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Rwanda : Un instigateur présumé du génocide arrêté

Fulgence Kayishema, capturé après deux décennies, devrait faire l'objet d'un procès rapide et équitable

Fulgence Kayishema, l'un des auteurs présumés du génocide rwandais de 1994, comparaît devant le tribunal de première instance du Cap, en Afrique du Sud, le 26 mai 2023. © 2023 REUTERS/Nic Bothma

(Nairobi) – L’arrestation de Fulgence Kayishema est une étape importante dans la recherche de justice pour les crimes commis pendant le génocide rwandais de 1994, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ses droits à une procédure régulière et à un procès équitable devraient être garantis afin que justice puisse être rendue.

Fulgence Kayishema avait échappé à la justice depuis 2001, jusqu’à son arrestation le 24 mai 2023 en Afrique du Sud. Il est soupçonné d’avoir planifié le meurtre de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants le 15 avril 1994, dans une église de l’ouest du Rwanda. Orchestré par des extrémistes politiques et militaires hutus, le génocide a fait plus d’un demi-million de morts et détruit environ les trois quarts de la population tutsie du Rwanda en seulement trois mois.

« L’arrestation de Fulgence Kayishema montre qu’il n’y a pas de date d’expiration pour la justice pour les crimes les plus graves, et les criminels potentiels dans le monde devraient en prendre bonne note », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch. « Son arrestation et son procès attendu peuvent offrir un peu de répit aux proches des victimes des terribles crimes commis il y a 29 ans au Rwanda, notamment dans la préfecture de Kibuye. »

Fulgence Kayishema a été inculpé pour la première fois par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 2001. L’acte d’accusation allègue qu’il a directement participé à la planification et à l’exécution du massacre de l’église, notamment en tentant de mettre le feu à la structure alors que plus de 2 000 Tutsis se cachaient à l’intérieur. N’étant pas parvenu à incendier l’église, selon l’acte d’accusation, il a aidé à planifier l’utilisation d’un bulldozer pour l’abattre, enterrant et tuant les personnes qui s’y étaient réfugiées. L’acte d’accusation indique que Fulgence Kayishema et d’autres ont alors supervisé le déplacement des cadavres depuis le site de l’église vers des fosses communes.

Son affaire a été transférée aux autorités rwandaises en 2012, à la suite du premier transfert au Rwanda par le Tribunal de l’affaire Jean Bosco Uwinkindi, en 2011. Human Rights Watch a déposé un mémoire d’amicus curiae en 2008, s’opposant au transfert de l’affaire Kayishema au Rwanda, au motif que le Rwanda ne pouvait garantir un procès équitable.

Fulgence Kayishema n’avait jamais été arrêté ni traduit en justice par le tribunal, qui a fermé ses portes en 2015. Celui-ci a été remplacé par le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (le « Mécanisme », sigle anglais IRMCT).

L’arrestation de Fulgence Kayishema intervient alors que plusieurs autres personnes soupçonnées d’être des planificateurs de haut rang du génocide au Rwanda ont été soit arrêtées, soit confirmées mortes. Félicien Kabuga, l’un des cerveaux présumés du génocide, a été arrêté en France en mai 2020. Le procès de Félicien Kabuga s’est ouvert en septembre 2022 devant l’IRMCT, mais a été suspendu en mars alors que les juges examinaient s’il était mentalement apte à comparaître devant un tribunal.

Quelques jours seulement après l’arrestation de Félicien Kabuga, le Mécanisme a annoncé que les restes d’Augustin Bizimana – le ministre de la Défense pendant le génocide – avaient été identifiés dans une tombe en République du Congo. De plus, en mai 2022, la mort de Protais Mpiranya – commandant de la garde présidentielle de l’armée rwandaise au moment du génocide – a été confirmée. La défunte conseillère senior de Human Rights Watch Alison Des Forges avait documenté comment Protais Mpiranya avait été impliqué dans le commandement de membres de milices et de civils ordinaires lors de massacres au Rwanda. En mai 2022, le procureur du Mécanisme a également confirmé la mort d’un autre fugitif, Phénéas Munyarugarama, dans l’est de la République démocratique du Congo en 2002.

À la suite de ces décès, les rescapés ont été privés de leur chance de voir les auteurs présumés du génocide faire face aux accusations portées contre eux devant un tribunal, a déclaré Human Rights Watch.

Fulgence Kayishema a été présenté devant un tribunal en Afrique du Sud. Le ministère public rwandais a été cité dans des médias disant que Fulgence Kayishema devrait d’abord être transféré auprès du Mécanisme à Arusha, en Tanzanie, puis au Rwanda pour y être jugé.

Lorsqu’il est possible de garantir des procès équitables, il est préférable de poursuivre les crimes internationaux tels que le génocide et les crimes contre l’humanité là où ils ont été commis, près des victimes et de la population affectée. Cependant, au Rwanda, le système judiciaire n’est pas totalement indépendant et le gouvernement peut exercer des pressions pour influencer l’issue des procès, en particulier dans les affaires sensibles sur le plan politique. Cela risque de porter atteinte aux droits des accusés dans cette affaire, ainsi qu’au droit des victimes d’obtenir une véritable justice pour les atrocités subies.

Lorsque le tribunal a fermé ses portes, le Mécanisme a été chargé d’arrêter et de poursuivre les neuf fugitifs restants qu’il avait inculpés. Il a conservé sa compétence sur les affaires relatives aux cas de BizimanaKabuga, et Mpiranya, tandis que les six autres ont été transférées aux autorités rwandaises, y compris celles de Kayishema et Munyarugarama. Trois autres – Charles Sikubwabo, Aloys Ndimbati, Charles Ryandikayo – sont toujours en fuite.

Ladislas Ntaganzwa, dont le dossier a également été transféré aux autorités rwandaises, a été arrêté en RD Congo et transféré au Rwanda en mars 2016, où il a été jugé. Il a été reconnu coupable de génocide et d’autres crimes connexes en mai 2020, et sa condamnation ainsi que sa peine d’emprisonnement à perpétuité ont été maintenues en appel en mars 2023. La longue durée du procès a également soulevé des inquiétudes quant au caractère équitable du procès.

Dans son rapport de suivi de novembre 2018, le Mécanisme a indiqué que Ladislas Ntaganzwa avait déclaré au tribunal avoir été détenu à l’isolement pendant 25 jours, et que les autorités pénitentiaires l’avaient harcelé, menacé de le passer à tabac et intimidé pour avoir enfreint le règlement de la prison après avoir découvert qu’il était en possession d’un téléphone portable. Lors d’une rencontre avec Ladislas Ntaganzwa en décembre 2018, celui-ci a expliqué aux observateurs du Mécanisme que ses avocats n’avaient pas été autorisés à le voir pendant son isolement, que les autorités avaient confisqué son ordinateur portable pendant une journée et qu’il craignait qu’elles aient consulté les documents de sa défense.

En mars 2019, l’un des avocats de Ladislas Ntaganzwa a exprimé sa crainte que le partage de la liste des témoins de la défense trop tôt dans la procédure ne conduise à des tentatives de manipulation des témoins. Ntaganzwa a réitéré ses préoccupations concernant les tentatives des autorités pénitentiaires de surveiller ses communications et son ordinateur portable à plusieurs reprises.

Le Mécanisme surveille les procès renvoyés devant les juridictions nationales et a le pouvoir de révoquer un renvoi s’il détermine qu’un procès est inéquitable, comme indiqué dans l’article 6 de ses statuts et à la règle 14 de ses règles de procédure et de preuve.

En juillet 2021, l’Association des Conseils de la Défense exerçant devant les Cours et Tribunaux Internationaux (Association of Defence Counsel practising before the International Courts and Tribunals, ADC-ICT) a exprimé ses inquiétudes quant au fait qu’un avocat de la défense exerçant devant le Mécanisme pourrait avoir été la cible de l’utilisation du logiciel d’espionnage Pegasus par le Rwanda. Selon le projet Pegasus (Pegasus Project), une initiative internationale de journalisme d’investigation, le numéro de téléphone d’un avocat de la défense représentant Marie Rose Fatuma dans le procès Nzabonimpa et al devant le Mécanisme figurait sur une liste de numéros susceptibles d’avoir été ciblés par le logiciel malveillant fabriqué par l’entreprise technologique israélienne NSO Group.

L’avocat en question a également représenté des détracteurs de haut rang du gouvernement tels que Paul Rusesabagina. La condamnation de Paul Rusesabagina en septembre 2021 a mis en évidence certains des problèmes fondamentaux et persistants liés à la manipulation et à la politisation du système judiciaire au Rwanda.

L’arrestation et la détention de Paul Rusesabagina ont commencé comme une disparition forcée en août 2020. Néanmoins, en 2021, la Haute Cour a statué que le transfert de Paul Rusesabagina était légal. En février 2021, le ministre de la Justice de l’époque, Johnston Busingye, a, par inadvertance, admis le rôle du gouvernement dans la disparition forcée, le transfert illégal et les violations des droits à un procès équitable de Paul Rusesabagina – y compris l’interception de communications confidentielles entre Paul Rusesabagina et ses avocats – dans une conversation enregistrée. La condamnation de Paul Rusesabagina à 25 ans d’emprisonnement a été commuée en mars sous ordre présidentiel.

Si le gouvernement rwandais a mis en place une loi spéciale pour réglementer les affaires transférées du TPIR ou d’autres pays, ces affaires relèvent toujours de la compétence de la Haute Cour. La manière dont la Haute Cour et les autres tribunaux continuent de gérer les poursuites est révélatrice des risques qui peuvent exister pour les droits à une procédure régulière et à un procès équitable pour les accusés au cours de procès pour génocide transférés.

Par exemple, le 30 septembre 2021, Yvonne Idamange, une rescapée tutsie du génocide qui a accusé le gouvernement de monétiser le génocide et a lancé un appel à la manifestation, a été déclarée coupable d’incitation à la violence et à l’insurrection, de profaner les sites mémoriaux du génocide, de minimiser le génocide, et de propagation de rumeurs et d’attaques violentes, entre autres. Son procès s’est tenu à huis clos au sein de la Chambre spéciale pour les crimes internationaux et transnationaux de la Haute Cour, après que l’accusation a fait valoir qu’elle représentait un risque pour l’ordre public, et elle a écopé d’une peine de 15 ans de prison, portée à 17 ans en appel.  

« Puisque Fulgence Kayishema est soupçonné d’avoir commis le crime de génocide ainsi que des crimes contre l’humanité, un procès libre et équitable est nécessaire pour un jugement complet », a conclu Lewis Mudge. « Le Mécanisme a la responsabilité de veiller à ce que Fulgence Kayishema reçoive un procès équitable afin que les droits fondamentaux qu’il aurait violés soient respectés. »

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