Des commentateurs, des journalistes, des militants de l’opposition ainsi que d’autres personnes qui s’expriment sur les affaires courantes et critiquent les politiques publiques au Rwanda ont continué de faire l’objet de poursuites abusives, de disparitions forcées et ont parfois été retrouvés morts dans des circonstances inexpliquées. En janvier, le journaliste John Williams Ntwali est décédé dans des circonstances suspectes. Les autorités ont déclaré qu’il était mort dans un accident de la route, mais n’ont fourni aucune preuve d’un tel accident et ont tenu un procès expéditif essentiellement à huis clos, laissant de nombreuses questions sans réponse.
L’armée rwandaise a déployé des troupes dans l’est de la République démocratique du Congo pour fournir un appui militaire direct au groupe armé M23, l’aidant à étendre son contrôle sur le territoire de Rutshuru ainsi que sur le territoire voisin du Masisi. Depuis la fin de l’année 2022, les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda ont commis des meurtres, des viols et d’autres crimes de guerre manifestes. Des attaques par armes explosives menées dans des zones habitées dans la province du Nord-Kivu ont tué et blessé des civils, endommagé des infrastructures et exacerbé une crise humanitaire catastrophique.
Les forces de sécurité au Rwanda ont continué à « nettoyer » les rues de Kigali et à placer en détention les personnes jugées « indésirables », telles que les enfants des rues, les vendeurs ambulants, les travailleuses du sexe, les personnes sans abri et les mendiants, avant des visites et événements de haut niveau. Les personnes sont conduites dans un établissement de détention non officiel – le centre de transit de Gikondo – sous l’égide du Service national de réhabilitation. Tout au long de l’année, Human Rights Watch a reçu des informations confirmant des mauvais traitements sévères et des conditions de détention épouvantables au centre de transit de Gikondo, ainsi que des actes de torture commis dans des prisons officielles au Rwanda.
Espace politique
Le Front patriotique rwandais (FPR) et ses intermédiaires ont déployé une série de mesures à travers le monde pour cibler et réduire au silence les opposants réels ou présumés. À l’approche des élections générales de 2024 au Rwanda, l’espace pour l’opposition politique demeure fermé, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti au pouvoir. Des hauts cadres du FPR ont condamné l’organisation d’une réunion de clan traditionnelle par un groupe de leaders influents qui prévoyaient de désigner un chef, qualifiant le rassemblement d’ « atteinte à l’unité des Rwandais ». Selon les médias, après l’événement qui s’est tenu le 9 juillet, les hauts responsables présents à la cérémonie ont été temporairement placés en détention et interrogés après la diffusion de photos et de vidéos les montrant en train de danser sur les lieux.
Plus d’une dizaine de membres de l’opposition politique sont en prison. Le 16 décembre 2022, la chambre de la Haute Cour de Rwamagana a condamné Théophile Ntirutwa, membre du parti d’opposition non enregistré Dalfa-Umurinzi, à sept ans de prison pour avoir répandu « des informations fausses ou des propagandes nuisibles avec l’intention de provoquer une opinion internationale hostile à l’État rwandais ». Ce délit pénal est incompatible avec les obligations régionales et internationales du Rwanda en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression.
Le procès de 10 personnes en lien avec « Ingabire Day », un événement prévu le 14 octobre 2021 et organisé par le parti Dalfa-Umurinzi pour discuter, entre autres choses, de la répression politique au Rwanda, s’est poursuivi tout au long de l’année 2023. Au moment de la rédaction de ce chapitre, huit membres du parti étaient en détention préventive à la prison de Nyarugenge à Kigali, et une reste en fuite. Théoneste Nsengimana, un journaliste qui prévoyait de couvrir l’événement et qui est jugé avec le groupe, est emprisonné dans la même prison. Human Rights Watch a reçu des informations crédibles de la part d’anciens prisonniers faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements dans les prisons rwandaises, y compris dans celle de Nyarugenge (Mageragere) à Kigali, où certains ont déclaré être détenus en isolement et battus.
Christopher Kayumba, l’ancien rédacteur en chef du journal The Chronicles, arrêté en 2021 peu de temps après avoir fondé un nouveau parti politique, la Plateforme rwandaise pour la démocratie (Rwandese Platform for Democracy, RPD), a été libéré en février. Il a été acquitté des chefs d’accusation de viol et de « comportement sexuel répréhensible ». En novembre, Christopher Kayumba a été reconnu coupable en appel et condamné à deux ans de prison avec sursis.
En mars, la peine de 25 ans infligée à Paul Rusesabagina, détracteur bien connu et résident des États-Unis, a finalement été commuée par décret présidentiel. La disparition forcée de Paul Rusesabagina à Dubaï, aux Émirats arabes unis, puis son transfert illégal au Rwanda ainsi que les graves violations du droit à un procès équitable observées – y compris l’interception de communications confidentielles entre lui et ses avocats – ont mis en évidence la volonté et la capacité du gouvernement rwandais de cibler les dissidents au-delà de ses frontières.
Liberté d’expression
Au moment de la rédaction de ce chapitre, plusieurs journalistes et commentateurs se trouvaient derrière les barreaux au Rwanda. Certains d’entre eux ont été arrêtés pour avoir dénoncé les abus commis par les forces de sécurité, y compris les détentions illégales et arbitraires, les actes de torture et les exécutions extrajudiciaires, ou pour avoir critiqué le FPR et son bilan en matière de droits humains.
Le procès du blogueur et commentateur Aimable Karasira s’est poursuivi, pour négation et justification du génocide, ainsi que pour divisionnisme. Il s’était exprimé sur la perte de membres de sa famille à la fois aux mains des extrémistes hutus et du FPR pendant et après le génocide de 1994. Les juges ont ordonné un examen de la santé mentale d’Aimable Karasira, qui a conclu qu’il souffrait de « dépression ». Aimable Karasira et ses avocats ont accusé les autorités pénitentiaires rwandaises d’intercepter leurs communications, de lui refuser l’accès à des soins médicaux adéquats et à ses médicaments, et ont demandé un examen indépendant par une équipe médicale internationale.
En mars, Yvonne Idamange, commentatrice en ligne tutsie et rescapée du génocide qui a critiqué le confinement lié au Covid-19 et les commémorations du génocide organisées par le gouvernement, a vu sa peine d’emprisonnement de 15 ans prolongée de deux années supplémentaires. Son procès s’est tenu à huis clos au sein de la Chambre spéciale de la Haute Cour pour les crimes internationaux et transnationaux, après que l’accusation a fait valoir qu’elle représentait un danger pour l’ordre public.
Le journaliste actif sur YouTube Dieudonné Niyonsenga – alias « Cyuma Hassan », qui a été condamné à sept ans de prison en 2021 après avoir rendu compte des conséquences des directives liées au Covid-19 sur les populations vulnérables – est toujours incarcéré. Human Rights Watch a reçu des informations indiquant qu’il avait fait l’objet de mauvais traitements et qu’il a été détenu dans des conditions épouvantables.
Le 19 janvier, la police rwandaise a annoncé que John Williams Ntwali était décédé dans un accident de la route à Kimihurura, Kigali, le 18 janvier à 2h50 du matin et que le conducteur de la voiture impliquée dans la collision avait été arrêté. Dans les semaines qui ont suivi, les autorités rwandaises n'ont pas indiqué le lieu exact de l’accident présumé et n’ont communiqué aucune preuve photographique ou vidéo ni aucune précision sur les autres personnes impliquées. Un procès expéditif a eu lieu en l’absence d’observateurs indépendants – y compris les journalistes – et le conducteur a été reconnu coupable de lésions corporelles et d'homicide involontaire. John Williams Ntwali avait signalé à plusieurs personnes, dont des chercheurs de Human Rights Watch, qu’il faisait l’objet de menaces.
Droits des réfugiés
Le soutien du Rwanda au groupe armé M23 dans l’est de la RD Congo a contribué au déplacement de plus d’un million de personnes. En janvier, le président rwandais a ouvertement politisé les droits des réfugiés en menaçant de ne pas accueillir les réfugiés congolais.
Le 29 juin, la Cour d’appel du Royaume-Uni a statué que l’accord de partenariat en matière d’asile entre le Royaume-Uni et le Rwanda – en vertu duquel le Royaume-Uni envisage d’expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile qui arrivent irrégulièrement sur le territoire britannique – était illégal, concluant à l’existence d’un réel risque que les demandeurs d’asile transférés au Rwanda soient renvoyés dans leur pays d’origine, où ils sont susceptibles d’être persécutés ou maltraités. Le gouvernement britannique a fait appel de la décision et, en novembre, la Cour suprême du Royaume-Uni a conclu que l'accord était illégal, soulignant le piètre bilan du Rwanda en matière de droits humains et les graves lacunes de son système d'asile.
Le Rwanda a continué de cibler des Rwandais dans le monde entier, y compris des demandeurs d’asile et des réfugiés, pour faire taire les critiques et contrer l’opposition politique à l’étranger. Les abus, documentés en détails par Human Rights Watch dans un rapport publié en octobre 2023, ont conduit des Rwandais à pratiquer l’autocensure et à vivre dans la peur d’être attaqués, y compris au Royaume-Uni.
Orientation sexuelle et identité de genre
Le Rwanda est l’un des rares pays d’Afrique de l’Est qui ne criminalise pas les relations consenties entre personnes de même sexe et les politiques du gouvernement sont généralement perçues comme progressistes. Cependant, dans la pratique, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont confrontées à la stigmatisation en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre.
Justice internationale
Les efforts visant à traduire en justice les responsables du génocide de 1994 au Rwanda se sont poursuivis. En mai, un suspect majeur du génocide, Fulgence Kayishema, a été arrêté en Afrique du Sud, après avoir échappé à la justice depuis 2001. Il aurait planifié le meurtre de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants le 15 avril 1994 dans une église dans l’ouest du Rwanda.
En juin, un tribunal des Nations Unies à La Haye a suspendu le procès de Félicien Kabuga pour des crimes commis pendant le génocide rwandais de 1994. Il est accusé d’avoir joué un rôle central dans la planification, le commandement et l’exécution du génocide. Selon les médias, les juges ont déclaré que Félicien Kabuga, aujourd’hui âgé de 90 ans, était « inapte à participer de manière significative à son procès et qu’il est très peu probable qu’il retrouve sa forme physique à l’avenir ».
Principaux acteurs internationaux
Après que le Groupe d’experts des Nations Unies sur la RD Congo a désigné, en juin, plusieurs hauts commandants de l’armée rwandaise comme étant responsables du soutien des Forces rwandaises de défense (Rwanda Defence Force, RDF) au groupe armé M23, l’Union européenne (UE) a imposé en juillet des sanctions financières et des interdictions de voyager ciblées à l’encontre de neuf personnes pour des « actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou atteintes à ces droits » dans l’est de la RD Congo, y compris le capitaine rwandais Jean-Pierre Niragire, connu sous le nom de Gasasira. Plus tôt le même mois, l'UE avait « condamn[é] fermement le soutien apporté par le Rwanda au M23 et la présence militaire rwandaise dans l’est de la RDC » et exhorté le Rwanda à retirer ses troupes.
En août, le gouvernement des États-Unis a imposé des sanctions financières et matérielles à l’encontre de six personnes, dont un haut commandant de l’armée rwandaise, le général de brigade Andrew Nyamvumba, pour leur rôle dans le soutien à des groupes armés qui commettent des abus dans le conflit qui sévit dans l’est de la RD Congo.
L’UE n’a pas dénoncé publiquement les violations des droits humains commises à l’encontre des activistes, des journalistes et d’autres détracteurs dans le pays.