(Gaza, le 14 juin 2022) - Les restrictions généralisées imposées aux plus de deux millions d’habitants de Gaza par Israël pour quitter ce territoire enclavé les privent de la possibilité d’améliorer leur vie, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui à l’occasion du quinzième anniversaire du bouclage instauré en 2007. Le bouclage a dévasté l’économie de Gaza, a contribué à la fragmentation du peuple palestinien, et participe des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution des autorités israéliennes à l’encontre de millions de Palestiniens.
La politique de bouclage d’Israël empêche la plupart des habitants de Gaza de se rendre en Cisjordanie, ce qui empêche les professionnels, artistes, sportifs, étudiants et autres personnes de saisir les opportunités qui s’offrent à eux en Palestine et de se rendre à l’étranger via Israël, ce qui restreint leurs droits au travail et à l’éducation. Les politiques restrictives de l’Égypte au point de passage de Rafah frontalier avec Gaza, notamment les retards inutiles et les mauvais traitements infligés aux voyageurs, ont exacerbé les atteintes aux droits humains causées par le bouclage.
« Avec l’aide de l’Égypte, Israël a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert », a déclaré Omar Shakir, directeur pour Israël et la Palestine à Human Rights Watch. « Alors que, deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, de nombreuses personnes voyagent de nouveau à travers le monde, plus de deux millions de Palestiniens de Gaza continuent d’être soumis à ce qui équivaut à un confinement qui a déjà duré 15 ans. »
Israël devrait mettre fin à l’interdiction généralisée de voyager imposée aux habitants de Gaza et autoriser la libre circulation des personnes vers et depuis Gaza, sous réserve, tout au plus, de contrôles individuels et de fouilles physiques à des fins de sécurité.
Entre février 2021 et mars 2022, Human Rights Watch a interrogé 20 Palestiniens qui cherchaient à sortir de Gaza en empruntant le passage d’Erez, géré par Israël, ou le passage de Rafah, administré par l’Égypte. Human Rights Watch a écrit aux autorités israéliennes et égyptiennes pour solliciter leur point de vue sur ses conclusions, et séparément pour leur demander des informations sur une agence de voyage égyptienne qui opère au passage de Rafah, mais n’a reçu aucune réponse à ce jour.
Depuis 2007, les autorités israéliennes ont, à de rares exceptions près, interdit aux Palestiniens de transiter par le point de passage d’Erez entre Gaza et Israël, d’où ils peuvent rejoindre la Cisjordanie et se rendre à l’étranger via la Jordanie. Israël empêche également les autorités palestiniennes d’exploiter un aéroport ou un port maritime à Gaza. Les autorités israéliennes y restreignent aussi fortement l’entrée et la sortie des marchandises.
Elles justifient souvent cette fermeture, intervenue après que le Hamas a pris le contrôle politique de Gaza à l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah en juin 2007, par des raisons de sécurité. Les autorités israéliennes ont déclaré vouloir minimiser les déplacements entre Gaza et la Cisjordanie afin d’empêcher l’exportation d’un « réseau terroriste humain » de Gaza vers la Cisjordanie, qui a une frontière poreuse avec Israël et où vivent des centaines de milliers de colons israéliens.
Cette politique a réduit les déplacements à une fraction de ce qu’ils étaient il y a vingt ans, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités israéliennes ont officiellement institué une « politique de séparation » entre Gaza et la Cisjordanie, malgré le consensus international selon lequel ces deux parties du territoire palestinien occupé forment une « entité territoriale unique ». Israël en a accepté le principe dans les accords d’Oslo, signés par le pays avec l’Organisation de libération de la Palestine en 1995. Les autorités israéliennes restreignent tous les déplacements entre Gaza et la Cisjordanie, même lorsqu’ils se font indirectement par la route qui traverse l’Égypte et la Jordanie plutôt que le territoire israélien.
En raison de ces politiques, les professionnels, étudiants, artistes et athlètes palestiniens vivant à Gaza ont manqué des opportunités essentielles d’avancement qui n’étaient pas disponibles à Gaza. Human Rights Watch a interrogé sept personnes qui ont déclaré que les autorités israéliennes n’avaient pas répondu à leurs demandes de voyage par Erez, et trois autres qui ont déclaré qu’Israël avait rejeté leurs permis, apparemment parce qu’ils ne correspondaient pas aux critères stricts imposés par Israël.
Après avoir passé des années à convaincre sa famille de l’autoriser à voyager seule, Walaa Sada, une réalisatrice de 31 ans, a déclaré avoir demandé des permis pour participer à une formation cinématographique en Cisjordanie en 2014 et 2018. Les autorités israéliennes n’ont jamais donné suite à ses demandes. La nature pratique de la formation, qui nécessite de filmer des scènes en direct et de travailler en studio, rendait difficilement réalisable une participation à distance et Walaa Sada a finalement dû renoncer à participer à ces sessions de formation.
Lorsqu’on lui a notifié ces refus, le « monde s’est rétréci », a expliqué Walaa Sada, qui s’est sentie « coincée dans une petite boîte... À Gaza, les aiguilles de l’horloge se sont arrêtées. Les gens du monde entier peuvent réserver un vol facilement et rapidement pour voyager, tandis que nous ... mourons en attendant notre tour. »
Les autorités égyptiennes ont encore aggravé l’impact de ce bouclage en restreignant les déplacements hors de Gaza et en fermant parfois complètement le poste frontière de Rafah qui est, en dehors d’Erez, la seule voie de sortie de Gaza vers l’extérieur. Depuis mai 2018, les autorités égyptiennes laissent plus régulièrement ouvert le poste de Rafah, ce qui en fait, sur fond de restrictions israéliennes généralisées, le principal point d’accès des habitants de Gaza au monde extérieur.
Cependant, les Palestiniens sont toujours confrontés à des obstacles onéreux lorsqu’ils voyagent en Égypte. Ils doivent notamment attendre plusieurs semaines pour obtenir des autorisations de voyager, à moins d’être prêts à payer des centaines de dollars à des agences de voyage ayant des liens privilégiés avec les autorités égyptiennes pour accélérer les procédures de voyage. Ils font aussi l’objet de refus d’entrée et d’abus de la part des autorités égyptiennes.
Walaa Sada a dit avoir également eu l’opportunité de participer à un atelier d’écriture de scénario en Tunisie en 2019, mais qu’elle n’avait pas les moyens de payer les 2000 dollars US que lui coûterait le service qui lui permettrait d’entreprendre ce voyage à temps. L’atelier avait déjà eu lieu quand son tour est venu de voyager, six semaines plus tard.
En tant que puissance occupante qui maintient un contrôle important sur de nombreux aspects de la vie à Gaza, Israël a l’obligation, en vertu du droit international humanitaire, de veiller au bien-être de la population. Les Palestiniens ont également le droit, en vertu du droit international des droits humains, de circuler librement, en particulier en territoire occupé, un droit qu’Israël ne peut restreindre, en vertu du droit international, qu’en réponse à des menaces de sécurité spécifiques.
Or la politique israélienne refuse par principe, à quelques exceptions près, la liberté de circulation aux habitants de Gaza indépendamment de toute évaluation individuelle du risque sécuritaire que représente chaque individu. Ces restrictions du droit à la liberté de circulation ne répondent pas à l’exigence d’être strictement nécessaires et proportionnées dans le but d’atteindre un objectif légal. Depuis plusieurs années, Israël a eu de multiples occasions de développer des réponses beaucoup mieux adaptées aux risques pour sa sécurité et qui minimisent les restrictions imposées aux droits des personnes.
Les obligations légales de l’Égypte envers les habitants de Gaza sont plus limitées, car elle n’est pas une puissance occupante. Cependant, en tant qu’État partie à la Quatrième Convention de Genève, elle devrait veiller au respect de la convention « en toutes circonstances », notamment aux protections des civils vivant sous occupation militaire et qui ne peuvent pas voyager en raison de restrictions illégales imposées par la puissance occupante. Les autorités égyptiennes devraient également tenir compte de l’impact de la fermeture de la frontière sur les droits des Palestiniens vivant à Gaza et qui ne peuvent se rendre à Gaza et en sortir par une autre route, et notamment sur le droit de toute personne à quitter un pays.
Les autorités égyptiennes devraient lever les obstacles déraisonnables qui restreignent les droits des Palestiniens et autoriser le transit par son territoire, sous réserve de considérations de sécurité, et veiller à ce que leurs décisions soient transparentes et non arbitraires et tiennent compte des droits fondamentaux des personnes concernées.
« Le bouclage de Gaza empêche des individus et professionnels talentueux qui ont beaucoup à offrir à leur société de profiter d’opportunités que d’autres personnes, dans d’autres pays, considèrent comme allant de soi », a déclaré Omar Shakir. « Empêcher les Palestiniens de Gaza de se déplacer librement dans leur patrie revient à étouffer les existences de ces personnes et souligne la cruelle réalité de l’apartheid et de la persécution que subissent des millions de Palestiniens. »
Informations détaillées
Obligations d’Israël envers Gaza en vertu du droit international
Les autorités israéliennes revendiquent « de larges pouvoirs et une grande discrétion pour décider qui peut entrer sur son territoire » et affirment qu’« un étranger n’a aucun droit légal d’entrer sur le territoire souverain de l’État, y compris à des fins de transit vers la [Cisjordanie] ou à destination de l’étranger ». Si le droit international des droits humains accorde une grande latitude aux gouvernements eu égard aux conditions d’entrée des étrangers, Israël a des obligations accrues envers les habitants de Gaza. En raison des contrôles permanents que le pays exerce sur la vie et le bien-être des habitants de Gaza, Israël reste une puissance occupante au sens du droit humanitaire international, malgré le retrait de ses forces militaires et de ses colonies du territoire en 2005. Tant les Nations Unies que le Comité international de la Croix-Rouge, gardiens du droit humanitaire international, sont parvenus à cette conclusion. En tant que puissance occupante, Israël reste tenu de fournir aux habitants de Gaza les droits et protections prévus par le droit de l’occupation. Les autorités israéliennes continuent de contrôler les eaux territoriales et l’espace aérien de Gaza, ainsi que la circulation des personnes et des biens, sauf à la frontière de Gaza avec l’Égypte. Israël contrôle également le registre de la population palestinienne et les infrastructures dont dépend la bande de Gaza.
Israël a l’obligation de respecter les droits humains des Palestiniens vivant à Gaza, notamment leur droit à la liberté de circulation dans l’ensemble du territoire palestinien occupé et à l’étranger, qui concerne à la fois le droit de quitter un pays et le droit d’entrer dans son propre pays. Israël est également tenu de respecter les droits des Palestiniens pour lesquels la liberté de circulation est une condition préalable, par exemple les droits à l’éducation, au travail et à la santé. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a déclaré que si les États peuvent restreindre la liberté de circulation pour des raisons de sécurité ou pour protéger la santé publique, l’ordre public et les droits d’autrui, ces restrictions doivent être proportionnées et « ne doivent pas porter atteinte à l’essence même du droit ; le rapport entre le droit et la restriction, entre la règle et l’exception, ne doit pas être inversé ».
Si le droit de l’occupation permet aux puissances occupantes d’imposer des restrictions aux civils pour des raisons de sécurité, il leur impose également de restaurer le fonctionnement de la sphère publique pour la population occupée. Cette obligation est renforcée dans le cas d’une occupation prolongée, au cours de laquelle l’occupant dispose de plus de temps et de possibilités pour élaborer des réponses plus étroitement adaptées aux menaces pour la sécurité, susceptibles de minimiser les restrictions imposées aux droits des personnes. En outre, les besoins de la population occupée augmentent avec le temps. La suspension de la quasi-totalité de la liberté de circulation pendant une courte période entraîne une interruption temporaire de la vie publique normale, mais la suspension durable et indéfinie de la liberté de circulation à Gaza a eu un impact beaucoup plus dévastateur, fragmentant les populations, effilochant les liens familiaux et sociaux, aggravant la discrimination à l’égard des femmes et empêchant les habitants de saisir des opportunités qui leur permettrait d’améliorer leur existence.
Cet impact est particulièrement dommageable étant donné le refus d’accorder la liberté de circulation aux personnes confinées à une petite partie du territoire occupé, et qui sont incapables d’interagir physiquement avec la majorité de la population occupée qui vit en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est avec son riche assortiment d’institutions éducatives, culturelles, religieuses et commerciales.
Après 55 ans d’occupation et 15 ans de bouclage de la bande de Gaza sans aucune perspective de fin, Israël devrait respecter pleinement les droits humains des Palestiniens, en se référant aux droits qu’il accorde aux citoyens israéliens. Israël devrait abandonner l’approche qui consiste à interdire la liberté de mouvement sauf circonstances exceptionnelles, humanitaires et individuelles telles que définies par lui, pour adopter une approche qui permette la libre circulation sauf circonstances exceptionnelles, sécuritaires et individuelles.
Bouclage de Gaza par Israël
La plupart des Palestiniens qui ont grandi à Gaza sous ce régime de bouclage n’ont jamais quitté la bande de Gaza, qui mesure 40 kilomètres sur 11. Au cours des 25 dernières années, Israël a multiplié les restrictions des déplacements des habitants de Gaza. Depuis juin 2007, date à laquelle le Hamas a pris le contrôle de Gaza aux dépens de l’Autorité palestinienne (AP) dirigée par le Fatah, la bande de Gaza est pratiquement fermée.
Les autorités israéliennes justifient cette fermeture pour des raisons de sécurité, compte tenu de « la montée en puissance du Hamas dans la bande de Gaza », comme elles l’exposent dans un document judiciaire de décembre 2019. Les autorités soulignent en particulier le risque que le Hamas et les groupes palestiniens armés recrutent ou exercent des contraintes sur les habitants de Gaza qui ont des permis de voyager via Erez « pour perpétrer des actes terroristes et transférer des agents, des connaissances, des renseignements, des fonds ou des équipements pour des activistes terroristes. » Leur politique se résume toutefois à un refus systématique assorti de rares exceptions, plutôt qu’à un respect global du droit des Palestiniens à la liberté de circulation, qui ne saurait être refusé que pour des raisons individuelles liées à la sécurité.
Depuis 2007, l’armée israélienne limite les déplacements au point de passage d’Erez, sauf dans ce qu’elle considère être des « circonstances humanitaires exceptionnelles, » principalement pour les personnes qui ont besoin d’un traitement médical vital en dehors de Gaza et pour celles qui les accompagnent. Israël a restreint les déplacements même pour les personnes qui cherchent à voyager dans le cadre de quelques exceptions limitées, affectant entre autres leurs droits à la santé et à la vie, comme l’ont documenté Human Rights Watch et d’autres groupes. La plupart des habitants de Gaza ne répondent pas aux critères fixés pour ces exemptions qui leur permettraient de voyager par le point de passage d’Erez, même si c’est pour rejoindre la Cisjordanie.
Selon le groupe israélien de défense des droits Gisha, entre janvier 2015 et décembre 2019, avant le début des restrictions liées à la pandémie de Covid-19, environ 373 Palestiniens en moyenne ont quotidiennement quitté Gaza via Erez, soit moins de 1,5 % de la moyenne quotidienne de 26 000 en septembre 2000, avant la fermeture. Les autorités israéliennes ont encore durci le bouclage pendant la pandémie de Covid-19 – entre mars 2020 et décembre 2021, une moyenne d’environ 143 Palestiniens ont quotidiennement quitté Gaza via Erez, toujours selon Gisha.
Les autorités israéliennes ont annoncé en mars 2022 qu’elles allaient donner 20 000 permis pour permettre aux Palestiniens de Gaza de travailler en Israël dans la construction et l’agriculture, mais Gisha rapporte qu’au 22 mai, le nombre réel de permis valides dans cette catégorie n’était que de 9 424.
Depuis plus de vingt ans, les autorités israéliennes ont également fortement restreint l’utilisation par les Palestiniens de l’espace aérien et des eaux territoriales de Gaza. Elles ont bloqué la réouverture de l’aéroport que les forces israéliennes avaient rendu inutilisable en janvier 2002 et empêché les autorités palestiniennes de construire un port maritime, obligeant les Palestiniens à quitter Gaza par voie terrestre pour se rendre à l’étranger. Les quelques Palestiniens autorisés à traverser au point de passage d’Erez ne peuvent généralement pas se rendre à l’étranger via l’aéroport international d’Israël et doivent passer par la Jordanie. Les Palestiniens qui souhaitent quitter Gaza via Erez, soit vers la Cisjordanie, soit vers l’étranger, déposent leurs demandes auprès du Comité palestinien des affaires civiles à Gaza, qui transmet ces demandes aux autorités israéliennes, qui décident d’accorder ou non un permis.
Séparation entre Gaza et la Cisjordanie
Dans le cadre du bouclage, les autorités israéliennes ont cherché à « différencier » leurs approches politiques à l’égard de Gaza et de la Cisjordanie, notamment en imposant des restrictions plus importantes à la circulation des personnes et des biens de Gaza vers la Cisjordanie, et à promouvoir la séparation entre ces deux parties du territoire palestinien occupé. L’armée a publié une « Procédure d’installation dans la bande de Gaza par les habitants de Judée et Samarie », qui indique qu’« en 2006, une décision a été prise d’introduire une politique de séparation entre la zone de Judée et Samarie [la Cisjordanie] et la bande de Gaza à la lumière de la montée en puissance du Hamas dans la bande de Gaza. La politique actuellement en vigueur vise explicitement à réduire les déplacements entre ces zones. »
Dans chacun des 11 cas examinés par Human Rights Watch concernant des personnes qui cherchaient à rejoindre la Cisjordanie, notamment Jérusalem-Est, pour des opportunités professionnelles et éducatives non disponibles à Gaza, les autorités israéliennes n’ont pas répondu aux demandes de permis ou les ont refusées, soit pour des raisons de sécurité, soit parce qu’elles ne se conformaient pas à la politique de bouclage. Human Rights Watch a également examiné des demandes de permis sur le site Internet du Comité palestinien des affaires civiles, ou des captures d’écran de celui-ci, notamment le statut des demandes de permis, le moment où elles ont été envoyées aux autorités israéliennes et la réponse reçue, le cas échéant.
Raed Issa, un artiste de 42 ans, a déclaré que les autorités israéliennes n’ont pas répondu à sa demande de permis de début décembre 2015 pour assister à une exposition consacrée à son travail dans une galerie d’art de Ramallah, entre le 27 décembre et le 16 janvier 2016.
L’exposition « Beyond the Dream » visait à mettre en lumière la situation à Gaza après la guerre de 2014. Raed Issa a déclaré que le Comité des affaires civiles palestiniennes continuait d’identifier sa demande comme « envoyée et en attente de réponse ». Il a finalement dû assister virtuellement au vernissage de l’exposition. Raed Issa a estimé que le fait de ne pas être physiquement présent l’a empêché de dialoguer avec le public, d’entretenir un réseau et de promouvoir son travail, ce qui, selon lui, a limité la portée de ce dernier et nui aux ventes de ses œuvres. Il s’est dit peiné « d’exposer son art dans son pays sans pouvoir assister à l’exposition, ni se déplacer librement ».
Ashraf Sahweel, 47 ans, président du conseil d’administration du Centre d’art et de culture de Gaza, a déclaré que les artistes basés à Gaza ne reçoivent généralement pas de réponse après avoir demandé des permis israéliens, ce qui les oblige à laisser passer des occasions d’assister à des expositions ou à d’autres événements culturels. Peintre lui-même, il a demandé sept permis entre 2013 et 2022, mais pour chacune de ses demandes, soit les autorités israéliennes n’ont pas répondu, soit elles ont refusé, a-t-il expliqué. Ashraf Sahweel a déclaré qu’il avait « perdu tout espoir de voyager via Erez. »
Les athlètes palestiniens de Gaza sont confrontés à des restrictions similaires lorsqu’ils cherchent à concourir avec leurs homologues de Cisjordanie, même si les directives de l’armée israélienne identifient spécifiquement « l’entrée des sportifs » parmi les dérogations autorisées au bouclage. Ces directives, mises à jour en février 2022, stipulent que « tous les habitants de la bande de Gaza qui sont membres des équipes sportives nationales et locales peuvent entrer en Israël en transit pour se rendre dans la zone de Judée et Samarie [Cisjordanie] ou à l’étranger pour les activités officielles des équipes. »
Hilal al-Ghawash, 25 ans, a déclaré à Human Rights Watch que son équipe de football, Khadamat Rafah, avait un match en juillet 2019 avec une équipe rivale de Cisjordanie, le Centre de jeunesse de Balata (Balata Youth Center), en finale du Palestine Club, le vainqueur ayant le droit de représenter la Palestine à la Coupe d’Asie. La Fédération palestinienne de football a demandé des permis pour l’ensemble des 22 joueurs et 13 membres du personnel de l’équipe, mais les autorités israéliennes n’ont accordé des permis qu’à 4 personnes, et à un seul joueur seulement, sans fournir d’explication. Le match a donc été reporté.
Après que Gisha a fait appel de la décision devant le tribunal de district de Jérusalem, les autorités israéliennes ont accordé des permis à 11 personnes, dont six joueurs, déclarant que les 24 autres avaient été refusés pour des raisons de sécurité qui n’ont pas été précisées. Al-Ghawash faisait partie des joueurs qui n’ont pas reçu de permis. Le tribunal de district de Jérusalem a confirmé les refus. Khadamat Rafah étant empêché de se rendre en Cisjordanie, la Fédération palestinienne de football a annulé le match de la finale de la Coupe de Palestine.
Hilal Al-Ghawash a déclaré que les matchs en Cisjordanie revêtent une importance particulière pour les joueurs de football de Gaza, car ils leur offrent la possibilité de montrer leurs talents aux clubs de Cisjordanie, qui sont généralement considérés comme supérieurs à ceux de Gaza et qui paient mieux. Malgré cette annulation, al-Ghawash a déclaré que plus tard cette année-là, le Balata Youth Center lui a proposé un contrat pour jouer pour eux. La Fédération palestinienne de football a de nouveau demandé un permis au nom d’al-Ghawash, mais celui-ci a dit ne pas avoir reçu de réponse et n’avoir pas pu rejoindre l’équipe.
En 2021, al-Ghawash a signé un contrat avec une autre équipe de Cisjordanie, le club Hilal al-Quds. La Fédération palestinienne de football a de nouveau fait une demande, mais cette fois, l’armée israélienne a refusé le permis pour des raisons de sécurité non précisées. Al-Ghawash a déclaré qu’il n’appartenait à aucun groupe armé ou mouvement politique et qu’il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle les autorités israéliennes lui avaient refusé le permis.
Le fait de manquer de telles opportunités a obligé Al-Ghawash à renoncer non seulement à un salaire plus élevé, mais aussi à la possibilité de jouer pour des équipes de Cisjordanie plus compétitives, ce qui aurait pu le rapprocher de son objectif de rejoindre l’équipe nationale palestinienne. « En Cisjordanie, il y a de l’avenir, mais ici à Gaza, c’est une condamnation à mort », a-t-il déclaré. « Le bouclage dévaste l’avenir des joueurs. Gaza est plein de gens talentueux, mais c’est tellement difficile de partir. »
Il est fréquent qu’étudiants et professionnels palestiniens ne puissent obtenir des permis pour étudier ou se former en Cisjordanie. En 2016, l’hôpital Augusta Victoria de Jérusalem-Est a accepté 10 étudiants en physique de l’université Al-Azhar de Gaza pour un programme de formation à l’hôpital de six mois. Les autorités israéliennes ont refusé à cinq étudiants des permis sans fournir de justification, ont déclaré deux de ces étudiants.
Les cinq autres étudiants ont d’abord reçu des permis valables pour 14 jours seulement, puis ont rencontré des difficultés pour obtenir d’autres permis. Aucun d’entre eux n’a pu suivre l’intégralité du programme, ont déclaré ces deux étudiants. L’un d’eux, Mahmoud Dabour, 28 ans, a expliqué que lorsqu’il a demandé un deuxième permis, il n’a reçu aucune réponse. Deux mois plus tard, il a fait une nouvelle demande et a réussi à obtenir un permis valable pour une semaine. Il a reçu un autre permis, valable 10 jours, mais lorsqu’il est revenu et a fait une cinquième demande, les autorités israéliennes ont rejeté sa demande de permis sans donner de raison. En conséquence, il n’a pas pu terminer le programme de formation et, sans la certification que les participants reçoivent à l’issue de cette formation, il ne peut postuler à des emplois ou participer à des conférences ou des ateliers à l’étranger dans ce domaine.
Mahmoud Dabour a déclaré que la formation ne pouvait pas être proposée à Gaza, car le matériel de radiation nécessaire expire trop rapidement pour être fonctionnel après être passé au crible des longues inspections israéliennes du matériel entrant dans la bande de Gaza. Il n’y a pas d’appareils en état de marche du type de ceux dont les étudiants ont besoin pour leur formation à Gaza, a déclaré Mahmoud Dabour.
L’un des étudiants dont le permis a été refusé a déclaré : « J’ai l’impression d’avoir étudié pour rien pendant cinq ans, et que ma vie s’est arrêtée. » Pour sa sécurité, cet étudiant a demandé que son nom ne soit pas divulgué
Deux employés de Zimam, une organisation basée à Ramallah qui travaille sur l’autonomisation des jeunes et la résolution des conflits, ont déclaré que les autorités israéliennes leur ont refusé à plusieurs reprises des permis pour assister à des formations organisationnelles et à des réunions stratégiques. Atta al-Masri, le directeur régional de l’organisation à Gaza, âgé de 31 ans, a déclaré qu’il avait demandé quatre fois des permis, mais qu’il n’en avait jamais reçu. Les autorités israéliennes n’ont pas répondu les trois premières fois et, la dernière fois en 2021, lui ont refusé un permis en raison de « non-conformité » avec les dérogations autorisées au bouclage. Il travaille pour Zimam depuis 2009, mais n’a physiquement pu rencontrer ses collègues pour la première fois qu’en Égypte, en mars 2022.
Ahed Abdullah, 29 ans, coordinatrice des programmes pour la jeunesse de Zimam à Gaza, a déclaré avoir demandé deux fois un permis en 2021, mais que les autorités israéliennes ont également refusé ses deux demandes pour « non-conformité ».
C’est censé être mon droit. Mon droit le plus simple. Pourquoi me l’ont-ils refusé ? Mes collègues qui sont en dehors de Palestine ont pu le faire, alors que moi qui me trouve en Palestine, je n’ai pas pu me rendre dans une autre partie de la Palestine... Il n’y a que 2 à 3 heures de trajet entre Gaza et Ramallah. Pourquoi devrais-je faire ma formation en ligne ? Pourquoi suis-je obligée de faire des réunions ennuyeuses sur Zoom au lieu d’être avec mes collègues et faire des activités avec eux ?
Human Rights Watch a précédemment documenté que le bouclage a empêché des spécialistes de l’utilisation d’appareils d’assistance pour les personnes handicapées d’avoir accès à des formations pratiques sur les dernières méthodes d’évaluation, de maintenance et de remise en état des appareils. Human Rights Watch a également documenté des restrictions imposées à la circulation des travailleurs des droits humains. Le groupe israélien de défense des droits humains Gisha a rapporté qu’Israël a empêché des professionnels de santé de Gaza de participer à des formations en Cisjordanie sur la façon d’utiliser de nouveaux équipements et a entravé le travail d’organisations de la société civile opérant à Gaza.
Les autorités israéliennes ont également rendu impossible la réinstallation des Palestiniens de Gaza en Cisjordanie. En raison des restrictions israéliennes, des milliers d’habitants de Gaza qui sont arrivés avec des permis temporaires et vivent maintenant en Cisjordanie ne peuvent obtenir de résidence légale. Bien qu’Israël affirme que ces restrictions sont liées au maintien de la sécurité, les preuves recueillies par Human Rights Watch suggèrent que la principale motivation est de contrôler la démographie palestinienne en Cisjordanie, où Israël, contrairement à la bande de Gaza, cherche à conserver les terres.
Égypte
La plupart des habitants de Gaza ne pouvant passer par le point de passage d’Erez, c’est celui de Rafah, administré par l’Égypte, qui est devenu le principal point de sortie de Gaza vers le monde extérieur, en particulier ces dernières années. Les autorités égyptiennes ont maintenu Rafah en grande partie fermé pendant près de cinq ans après le coup d’État militaire de juillet 2013 en Égypte, qui a renversé le président Mohamed Morsy, accusé par les militaires de recevoir le soutien du Hamas. L’Égypte a toutefois assoupli les restrictions en mai 2018, en pleine Grande Marche du retour, ces manifestations palestiniennes alors récurrentes à la frontière entre Gaza et Israël.
Bien que le point de passage de Rafah reste plus régulièrement ouvert depuis le mois de mai 2018, les déplacements via Rafah ne représentent qu’une fraction de ce qu’ils étaient avant le coup d’État de 2013 en Égypte. Alors qu’en moyenne 40 000 personnes passaient chaque mois dans les deux sens avant le coup d’État, la moyenne mensuelle était de 12 172 en 2019 et de 15 077 en 2021, selon Gisha.
Human Rights Watch s’est entretenu avec 16 habitants de Gaza qui ont cherché à voyager via Rafah. Presque tous ont dit avoir opté pour ce point de passage en raison de la quasi-impossibilité d’obtenir un permis israélien de voyager via Erez.
Les habitants de Gaza qui espèrent partir par Rafah doivent s’enregistrer à l’avance selon un processus que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) a jugé « confus » et « obscur ». Les habitants de Gaza peuvent soit s’inscrire par le biais du processus d’enregistrement officiel administré par le ministère de l’Intérieur de Gaza, soit s’inscrire de manière informelle par le biais de ce que l’on appelle le tanseeq, qui consiste à coordonner leur voyage avec les autorités égyptiennes, en payant des agences de voyage ou des médiateurs pour obtenir une place sur une liste distincte gérée par les autorités égyptiennes. Le fait d’avoir deux listes distinctes de voyageurs autorisés gérées par des autorités différentes a alimenté « les allégations de paiement de pots-de-vin à Gaza et en Égypte permettant de garantir un voyage et une réponse plus rapide », selon l’OCHA.
La procédure officielle prend souvent deux à trois mois, sauf pour les personnes voyageant pour des raisons médicales, dont les demandes sont traitées plus rapidement, ont déclaré des habitants de Gaza qui ont cherché à quitter la bande de Gaza via Rafah. Les autorités égyptiennes ont parfois rejeté des personnes qui cherchaient à passer de Rafah en Égypte au motif qu’elles ne répondaient pas à des critères spécifiques pour voyager. Ces critères manquent de transparence, mais Gisha affirme qu’ils incluent le fait d’avoir une recommandation pour un rendez-vous médical en Égypte, ou d’être en possession de documents valides pour l’entrée dans un pays tiers.
Pour éviter l’attente et le risque de refus, beaucoup choisissent l’option du tanseeq. Plusieurs personnes interrogées ont déclaré avoir versé de grosses sommes d’argent à des courtiers palestiniens ou à des agences de voyage basées à Gaza, qui travaillent directement avec les autorités égyptiennes pour accélérer le déplacement des personnes via Rafah. Sur les réseaux sociaux, certaines de ces agences prétendent qu’elles sont en mesure de garantir un voyage en quelques jours à ceux qui fournissent le paiement et une copie de leur passeport. Le coût du tanseeq a fluctué de plusieurs centaines à plusieurs milliers de dollars US pendant la dernière décennie, en fonction notamment de la fréquence d’ouverture du point de passage de Rafah.
Ces dernières années, les agences de voyage ont proposé une option supplémentaire, un tanseeq « VIP » qui accélère le voyage sans retard de transit entre Rafah et Le Caire, offre une certaine flexibilité quant à la date du voyage et garantit un traitement amélioré par les autorités. Son coût s’élevait à 700 dollars en janvier 2022.
Hala Consulting and Tourism Services, l’agence basée au Caire qui propose les services de tanseeq VIP, a des liens étroits avec les services de sécurité égyptiens et son personnel est composé en grande partie d’anciens officiers de l’armée égyptienne, ont déclaré à Human Rights Watch un militant des droits humains et un journaliste qui ont enquêté sur ces questions. Cela permet à cette agence de réduire les délais de traitement et les retards aux points de contrôle pendant le voyage entre Rafah et Le Caire. L’activiste et le journaliste ont tous deux demandé à ce que leurs noms ne soient pas divulgués pour des raisons de sécurité.
Cette agence a des liens avec l’éminent homme d’affaires égyptien Ibrahim El-Argani, qui entretient lui-même des liens étroits avec le président égyptien, Abdel-Fattah al-Sissi. El-Argani dirige l’Union des tribus du Sinaï, qui travaille main dans la main avec l’armée et les services de renseignement égyptiens contre les militants opérant dans le Nord-Sinaï. Ibrahim El-Argani, l’un des rares hommes d’affaires égyptiens capables d’exporter des produits vers Gaza depuis l’Égypte, possède la société Sinai Sons, qui détient l’exclusivité de la gestion de tous les contrats liés aux efforts de reconstruction de Gaza. Human Rights Watch a écrit à El-Argani pour solliciter son point de vue sur ces questions, mais n’avait reçu aucune réponse au moment de la rédaction de ce rapport.
Un ingénieur informatique et entrepreneur de 34 ans a déclaré qu’il cherchait à se rendre en 2019 en Arabie saoudite pour rencontrer un investisseur afin de discuter d’un projet potentiel de vente de pièces automobiles en ligne. Il a choisi de ne pas demander à voyager par le point de passage d’Erez, car ses huit demandes de permis entre 2016 et 2018 avaient été rejetées ou étaient restées sans réponse.
Il s’est d’abord inscrit par le biais du processus officiel du ministère de l’Intérieur et a reçu l’autorisation de voyager après trois mois. Cependant, le jour prévu pour sa sortie par le point de passage de Rafah, un agent égyptien qui était sur place a déclaré qu’il jugeait son justificatif de voyage insuffisamment « convaincant » et lui a refusé le passage. Quelques mois plus tard, il a tenté de voyager à nouveau dans le même but, en optant cette fois pour le tanseeq et en payant 400 dollars. Cette fois, il a réussi à atteindre l’Arabie saoudite dans la semaine qui a suivi sa demande de voyage.
Cet homme a indiqué qu’il aimerait partir en vacances avec sa femme, mais qu’il craint que les autorités égyptiennes ne considèrent pas les vacances comme une raison suffisamment impérieuse pour voyager et que sa seule option était de payer des centaines ou des milliers de dollars pour le tanseeq.
En février 2021, un homme de 73 ans a voulu passer par Rafah avec sa fille de 46 ans pour subir une opération de remplacement du genou à l’hôpital al-Sheikh Zayed du Caire. Il a déclaré que Gaza n’avait pas les moyens de réaliser une telle opération. L’homme et sa fille sont des parents d’un membre du personnel de Human Rights Watch. Ils ont fait leur demande avec la procédure du ministère de l’Intérieur et ont reçu l’autorisation en un peu plus d’une semaine.
Mais après avoir attendu plusieurs heures dans le hall égyptien de Rafah le jour du voyage, les autorités égyptiennes ont inclus le nom de la fille sur la liste des 70 personnes qui n’ont pas été autorisées à passer ce jour-là, selon la fille. Le père a montré aux agents de la frontière une note du médecin indiquant qu’il avait besoin de quelqu’un pour voyager avec lui en raison de sa situation médicale, mais l’agent lui a répondu : « Vous voyagez seul ou vous rentrez avec elle à Gaza. » Elle a déclaré qu’elle était retournée à Gaza avec 70 autres personnes et que son père avait ensuite voyagé par ses propres moyens.
Cinq personnes qui ont réussi à passer par Rafah ont déclaré avoir été maltraitées par les autorités égyptiennes, notamment par des fouilles intrusives, et plusieurs d’entre elles ont dit avoir eu l’impression que les autorités égyptiennes les traitaient comme des « criminels. » Plusieurs personnes ont déclaré que les agents égyptiens leur avaient confisqué des objets pendant le voyage, notamment un appareil photo coûteux et un téléphone portable, sans raison apparente.
Après avoir quitté Rafah, les Palestiniens sont transportés en bus jusqu’à l’aéroport du Caire. Le trajet dure environ sept heures, mais plusieurs personnes ont déclaré que le voyage prenait jusqu’à trois jours, entre les longues périodes d’attente dans le bus, aux points de contrôle et en raison d’autres retards, souvent dans des conditions météorologiques extrêmes. Beaucoup de ceux qui ont voyagé via le point de passage de Rafah ont dit que, pendant leur voyage, les autorités égyptiennes avaient empêché les passagers de se servir de leurs téléphones.
Les parents d’un garçon de 7 ans atteint d’autisme et d’une maladie cérébrale rare ont déclaré qu’ils avaient cherché à voyager pour y recevoir un traitement médical en août 2021, mais que les autorités égyptiennes n’avaient autorisé que le garçon et sa mère à entrer. La mère a déclaré que leur voyage de retour vers Gaza avait duré quatre jours, principalement en raison de la fermeture de Rafah. Durant cette période, a-t-elle raconté, ils ont passé des heures à attendre aux points de contrôle dans une chaleur extrême, avec son fils qui pleurait sans arrêt. Elle a dit s’être sentie « humiliée » et traitée comme « un animal » et a ajouté qu’elle « préférerait mourir plutôt que de voyager une nouvelle fois par Rafah. »
Un cinéaste de 33 ans, qui s’est rendu fin 2019 au Maroc par le point de passage de Rafah pour assister à la projection d’un film, a déclaré que le retour du Caire à Rafah avait pris trois jours, dont une grande partie passée aux points de contrôle, dans l’hiver froid du désert du Sinaï.
Un homme de 34 ans a déclaré qu’il prévoyait de se rendre en août 2019 aux Émirats arabes unis via Rafah pour un entretien d’embauche en tant que professeur d’arabe. Il a expliqué que, le jour de son voyage, les autorités égyptiennes l’avaient refoulé, en affirmant qu’elles avaient atteint leur quota de voyageurs. Il est passé le jour suivant, mais a affirmé que, comme c’était un jeudi et que Rafah était fermé le vendredi, les autorités égyptiennes avaient obligé les voyageurs à dormir deux nuits à Rafah, sans leur fournir de nourriture, ni d’accès à une salle de bain propre.
Le voyage jusqu’à l’aéroport du Caire a ensuite duré deux jours, au cours desquels l’homme a dit avoir traversé plusieurs postes de contrôle où les agents obligeaient les passagers à « mettre les mains dans leur dos pendant qu’ils fouillaient leurs valises. » En raison de ces retards cumulés de quatre jours par rapport à la date prévue pour son voyage, il a manqué son entretien d’embauche et a appris qu’une autre personne avait été engagée. Il est actuellement au chômage à Gaza.
Étant donné l’incertitude du passage à Rafah, plusieurs habitants de Gaza ont dit qu’ils attendaient souvent d’arriver au Caire pour réserver leur vol au départ de cette ville. Réserver si tard signifie souvent, en plus d’autres obstacles, qu’il faut attendre pour trouver un vol convenable à prix raisonnable, prévoir des jours supplémentaires de voyage et dépenser plus d’argent pour des billets modifiables ou de dernière minute. Une logique similaire prévaut en ce qui concerne les voyages à l’étranger par le point de passage d’Erez vers Amman.
Human Rights Watch a interrogé quatre hommes âgés de moins de 40 ans, munis de visas pour des pays tiers, que les autorités égyptiennes n’ont autorisés à entrer qu’en transit. Les autorités ont transporté ces hommes à l’aéroport du Caire et les ont fait attendre dans ce qu’on appelle la « salle des déportations » jusqu’à l’heure de leur vol. Les hommes ont comparé cette pièce à une « cellule de prison, » avec des installations sommaires et des conditions insalubres. Tous ont décrit un système dans lequel il faut verser des pots-de-vin pour pouvoir quitter la pièce et aller réserver un billet d’avion, se procurer de la nourriture, des boissons ou une cigarette, et éviter les abus. L’un des hommes a décrit un agent qui l’a emmené à l’extérieur de la pièce en lui demandant : « Ne voudriez-vous pas donner quelque chose à l’Égypte ? », et a déclaré que d’autres personnes présentes dans la pièce lui ont dit qu’il avait ensuite procédé de la même manière avec eux.
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