(Nairobi) – La crainte de subir des violences, d’être arrêtés et d’être expulsés pousse un grand nombre des quelque 163 000 réfugiés et demandeurs d’asile burundais en Tanzanie à quitter le pays. Les autorités tanzaniennes ont également rendu très difficile pour le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de vérifier si la décision récente de centaines de réfugiés de retourner au Burundi était réellement volontaire.
En octobre et novembre 2019, les responsables tanzaniens ont spécifiquement ciblé une partie de la population réfugiée burundaise qui, compte tenu de son statut juridique précaire et de son manque d’accès à l’aide humanitaire, est particulièrement vulnérable à des tentatives de rapatriement forcé au Burundi. Ces manœuvres ont suivi une déclaration du président tanzanien, John Magufuli, le 11 octobre, selon qui les réfugiés burundais devraient « rentrer chez eux ».
« Les réfugiés affirment que les exactions de la police, l’insécurité dans les camps de réfugiés en Tanzanie et les menaces d’expulsion les avaient contraints à quitter le pays », a déclaré Bill Frelick, directeur de la division Droits des réfugiés à Human Rights Watch. « La Tanzanie devrait faire machine arrière avant d’en arriver à forcer illégalement des milliers d’autres à partir. »
À la mi-novembre, Human Rights Watch s’est entretenu avec 20 Burundais réfugiés en Ouganda, qui ont décrit les pressions qui les avaient poussés à quitter la Tanzanie entre août 2018 et octobre 2019. Sept d’entre eux sont retournés au Burundi, mais ont dit qu’ils s’étaient ensuite enfuis en Ouganda afin d’échapper aux membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir burundais, les Imbonerakure, qui les avaient menacés, intimidés ou arrêtés arbitrairement. Les treize autres se sont rendus directement en Ouganda.
Ces réfugiés ont précisé que les raisons pour lesquelles ils avaient quitté la Tanzanie comprenaient la crainte d’être pris dans une vague d’arrestations, les allégations de disparitions et des meurtres dans ou à proximité des camps de réfugiés, et la peur de membres présumés des Imbonerakure et de réfugiés burundais auteurs d’abus travaillant à la sécurité des camps de concert avec la police tanzanienne. Ils ont également cité les menaces du gouvernement d’expulser les réfugiés burundais, la fermeture et la destruction de marchés, les restrictions imposées à leurs activités commerciales, et l’absence d’accès aux services et de liberté de déplacement à l’intérieur des camps.
Le 3 décembre, le ministre tanzanien des Affaires intérieures, Kangi Lugola, a démenti que le gouvernement « expulsait » des réfugiés, affirmant que les autorités tanzaniennes et burundaises « ne faisaient que mobiliser, afin d’encourager ceux qui sont prêts à retourner dans leur pays de leur propre gré, à le faire ».
Un réfugié, qui est rentré de Tanzanie au Burundi en août, a déclaré : « Je suis retourné au Burundi parce que les autorités tanzaniennes avaient dit que ceux qui resteraient seraient renvoyés de force… La police est devenue de plus en plus violente et l’insécurité est la principale raison pour laquelle j’ai décidé de rentrer. » Fin août, il a été ciblé par des membres des Imbonerakure : « Ils m’ont arrêté, m’ont ligoté les mains derrière le dos et m’ont dit, ‘Tu as dit que tu avais fui [le Burundi] à cause des Imbonerakure, mais nous sommes toujours là.’ » Il a affirmé que sa femme avait versé un pot-de-vin pour sa remise en liberté et qu’il s’était alors enfui en Ouganda.
Dans un rapport publié le 6 décembre, Human Rights Watch a documenté des abus généralisés commis par les membres de la ligue des jeunes, agissant souvent en coordination avec les administrateurs burundais locaux. Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a déclaré en août que la situation au Burundi n’était pas assez sûre ni assez stable pour qu’il puisse encourager les réfugiés à y retourner, et qu’il ne faciliterait que des retours volontaires.
La Convention internationale de 1951 sur les réfugiés et la Convention africaine de 1969 sur les réfugiés interdisent le refoulement, c’est-à-dire le retour de réfugiés de quelque manière que ce soit vers des lieux où leurs vies ou leurs libertés seraient menacées. Le HCR souligne qu’un refoulement se produit non seulement quand un gouvernement rejette ou expulse directement un réfugié, mais aussi lorsque les pressions indirectes sont si intenses qu’elles conduisent un réfugié à croire qu’il n’a pas d’autre option que de retourner dans un pays où il sera exposé à des graves risques.
Entre septembre 2017 et fin octobre 2019, 78 380 Burundais – soit environ 725 par semaine – ont quitté la Tanzanie en vertu d’un accord conclu entre le Burundi, la Tanzanie et le HCR, aux termes duquel le HCR est chargé de mener des entretiens détaillés avec les réfugiés pour s’assurer qu’ils sont prêts à quitter la Tanzanie de leur propre volonté. Ce nombre est bien inférieur à l’objectif de 2 000 par semaine sur lequel la Tanzanie et le Burundi s’étaient mis d’accord en mars 2018. Un nouvel accord, intervenu le 24 août entre la Tanzanie et le Burundi, prévoit que tous les réfugiés « doivent retourner dans leur pays d’origine, volontairement ou non » avant le 31 décembre.
Le 9 novembre, le HCR a affirmé que certains réfugiés burundais qui s’étaient enregistrés pour le rapatriement volontaire auprès du HCR avaient « invoqué l’insécurité dans les camps de réfugiés, la crainte d’un retour forcé…, la détérioration des conditions de vie…, l’interdiction de se livrer à de modestes activités commerciales et la fermeture des marchés du camp comme étant les principales raisons de leur décision ». L’agence onusienne avait précédemment déclaré à Human Rights Watch que « des facteurs incitatifs jouent un rôle important » dans la décision de réfugiés de retourner au pays, mais que le HCR considérait leur retour comme étant volontaire parce qu’ils avaient « pris leur décision en connaissance de cause » et que « de nombreux autres réfugiés » ont décidé de rester.
Le devoir incombant à un gouvernement de protéger les droits de réfugiés ne devrait pas être estimé sur la base de statistiques mais au cas-par-cas, a déclaré Human Rights Watch. Le fait que certains réfugiés, nombreux ou pas, puissent rester dans un pays hôte ne prouve pas que ceux qui partent le font de leur plein gré ou qu’ils ne sont pas partis par coercition.
Sept des réfugiés interrogés par Human Rights Watch ont affirmé être retournés au Burundi entre mars 2018 et juin 2019. Un réfugié, qui a quitté en août le camp de réfugiés de Nduta en Tanzanie pour se rendre en Ouganda, a déclaré avoir aidé de nombreuses familles à s’inscrire en vue de leur retour au Burundi : « Avant août 2018, le HCR posait aux personnes qui s’inscrivaient de nombreuses questions au sujet de leur décision de rentrer et leur donnait le temps de changer d’avis », a-t-il dit. « Mais maintenant, ils ne donnent pas le temps de réfléchir et ne posent pas de questions. Ils procèdent immédiatement au retour des réfugiés. »
Le mandat du HCR requiert que l’agence demande aux réfugiés qui s’enregistrent pour le rapatriement volontaire les raisons pour lesquelles ils ont décidé de rentrer chez eux, afin de s’assurer que leur décision est réellement volontaire.
Selon une source bien informée, à la suite d’un récent « exercice de validation » afin de vérifier le nombre de Burundais enregistrés et non enregistrés vivant dans les camps en Tanzanie, quelque 3 300 personnes ont été enregistrées mais ne se sont pas vu décerner un « statut actif », ce qui veut dire qu’elles n’ont ni statut juridique clair ni accès à une assistance, et sont particulièrement vulnérables aux manœuvres d’intimidation du gouvernement et à un rapatriement forcé au Burundi.
En octobre, les autorités tanzaniennes ont convoqué ces personnes et en ont enregistré « des centaines » qui déclaraient vouloir retourner au Burundi. Les autorités leur ont alors dit de se présenter à un centre de départ, amenant le HCR, qui habituellement s’entretient avec les candidats au départ plusieurs jours à l’avance pour s’assurer qu’ils partent bien de leur plein gré, à effectuer certains des entretiens « dans des circonstances loin d’être idéales », selon l’agence.
Human Rights Watch avait déjà averti au sujet des retours forcé de centaines de demandeurs d’asile burundais le 15 octobre, après que les autorités du camp leur eurent dit que s’ils ne s’inscrivaient pas au rapatriement, ils seraient dans les camps sans statut juridique ni assistance.
Fin octobre, le HCR a affirmé que la Tanzanie accentuait sa « pression sur les réfugiés et demandeurs d’asile burundais pour qu’ils retournent au pays. » Dans la deuxième semaine de novembre, les autorités tanzaniennes ont interdit l’accès au camp à 10 membres du personnel du HCR qui étaient impliqués dans la gestion de la base de données de l’enregistrement des réfugiés.
Les autorités tanzaniennes devraient s’assurer que le personnel du HCR soit en mesure de vérifier adéquatement le caractère volontaire de la décision de réfugiés de retourner au Burundi, a déclaré Human Rights Watch. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et l’Union africaine devraient déléguer une équipe pour visiter les camps de réfugiés et exhorter la Tanzanie à ne pas rapatrier de force, directement ou indirectement, des demandeurs d’asile ou des réfugiés.
« L’Union africaine devrait insister publiquement auprès des autorités tanzaniennes pour qu’elles cessent d’essayer d’intimider les réfugiés et l’ONU pour qu’ils se soumettent à sa volonté », a affirmé Bill Frelick. « La Tanzanie prétend qu’elle ne fait rien de mal mais les réfugiés burundais nous disent très clairement qu’ils sont chassés du pays. »
Facteurs incitant les réfugiés burundais à quitter la Tanzanie
Vingt réfugiés burundais qui avaient vécu dans trois camps – Nduta, Nyarugusu et Mtendeli – dans la région de Kigoma, dans le nord-ouest de la Tanzanie, ont parlé à Human Rights Watch en Ouganda en novembre.
Date-butoir fixée par la Tanzanie ; Souvenirs des retours forcés en 2012
Tous les 20 ont affirmé être partis à cause des déclarations des responsables tanzaniens selon lesquelles les réfugiés burundais devaient rentrer chez eux. Certains ont précisé que les déclarations des responsables burundais et tanzaniens disant aux réfugiés de retourner chez eux, combinées au souvenir qu’ils avaient de retours forcés de réfugiés de Tanzanie en 2012, avaient créé un climat tel qu’ils ont estimé n’avoir pas d’autre choix que de quitter la Tanzanie.
Treize d’entre eux, qui se sont rendus directement en Ouganda, ont déclaré craindre pour leur vie s’ils étaient forcés de retourner au Burundi. Plusieurs ont précisé qu’ils connaissaient d’autres réfugiés qui étaient retournés au Burundi mais avaient dû fuir de nouveau en Tanzanie pour échapper à l’insécurité persistante au Burundi.
Dix d’entre eux ont quitté les camps entre août et octobre, la plupart invoquant l’intensification des pressions à l’époque. Le 24 août, le Burundi et la Tanzanie ont signé un accord selon lequel tous les réfugiés burundais devaient quitter la Tanzanie avant la fin de 2019. Les ministres de l’Intérieur des deux pays ont visité conjointement les camps le lendemain, et déclaré que les retours commenceraient le 1er octobre.
Une femme de 40 ans a déclaré : « J’ai décidé de quitter le camp quand les autorités ont annoncé qu’elles commenceraient à renvoyer les gens le 1er octobre et qu’elles ne voulaient plus de réfugiés en Tanzanie. Lors de la réunion, [les autorités] ont dit qu’elles s’étaient mises d’accord avec le gouvernement burundais pour nous rapatrier. C’est pourquoi je suis partie. » Elle est partie à pied en direction de l’Ouganda avec son jeune enfant le 10 septembre. Elle a passé une nuit sur la propriété d’une famille locale, mais a soudain eu peur que les autorités tanzaniennes ne la capturent et s’est enfuie, abandonnant tous ses biens.
De nombreux réfugiés ont déclaré avoir craint que le langage menaçant des responsables tanzaniens ne conduise à des rapatriements de force. Plusieurs ont cité des propos tenus par les autorités des camps comme : « La dernière vache du troupeau est toujours battue » ou « les vaches qui vont les premières à l’abreuvoir boivent de l’eau pure, celles qui y vont en dernier ont de l’eau sale », ce qu’ils ont interprété comme signifiant que ceux qui ne quitteraient pas le camp promptement pourraient être battus ou laissés sans dispositif d’aide au retour.
Un réfugié, qui a quitté le camp de Mtendeli en octobre, a déclaré : « Les autorités tanzaniennes ont intimidé les gens pour les persuader de s’inscrire en vue d’un rapatriement. Elles ont dit qu’autrement, elles utiliseraient la force et nous n’aurions même pas le temps de rassembler nos affaires ou de recevoir une aide. Les gens avaient peur, donc ils se sont inscrits [pour retourner au Burundi]. »
La Tanzanie a accueilli des centaines de milliers de réfugiés au cours des dernières décennies, et a octroyé la nationalité tanzanienne à des dizaines de milliers d’entre eux, qui se trouvaient sur son territoire depuis 1972. Mais ce pays a également un passé troublant de rapatriements de force. Après le renvoi de force de centaines de milliers de Rwandais en 1996, la Tanzanie a commencé en 2006 à réduire le nombre de ce qu’elle appelle des « immigrants illégaux », en expulsant violemment des milliers de personnes recensées comme réfugiés rwandais et burundais.
En juin 2009, les autorités tanzaniennes ont annoncé la fermeture d’un camp abritant plus de 37 000 réfugiés burundais, à Mtabila. Les pressions se sont accrues jusqu’à la fermeture du camp en décembre 2012. Certains des réfugiés en Ouganda ont indiqué qu’ils se trouvaient dans le camp de Mtabila fin 2012 quand les autorités tanzaniennes avaient forcé les résidents à retourner au Burundi et qu’ils craignaient que les autorités tanzaniennes utilisent de nouveau des tactiques similaires.
Un chef de la communauté réfugiée du camp de Nduta a déclaré avoir été convoqué à une réunion avec les autorités tanzaniennes le 14 mars, où ces dernières ont demandé aux réfugiés : « Vous souvenez-vous de ce qui s’est passé à Mtabila ? Nos fusils fonctionnent encore, vous savez. Le Burundi et la Tanzanie ne sont qu’un seul pays. » Une femme de 25 ans, qui a quitté la Tanzanie pour l’Ouganda en août, a déclaré : « Je suis partie à cause de ce qui s’est passé à Mtabila. Je ne voulais pas être renvoyée de force alors qu’il y a de l’insécurité au Burundi. »
Peur de l’insécurité dans et aux alentours des camps de réfugiés
La plupart des réfugiés ont affirmé que l’insécurité croissante dans les camps avait contribué à leur décision de quitter la Tanzanie.
Tous ont dit qu’ils avaient peur de la police tanzanienne qui, selon eux, travaille en étroite coopération avec les autorités burundaises pour encourager les réfugiés à retourner dans leur pays. Quatorze d’entre eux ont également indiqué qu’ils craignaient les réfugiés burundais chargés de la sécurité des camps, appelés « Sungu Sungu », terme désignant les milices de quartier en Tanzanie. Selon des réfugiés, dont un ancien membre des Sungu Sungu, et une source indépendante bien informée dans les camps, c’est la police tanzanienne qui approuve la nomination dans les camps des représentants les plus hauts gradés des Sungu Sungu, et dont certains sont considérés comme des membres des Imbonerakure par les réfugiés.
Des réfugiés ont affirmé que des membres des Sungu Sungu avaient arrêté des réfugiés et avaient aidé les autorités tanzaniennes à mener à bien ce que certains ont appelé des « efforts de mobilisation », afin d’encourager leur retour au pays.
Un réfugié a déclaré : « Dans les camps, ild [les membres des Sungu Sungu] ciblaient l’opposition [politique], arrêtaient des gens la nuit, confisquaient des téléphones et exigeaient des pots-de-vin. Ils organisaient des réunions pour dire aux gens de rentrer chez eux et disaient que si nous n’y retournions pas volontairement, ils nous y forceraient. »
Certains réfugiés ont affirmé que des membres des Sungu Sungu s’étaient rendus au domicile de réfugiés qui s’étaient inscrits en vue de leur rapatriement mais ne s’étaient pas présentés le jour du départ du convoi, et leur avaient intimé l’ordre de quitter la Tanzanie. Cependant, Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier ces allégations de manière indépendante.
Un réfugié a affirmé qu’il connaissait quatre membres des Sungu Sungu dans le camp de Nyarugusu qui étaient également membres des Imbonerakure dans sa commune d’origine au Burundi. Il a déclaré : « Si un réfugié ordinaire regagne sa maison après 8h00 du soir, ça va, mais si c’est un membre de l’opposition, il est passé à tabac et on lui fait payer une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 shillings (4,30 dollars). »
Human Rights Watch a pu vérifier de manière indépendante l’identité des quatre hommes, ainsi que celle de trois autres membres des Imbonerakure dans le camp de Nduta, auprès d’une source bien informée au Burundi, laquelle a confirmé qu’au moins cinq de ces sept hommes étaient des membres des Imbonerakure qui avaient des liens avec la Tanzanie ou avaient quitté leurs communes de résidence dans les provinces burundaises de Cankuzo, Ruyigi, Karuzi et Makamba.
Treize des personnes interrogées ont affirmé avoir entendu parler de meurtres, de disparitions et d'arrestations de Burundais dans et aux alentours des camps de réfugiés en Tanzanie depuis 2018, y compris dans des cas où des réfugiés étaient sortis des camps pour aller chercher du bois pour le feu. Le climat de peur et de suspicion qui en a résulté les a amenés à décider de partir.
Un homme de 44 ans a déclaré : « Après la conclusion de l’accord du mois d’août, … les arrestations ont augmenté. Tous les jours, il y en avait de nouvelles. Les autorités du camp disaient qu’elles voulaient fermer les camps et que nous devions nous inscrire en vue de notre retour. » Une source bien informée a confirmé que les informations faisant état de disparitions et d’arrestations par la police tanzanienne avaient augmenté depuis août. Des réfugiés ont également exprimé leur conviction que les autorités tanzaniennes arrêtaient en particulier des gens soupçonnés d’être opposés à leurs « efforts de mobilisation » en vue du rapatriement des réfugiés.
Fermetures de marchés ; autres restrictions
La plupart des réfugiés ont déclaré que des restrictions ayant mené à la fermeture de marchés, une interdiction de circuler à moto et à bicyclette, ainsi que des restrictions d’accès aux services et aux activités commerciales dans les camps, les avaient convaincus que les autorités tanzaniennes se préparaient à fermer les camps. Plusieurs d’entre eux ont également affirmé que la police et les membres des Sungu Sungu empêchaient les réfugiés de se déplacer à l’intérieur des camps la nuit et leur interdisaient d’écouter des émissions de radio animées par des Burundais en exil.
Un réfugié, qui a été rapatrié au Burundi en août 2018, a déclaré : « Je ne voulais pas partir mais ils nous ont mis dans une situation intenable … [Les Sungu Sungu] nous interdisaient d’écouter la radio et nous passaient à tabac s’ils nous trouvaient dehors après 7h00 du soir. Ils travaillaient avec la police tanzanienne et celle-ci collabore avec la police burundaise. »
« En août, les autorités du camp ont fermé le marché du camp de Nduta », a déclaré une femme de 25 ans qui a quitté la Tanzanie en août. « Cela voulait dire que nous allions devoir survivre avec des rations alimentaires, puisque nous ne pouvions plus acheter des légumes et d’autres petites choses dans les camps. »
Un charpentier âgé de 35 ans, qui a quitté la Tanzanie pour l’Ouganda avec sa femme et ses quatre enfants le 24 septembre, a déclaré : « Quelque chose a changé à partir d’août 2019. L'aide à la construction de maisons ou pour les programmes éducatifs a été suspendue. Il est clair que l’assistance aux réfugiés a diminué. »
Bien que ces restrictions aient été ajoutées les unes aux autres de manière progressive, les réfugiés ont affirmé qu’à partir d’août, elles étaient devenues plus strictes. Un réfugié a déclaré : « À partir d’août, les choses ont changé. Les marchés à l’intérieur et à l’extérieur des camps ont été fermés. Les autorités des camps ont averti que cela continuerait jusqu’à la fermeture de toute l’infrastructure. »
Intensification des pressions sur certains groupes
Les recherches effectuées par Human Rights Watch ont permis de constater qu’à la date du 31 octobre, environ 151 000 Burundais recensés comme réfugiés et 12 000 recensés comme demandeurs d’asile vivant dans les camps de Tanzanie en attendant que les autorités tanzaniennes prennent une décision au sujet de leur demande individuelle d’asile. Dans leur accord du mois d’août, les autorités tanzaniennes et burundaises ont qualifié erronément les 12 000 de « migrants illégaux. »
Selon notre source, un récent « exercice de validation » dans les camps a également identifié environ 2 800 Burundais arrivés dans les camps après janvier 2018, quand les autorités tanzaniennes ont cessé de recenser les demandeurs d’asile. Les autorités ont enregistré leur présence en octobre, mais ont refusé de leur octroyer un « statut actif », les laissant dépourvus de statut juridique clair et d’assistance.
Selon la source, l’exercice a également permis d’identifier et d’enregistrer la présence de 500 autres personnes dont le statut de réfugié ou de demandeur d’asile avait été révoqué par le HCR après qu’ils eurent manqué trois distributions successives de nourriture, ce qui semblait indiquer qu’ils étaient partis, mais qui étaient ultérieurement revenus dans les camps. Au début de décembre, des centaines d’entre eux sont toujours dans le camp sans « statut actif » ni assistance.
En octobre, des sources dans le camp ont dit que les autorités tanzaniennes ont affiché dans les camps des listes de personnes dépourvues de statut juridique actif et d’accès à l’assistance, soulignant qu’elles devaient se présenter devant les représentants du ministère des Affaires intérieures dans les camps. Des centaines ont obtempéré et se sont inscrites en vue de leur rapatriement au Burundi. Mais les autorités tanzaniennes n’ont pas suivi la procédure normale, selon laquelle ces citoyens burundais auraient dû se présenter au HCR pour que l’on vérifie qu’ils quittaient bien la Tanzanie volontairement. Au lieu de cela, les autorités leur ont dit de se rendre au centre de départ du camp de Nduta, où les réfugiés en partance se rassemblent avec toutes leurs possessions avant leur rapatriement programmé au Burundi. Le HCR a indiqué que son personnel avait dû effectuer des entretiens de vérification au centre des départs « dans des circonstances loin d’être idéales. »
Dans son Manuel de directives sur les rapatriements volontaires, le HCR souligne que « l’inscription en vue d’un rapatriement ne devrait pas être considéré comme une simple formalité administrative » et que le personnel doit « interroger… les rapatriés potentiels pour obtenir… des informations pertinentes, les conseiller sur leurs sujets de préoccupation, répondre à leurs questions sur les sujets liés au rapatriement [et] évaluer leur vulnérabilité. »
Selon notre source, entre septembre 2017 et mi-novembre 2019, quelque 10 500 réfugiés se sont inscrits en vue d’un rapatriement volontaire au Burundi, mais ont ensuite décidé de rester en Tanzanie. Ils ont informé le HCR, qui les a rayés de sa liste des personnes « en attente de départ ».
Néanmoins, début octobre, les autorités tanzaniennes ont affiché dans les camps une liste de noms d’environ 4 000 réfugiés qui s’étaient inscrits pour être rapatriés mais ne s’étaient pas présentés le jour du départ et les ont sommés de se présenter devant les représentants du ministère des Affaires intérieures dans les camps. Quelques centaines ont répondu, déclarant qu’ils souhaitaient retourner au Burundi, et sont partis en octobre et en novembre. Les autres sont toujours dans les camps.
Réfugiés rapatriés fuyant de nouveau le Burundi
Dans son rapport de septembre, la Commission d’enquête sur le Burundi du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a déclaré que « de graves violations des droits humains – y compris des crimes contre l’humanité – ont continué d’être commis… à travers le pays » et que les personnes visées étaient des partisans réels ou supposés de l’opposition, y compris des Burundais revenus de l’étranger.
Sept réfugiés ont indiqué être retournés au Burundi entre mars 2018 et juin 2019 dans le cadre du programme de rapatriement volontaire. Quatre d’entre eux ont affirmé que des membres des Imbonerakure leur avaient volé l’argent et les biens qu’ils avaient reçus du HCR, qui comprennent 70 000 francs burundais (37 dollars), des denrées périssables et divers ustensiles, notamment de cuisine. Tous ont déclaré avoir quitté de nouveau le Burundi pour se rendre en Ouganda, afin d’échapper à l’insécurité au Burundi.
Un homme, qui était retourné au Burundi le 27 septembre 2018 et s’est enfui en Ouganda un an plus tard, a ainsi décrit les défis auxquels font face les réfugiés rapatriés au Burundi :
Les Imbonerakure disaient que nous étions des ibipinga [expression péjorative en kirundi désignant les opposants au parti au pouvoir] et que nous allions en payer le prix lors [des élections] de 2020. Quand ils nous voyaient au marché, ils nous faisaient payer plus cher. En juillet, août et septembre [2019], des membres du CNDD-FDD [le parti au pouvoir] nous ont contraints à verser des contributions au parti et pour l’organisation des élections. Les Imbonerakure ont mis nos maisons sous surveillance, en particulier s’ils soupçonnaient les gens de vouloir s’enfuir, et ont menacé de nous tuer. Les autorités [locales] m’ont forcé à m’inscrire comme membre du parti... J’ai cru que j’allais être tué.
Plusieurs personnes interrogées ont affirmé que les membres des Imbonerakure les avaient accusés d’avoir rejoint des groupes rebelles à l’étranger et avaient menacé de les arrêter. L’une de ces personnes a affirmé que les membres des Imbonerakure avaient passé à tabac des gens qui essayaient de se procurer des denrées à des points de distribution des agences humanitaires et les avaient également empêchés d’obtenir de la nourriture. Il a affirmé avoir été forcé d’abandonner une large part de l’argent reçu du HCR pour aider à son rapatriement :
Sur les 70 000 francs que j’avais reçus [du HCR], j’ai dû en donner 10 000 ($5.3) au conseiller communal, 5 000 ($2.6) aux autorités de ma colline et 3 000 ($1.6) au chef local des Imbonerakure. Ensuite, chaque fois qu’un Imbonerakure se présentait à mon domicile, je devais lui donner 1 000 francs ($0.5) … Les Imbonerakure disaient qu’ils allaient me tuer parce que je ne leur avais pas dit comment les groupes rebelles prévoyaient d’attaquer le Burundi. Ils disaient qu’ils me couperaient la tête. J’avais peur et j’ai décidé de partir sans emporter aucune de mes affaires – si les Imbonerakure avaient soupçonné que je m’enfuyais, ils m’auraient empêché de passer la frontière.
Un homme que nous avons interrogé, qui est retourné au Burundi en août, a affirmé que des membres des Imbonerakure l’avaient arrêté et accusé d’avoir dénoncé les abus commis par les Imbonerakure lorsqu’il était à l’étranger. Il a indiqué que sa femme avait dû vendre tous les biens qu’ils avaient reçus du HCR en Tanzanie pour payer pour sa remise en liberté, et qu’ils avaient tous deux fui le pays plus tard au cours du même mois.
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Tweets
#Tanzanie : Les #réfugiés #burundais subissent des pressions toujours plus fortes pour retourner au #Burundi, mais y sont souvent exposés à de graves risques en cas de retour forcé. HRW appelle au respect du principe fondamental de #nonrefoulement. https://t.co/TE2BE4DfKk #HCR
— HRW en français (@hrw_fr) December 12, 2019