Le gouvernement de Bachar el-Assad a été renversé le 8 décembre 2024 par une coalition de groupes armés d’opposition, ce qui a marqué la fin de plus d’un demi-siècle d’hégémonie du parti Baas en Syrie. Au fur et à mesure que les groupes d’opposition prenaient de nouvelles villes, ils ont libéré des prisonniers détenus dans des prisons et centres de détention syriens. Des journalistes locaux et internationaux ont pu visiter d’anciens lieux de détention ainsi que les sites de fosses communes et d’autres atrocités, créant de nouvelles opportunités d’établir les responsabilités des violations commises par le régime.
Les groupes armés non étatiques en Syrie, dont Hayet Tahrir el-Cham (HTC) et des factions de l’Armée nationale syrienne (ANS), qui ont lancé l’offensive du 27 novembre ayant abouti au renversement du régime syrien au bout de douze jours, ont eux aussi été responsables d’atteintes aux droits humains et de crimes de guerre.
Au cours de l’année 2024, les Syriens ont subi des abus et affronté beaucoup de difficultés en raison du conflit en cours, des conditions économiques dégradées et de l’insécurité générale. La Russie et l’Iran ont continué de fournir une aide militaire et financière au gouvernement syrien jusqu’à son effondrement, tandis que les États-Unis soutiennent les Forces démocratiques syriennes (FDS) menées par des Kurdes dans le nord-est de la Syrie et que la Turquie apporte son soutien à l’Armée nationale syrienne (ANS). Israël a mené des frappes aériennes en Syrie tout au long de l’année 2024. Après le 8 décembre, le pays a lancé des frappes qui ont détruit des infrastructures militaires dans tout le pays et étendu son occupation militaire du territoire syrien au pied du versant sud du mont Hermon.
Bien que les conditions en Syrie demeurent trop mauvaises pour que les réfugiés syriens vivant à l’étranger puissent y retourner dans la sécurité et la dignité, la Turquie et le Liban, les deux principaux pays d’accueil, ont sommairement expulsé des milliers de ressortissants syriens vers la Syrie. De plus, les discours sur le retour des réfugiés syriens se sont multipliés dans les pays européens, dont beaucoup ont cessé de traiter les demandes d’asile de Syriens passé le 8 décembre.
Jusqu’à son effondrement, l’ancien gouvernement syrien n’a mis fin ni aux abus, ni à l’impunité de leurs auteurs, en dépit d’une ordonnance émise par la Cour internationale de Justice (CIJ) pour interdire les actes de torture perpétrés par l’État. En dehors de la Syrie, des efforts de lutte contre l’impunité se sont poursuivis, puisque des tribunaux européens ont condamné des auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Zones contrôlées par le gouvernement avant le 8 décembre (centre, ouest et sud de la Syrie)
Avant que le régime d’el-Assad ne soit renversé le 8 décembre, les forces de sécurité syriennes et les groupes armés alliés au gouvernement ont continué à détenir arbitrairement, faire disparaître et maltraiter des civils. Ces abus ciblaient souvent des personnes perçues comme opposées au gouvernement ou ayant des liens avec les zones précédemment tenues par l’opposition, avec peu de respect des procédures légales. Les anciennes autorités ont également continué à confisquer illégalement des biens et empêcher des Syriens revenus d’exil de retourner dans leur région d’origine. A partir de début 2024, l’ancien ministère des Finances a procédé au gel illégal des avoirs de centaines de personnes originaires d’une petite ville précédemment contrôlée par l’opposition au sud de Damas, ainsi que de leurs familles ; une mesure qui constitue une punition collective.
La Commission d’enquête internationale (COI) sur la Syrie mise en place en septembre 2024 par les Nations Unies a documenté des violations toujours en cours et très peu de poursuites à l’encontre de leurs auteurs. Les arrestations arbitraires, surtout en vertu de la Loi sur la cybercriminalité dont la portée a été élargie en 2022, ont continué à être employées comme outil de répression, deux personnes au moins ayant été arrêtées pour des publications sur les réseaux sociaux et inculpées de « porter atteinte au prestige de l’État », d’après la COI.
Par ailleurs, l’abolition en 2023 des tribunaux militaires, réclamée depuis longtemps par les défenseurs des droits humains, a peu contribué à rendre la justice ou améliorer la transparence pour les milliers de personnes qui ont été jugées sans bénéficier d’un procès en bonne et due forme. Malgré la dissolution des tribunaux militaires, aucun effort concerté de la part du gouvernement n’a permis de faire la lumière sur le devenir des milliers de personnes disparues.
En septembre, Bachar el-Assad a décrété une amnistie générale pour les militaires déserteurs et les délinquants, mais l’amnistie excluait les personnes détenues pour leur opposition politique supposée. Les amnisties précédentes avaient déjà échoué à résoudre la situation critique concernant les détenus, avec des dizaines de milliers de personnes croupissant toujours en détention ou disparues.
En janvier 2024, des frappes aériennes jordaniennes au sud de la Syrie ont tué dix personnes, dont deux petites filles, suscitant des appels à punir les responsables et à indemniser les personnes ayant subi des préjudices lors de ces opérations transfrontalières de lutte contre la contrebande.
Dans un contexte de tensions régionales accrues par les hostilités à Gaza, Israël a accentué ses frappes aériennes en Syrie, notamment contre des combattants et installations militaires de l’Iran et du Hezbollah. Les frappes israéliennes sur Damas, Homs et Deir ez-Zor ont touché des zones résidentielles densément peuplées, causant des pertes civiles.
Nord-ouest de la Syrie
Le 27 novembre, le groupe islamiste armé Hayet Tahrir el-Cham (HTC), aux côtés de factions de l’Armée nationale syrienne (ANS) soutenue par la Turquie, a lancé une nouvelle offensive en Syrie depuis sa base de la province d’Idlib, jusqu’à renverser le gouvernement syrien le 8 décembre, au bout d’une campagne militaire ayant duré douze jours.
Ces dernières années, le nord-ouest de la Syrie était peuplé de plus de 4,1 millions de personnes, dont plus de la moitié avaient été déplacées au moins une fois depuis le début du conflit. Avant la chute du régime d’el-Assad en décembre, les habitants de ces régions étaient de fait pris au piège puisqu’ils n’avaient pas assez de ressources pour déménager, ne pouvaient pas demander asile en Turquie et craignaient les représailles ou les persécutions de la part du gouvernement s’ils essayaient de se réinstaller dans des zones qu’il contrôlait.
À Idlib et à l’ouest d’Alep, les attaques illégales menées par des forces militaires syriennes et russes ont persisté en 2024 et jusqu’à la chute du régime d’el-Assad, tuant des civils et endommageant des infrastructures civiles critiques.
En février, suite à des récits de tortures commises par HTC, de grandes manifestations ont éclaté à Idlib pour exiger la libération de détenus, des réformes en matière de gouvernance et socio-économiques, ainsi que le départ du chef de HTC, Abou Mohammed el-Joulani (également appelé Ahmed el-Charaa). Le rapport de la COI publié en septembre documentait des privations illégales de liberté, des actes de torture et des mauvais traitements, des exécutions et des décès en détention du fait de HTC.
Territoires du nord de la Syrie occupés par la Turquie
Dans les territoires du nord de la Syrie occupés par la Turquie, des factions de l’ANS et de la police militaire, une force mise en place par le Gouvernement intérimaire syrien (GIS) basé en Turquie dans le but de contrôler les abus, ont fait subir à des centaines de personnes, en toute impunité, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des tortures et mauvais traitements, des violences sexuelles et des procès inéquitables devant des tribunaux militaires.
Les factions de l’ANS ont continué à violer les droits des civils en matière de droit au logement, à la terre et à la propriété, en utilisant la force pour leur confisquer domiciles, terrains et entreprises. De plus, des centaines de milliers de Syriens ayant fui leur foyer pendant et après les opérations militaires successives de la Turquie dans cette région sont toujours déplacés et dépossédés.
En 2024, l’ANS a signé un plan d’action avec les Nations Unies pour empêcher l’enrôlement des enfants dans les forces armées.
À la suite de la chute du régime d’el-Assad en décembre, l’ANS, soutenue par la Turquie, a lancé dans le nord de la Syrie une campagne militaire contre les Forces démocratiques syriennes (FDS) menées par des Kurdes, expulsant les FDS de zones du gouvernorat d’Alep telles que Manbij. À l’heure où nous écrivons, elle menaçait de s’emparer de nouveaux territoires. Les combats ont forcé plus de 100 000 personnes, en majorité des Kurdes, à fuir vers le nord-est, où elles ont trouvé des conditions humanitaires difficiles.
Nord-est de la Syrie
En 2024, d’après le rapport de septembre de la COI, les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont continué à placer des activistes politiques en détention.
Les FDS et leurs groupes alliés ont continué à recruter des enfants à des fins militaires, alors qu’ils s’étaient engagés à mettre fin à cette pratique.
Les troubles se sont intensifiés dans le gouvernorat de Deir ez-Zor, situé dans l’est, les FDS ayant mené des raids militaires qui ont causé des pertes civiles. Des frappes aériennes turques ont ciblé des installations civiles dans tout le nord-est, mettant en danger des moyens de subsistance et coupant les communautés de services essentiels comme l’électricité ou les soins médicaux.
Les FDS et les forces de sécurité régionales Assayech ont maintenu arbitrairement en détention environ 44 000 suspects et proches de suspects de l’État islamique de Syrie et de près de 60 autres pays, dans des conditions dégradantes, dans les camps d’al-Hol et de Roj. L’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES), l’aile civile des FDS, a adopté une loi en juillet qui permet de rejuger des prisonniers déjà condamnés en vertu de lois antiterrorisme à la portée trop large et au cours de procès inéquitables.
Plateau du Golan occupé par Israël
En 2024, Israël a continué à violer la loi d’occupation dans le plateau du Golan syrien, qu’il occupe depuis 1967, bloquant le retour de dizaines de milliers de Syriens qui à cette époque avaient fui leur domicile pour se réfugier dans d’autres régions du pays. Un plan israélien de 2021 qui prévoit de doubler la population de colons dans le plateau du Golan est toujours d’actualité. Selon le Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, qui s’exprimait en mars, cette expansion, combinée à des activités commerciales approuvées visant à exploiter les ressources naturelles, menace de restreindre encore plus l’accès à la terre et à l’eau de la population syrienne.
Le 27 juillet, sur fond de tensions régionales dues à la guerre lancée par Israël contre Gaza, un tir de roquette a touché un terrain de football du village de Majdal Shams, dans la plus grande des quatre dernières communautés druzes syriennes du plateau du Golan, et tué douze personnes, en majorité des enfants. Israël a affirmé que le responsable était le Hezbollah, qui nie avoir mené cette attaque.
En décembre 2024, les forces israéliennes se sont emparées de territoires supplémentaires au pied du versant sud du mont Hermon, en avançant que leur objectif était de créer une « zone tampon ». Les forces israéliennes ont effectué de nombreuses frappes ciblant des équipements et infrastructures militaires syriennes.
Crise économique et obstacles à l’aide humanitaire
En 2024, plus de 90 % des Syriens vivaient en-dessous du seuil de pauvreté. Environ 12,9 millions de personnes – plus de la moitié de la population – avaient du mal à trouver suffisamment de nourriture de qualité, et au moins 16,7 millions de Syriens ont eu besoin d’aide humanitaire, soit 9 % de plus que l’an passé. Or les fonds humanitaires à destination de la Syrie ont chuté, atteignant leur plus bas niveau par rapport à ces dernières années.
Plus de douze ans de guerre ont décimé les infrastructures et services civils syriens, affectant gravement l’accès au logement, aux soins médicaux, à l’électricité, à l’éducation, aux transports publics, à l’eau et à l’assainissement. Dans tout le pays, les gens rencontrent de grandes difficultés en raison de graves pénuries de carburant et de la flambée des prix alimentaires. Dans les zones contrôlées par l’ancien gouvernement, la situation était exacerbée par les restrictions de la sécurité sociale qu’il infligeait souvent de façon arbitraire.
Avant son effondrement en décembre, le gouvernement syrien a continué d’imposer de graves restrictions à la délivrance de l’aide humanitaire, dans les zones du pays qu’il contrôlait mais aussi ailleurs dans le pays, et de détourner l’aide afin de punir les anciennes zones d’opposition. En raison d’un manque de procédures de précaution suffisantes dans les pratiques d’approvisionnement des organismes de l’ONU apportant une aide à la Syrie, il existe un risque important de financer des entités commettant des abus.
Des sanctions complexes et de grande portée infligées notamment par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne au gouvernement syrien ainsi qu’à des hauts responsables et des entités qui lui sont liées, ont empêché de distribuer l’aide humanitaire de façon impartiale, fondée sur des principes, aux communautés qui en avaient besoin, ainsi que la réhabilitation d’infrastructures cruciales comme les bâtiments médicaux et les installations d’assainissement.
Réfugiés et personnes déplacées internes
Le déplacement demeure l’une des plus terribles et durables conséquences de la guerre. Depuis le début du conflit armé en 2011, 12,3 millions de personnes ont dû fuir le pays, d’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations Unies, et 6,7 millions ont dû déménager ailleurs dans le pays.
Après la chute du régime d’el-Assad en décembre 2024, de nombreux pays européens ont annoncé qu’ils gelaient les procédures de demande d’asile des Syriens.
En 2024, dans un contexte d’hostilité envers les réfugiés, la Turquie, qui héberge près de 3,3 millions de réfugiés syriens, a expulsé vers le nord de la Syrie, ou exercé des pressions pour qu’elles quittent le pays, des milliers des personnes ; notamment vers Tel Abyad, un district éloigné occupé par la Turquie, où l’absence d’État de droit prévaut et où les conditions humanitaires sont terribles.
Des réfugiés syriens tentant de rejoindre l’Europe depuis le Liban ont été interceptés et expulsés par les autorités libanaises et chypriotes, beaucoup étant renvoyés de force en Syrie par l’armée libanaise. Le Liban accueille plus de 1,5 million de réfugiés syriens.
Les autorités irakiennes à Bagdad et Erbil ont, elles aussi, arbitrairement placé en détention et expulsé des Syriens vers Damas et des régions du nord-est de la Syrie qui sont sous le contrôle des forces menés par les Kurdes.
Droits des femmes et des filles
Le conflit en Syrie a exacerbé les inégalités de genre, exposant les femmes et les filles à des violences accrues, au déplacement et à des lois discriminatoires qui limitent leurs droits. De nombreuses femmes chefs de famille ont du mal à faire enregistrer la naissance de leurs enfants, ce qui augmente le risque qu’ils soient apatrides et limite leur accès à l’éducation et aux soins médicaux.
Efforts internationaux d’établissement des responsabilités
Malgré une ordonnance émise en 2023 par la CIJ pour interdire les actes de torture perpétrés par l’État, le régime d’el-Assad n’a montré en 2024 aucune intention de mettre fin à ses pratiques abusives, ni à l’impunité de leurs auteurs. Dans les cas de décès de détenus, l’ancien gouvernement n’a ni informé les familles, ni fourni les informations importantes sur les circonstances et les causes de ces décès, ni révélé les lieux d’inhumation, ni rendu les dépouilles ; ce n’est que des années après les faits que certaines familles ont su que leurs proches étaient morts.
En mai, des juges français ont reconnu, par contumace, trois hauts responsables syriens coupables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre tels que l’emprisonnement, la disparition forcée et la torture de deux ressortissants franco-syriens.
La quête de justice en vertu du principe de compétence universelle s’est poursuivie en 2024 avec la condamnation de Rifaat el-Assad en Suisse pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis lors du massacre de Hama en 1982. En juin, un tribunal français a validé les mandats d’arrêt contre Bachar el-Assad pour sa complicité supposée dans des crimes de guerre et crimes contre l’humanité lors de l’attaque à l’arme chimique de la Ghouta en 2013. La Cour de cassation française doit encore se prononcer sur leur validité finale, puisqu’elle a été saisie par un parquet général qui a invoqué l’application du principe d’immunité des chefs de l’État.
Une nouvelle entité des Nations Unies, chargée d’enquêter sur le devenir de plus de cent mille personnes disparues en Syrie, a commencé à travailler en 2024.