrement pour cible la ville de Naplouse et le camp de réfugiés de Jénine. Ce dernier a été, les 3 et 4 juillet, le théâtre d’une des opérations les plus vastes et meurtrières en Cisjordanie depuis 2005, causant la mort de 12 Palestiniens, dont 4 enfants, et le déplacement temporaire de 3 500 personnes et endommageant 460 logements, selon l’OCHA.
Parmi les plus de 460 Palestiniens tués en 2023 — nombre record depuis au moins 18 ans —figuraient des individus ayant attaqué des Israéliens ou lancé des cocktails Molotov ou des pierres sur les forces israéliennes, de simples passants, des personnes ayant porté secours à des blessés et d’autres personnes non impliquées dans les combats. L’OCHA a signalé que plus de la moitié des morts enregistrées depuis le 7 octobre sont survenues lors d’opérations israéliennes qui n’incluaient pas d’affrontements armés.
Les colons israéliens avaient tué 15 Palestiniens à la date du 7 décembre, selon l’OCHA. Entre le 7 octobre et le 28 novembre, des colons ont attaqué 93 communautés palestiniennes, selon un décompte de l’organisation israélienne de défense des droits humains Yesh Din.
Les autorités israéliennes ont rarement fait rendre des comptes à leurs forces de sécurité pour avoir utilisé une force excessive ou à des colons pour avoir attaqué des Palestiniens. Moins de 1 % des plaintes pour abus de la part des forces israéliennes déposées par des Palestiniens en Cisjordanie entre 2017 et 2021 et 7 % des plaintes concernant des violences de la part de colons entre 2005 et 2022 ont conduit à des inculpations, selon Yesh Din. Même après que des colons se furent livrés à un déchaînement de violence à Huwara, les autorités israéliennes ont remis en liberté la plupart des 17 hommes qui avaient été arrêtés pour leur implication présumée, quelques jours seulement après leur arrestation. En juillet, le Tribunal de district de Jérusalem a acquitté l’officier qui, en 2020 à Jérusalem, avait tué Eyad al-Hallaq, un Palestinien autiste non armé âgé de 32 ans, qui n’avait menacé personne. Le tribunal a qualifié son meurtre d’« erreur commise de bonne foi ».
Les actes de violence et d’intimidation non contrôlés commis par des colons se poursuivent. Selon l’OCHA, 1 105 Palestiniens déplacés depuis le début de 2022, dont la totalité de 4 communautés, mentionnent les violences des colons et le fait qu’ils les empêchent d’accéder à des pâturages comme étant la principale raison pour laquelle ils ont été forcés d’abandonner leurs maisons. Entre le 7 octobre et le 13 décembre, 1 257 personnes ont été déplacées.
Attaques palestiniennes
À la date du 30 novembre, des Palestiniens avaient tué 24 civils israéliens lors d’attaques meurtrières en Cisjordanie, soit un pic depuis plus de 15 ans, selon l’OCHA. Cette statistique inclut un incident en janvier lors duquel un Palestinien a tué sept civils, dont un enfant, dans la colonie de peuplement de Neve Yaakov dans Jérusalem-Est occupé. Nombre de ces attaques ont été célébrées par le Hamas.
Détention par Israël de Palestiniens, cas de tortures et de mauvais traitements
Les autorités israéliennes appliquent le droit civil israélien aux colons mais gouvernent les Palestiniens de Cisjordanie selon le code de justice militaire, qui est plus strict. Ce faisant, elles leur dénient le droit fondamental à des procédures régulières et les font juger par des tribunaux militaires où le taux des verdicts de culpabilité est de près de 100 % contre les Palestiniens.
Au 1er décembre, Israël maintenait 7 677 Palestiniens en détention provisoire pour des infractions relatives à la « sécurité », selon des chiffres des Services pénitentiaires israéliens. Cela incluait 200 Palestiniens mineurs, détenus à la date du 6 novembre, selon l’organisation palestinienne de défense des droits des prisonniers Addameer. Israël emprisonne de nombreux Palestiniens du Territoire palestinien occupé (TPO) à l’intérieur de ses frontières, ce qui complique les visites des familles et viole l’interdiction, dans le droit international humanitaire, de leur transfert hors du TPO.
En mai, Khader Adnan, 45 ans, est mort dans sa cellule de prison, au 86ème jour d’une grève de la faim qu’il avait observée pour protester contre les pratiques carcérales israéliennes. Adnan avait passé environ huit ans en détention, essentiellement en détention administrative, et avait précédemment observé des grèves de la faim de plusieurs mois pour protester contre la répression israélienne.
Plus de 1 400 plaintes relatives à des actes de torture, notamment des mises en chaînes dans des positions douloureuses, des privations de sommeil et des expositions à des températures extrêmes, commis par Shabak (l’Agence de sécurité israélienne) en Israël et dans le TPO ont été déposées auprès du ministère israélien de la Justice depuis 2001, et n’ont abouti qu’à trois enquêtes criminelles et aucune inculpation, selon le Comité public contre la torture, une organisation israélienne de défense des droits. L’organisation Military Court Watch a révélé de son côté que sur 26 cas de détention de mineurs palestiniens documentés par elle en 2023, 69 % ont affirmé avoir été physiquement victimes d’abus pendant leur détention par les forces israéliennes et 73 % ont affirmé avoir été fouillés au corps.
Les organisations de défense des droits des Palestiniens ont aussi fait état d’une détérioration des conditions de détention des prisonniers palestiniens, notamment des raids violents, des transferts décidés par représailles et des mises à l’isolement, un accès réduit à de l’eau courante et à du pain, et une réduction des visites familiales. Ces conditions ont empiré après le 7 octobre.
Colonies de peuplement et démolitions de maisons
Les autorités israéliennes fournissent des services de sécurité, des infrastructures et d’autres services à plus de 710 000 colons en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.
Selon l’OCHA, à la date du 11 décembre, les autorités israéliennes avaient démoli, en 2023, 1 004 maisons et autres structures palestiniennes en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, déplaçant 1 870 personnes, ce qui excède les chiffres de 2022. La plupart de ces bâtiments ont été démolis pour absence de permis de construire, que les autorités rendent presque impossibles à obtenir dans ces secteurs pour les Palestiniens.
La difficulté d’obtenir des permis de construire israéliens à Jérusalem-Est et dans les 60 % de la Cisjordanie sous le contrôle exclusif d’Israël (Zone C) a poussé les Palestiniens à construire des structures non autorisées et, par conséquent, constamment exposées au risque de démolition ou de confiscation, notamment des dizaines d’écoles. Certaines communautés palestiniennes, dans des zones comme les Collines de Hébron-Sud, s’en trouvent exposées à un risque élevé de déplacement. Le droit international interdit à une puissance occupante de détruire des biens, sauf dans les cas où c’est « absolument nécessaire » pour mener des « opérations militaires ».
Les autorités ont également mis sous scellés les maisons des familles de Palestiniens soupçonnés d’attaques contre des Israéliens, ce qui représente un acte illégal de punition collective.
En juillet, la police israélienne a expulsé de force un couple de Palestiniens âgés, Nora Ghaith, 68 ans, et Mustafa Sub-Laban, 72 ans, de la maison de famille où ils étaient installés de longue date dans la Vieille Ville de Jérusalem-Est occupée, pour y permettre l’installation de colons israéliens après que la Cour suprême israélienne eut rejeté, en mars, leur dernier appel à l’issue d’une bataille juridique de plusieurs décennies. Elle l’a fait en vertu d’une loi discriminatoire qui permet aux organisations de colons de revendiquer des terres dont elles affirment qu’elles appartenaient à des juifs à Jérusalem-Est avant 1948, stratégie à laquelle elles ont eu recours particulièrement à Sheikh Jarrah et à Silwan. En même temps, les Palestiniens sont dans l’impossibilité, aux termes de la loi israélienne, de récupérer la propriété de terres qu’ils possédaient sur le territoire qui est devenu celui d’Israël et dont ils se sont enfuis ou ont été expulsés en 1948.
Liberté de circulation
Les autorités israéliennes continuent d’exiger que les détenteurs de pièces d’identité palestiniennes, sauf rares exceptions, soient munis de permis difficiles à obtenir et à durée limitée pour pouvoir entrer en Israël et dans de vastes parties de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. L’organisation B’Tselem décrit cette pratique comme reflétant « un système bureaucratique arbitraire et totalement opaque », par lequel « de nombreuses demandes sont rejetées sans explication, ni véritable voie d’appel ».
Au début de 2023, les autorités israéliennes maintenaient opérationnels 645 postes de contrôle et autres obstacles permanents en Cisjordanie, selon l’OCHA, en plus d’un certain nombre de points de contrôle « volants ». Les forces israéliennes éconduisent régulièrement ou retardent et humilient des Palestiniens à ces postes de contrôle sans explication, alors qu’elles autorisent des mouvements quasi-illimités aux colons israéliens.
Israël a continué la construction de la barrière de séparation. Les autorités ont commencé à la construire il y a plus de vingt ans, officiellement pour des raisons de sécurité, mais elle se trouve à 85 % en Cisjordanie, selon l’OCHA, plutôt que sur la Ligne verte séparant Israël du territoire palestinien. Ainsi, la barrière sépare des milliers de Palestiniens de leurs terres agricoles, isole 11 000 Palestiniens qui vivent du côté ouest de la barrière mais ne sont pas autorisés à se rendre en Israël et dont la capacité de traverser la barrière pour accéder à leur propriété et à des services de base est très restreinte. Lorsqu’elle sera terminée, la barrière détachera de la Cisjordanie environ 9 % de sa superficie.
Abus commis par l’Autorité palestinienne
L’État de Palestine a publié en septembre au Journal officiel palestinien la Convention contre la torture et son Protocole optionnel, en faisant concrètement une loi palestinienne. En septembre également, la Sous-commission de l’ONU sur la prévention de la torture a visité des lieux de détention en Cisjordanie. Cependant, l’AP a continué sa pratique systématique consistant à arrêter arbitrairement opposants et détracteurs, y compris des étudiants. Lawyers for Justice, organisation qui représente des Palestiniens détenus par l’AP, a documenté 726 cas de Palestiniens qu’elle a déterminés comme étant détenus arbitrairement entre janvier et le 17 août, en général pour des périodes de plusieurs jours à plusieurs semaines. Entre janvier et août 2023, l’organe statutaire de surveillance palestinien, l’ICHR, a reçu 162 plaintes pour arrestations arbitraires, 86 plaintes pour tortures et mauvais traitements et 13 plaintes pour détention sans procès ou sans inculpation conformément à des ordres d’un gouverneur régional, contre l’AP.
En août, l’AP a officiellement enregistré Lawyers for Justice après avoir bloqué cet enregistrement pendant des mois.
Les lois de l’AP sur le statut de la personne, concernant à la fois les musulmans et les chrétiens, sont discriminatoires à l’égard des femmes, notamment en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d’héritage. La Palestine n’est pas dotée d’une loi exhaustive sur la violence conjugale. L’AP envisage depuis longtemps un projet de loi de protection de la famille mais les organisations de défense des droits des femmes ont exprimé leur préoccupation, arguant qu’il ne va pas assez loin pour empêcher les abus et protéger les victimes survivantes.
Israël
Durant la majeure partie de l’année, des Israéliens sont descendus dans les rues à travers le pays, pour participer à des manifestations de protestation hebdomadaires sans précédent en opposition à un plan du gouvernement qui aurait pour effet d’affaiblir l’indépendance de la justice. En juillet, le gouvernement a mis en œuvre une partie de ce plan, lorsque la Knesset a adopté une loi qui interdit à la Cour suprême d’évaluer la « sagesse » des décisions du gouvernement. La Cour suprême a entrepris d’examiner cette loi en réponse à des pétitions contestant son contenu.
La Knesset a réinstauré en mars une ordonnance temporaire qui interdit, à part quelques exceptions, l’octroi d’un statut juridique de longue durée en Israël aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui épousent des citoyens ou des résidents permanents d’Israël. Une telle restriction, qui est en place depuis 2003, n’existe pas pour les époux ou épouses de pratiquement toutes les autres nationalités.
En février, la Knesset a adopté une loi, désormais en vigueur, qui autorise la déchéance de nationalité ou du statut de résident permanent de Palestiniens qui commettent un « acte terroriste » et reçoivent une compensation de la part de l’AP pour cet acte et pour leur expulsion en conséquence vers la Cisjordanie.
En septembre, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, a appelé à l’expulsion de demandeurs d’asile africains impliqués dans de violents affrontements à Tel Aviv. Les autorités israéliennes ont continué de rejeter systématiquement les demandes d’asile dans le pays d’Africains — pour la plupart érythréens, éthiopiens et soudanais — dont le nombre est estimé par l’association Hotline for Refugees and Migrants à 34 500, tout en accueillant des dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens. Au fil des années, le gouvernement leur a imposé des restrictions en matière de déplacement, de permis de travail et d’accès aux soins médicaux et à l’éducation, afin de les pousser à partir.
Principaux acteurs internationaux
De nombreux États ont condamné les attaques menées par le Hamas le 7 octobre. Beaucoup moins, cependant, ont condamné les graves abus commis par les autorités israéliennes. Les États-Unis et d’autres pays occidentaux ont fourni des armes ou un soutien militaire à Israël, tandis que d’autres ont fourni une aide militaire aux groupes armés palestiniens, ce qui, compte tenu des graves abus qui continuent d’être commis, risque de les rendre complices de crimes de guerre.
Le président Joe Biden et d’autres responsables américains se sont rendus en Israël à plusieurs reprises afin d’exhorter les responsables israéliens à protéger les civils à Gaza et aussi pour les persuader d’autoriser l’acheminement d’aide humanitaire dans le territoire mais, au moment de la rédaction de ce chapitre, les États-Unis n’avaient pas conditionné leur appui militaire à Israël à la satisfaction de ces demandes. Après le 7 octobre, l’administration Biden a demandé au Congrès 14,3 milliards de dollars de fonds supplémentaires pour de nouvelles livraisons d’armes à Israël, en sus des 3,8 milliards de dollars d’aide militaire que les États-Unis accordent chaque année à Israël. Les États-Unis ont également soit livré, soit annoncé qu’ils prévoyaient de livrer des bombes de petit diamètre, des systèmes de guidage de munitions Joint Direct Attack Munition (JDAM), des obus d’artillerie de 155mm et 1 million de pièces de munitions, entre autres armements. Toutefois, les États-Unis ont mis fin à leurs livraisons d’armes de petit calibre, de crainte qu’elles ne parviennent entre les mains de colons.
En septembre, les États-Unis ont admis Israël dans leur programme d’exemption de visa, autorisant une entrée sans visa sur leur territoire aux citoyens israéliens, en dépit du fait qu’Israël n’a pas totalement éliminé toute discrimination à l’encontre de citoyens américains d’origine palestinienne, arabe ou musulmane lorsqu’ils voyagent vers Israël et le TPO.
En décembre, les États-Unis et le Royaume-Uni ont émis des interdictions de voyager à l’encontre de colons violents de Cisjordanie.
À la mi-octobre, les États-Unis ont opposé leur véto à une résolution appelant à l’observation de trêves humanitaires à Gaza, mais se sont abstenus au sujet d’une résolution similaire en novembre. Comme la résolution à laquelle les États-Unis ont opposé leur véto, celle que le Conseil de sécurité a pu adopter appelait Israël et les groupes armés palestiniens à protéger les civils et à respecter le droit international humanitaire. C’était la première résolution adoptée par le Conseil sur Israël et la Palestine depuis 2016. Mais de nouveau en décembre, les États-Unis ont mis leur véto à un projet de résolution du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens. De son côté, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté deux résolutions appelant à un cessez-le-feu, une en octobre et l’autre en décembre.
Des divisions entre États membres de l’Union européenne ont empêché le groupe de trouver l’unanimité nécessaire pour adopter des positions fermes et des mesures concrètes en réponse aux abus israéliens. Ceci a été particulièrement évident après le 7 octobre, notamment dans les votes parfois divergents des États membres de l’UE aux Nations Unies. Tout en condamnant le Hamas, les États de l’UE n’ont pas pu s’entendre à l’unanimité pour dénoncer les crimes de guerre commis par Israël. Le Haut représentant de l’UE, Josep Borrell, a proposé un paquet de sanctions ciblées pour les colons auteurs d’abus en Cisjordanie, mais les perspectives de son adoption demeuraient minces, compte tenu de la nécessité de parvenir à l’unanimité.
Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a mis à jour en juin la base de données des entreprises opérant dans les colonies de peuplement. En juillet, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution assurant un financement destiné à la poursuite de la mise à jour de cette base de données.
L’enquête du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation en Palestine s’est poursuivie en 2023. Le procureur s’est exprimé du point de passage de Rafah et a visité Israël et la Palestine durant les hostilités. Il a attiré l’attention des parties sur l’actuel mandat de la CPI et souligné clairement que tout crime grave qui serait commis lors des hostilités actuelles tomberait dans le champ du mandat de la Cour.
En juillet, 54 États et trois organisations intergouvernementales ont fait des propositions écrites à la Cour internationale de justice (CIJ), pour l’opinion consultative que l’Assemblée générale de l’ONU avait demandée en décembre 2022 sur le statut juridique de l’occupation prolongée par Israël et les conséquences juridiques de ses abus à l’encontre des Palestiniens. Des audiences publiques sur cette demande d’une opinion consultative doivent s’ouvrir à la CIJ le 19 février 2024.