(Nairobi) – La répression menée par les gouvernements en Afrique de l'Est contre les manifestations pacifiques et la liberté d'expression a gravement porté atteinte aux droits humains dans cette région en 2016, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui dans son Rapport mondial 2017 (version abrégée en français).
Les forces de sécurités gouvernementales en Éthiopie ainsi qu'en Ouganda et au Kenya ont usé de la force de manière disproportionnée afin de disperse des manifestations globalement pacifiques, faisant de nombreux morts et blessés. En Éthiopie, des centaines de manifestants ont été tués cette année. Les gouvernements d'Afrique de l'Est ont aussi déployé un éventail de tactiques visant à censurer les critiques à l'égard des politiques gouvernementales et à entraver le travail des journalistes, notamment par l'usage de la force physique, d'arrestations arbitraires et de poursuites pénales. Dans toute la région, les gouvernements n'ont ni enquêté ni poursuivi en justice les auteurs d'exactions contre les droits humains. Les réfugiés, en particulier au Kenya, ont fait l'objet de menaces de retour forcé.
« Les gouvernements d'Afrique de l'Est ont fait peu de cas des droits fondamentaux de leurs citoyens en matière de liberté d'expression et de réunion en 2016 », a déclaré Maria Burnett, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « La région a touché le point le plus bas lors de la répression brutale de l'Éthiopie contre des protestations sans précédent ».
Dans cette 27e édition annuelle de son Rapport mondial (version intégrale en anglais de 687 pages, version abrégée en français de 247 pages), Human Rights Watch examine les pratiques en matière de droits humains dans plus de 90 pays. Dans son introduction, le Directeur exécutif, Kenneth Roth, explique qu'une nouvelle génération de populistes autoritaires cherche à infirmer le concept d'une protection individuelle basée sur les droits humains, en caractérisant ces droits comme une entrave à la volonté de la majorité. Pour toutes les personnes qui se sentent laissées de côté par l'économie mondialisée et qui craignent de plus en plus d'être exposées à des violences et à des crimes, les organisations de la société civile, les médias et le public ont des rôles essentiels à jouer en réaffirmant la validité des valeurs sur lesquelles les démocraties respectueuses des droits humains ont été édifiées.
Les gouvernements dans toute la région ont systématiquement failli à leur obligation d'enquêter sur les graves exactions commises par les forces de sécurité, dénigrant aux victimes les moyens de demander réparation, a déclaré Human Rights Watch. En Éthiopie, les forces de sécurité de l'État ont violemment réprimé les manifestations massives contre la politique gouvernementale, tuant des centaines de personnes et procédant à l'arrestation de dizaines de milliers d'autres. Le gouvernement a ensuite imposé un état d'urgence étendu, limitant les droits fondamentaux dans le sillage d'une bousculade ayant eu lieu lors d'un festival culturel engendré par la réponse du gouvernement aux grandes foules. Le gouvernement éthiopien a échoué dans son enquête sérieuse sur l'assassinat des manifestants et la perpétration d'autres abus.
Au Kenya, les forces de sécurité soumis au moins 34 personnes à des disparitions forcées au cours des deux années passées lors d'opérations de lutte contre le terrorisme dans le nord-est du Kenya et à Nairobi. Deux ont finalement été libérées, bien que l'une d'entre elles ait été accusée de terrorisme. La police ougandaise et le personnel militaire ont tué au moins 13 personnes lors de tentatives d'arrestation présumées menées dans le cadre d'opérations visant à faire respecter la loi dans la région occidentale du Rwenzori. En Somalie, des actes de violence à caractère politique ont fait payer un lourd tribut aux civils.
Les conflits et les exactions dans un contexte de persécution au Soudan du Sud, en Somalie et au Burundi, entre autres pays, ont conduit des pays voisins à accueillir des centaines de milliers de réfugiés, avec des résultats mitigés. Tandis que l'Ouganda a cherché des moyens d'intégrer les réfugiés, le gouvernement kényan a enfreint ses engagements en vertu du droit international en annonçant la fermeture du camp de réfugiés de Dadaab, majoritairement peuplé de réfugiés somaliens. Cette décision a obligé des milliers de réfugiés somaliens à retourner dans leur pays, en dépit du conflit armé qui y fait rage et a laissé les autres dans un état de crainte pour leur sécurité et leur avenir.
Les menaces orchestrées par les gouvernements et la violence à l'encontre des médias restent omniprésentes en Afrique de l'Est. Plusieurs journalistes indépendants en Érythrée ont été placés en détention provisoire depuis septembre 2001. Aucun d'entre eux n'a été jugé et il n’y plus de journal indépendant dans ce pays. Les autorités en Éthiopie ont également arrêté des journalistes et des blogueurs, souvent en vertu de la loi contre le terrorisme ; beaucoup d'entre eux sont toujours emprisonnés. Le gouvernement éthiopien a restreint l'accès aux chaînes de télévision de la diaspora et brouillé les signaux des stations de radio comme Deutsche Welle et Voice of America.
En Somalie, les autorités fédérales et régionales et le groupe armé islamique Al-Chabab ont mené des attaques ciblées contre les médias, notamment des actes de harcèlement et d'intimidation. Au moins deux journalistes ont été tués lors d'attaques ciblées. En mai, un tribunal kényan a déclaré contraire à la constitution un article de la loi sur l'information et les communications que la police avait fait valoir pour arrêter et condamner les journalistes.
Lors des élections ougandaises de 2016, les responsables gouvernementaux et la police ont arrêté et passé à tabac plus d'une douzaine de journalistes, parfois lors de retransmissions en direct. Huit journalistes et blogueurs kényans pour le moins ont été arrêtés et inculpés en vertu de dispositions formulées en des termes vagues dans les nouvelles lois. Tant en Éthiopie qu'en Ouganda, dans des moments de critique exacerbée du gouvernement, les autorités ont bloqué l'accès à l'internet et aux réseaux de médias sociaux déclarant que cela était « nécessaire pour des raisons de sécurité ».
Dans certains cas, les gouvernements ou tribunaux nationaux ont pris des mesures positives pour améliorer les moyens de demander réparation pour les victimes d'atteintes aux droits humains. Le président somalien a signé une loi portant création d'une Commission nationale des droits humains de l'homme habilitée à recevoir les plaintes, à superviser les prisons et les lieux de détention illégale. Les observateurs devraient avoir le droit de visiter les prisons de manière inopinée. En Ouganda, la Cour constitutionnelle a jugé non constitutionnelle une disposition de la loi sur la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances qui permettait à ladite commission de rejeter les plaintes des personnes considérées comme « immorales ou socialement inacceptables » par la majorité.
« Au nom de la sécurité, des comportements abusifs ont essaimé partout en Afrique de l'Est, aliénant davantage encore de nombreuses communautés déjà marginalisées », a conclu Maria Burnett. « Les gouvernements de la région et leurs partenaires internationaux devraient mieux contrôler les forces commettant ces abus, et faire de l’obligation de rendre des comptes devant la justice, ainsi que de la tolérance à l’égard d'opinions divergentes, des priorités. »
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Tweet (oct. 2018)
#Éthiopie : HRW dénonce l'envoi de centaines de jeunes en camps de réhabilitation https://t.co/w18V6pvztj via @RFIAfrique
— HRW en français (@hrw_fr) 30 octobre 2018