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Union africaine : Mettre l’accent sur les droits et la justice lors du sommet

L’UA devrait traiter en priorité le conflit en Éthiopie et les autres crises du continent

(Addis-Abeba) – Le président du Sénégal Macky Sall devrait veiller à ce que la protection des civils, les droits humains, la justice et l’obligation de rendre des comptes soient au cœur de l’agenda de l’Union africaine lors de sa prise de fonction à la tête de cet organisme regroupant 55 pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le sommet de l’Union africaine (UA) doit se tenir les 5 et 6 février 2022.

« Le président sénégalais Macky Sall assume la présidence de l’Union africaine à un moment où le continent est confronté à d’énormes défis en matière de sécurité et de santé, à des bouleversements politiques et à des troubles sociaux », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, directrice du plaidoyer au sein de la division Afrique de Human Rights Watch. « Malgré ces défis, Macky Sall a l’occasion de démontrer le leadership de l’UA et son engagement vis-à-vis de ses principes fondateurs en adoptant des positions courageuses et sans compromis contre les abus cautionnés par des États, en répondant aux appels à la protection et à la justice des victimes, et en faisant pression pour des relations multilatérales justes et équitables avec les pays du Nord. »

Les dirigeants africains réunis à Addis-Abeba devraient donner la priorité à la lutte contre les abus généralisés commis lors du conflit en Éthiopie entre les combattants affiliés au Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) et le gouvernement fédéral éthiopien et ses alliés, dont l’Érythrée. Le conflit, qui dure maintenant depuis plus d’un an, a des répercussions dévastatrices sur les civils.

De nombreuses violations perpétrées par les parties belligérantes en Éthiopie sont des crimes de guerre et certaines pourraient constituer des crimes contre l’humanité. Bien qu’il ait récemment autorisé l’entrée d’une aide humanitaire limitée au Tigré par voie aérienne, le gouvernement fédéral maintient depuis sept mois un siège de fait sur la région, privant des millions de personnes d’un accès à la nourriture, aux médicaments, aux liquidités, au carburant, ainsi qu’à des services essentiels. Dans la région d’Amhara voisine, les communautés déplacées par les combats et les abus ont décrit le pillage et la destruction des centres de santé, ainsi que l’accès limité aux soins médicaux et à la nourriture.

Le président du Sénégal Macky Sall prononçait un discours au siège des Nations Unies à New York, le 24 septembre 2021. En février 2022, Macky Sall a assumé la présidence de l’Union africaine pour la période 2022-2023.  © 2021 John Angelillo/Pool via AP

Pendant les deux premières semaines de janvier, au moins 108 civils ont été tués dans des frappes aériennes menées par le gouvernement dans le Tigré, dont 59 lors d’une frappe aérienne le 7 janvier sur un site de déplacés internes. Et bien que le gouvernement ait libéré certains détenus au cours des dernières semaines, des milliers de Tigréens détenus arbitrairement en vertu de l’état d’urgence généralisé du pays sont toujours retenus dans des lieux de détention informels et formels.

« Les États membres de l’UA ne devraient pas ignorer les crimes graves commis par toutes les parties belligérantes, y compris les forces du gouvernement fédéral, dans le conflit éthiopien », a déclaré Carine Kaneza Nantulya. « Compte tenu de la gravité des crimes, l’UA devrait répondre et agir dans le cadre de son mandat de prévention et de protection en appelant toutes les parties belligérantes à mettre fin aux abus et en faisant pression sur le gouvernement pour qu’il lève son siège de fait imposé au Tigré. »

Au-delà de la crise éthiopienne, des civils ont été la cible d’attaques ailleurs sur le continent. Des groupes islamistes armés, des forces gouvernementales et des combattants de milices alliées ont tué au moins 800 civils lors d’attaques dans la région du Sahel en 2021. Environ 700 000 enfants ne sont pas scolarisés dans les régions anglophones du Cameroun en raison des attaques perpétrées par des groupes séparatistes armés. Dans l’est de la République démocratique du Congo, le régime militaire instauré par le gouvernement pour lutter contre l’insécurité dans cette région n’a pas amélioré la protection des civils. Plus de 1 900 civils ont été tués depuis le début de l’état de siège en mai 2021.

Au Mozambique, un groupe insurgé lié à l’État islamique (EI), connu localement sous le nom d’Al-Shabab ou d’Al-Sunna wa Jama’a, a commis de nombreux abus graves, y compris des attaques aveugles contre des civils, des enlèvements et des violences sexuelles. Les forces gouvernementales ont aussi été impliquées dans de graves abus, notamment des menaces et l’usage illégal de la force contre des civils.

Les recherches antérieures de Human Rights Watch ont mis en évidence le lien entre sécurité et responsabilisation. Dans de nombreux contextes, l’absence de justice pour les crimes graves – passés et présents – commis par les forces gouvernementales a contribué au recrutement par les groupes armés. L’Union africaine devrait repenser son approche de la lutte contre le terrorisme et l’insurrection et placer l’État de droit, la justice et la responsabilisation au premier plan, a déclaré Human Rights Watch.

L’UA devrait également soutenir les efforts déployés sur le continent pour établir et mettre en place efficacement des mécanismes spécialisés visant à mener des enquêtes et des poursuites sur les crimes internationaux graves. Au Soudan du Sud, la légitimité de l’UA est en jeu après plus de quatre ans de discussion avec le gouvernement sur la création d’un tribunal hybride qui pourrait aider à briser les cycles de violences et d’impunité dans le pays. Au Tchad, les victimes d’Hissène Habré attendent toujours des indemnisations, issues du fonds créé par le tribunal en 2016.

Une recrudescence des coups d’État et des prises de pouvoir militaires au cours de l’année écoulée, notamment au Burkina Faso, au Tchad, en Guinée, au Mali et au Soudan, a souvent privé les citoyens de leur droit de choisir leur gouvernement, réduit à néant les progrès durement acquis en matière d’État de droit et entraîné de graves violations des droits humains. L’instabilité, les troubles sociaux et les bouleversements politiques sont souvent ancrés dans les griefs de la population concernant la corruption et l’absence de volonté perçue des élites politiques de respecter leurs obligations constitutionnelles et leurs promesses de réforme, y compris la promotion du pluralisme politique et la cessation de leurs fonctions à la fin de leurs mandats.

Bien que la limitation des mandats ne soit pas exigée par le droit international, l’absence d’une telle limitation – associée, dans bien des cas, à la répression politique et au trucage des élections – sape l’esprit de la démocratie. Cette absence a aussi facilité dans de nombreux pays une pratique récurrente, selon laquelle les personnes au pouvoir s’y maintiennent par des élections périodiques qui ne sont ni libres ni équitables. Cela a conduit à des gouvernements élus qui sont démocratiques en apparence, mais foncièrement autoritaires sur tous les plans.

Sur les 10 pays africains comptant le plus grand nombre de personnes déplacées, 9 ont des gouvernements à tendance autoritaire, ce qui fait de la réduction de l’espace civique et politique un facteur capital dans les mouvements de population en Afrique. Pour réaliser de réels progrès vers le respect des droits humains et une gouvernance démocratique centrée sur les populations, l’Union africaine devrait adopter et appliquer des outils politiques supplémentaires afin de favoriser le transfert de pouvoir régulier, pacifique et démocratique. Cela devrait inclure une interdiction par l’UA de tout pouvoir exécutif illimité et qui ne rend pas de comptes, ainsi que des politiques et des outils plus adéquats pour dissuader le trucage des élections et la répression politique.

« L’UA devrait prendre des mesures non seulement pour renforcer la démocratie, mais aussi mieux gérer les problématiques croissantes de réfugiés transfrontaliers et de sécurité », a indiqué Carine Kaneza Nantulya. « Les dirigeants africains devraient considérer le transfert de pouvoir pacifique par le biais d’élections crédibles comme un élément clé pour promouvoir la sécurité pour tous sur le continent. » 

L’UA a besoin d’une réponse concertée à la pandémie de Covid-19, car moins de 10 pour cent de la population du continent est entièrement vaccinée, principalement parce que les pays ont un accès inégal aux vaccins. Pour relever ce défi, Macky Sall devrait utiliser sa présidence de l’UA pour exhorter les États membres à augmenter leurs investissements dans les infrastructures de santé, tout en incitant les gouvernements occidentaux à faire en sorte que les entreprises qui ont développé des vaccins sûrs et efficaces contre le Covid-19 transfèrent largement la technologie à des fabricants compétents en Afrique et aux centres de transfert technologique de l’Organisation mondiale de la santé.

Macky Sall devrait également faire pression sur les gouvernements occidentaux et les institutions multilatérales pour qu’ils adoptent une levée de la protection de la propriété intellectuelle sur les vaccins, les traitements et les tests, laquelle est au point mort depuis plus d’un an à l’Organisation mondiale du commerce.

« L’Union africaine devrait encourager ses membres à mettre en place ou à renforcer des systèmes de protection sociale  pour garantir les droits à la sécurité sociale et à un niveau de vie suffisant dans un contexte de pauvreté et de disparités économiques croissantes provoquées par les réponses au Covid-19 », a conclu Carine Kaneza Nantulya.

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