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La démocratie doit être ancrée dans les droits humains. Pour beaucoup, c’est une évidence. Et pourtant, de plus en plus de personnes en Europe semblent considérer que la démocratie consiste simplement à gagner des élections et à faire tout ce que souhaitent les électeurs. La démocratie devient pour eux une sorte de « dictature de la majorité ».

Oui, chaque gouvernement doit refléter les aspirations de la majorité, exprimées lors d’élections régulières, libres et équitables. Mais il doit aussi être limité par les garanties qu’exigent la protection des droits humains et le respect de l’État de droit. Certaines choses devraient être proscrites de l’action des gouvernements, même si elles sont soutenues par une majorité d’électeurs : appliquer la peine de mort, jeter des personnes en prison pour des motifs politiques, entraver leur capacité à s’exprimer et à se réunir librement, ou pratiquer des discriminations fondées sur le sexe, la race, l’origine ethnique, la religion ou l’orientation sexuelle. Si l’on garde à l’esprit cette conception profonde, il est clair que la démocratie vit des heures sombres, tant en Europe qu’aux États-Unis, où aujourd’hui, la capacité à respecter les droits humains dépend, in fine, de l’adhésion du public. Or, plus que jamais au cours des trente dernières années au moins, de plus en plus de personnes remettent en question les principes des droits humains fondamentaux.

Insécurité économique et physique

Les causes de cette intolérance croissante sont assez faciles à discerner. Nous traversons des temps d’insécurité économique, et nombreux sont ceux qui se sentent laissés pour compte. Ce sont aussi des temps d’insécurité physique, où des gens profitant d’une soirée à écouter de la musique dans une salle de concert à Paris, regardant un feu d’artifice à Nice ou attendant d’embarquer sur un vol à Bruxelles voient leurs vies stoppées nettes, juste parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Enfin, ce sont aussi des temps d’insécurité culturelle, où l’arrivée d’un grand nombre de migrants génère la crainte d’une perte d’identité nationale ou européenne. Dans ces moments-là, l’on tend à se renfermer, à se réfugier parmi ses semblables, à fermer la porte aux autres. Cet instinct offre un véritable tremplin aux voix prônant la haine et l’intolérance, qui ont gagné un tel ascendant aujourd’hui. Malheureusement, de nombreux politiciens sont désireux d’exploiter ces peurs à des fins politiques.

Face à la gravité des enjeux, l’on pourrait penser que des responsables politiques plus modérés tireraient la sonnette d’alarme, qu’ils s’élèveraient contre les populistes, qu’ils réaffirmeraient à quel point les droits et les valeurs de liberté sont essentiels à nos démocraties. Mais peu relèvent ce défi. Certains dirigeants se contentent de baisser la tête, en espérant que les vents de la haine s’apaisent d’eux-mêmes, que le silence pourrait en quelque sorte sortir vainqueur du débat. D’autres tentent d’affaiblir les populistes en les imitant, s’appropriant leurs politiques xénophobes ou leur vocable, dans l’espoir naïf de séduire les partisans des extrêmes en légitimant leurs points de vue. Il y a eu quelques exceptions notables : Angela Merkel, Justin Trudeau et Alexis Tsipras ont parlé positivement des réfugiés. Mais trop peu de responsables politiques rejettent ouvertement ces idées. Ne parlons même pas de défendre la démocratie et les libertés individuelles.

Pourtant, il faut la défendre : pas seulement une défense de principe, pour expliquer que la diabolisation et l’intolérance sont des erreurs, mais aussi d’un point de vue pragmatique, pour montrer que l’approche populiste, loin d’être la panacée promise, nous plongera dans une situation pire encore. Par exemple, il est important d’expliquer que l’islamophobie est la dernière chose dont nous avons besoin si nous voulons intégrer nos communautés d’immigrés, mettre un terme à la radicalisation et encourager la coopération des citoyens avec la police. De fait, l’EI n’aurait pu rêver meilleur recrutement ou plan opérationnel que l’islamophobie des populistes.

Et nous devrions ardemment questionner les actions et programmes qui sacrifient nos droits au nom de la lutte contre le terrorisme. La France a-t-elle vraiment besoin d’un État d’urgence sans cesse renouvelé, alors que l’affaiblissement des garde-fous a entraîné des abus de la part de la police contre des gens ordinaires ? Pourquoi sommes-nous tellement épris de surveillance de masse alors que nous sommes si dramatiquement sous-investis dans la surveillance ciblée des suspects connus des services ? Il est plus facile de porter atteinte à nos droits que d’assurer la coordination entre les différentes composantes des forces de l’ordre ou l’échange de renseignements au-delà des frontières nationales.

Évidemment, je ne prétends pas que tout va bien dans nos démocraties. La réaction populiste devrait nous alerter sur les problèmes réels qu’il nous faut régler : le piètre travail accompli en matière d’intégration de nombreux immigrés, l’influence indue de l’argent sur la politique, l’injustice de nos systèmes d’imposition, la tendance du commerce international à donner la priorité aux besoins des entreprises au détriment des droits des travailleurs et de la protection de l’environnement, le dysfonctionnement de l’Union Européenne et les divisions en son sein.

Pour une réponse efficace aux populistes, il faut s’attaquer aux vrais problèmes qu’ils soulèvent tout en rejetant l’affront à nos valeurs qu’ils représentent. Et nous devons puiser de la force dans la solidarité témoignée aux réfugiés par tant d’Européens ordinaires. Cessons de faire l’autruche. La menace qui pèse sur les principes et les institutions démocratiques ne disparaîtra pas toute seule. Nous devons défendre publiquement et avec ardeur cette conception vigoureuse de la démocratie – ce sont ces droits et ces valeurs qui rendent nos sociétés plus fortes.

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