(Bruxelles, le 27 mars 2020) – Les migrants bloqués dans des centres de rétention dans divers pays européens, dont ils risquent d’être expulsés, devraient bénéficier de solutions alternatives dans le contexte de la pandémie de COVID-19, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
« Alors que des sociétés entières apprennent à vivre enfermées, n’oublions pas les personnes qui sont en détention parce qu’elles n’ont pas les bons papiers », a déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Les dirigeants de toute l’Europe devraient prendre des mesures afin de protéger la santé et les droits des détenus et du personnel des centres de rétention administrative, notamment en remettant en liberté certains d’entre eux et en trouvant des alternatives à leur détention. »
La Commission européenne devrait œuvrer avec les entités compétentes de l’ONU à élaborer des directives claires sur la remise en liberté, les alternatives à la détention et la manière dont les États membres de l’UE peuvent garantir un abri adéquat et sûr aux personnes une fois libérées. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (CdE) devrait surveiller les pratiques en vigueur au sein des États membres du CdE, qui incluent tous ceux de l’UE, et formuler des directives plus détaillées au besoin.
Les maladies infectieuses comme le COVID-19 présentent un risque sérieux pour les populations vivant dans des lieux clôturés comme les centres de rétention administrative, qui se sont souvent signalés par le passé par des soins de santé inadéquats, même en temps normal. Dans de nombreux centres, le surpeuplement, les salles de bain partagées et l’hygiène médiocre rendent pratiquement impossible la mise en œuvre de mesures de base pour prévenir une épidémie de COVID-19.
Alors que les interdictions de voyager empêchent de plus en plus les retours forcés et que les tribunaux ont réduit leurs activités, la raison pour laquelle des milliers de personnes à travers l’UE et d’autres États européens peuvent être maintenues en détention – à savoir leur expulsion imminente – n’est plus justifiée. La directive européenne sur le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier autorise la détention en l’attente d’une expulsion pour une période pouvant aller jusqu’à 18 mois, mais stipule que s’« il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement […], la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté ».
Le gouvernement grec a, depuis le 1er mars, mis en œuvre une politique de rétention des demandeurs d’asile arrivant à ses frontières et simultanément suspendu l’accès à la procédure d’asile.
Des milliers de personnes sont actuellement détenues dans des prisons et des centres de rétention dans toute la Grèce, avec des normes d’hygiène ou de protection impossibles à évaluer. Depuis la mi-mars, le gouvernement grec a transféré au moins 1 300 nouveaux arrivants des îles vers des lieux de détention continentaux.
Selon des témoignages recueillis à distance par Human Rights Watch, les personnes se trouvant dans les centres de rétention de Malakassa et Serres s’entassent sous des tentes avec peu ou pas de produits hygiéniques. Au 17 mars, le confinement était de rigueur dans les camps des cinq îles de la mer Égée, prenant au piège environ 37 500 personnes dans des lieux excessivement surpeuplés où les conditions sanitaires, ainsi qu’en termes d’abris, d’eau et d’assainissement sont effroyables.
Le gouvernement italien a adopté des mesures de plus en plus restrictives pour protéger sa population de la pire épidémie de COVID-19 en Europe, y compris une mesure pour réduire la surpopulation carcérale pour les détenus jugés au pénal. Cependant, les autorités n’ont pas encore adopté de mesures claires et transparentes pour remédier à la situation des personnes détenues en raison de leur statut migratoire. On estime à 381 le nombre de détenus dans des centres de rétention en l’attente de leur expulsion, même si la plupart des pays ont interdit les vols en provenance d’Italie. Le 12 mars, le défenseur national des droits des détenus a appelé le gouvernement à envisager leur libération et les juges ont rendu des ordonnances de remise en liberté individuelles au motif que l’expulsion n’était pas envisageable.
Le 23 mars, 130 organisations de la société civile italienne ont appelé le gouvernement à appliquer des alternatives à la détention pour tous dans les centres réservés aux migrants et les « hotspots », ainsi qu’à une fermeture progressive de ces lieux de détention, invoquant la difficulté de protéger la santé des détenus et du personnel carcéral.
La France n’a pris aucune mesure à l’échelle nationale pour protéger la santé d’environ 340 personnes dans ses centres de rétention administrative à travers le pays. Un certain nombre de ces centres sont vides parce que des juges ont ordonné la remise en liberté de détenus pour motifs de santé et qu’ils ne peuvent être expulsés. Étant donné que les ordres d’expulsion ne sont pas annulés, toute personne libérée peut, théoriquement, être détenue à nouveau sept jours plus tard si elle se trouve toujours sur le territoire français. Les principales autorités françaises en matière de droits humains ont déclaré récemment que la rétention administrative est « aujourd’hui une mesure à haut risque sanitaire dépourvue de fondement faute de possibilité d’éloignement».
Certains pays de l’UE et voisins ont pris des mesures positives. Le 18 mars, les autorités migratoires espagnoles ont déclaré qu’elles commenceraient à remettre en liberté les personnes en détention au terme d’évaluations au cas par cas, ce qui pourrait parfois aboutir à une expulsion du pays. Le 19 mars, les autorités fédérales belges ont remis en liberté 300 personnes environ parce que les conditions de détention ne leur permettaient pas de garantir des mesures sûres de distanciation sociale. Alors que l’Allemagne ne semble pas avoir adopté de politique nationale, le ministre fédéral de l’Intérieur a déclaré qu’il y aurait moins de déportations dans un avenir prochain et que plusieurs centres de rétention étaient vides. La semaine dernière, le Royaume-Uni a remis en liberté près de 300 personnes en réponse à une action en justice intentée par Detention Action et des avocats, qui ont déclaré que la détention rendait les personnes qu’elles représentent vulnérables au risque de contagion.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, chacun, y compris les personnes détenues, a droit au « meilleur état de santé physique et mentale possible ». Les États ont l’obligation de veiller à ce que les soins médicaux dispensés aux personnes dont ils ont la charge soient au moins équivalents à ceux offerts à la population générale et ne limitent pas l’égalité d’accès aux soins préventifs, curatifs ou palliatifs. Les mesures visant à prévenir la propagation des maladies pendant l’emprisonnement devraient être fondées sur les meilleures données scientifiques disponibles, être proportionnées et limitées dans leur portée et leur durée, tout en s’efforçant de protéger le bien-être mental des détenus.
Dans une déclaration de principes sur le traitement des prisonniers et des détenus dans le contexte de la crise COVID-19, le Comité européen pour la prévention de la torture, un organe du CdE, a demandé aux autorités d’utiliser des alternatives à la détention « et de s’abstenir, dans toute la mesure du possible, de détenir des migrants ». Le 25 mars, son organisme frère, le Sous-comité des Nations Unies pour la prévention de la torture, a exhorté tous les États à réduire les populations dans les centres de rétention et les camps de réfugiés « au niveau le plus bas possible ». Le même jour, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a déclaré que les gouvernements devraient « œuvrer rapidement à réduire le nombre de personnes en détention » pour atténuer le risque que le COVID-19 « cause des ravages contre ces populations extrêmement vulnérables ». Le 26 mars, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, a fait écho à l’appel à remettre en liberté les migrants en détention administrative, dans la mesure du possible.
La Commission européenne devrait élaborer des lignes directrices à l’intention des États membres de l’UE sur la protection de la santé des personnes détenues dans les centres de rétention pour immigrants. Ces directives devraient inclure des recommandations aux États membres pour remettre en liberté les individus dont l’expulsion dans un délai raisonnable n’est plus possible et, au besoin, donner la priorité à ceux qui peuvent faire face à un risque accru de contracter le virus en détention, tels que les personnes âgées et celles atteintes de handicap. Les lignes directrices devraient décrire les mesures à prendre par les autorités pour protéger la santé publique, y compris le dépistage et l’imposition de quarantaines, les exigences d’auto-confinement ou d’autres mesures pour les personnes remises en liberté, tant que celles-ci sont nécessaires et proportionnées.
Personne ne devrait se retrouver privé d’abri ou de ressources à la suite de sa remise en liberté, a déclaré Human Rights Watch. PICUM, un réseau d’organisations qui défendent les droits des sans-papiers, recommande aux États de réquisitionner des hôtels, des bâtiments inutilisés et des salles de sport si nécessaire pour fournir un abri sûr et adéquat où la distanciation sociale est possible.
« Chacun dispose d’un droit à la santé et à être protégé de souffrances inutiles », a conclu Judith Sunderland. « C’est la raison pour laquelle les autorités devraient réfléchir à des alternatives à la détention des migrants dès à présent. »
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— HRW en français (@hrw_fr) March 27, 2020