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Tanzanie : Des demandeurs d’asile contraints à retourner au Burundi

Des centaines de Burundais vivant dans un camp ont été visés

Un policier tanzanien surveille des réfugiés burundais qui se rassemblent sur les rives du lac Tanganyika, dans le village de Kagunga, dans la région de Kigoma, à l’ouest de la Tanzanie, où ils attendent d’être transportés vers la municipalité de Kigoma, le 17 mai 2015. © 2015 Thomas Mukoya/Reuters

(Nairobi) – Les autorités tanzaniennes ont contraint de manière illégale plus de 200 demandeurs d’asile non enregistrés à rentrer au Burundi le 15 octobre 2019, en menaçant de leur retirer leur statut légal en Tanzanie, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a facilité ces retours en enregistrant les demandeurs d’asile dans son programme de rapatriement volontaire, alors que les autorités tanzaniennes leur ont fait savoir qu’ils pourraient d’être arrêtées s’ils restaient en Tanzanie.

Les retours forcés font suite à un accord du 24 août entre la Tanzanie et le Burundi qui prévoit qu’environ 180 000 réfugiés burundais en Tanzanie « doivent rentrer dans leur pays d’origine de façon volontaire ou non » d’ici le 31 décembre. Le 11 octobre, le président tanzanien John Magufuli a déclaré que les réfugiés burundais devraient « rentrer chez eux ». La Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples devrait faire pression sur la Tanzanie pour qu’elle ne renvoie pas de force les demandeurs d’asile ou les réfugiés, et le HCR ne devrait pas faciliter ces retours.

« Les autorités tanzaniennes ont intensifié la pression sur les réfugiés burundais non enregistrés jusqu’au point de la coercition, violant leurs droits en vertu du droit international », a expliqué Bill Frelick, directeur de la division Droits des réfugiés à Human Rights Watch. « La Tanzanie semble mettre à exécution sa menace de chasser près de 180 000 réfugiés qui font face à un risque de préjudice grave au Burundi. »

En mars 2018, la Tanzanie et le Burundi ont convenu de rapatrier 2 000 Burundais par semaine dans le cadre d’un accord tripartite de 2017 avec le HCR pour faciliter le rapatriement volontaire des réfugiés burundais. Cependant, le nombre réel est bien inférieur, avec seulement 76 000 retours entre septembre 2017 et septembre 2019, soit une moyenne de 730 par semaine.

Entre juillet et septembre, le HCR et les autorités tanzaniennes ont réalisé un « exercice de validation » afin de vérifier le nombre de Burundais enregistrés et non enregistrés vivant dans les camps en Tanzanie. Deux sources ont indiqué séparément à Human Rights Watch que de nombreux Burundais non enregistrés ont rencontré des difficultés pour s’enregistrer. Même si les autorités n’ont pas encore publié les résultats de l’exercice, près de 3 000 Burundais non enregistrés ont été identifiés, a précisé l’une des sources.

Le 11 octobre 2019, les autorités responsables des camps, qui dépendent du ministère des Affaires intérieures tanzanien, ont informé des centaines de Burundais non enregistrés vivant dans au moins un des trois camps – Nduta, Nyarugusu et Mtendeli – dans la région de Kigoma dans le nord-ouest de la Tanzanie près de la frontière avec le Burundi, que s’ils ne s’enregistraient pas pour rentrer chez eux, ils resteraient dans les camps sans statut légal et pourraient être arrêtés, a expliqué la source. Les personnes sans statut légal recevraient une aide alimentaire, mais aucun autre soutien. Beaucoup se sont enregistrés immédiatement.

Le retour forcé de plus de 200 personnes le 15 octobre a eu lieu dans un contexte de pression croissante sur tous les réfugiés vivant dans les camps afin qu’ils rentrent au Burundi, a indiqué Human Rights Watch. Depuis le mois d’août, les autorités tanzaniennes ont fait des déclarations publiques menaçantes, ont fermé un marché et ont modifié, à plusieurs reprises, les exigences administratives pour les organisations d’aide intervenant dans les camps. Un accord récent entre les polices burundaise et tanzanienne pour permettre des opérations transfrontalières par les deux forces de police a renforcé les craintes d’arrestation parmi les réfugiés, d’après un reportage d’un média local.

Les deux sources ont affirmé que le 12 octobre, entre 200 et 300 Burundais non enregistrés ont pris contact avec les représentants du HCR dans le camp de Nduta pour s’enregistrer pour le rapatriement volontaire. Les représentants du HCR ont uniquement demandé aux personnes si elles souhaitaient rentrer, mais n’ont posé aucune des autres questions habituelles, notamment pourquoi elles avaient décidé de rentrer, a expliqué une des sources. Le 15 octobre, ils faisaient partie des 812 Burundais dont le rapatriement a été facilité par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Dans sa réponse aux conclusions de Human Rights Watch en date du 23 octobre, le HCR a reconnu que « des réfugiés ont été ajoutés au convoi du 15 octobre du fait des efforts de mobilisation du gouvernement », mais qu’elle « était en désaccord avec la suggestion que tous [les réfugiés] avaient été contraints ».

Le HCR a contesté l’allégation de Human Rights Watch selon laquelle les représentants du HCR n’ont pas posé aux Burundais s’enregistrant pour un retour davantage de questions pour déterminer si leur décision était véritablement volontaire. « Lorsqu’ils ont expliqué leur décision de rentrer », a indiqué le HCR, « les réfugiés ont évoqué divers facteurs d’incitation au départ et d’attraction, alors qu’ils comparaient les environnements difficiles connus au Burundi et en Tanzanie », et elle a ajouté qu’« aucun réfugié n’a déclaré avoir été contraint à retourner au Burundi ».

D’après les lignes directrices du HCR, les réfugiés et les demandeurs d’asile n’ont pas besoin d’indiquer explicitement qu’ils ont été contraints au retour pour que le HCR conclue que leur rapatriement est involontaire, a expliqué Human Rights Watch. Le HCR aurait dû prendre pleinement en compte le fait que plus de 200 demandeurs d’asile ont demandé à rentrer au Burundi le lendemain du jour où les autorités des camps les ont menacés d’arrestation s’ils ne « rentraient pas volontairement ». Il ne semble toutefois pas que le HCR ait pris de telles précautions.

Le HCR a reconnu « la pression croissante imposée aux réfugiés et à [son] personnel pour augmenter le nombre de personnes rentrant chaque semaine », mais elle a ajouté qu’elle « continuera à travailler avec le gouvernement de Tanzanie pour inciter au respect des principes du caractère volontaire conformément à l’accord tripartite ».

Les actions du gouvernement de Tanzanie ont aggravé une situation qui se dégradait déjà dans les camps, ce qui risque de plus en plus de contraindre les réfugiés à rentrer au Burundi, a indiqué Human Rights Watch. Cela inclut des réductions des rations alimentaires entre août 2017 et octobre 2018, une interdiction pour les réfugiés de quitter les camps y compris pour chercher du travail ou du bois, et des violences à l’encontre de certains réfugiés qui ont quitté les camps, ainsi qu’une insécurité généralisée. Les Imbonerakure – la ligue de jeunes du parti au pouvoir burundais – qui ont un lourd bilan d’atteintes généralisées aux droits humains, auraient harcelé et menacé les réfugiés dans les camps.

Human Rights Watch a exprimé des préoccupations sur le fait que la coercition réussie des autorités tanzaniennes de plus de 200 Burundais non enregistrés le 15 octobre pourrait inciter les autorités à viser plus de personnes.

« L’intimidation par la Tanzanie des Burundais non enregistrés dans les camps semble être seulement la première étape d’une action visant les personnes les plus vulnérables dans les camps », a indiqué Bill Frelick. « Tous les organismes internationaux, y compris le HCR, devraient jouer un rôle plus fort pour protéger et aider tous les Burundais qui cherchent refuge en Tanzanie. »

Rapatriement du 15 octobre

Le 16 octobre, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a indiqué aux agences humanitaires en Tanzanie qu’elle avait transporté 812 réfugiés burundais par convoi du camp de Nduta en Tanzanie jusqu’à Nyabitare au Burundi la veille.

Deux sources bien informées ont expliqué que ce nombre incluait la majorité ou la totalité d’un groupe de 251 réfugiés vivant dans le camp de Nduta qui s’étaient enregistrés pour un retour volontaire avant le 10 octobre. Certains ou la totalité des 287 réfugiés vivant dans les deux camps de réfugiés burundais voisins, qui ont été transférés au camp de Nduta le 13 octobre, ont été très probablement inclus eux aussi dans ce convoi.

La différence entre les 538 réfugiés qui se sont enregistrés pour un retour volontaire selon la procédure normale dans les trois camps, dont la majorité ou la totalité sont rentrés le 15 octobre, et le nombre total des 812 réfugiés rentrés au Burundi ce jour-là suggère que le convoi incluait plus de 200 Burundais contraints à quitter la Tanzanie par les autorités du camp de Nduta quelques jours auparavant. Les deux sources ont corroboré cela, en expliquant que le groupe de 812 réfugiés incluait jusqu’à 300 Burundais vivant dans le camp de Nduta qui s’étaient enregistrés après la réunion du 11 octobre avec les autorités tanzaniennes.

Situation au Burundi

Dans son dernier rapport, la Commission d’enquête sur le Burundi du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a conclu « à la persistance [...] de violations graves des droits de l’homme − dont certaines constituent des crimes contre l’humanité » dans le pays. Les cibles, d’après le rapport, étaient les partisans de l’opposition réels et supposés, les Burundais qui étaient rentrés de l’étranger et les défenseurs des droits humains. Bien que le président Pierre Nkurunziza ait indiqué qu’il ne se présenterait pas à sa réélection, la commission a tout particulièrement attiré l’attention sur le « risque majeur » posé par l’élection de 2020.

En juin, Human Rights Watch a documenté de graves schémas d’abus, notamment des arrestations arbitraires, des passages à tabac, des disparitions forcées et des meurtres, principalement commis par les membres des Imbonerakure et les autorités locales à l’encontre de membres supposés du parti d’opposition Congrès national pour la Liberté.

Le HCR a déclaré en août que les conditions au Burundi n’étaient pas suffisamment sûres ou stables pour inciter les réfugiés à rentrer dans leur pays et qu’elle faciliterait uniquement les retours volontaires.

Normes juridiques et lignes directrices du HCR sur le rapatriement volontaire

La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et la Convention de 1969 relative aux réfugiés en Afrique interdisent le refoulement, c’est-à-dire le retour des réfugiés de quelque manière que ce soit vers des lieux où leur vie ou leur liberté serait menacée. Le HCR indique que le refoulement a lieu non seulement lorsqu’un gouvernement rejette ou expulse directement un réfugié, mais aussi quand la pression indirecte est tellement forte qu’elle conduit les personnes à penser qu’elles n’ont pas d’autre choix que de rentrer dans un pays où elles font face à un risque de préjudice grave.

Le Handbook on Voluntary Repatriation (Manuel sur le rapatriement volontaire, en anglais) du HCR prévoit que « l’enregistrement pour le rapatriement ne devrait pas être considéré comme une tâche purement administrative » et que le personnel qui a reçu « une formation approfondie » devrait « interroger... les candidats potentiels au rapatriement pour obtenir des informations pertinentes, les conseiller sur les aspects préoccupants, répondre aux questions sur les problèmes liés au rapatriement [et] évaluer la vulnérabilité ».

Le manuel du HCR indique aussi que « l’enregistrement pour le rapatriement volontaire ne devrait pas être directement lié à tout autre enregistrement ou vérification (comme les programmes de soins et d’aide) », que « l’association des deux peut créer une confusion pour les réfugiés en donnant l’impression qu’ils doivent s’enregistrer pour le rapatriement volontaire afin d’avoir droit à une aide dans le pays d’asile » et que « cela peut compromettre gravement le caractère volontaire ».

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