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Myanmar

Événements de 2023

Des huttes détruites, visibles après des frappes aériennes et des tirs d’artillerie contre le camp de personnes déplacées de Mung Lai Hkyet, près de Laiza, au Myanmar, le 10 octobre 2023.

© 2023 AP Photo

Depuis le coup d’État militaire de février 2021, la junte a enfoncé le pays dans une catastrophe tant sur le plan humanitaire que sur celui des droits humains. Au moins 55 communes sont placées sous la loi martiale. Confrontée à l’opposition de la population générale et de groupes armés favorables à la démocratie, l’armée peine à garder le contrôle du pays. Les abus généralisés et systématiques de la junte à l’encontre de la population — parmi lesquels des arrestations arbitraires, des actes de torture, des meurtres extrajudiciaires et des attaques sans discrimination contre les civils — constituent des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. 

Invoquant les violences en cours, la junte du Myanmar a reporté de prétendues élections qui auraient dû avoir lieu en août après avoir prolongé l’état d’urgence pour la quatrième fois depuis le coup d’État. Elle a annoncé une légère réduction des peines infligées à la dirigeante de la Ligue pour la démocratie (NLD), Aung San Suu Kyi, et au président, Win Myint, qui purgent de longues peines au titre de multiples accusations faussées.

Certains pays ont imposé des sanctions ciblées, mais la réponse internationale à la crise manque de coordination. La junte militaire doit encore être confrontée aux conséquences réelles des abus qu’elle a commis aussi bien avant qu’après le coup d’État.

Rétrécissement de l’espace civique et simulacre d’élections organisé par la junte

En mars, la junte a annoncé que la NLD faisait partie des 40 partis politiques et autres groupes dissous pour ne pas s’être enregistrés conformément à la nouvelle loi sur l’enregistrement des partis politiques. Les dispositions de la loi semblent destinées à retarder indéfiniment, plutôt qu’à faciliter, le retour du Myanmar à un régime démocratique civil. De nombreux partis, dont la LND, ont refusé de se conformer à l’obligation de s’enregistrer dans les 60 jours suivant la promulgation de la loi, car ils estiment que les « élections » proposées par l’armée ne seront pas crédibles.

En vertu de la nouvelle loi et des précédents décrets de loi martiale, toute élection serait dominée par les partis politiques soutenus par la junte et par l’armée elle-même qui, conformément à la Constitution de 2008, détient déjà 25 % des sièges dans les assemblées législatives nationales et locales. Compte tenu de l’oppression politique généralisée, des élections libres et équitables ne sont pas possibles au Myanmar dans un avenir prévisible.

La junte affirme qu’en août, elle avait déjà numérisé les données issues des premiers recensements de 51 millions de personnes et recueilli les données biométriques de 700 000 personnes. Le ministère de l’Immigration et de la Population de la junte recueille les empreintes digitales, des scanners de l’iris et du visage, ainsi que d’autres données personnelles afin de les relier à des documents d’identité, passeports, données bancaires et achats tels que des cartes SIM et des téléphones portables. Ces actions peuvent renforcer la surveillance numérique des activistes, des défenseurs des droits humains et des membres de l’opposition et être utilisées pour examiner de plus près les droits de citoyenneté des groupes ethniques et minoritaires.

Arrestations ciblées et déni du droit à un procès équitable

Le ciblage des activistes et des défenseurs des droits s’est intensifié au cours de l’année écoulée. Selon l’Association d’aide aux prisonniers politiques, au moins 24 000 manifestants qui s’opposaient au coup d’État ont été arrêtés depuis ce dernier et 4 000 ont été tués, mais l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo estime que les chiffres réels sont beaucoup plus élevés.

Face aux arrestations massives, des dizaines d’avocats au Myanmar ont tenté de représenter les personnes arrêtées et de leur fournir une défense légale. Cependant, à chaque fois, ils ont été confrontés à des obstacles systématiques imposés par les autorités militaires et à des restrictions entravant leur travail. Ils ont eux-mêmes fait l’objet de menaces, d’arrestations et de détentions arbitraires, de poursuites motivées par des considérations politiques et, dans certains cas, d’actes de torture et de mauvais traitements.

La junte a créé des « tribunaux spéciaux », c’est-à-dire des tribunaux fermés à l’intérieur des prisons, afin d’accélérer le traitement des affaires politiquement sensibles. Par conséquent, de nombreuses affaires qui auraient été entendues par les tribunaux pénaux ordinaires avant le coup d’État relèvent désormais de la compétence de ces tribunaux spéciaux contrôlés par la junte. Les restrictions imposées aux avocats au sein de ces tribunaux spéciaux ont privé les suspects de leur droit à une procédure régulière et à un procès équitable.

Parallèlement, les tribunaux militaires qui fonctionnent dans les communes soumises à la loi martiale statuent sur des affaires concernant des civils, mais ils sont totalement opaques et fermés à l’examen du public.

En août, la junte a annoncé la libération de milliers de prisonniers dans le cadre d’une amnistie qui coïncidait avec la réduction des peines d’Aung San Suu Kyi et de Win Myint. Toutefois, comme par le passé, peu de personnes libérées étaient des prisonniers politiques, et nombre d’entre elles avaient déjà purgé la majeure partie de leur peine et devaient être libérées peu de temps après. Les autorités militaires du Myanmar utilisent depuis longtemps les amnisties pour gagner en crédibilité et détourner la pression internationale.

En septembre, un tribunal a condamné le photojournaliste Saw Zaw Thaike, de la publication indépendante interdite Myanmar Now, à 20 ans de prison avec travaux forcés, à l’issue d’un procès qui s’est déroulé à l’intérieur de la prison d’Insein et où il n’était pas représenté par un avocat. Cette condamnation est la plus longue prononcée à l’encontre d’un journaliste depuis le coup d’État.

Attaques militaires contre des populations civiles

Le 11 avril, l’armée a utilisé une bombe thermobarique lors d’une attaque contre un bâtiment de l’opposition dans le village de Pa Zi Gyi, dans la région de Sagaing, tuant plus de 160 personnes, dont de nombreux enfants. Cette munition à effet de souffle renforcé a touché les victimes civiles de manière indiscriminée et disproportionnée, en violation du droit international humanitaire, et son utilisation s’apparente à un crime de guerre.

Parmi les autres attaques dans lesquelles l’armée du Myanmar pourrait être responsable de violations du droit de la guerre figurent les frappes aériennes du 10 avril dans l’État Chin, qui ont tué neuf civils, et celles de la région de Bago, le 2 mai, qui en ont tué trois. Le 21 avril, un hôpital financé par le Japon a brûlé lors d’une attaque aérienne et terrestre dans la région de Magway. Enfin, en mars, après la prise d’une ville de l’État Shan par l’armée, 22 personnes ont été sommairement exécutées, nombre d’entre elles portant des marques de torture.

Le 9 octobre, l’armée du Myanmar a attaqué un village qui accueillait des centaines de civils déplacés dans l’État Kachin. 28 civils, dont 11 enfants, ont péri dans cette attaque qui s’apparente à un crime de guerre.

Dans tout le pays, notamment dans les États Chin, Kachin, Karen et Karenni, les frappes aériennes de l’armée ont fortement augmenté en 2023, cette augmentation pouvant être de plus de 300 % dans certaines régions. L’armée a également continué à utiliser des armes à sous-munitions produites sur place, dont l’utilisation a été constatée pour la première fois au Myanmar après le coup d’État. Ces armes sont interdites en vertu d’une convention de 2008 signée par 123 pays, mais pas le Myanmar.

Les groupes armés non étatiques ont également commis des crimes contre des civils, notamment des violences sexuelles et des violations graves à l’encontre des enfants.

Déplacements et aide humanitaire

Près de 2 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays et 94 000 réfugiés ont fui vers les pays voisins. Le 27 octobre, des combats entre l’armée et une coalition de groupes ethniques armés et de forces de défense du peuple ont à nouveau provoqué le déplacement d’environ 500 000 personnes à travers le pays. De nombreuses personnes déplacées à l’intérieur du pays ont fui à plusieurs reprises les attaques aériennes et terrestres. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) a déclaré que 18 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire.

Les restrictions imposées par la junte à l’aide humanitaire menacent des millions de personnes dans les zones de conflit. En guise de punition collective, l’armée du Myanmar a délibérément bloqué l’aide dans le cadre de sa stratégie des « quatre coupes » mise en place de longue date, qui consiste à maintenir le contrôle d’une zone en isolant et en terrorisant la population civile.

Le 14 mai, le cyclone Mocha — l’un des deux cyclones tropicaux les plus puissants jamais enregistrés dans le nord de l’océan Indien — a frappé le pays, laissant derrière lui une traînée de destruction. L’OCHA fait état d’au moins 7,9 millions de victimes dans les États Chin, Kachin et de Rakhine et dans les régions de Sagaing et de Magway. « L’impact du changement climatique sur les enfants et les familles est évident pour tout le monde », a souligné l’UNICEF après le passage du cyclone. Les autorités de la junte ont refusé d’autoriser les déplacements, d’octroyer des visas aux travailleurs humanitaires, de laisser passer l’approvisionnement d’urgence bloqué à la douane et dans des entrepôts ou d’assouplir les restrictions coûteuses et inutiles qui s’appliquent à la fourniture d’une aide vitale.

Les restrictions de la junte ont fait fi des nombreux appels internationaux concernant l’aide humanitaire, au premier rang desquels le consensus en cinq points de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) et la résolution de décembre 2022 du Conseil de sécurité de l’ONU qui réaffirmait la nécessité d’un « accès complet, sûr et sans entrave ».

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, le conflit et la diminution de la production agricole contribuent à un important épisode d’insécurité alimentaire. En outre, la dévaluation sévère de la monnaie du Myanmar a entraîné de graves crises bancaires et de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que des pénuries de nourriture, de médicaments et d’articles essentiels.

Apartheid envers les Rohingyas

Plus de 600 000 Rohingyas continuent de vivre dans des conditions d’apartheid au Myanmar. Ils sont confrontés à la persécution et à des emprisonnements effectifs par les autorités de la junte. Parmi la population Rohingya, environ 140 000 personnes sont confinées depuis 2012 dans des camps dans le centre de l’État de Rakhine et n’ont pas le droit de rentrer chez elles.

La junte a poursuivi son processus problématique de « fermeture de camps », qui consiste à remplacer les maisons longues provisoires par des structures permanentes construites sur des sites existants ou à proximité de ceux-ci, ce qui renforce encore davantage la ségrégation. Dans les camps du centre de l’État de Rakhine, moins de la moitié des habitations ont été réparées au cours des deux dernières années.

Lorsque le cyclone Mocha a frappé le pays, les autorités locales de la junte n’ont pas communiqué de façon appropriée sur les risques liés à la tempête ; elles n’ont pas non plus aidé les Rohingyas à trouver des abris ou des moyens de transport, ni soutenu les opérations de recherche et de secours qui ont suivi la tempête.

Les autorités du Bangladesh et la junte du Myanmar ont pris des mesures en vue d’un processus pilote de rapatriement, qui a été marqué par la coercition et la tromperie. Tout au long de l’année, les conditions d’un retour sûr, durable et dans la dignité les Rohingyas n’ont pas été réunies.

Orientation sexuelle et identité de genre

Le Code pénal punit les « rapports charnels contraires à l’ordre de la nature » de dix ans de prison et d’une amende. Sous la junte militaire, les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont particulièrement susceptibles d’être la cible de violences sexuelles durant leur détention.

Droits des femmes et des filles

Depuis le coup d’État, les signalements de violence sexuelle et d’autres formes de harcèlement lié au genre de la part de l’armée et d’acteurs non étatiques se sont multipliés. De plus, les femmes et les filles restent extrêmement exposées aux violences sexuelles et sexistes, en particulier dans le contexte du conflit en cours. Les femmes font également état d’un déclin important de leur capacité à participer à la vie politique et à l’éducation. 16 % des filles et 5 % des garçons sont mariés de force avant l’âge de 18 ans, et les femmes et les filles risquent d’être victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Principaux acteurs internationaux

Depuis l’adoption d’une résolution sur le Myanmar en décembre 2022, le Conseil de sécurité de l’ONU n’a guère fait plus que quelques déclarations. Ainsi, bien que l’armée du Myanmar continue d’ignorer la résolution, le Conseil de sécurité n’a pris aucune mesure supplémentaire concrète et efficace. Il n’a pas institué d’embargo international sur les armes, et il n’a pas non plus déféré la situation du pays à la Cour pénale internationale (CPI) ni imposé de sanctions contraignantes ciblées aux dirigeants de la junte ou aux entreprises détenues par l’armée.

L’Union européenne a adopté une sixième puis une septième série de restrictions à l’encontre du Myanmar en février et en juillet, imposant des sanctions contre 99 individus et 19 entités au total.

En mai, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains au Myanmar, Tom Andrews, a publié un rapport sur le commerce d’armes et de matières premières destinées à la fabrication d’armes, dont la valeur s’élève à un milliard de dollars depuis le coup d’État. Ce rapport retrace le mouvement des armes et des matières vers des entités basées en Russie, en Chine, à Singapour, en Thaïlande et en Inde. Il décrit la façon dont les marchands d’armes tirent profit d’une application laxiste de la loi et évitent des sanctions en recourant à des sociétés-écrans.

En juin, les États-Unis ont imposé des sanctions au ministère de la Défense du Myanmar, ainsi qu’à deux banques utilisées par la junte pour acheter des armes et d’autres biens à double usage, la Myanmar Foreign Trade Bank (MFTB) et la Myanmar Investment and Commercial Bank (MICB). Suite à ces sanctions, la United Overseas Bank de Singapour, la banque étrangère de prédilection de l’armée du Myanmar, a suspendu tous les transferts interbancaires. La banque Sonali du Bangladesh a également gelé les transferts et les comptes de la MFTB et de la MICB.

En août 2023, les États-Unis ont étendu les sanctions ciblées afin d’y inclure le carburant d’aviation, invoquant l’intensification des attaques de l’armée du Myanmar sur les civils. Le Bureau de contrôle des actifs étrangers du département du Trésor américain (OFAC) a décidé d’« imposer des sanctions à l’encontre de toute personne ou entité étrangère opérant dans le secteur des carburants d’aviation » de l’économie du Myanmar. L’OFAC a également imposé des sanctions à l’encontre de deux individus et d’une entité impliqués dans l’achat et la distribution de carburant d’aviation, ainsi qu’à deux autres entités détenues par les deux individus.

Le 31 octobre, les États-Unis ont imposé une interdiction sur les transactions financières associées à la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), avec entrée en vigueur le 15 décembre. La directive interdit aux personnes et aux sociétés relevant de la juridiction américaine de fournir, directement ou indirectement, des services financiers à la MOGE, notamment des dépôts, des transferts, des prêts, des assurances, des investissements, des opérations de change et d’autres services. Les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont également coordonné l’adoption de sanctions supplémentaires à l’égard d’individus et d’entités.

Au début de l’année, le Canada, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont imposé des sanctions ciblées à l’égard de certaines personnes et entités participant à la livraison de carburant d’aviation à l’armée du Myanmar. Toutefois, au moins cinq compagnies d’assurance britanniques continuent de couvrir ces livraisons.

En septembre, l’ASEAN a décidé, lors de son sommet annuel, que le Myanmar ne serait pas autorisé à présider l’organisation, dont la présidence tourne chaque année par ordre alphabétique, en 2026. Les États membres de l’ASEAN ont constitué une « troïka », composée de l’ancien président, du président actuel et du futur président de l’ASEAN, qui sera chargée des questions relatives au Myanmar à l’avenir.

À la CPI, le procureur a poursuivi son enquête sur les crimes contre l’humanité présumés que son bureau avait engagée suite à la campagne de nettoyage ethnique de 2017 contre les Rohingyas. Cette enquête se fonde sur le fait que ces crimes sont commis au Bangladesh, État membre de la CPI. Par ailleurs, le mécanisme d’enquête indépendant des Nations Unies pour le Myanmar continue de rassembler des preuves en vue de futures poursuites.

L’affaire introduite par la Gambie, relative à la violation, par le Myanmar, de la Convention internationale sur le génocide, est en cours d’examen devant la Cour internationale de justice, le Myanmar ayant déposé son contre-mémoire en août. Le 15 novembre, l’Allemagne, le Canada, le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont soumis une déclaration commune pour intervenir en faveur de la Gambie.