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FIFA/Qatar : Des travailleurs migrants demandent une indemnisation pour les abus subis

Des travailleurs népalais et des membres de leurs familles s’expriment dans une vidéo à l’approche de la Coupe du monde

(Beyrouth, le 17 novembre 2022) – Des travailleurs migrants et leurs familles demandent à la Fédération internationale de football (FIFA) et aux autorités du Qatar une indemnisation pour les abus, y compris des décès inexpliqués, subis lors des préparatifs pour la Coupe du monde 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Peu avant le début de ce tournoi, le 20 novembre, Human Rights Watch a diffusé une vidéo dans laquelle des travailleurs népalais et leurs familles, ainsi que des amateurs de football de ce pays, s’expriment publiquement à ce sujet.

À la différence des tournois précédents, la Coupe du monde 2022 suscite au Népal et dans d’autres pays où le football est populaire des émotions qui vont au-delà du plaisir de regarder les matches. Pour les Népalais qui s’expriment dans la vidéo, ainsi que pour les travailleurs d’autres pays ayant participé aux préparatifs de cette Coupe du monde, qui ont duré 12 ans, la tenue de ce tournoi est étroitement liée aux sacrifices qu’ils ont faits. C’est le cas des travailleurs qui n’ont pas pu voir leurs enfants pendant des années consacrées a gagner l’argent nécessaire à leur éducation, des travailleurs ayant effectué un labeur physiquement dur pendant de longues heures dans la chaleur extrême qui règne au Qatar, et des familles de travailleurs décédés de causes non élucidées. Kshitiz Sigdel, un fervent amateur de football népalais qui a fondé un fan club à Katmandou a déclaré à Human Rights Watch : « Les travailleurs migrants sont la colonne vertébrale non seulement de l’économie du Népal grâce à leurs transferts de fonds, mais aussi de l’économie du Qatar. »

« Les travailleurs migrants ont été indispensables aux efforts pour rendre possible la tenue de la Coupe du monde 2022, mais cela a eu un coût très lourd pour un grand nombre d’entre eux et pour leurs familles ; ils ont dû non seulement consentir à des sacrifices personnels, mais ont aussi subi des vols de salaires généralisés, des blessures, ainsi que des milliers de décès non élucidés », a déclaré Rothna Begum, chercheuse senior à Human Rights Watch. « De nombreux travailleurs migrants, leurs familles et leurs communautés ne sont donc pas en mesure de célébrer pleinement ce qu’ils ont accompli ; ils appellent la FIFA et le Qatar à remédier aux abus qui ont aussi laissé leurs familles et communautés dans le besoin. »

L’une des personnes qui s’expriment dans la vidéo est « Hari » (nom modifié pour préserver son anonymat), ouvrier du bâtiment népalais qui a travaillé pendant 14 ans au Qatar sur plusieurs sites, dont celui du stade Al Janoub. Il affirme que le quartier de Lusail à Doha, la capitale, était vide lorsqu’il est arrivé au Qatar mais est maintenant hérissé de tours. « C’est nous qui avons construit ces tours », dit-il, ajoutant que lorsqu’il travaillait dans la chaleur intense qui caractérise le climat au Qatar, il a souvent dû « retirer ses chaussures pour en évacuer l’eau [de sa transpiration] ».

Hari a quitté le Népal pour le Qatar quand son fils n’avait que 6 mois et il a manqué la plupart des grandes dates de sa vie, ne le voyant que 5 fois en 14 ans. « La première fois que je suis retourné au Népal, mon fils ne m’a pas reconnu », a-t-il dit. Pendant ces 14 ans loin de chez lui, il a été le témoin et a personnellement contribué à la spectaculaire transformation du Qatar, ce qui lui a permis d’être un meilleur gagne-pain pour ses enfants, y compris son fils, lequel rêve de devenir footballeur professionnel et est un fervent supporter de l’équipe nationale du Portugal.

Ram Pukar Sahani, lui-même ancien travailleur migrant au Qatar, a appris auprès d’un ami le décès de son père au Qatar. Ayant du mal à y croire, il a essayé d’appeler son père au téléphone au Qatar. Un ami de son père qui a répondu, confirmant la terrible nouvelle. « J’ai laissé tomber le téléphone et je me suis évanoui », se rappelle-t-il, en larmes. Il précise que son père est mort sur un chantier de construction vêtu de son uniforme, mais qu’il a été déclaré inéligible pour des indemnités car son certificat de décès indique : « défaillance cardiaque aigüe due à une mort naturelle ».

En vertu du droit du travail du Qatar, les décès attribués à des « causes naturelles » sans faire l’objet d’une enquête appropriée ne sont pas considérés comme liés au travail et ne font donc pas l’objet d’indemnisations. Comme les familles de nombreux autres travailleurs laissées dans l’incertitude sur les causes réelles du décès de leur proche, il dit : « Comment un homme si vigoureux et en si bonne santé peut-il mourir comme cela ? Je n’ai pas cru ces informations. »

Pour chaque famille prête à faire part publiquement de son expérience de deuil, de nombreuses autres font face en silence à une perte tout aussi catastrophique, a souligné Human Rights Watch.

De nombreux travailleurs sont victimes de la pratique très répandue du vol de salaire. Un travailleur qui a participé à une grève pour protester contre des salaires impayés, en dépit des craintes de représailles, a déclaré : « Il y a deux choses dont nous avons besoin. Un travail régulier et un salaire régulier pour le travail accompli. Malheureusement, ni l’un ni l’autre ne sont garantis au Qatar, surtout si vous tombez sur un mauvais employeur. »

En réponse à de telles informations, l’Organisation internationale du travail (OIT) a annoncé que le gouvernement qatari avait remboursé 320 millions de dollars à des victimes d’abus salariaux, par l’intermédiaire du Fonds de soutien et d’assurance des travailleurs du ministère du Travail. Mais ce fonds n’est devenu opérationnel qu’en 2020. Pour de nombreux autres travailleurs, le chemin s’est arrêté brusquement, avec des salaires impayés pour un travail physiquement exigeant, accompli dans des conditions d’extrême chaleur.

Les employeurs et les recruteurs au Qatar ont pu abuser et tirer parti de l’indigence des travailleurs migrants et de l’absence de possibilités économiques dans leurs pays d’origine, grâce au système du kafala (parrainage), qui donne aux employeurs un contrôle presque illimité sur leurs employés, a déclaré Human Rights Watch. Dans l’un des pays les plus riches du monde, les travailleurs migrants vivaient dans des conditions misérables, dans des lieux d’hébergement surpeuplés. Bien que contribuant à la construction d’une infrastructure dernier cri coûtant des milliards de dollars, la majorité de ces travailleurs migrants à bas salaires ont en réalité « payé pour construire » la Coupe du monde 2022 du Qatar. Et, malgré l’existence au Qatar d’un système de santé avancé, des familles en Asie et en Afrique ont été maintenues dans l’ignorance  sur ce qui avait causé la mort de leur proche au Qatar.

Les autorités qataries ont mis en œuvre d’importantes réformes du droit du travail et du kafala ; mais de nombreux travailleurs migrants n’en ont pas bénéficié, soit parce qu’elles ont été instaurées tardivement, soit parce qu’elles ont été mises en application de manière inadéquate ou, dans certains cas où l’initiative était prise par le Comité suprême, l’organe gouvernemental chargé des préparatifs de la Coupe du monde, que leur champ d’application était trop étroit. Les travailleurs qui ont été oubliés par ces réformes doivent recevoir des réparations financières, a affirmé Human Rights Watch.

Basanta Sunuwar, un Népalais qui a travaillé six ans eu Qatar, se présente comme un fervent supporter de l’équipe d’Allemagne et le fondateur d’un club de férus de football. Dans la vidéo, il dit qu’il se considère comme l’un des travailleurs migrants les plus chanceux au Qatar, et il plaide fortement en faveur de la création d’un fonds d’indemnisation pour réparer les abus non encore réglés.

« Ils ont apporté leur labeur et en échange, ils devraient bénéficier de leur droit », dit-il. « Quel est leur droit maintenant qu’ils ont perdu la vie? Que leur famille obtienne une indemnisation. Telle est mon humble requête à la FIFA et aux Qataris, en tant qu’amateur de football. »

Un autre fan de football népalais, Kshitiz Sigdel, s’interroge : « Pourquoi n’acceptent-ils pas de payer [une indemnisation]? Payer ou ne pas payer ne devrait pas être une question. Cela doit être payé. »

La FIFA, qui prévoit de percevoir des milliards de dollars de revenus grâce aux matches, a certaines responsabilités en matière de droits humains, mais n’a pas pris l’engagement de créer un fonds d’indemnisation. Au contraire, la FIFA a réprimandé les associations de football et les joueurs qui l’ont appelée à soutenir la demande des travailleurs migrants de créer un tel fonds, leur conseillant de « se concentrer sur le football ». Les autorités qataries s’opposent aussi à la création d’un tel fonds, mais elles disposent déjà de données et de mécanismes qui pourraient être utilisés pour s’appuyer sur des systèmes déjà en place afin de remédier aux abus.

« À moins d’une semaine du début de la Coupe du monde, la stratégie de la FIFA consistant à garder la tête dans le sable et à temporiser, espérant que l’enthousiasme pour le sport fera oublier les violations des droits humains, est vouée à l’échec », a affirmé Rothna Begum. « Pour les férus de football, surtout dans les pays d’origine des travailleurs, le tournoi sera un rappel amer de ce qu’il leur a coûté, et le seul moyen pour la FIFA et pour les autorités qataries de laisser un héritage positif est de s’engager à créer un fonds d’indemnisation pour les divers abus. »

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