(Berlin) – Les hostilités dans l’est de l’Ukraine ont endommagé ou détruit des centaines d’écoles, dont la plupart ont été utilisées à des fins militaires par les diverses parties au conflit, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 65 pages, intitulé « Studying Under Fire: Attacks on Schools, Military Use of Schools During the Armed Conflict in Eastern Ukraine » (« Étudier sous le feu des tirs : Des écoles soumises à des attaques et utilisées à des fins militaires lors du conflit armé dans l’est de l’Ukraine »), démontre comment les forces gouvernementales ukrainiennes et les militants soutenus par la Russie ont mené des attaques indiscriminées ou délibérées contre des écoles. Les deux parties ont utilisé des écoles à des fins militaires, déployant leurs forces à l’intérieur et à proximité des écoles, faisant d’elles des cibles militaires légitimes. La destruction engendrée a obligé de nombreux enfants à quitter l’école, et plusieurs écoles à cesser de fonctionner ou à fonctionner dans des conditions difficiles et en sureffectif, a conclu Human Rights Watch.
Attacks on Schools, Military Use of Schools During the Armed Conflict in Eastern Ukraine
« De chaque côté de la ligne d’affrontement, des civils, y compris des enfants, subissent de plein fouet cette guerre prolongée », a déclaré Yulia Gorbunova, chercheuse de Human Rights Watch en Ukraine. « Toutes les parties au conflit sont tenues de protéger les enfants et de s’assurer que les hostilités ne nuisent pas davantage à leur sécurité et à leur éducation. »
Le gouvernement ukrainien devrait protéger la sécurité des enfants et leur accès à l’éducation et empêcher toute utilisation militaire des écoles, en adoptant et en faisant appliquer la Déclaration internationale sur la sécurité dans les écoles. Les militants soutenus par la Russie doivent également éviter d’utiliser les écoles conformément aux principes des Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés.
Dans le cadre de son rapport, Human Rights Watch a interrogé 62 élèves, enseignants, directeurs d’écoles et témoins, et a visité 41 écoles et jardins d’enfants situés dans des zones contrôlées soit par les forces gouvernementales, soit par des combattants soutenus par la Russie.
Human Rights Watch a rassemblé des informations sur des attaques contre des écoles commises par les forces des deux camps, alors que ces établissements n’étaient ni occupés ni utilisés par des forces militaires, et ne s’apparentaient donc pas à des cibles militaires légitimes. Les attaques ciblées contre des établissements scolaires ne constituant pas des objectifs militaires, ainsi que les attaques aveugles ne permettant pas de distinguer les objets civils, tels que les écoles, sont prohibées conformément aux lois de la guerre ; elles peuvent donc faire l’objet de poursuites en tant que crimes de guerre.
Dans un cas, en juin 2015, des tirs d’artillerie en provenance du territoire tenu par les insurgés ont gravement endommagé l’école numéro 3 à Krasnohorivka, ville sous le contrôle du gouvernement dans la région de Donetsk. Le bâtiment de l’école a subi 12 tirs directs. Un poste de contrôle militaire situé à 700 mètres de l’école n’a pas été touché. La directrice de l’école, selon qui l’école était la cible de l’attaque, a déclaré à Human Rights Watch : « Nous avions pour habitude de plaisanter en disant que le poste de contrôle était l’abri le plus sûr car il ne serait jamais visé. »
Tout au long du conflit, le gouvernement ukrainien ainsi que ses adversaires soutenus par la Russie ont déployé des forces militaires à l’intérieur et à proximité des écoles. Lorsque des forces militaires occupaient des écoles, elles ont souvent cassé ou brûlé le mobilier, notamment des portes de classe, des chaises et des bureaux. À plusieurs reprises, les écoles utilisées par les combattants continuaient de poser un risque même après leur départ, car les troupes laissaient derrière elles de l’artillerie lourde ou des munitions non utilisées.
La directrice de l’école numéro 14 à Ilovaisk a déclaré à Human Rights Watch que lors de l’occupation de son établissement par les forces du gouvernement ukrainien pendant deux semaines en août 2014, elles avaient endommagé le mobilier, cassé toutes les portes et détruit 11 ordinateurs. En octobre 2014, les chercheurs de Human Rights Watch ont découvert dans la cour de cette école plusieurs mines terrestres non explosées, qui avaient apparemment été éjectées d’un camion d’approvisionnement garé dans la cour.
Alors qu’une école est normalement un objet civil protégé contre toute attaque par les lois de la guerre, lorsqu’elle est utilisée à des fins militaires ou occupée par des forces militaires, elle devient une cible militaire légitime. En créant une cible militaire légitime à proximité de civils, comme les élèves d’une école, on met ces civils en danger ce qui constitue une violation du droit international humanitaire.
Le ministère ukrainien de l’Éducation et des Sciences a reconnu lors de réunions avec Human Rights Watch que les forces du gouvernement ukrainien avaient utilisé des écoles à des fins militaires. En adoptant la Déclaration internationale sur la sécurité dans les écoles, déjà signée par 51 pays, l’Ukraine s’engagerait à protéger l’éducation contre toute attaque. L’Ukraine devrait également revoir ses politiques, ses pratiques et ses formations militaires afin d’assurer au minimum le respect des Lignes directrices pour la protection des écoles et des universités contre l'utilisation militaire durant les conflits armés qui fournissent des recommandations pour que les parties à un conflit armé évitent d’empiéter sur la sécurité et l’éducation des élèves. Les forces rebelles devraient s’inspirer des exemples de bonnes pratiques.
Même dans les endroits où les enfants ukrainiens n’ont pas été complètement obligés d’évacuer l’école, le conflit armé a altéré la qualité de leur éducation. Certaines écoles ont dû fermer pendant des périodes de lutte intense, avec pour conséquence des mois de cours perdus. Des heures de cours ont également été perdues à cause des sureffectifs quand les écoles endommagées attendaient d’être réparées et envoyaient leurs élèves dans d’autres écoles, souvent pendant de longues périodes car les écoles n’ont pas les moyens de réparer ou de convertir les systèmes de chauffage abîmés.
Les enfants ont rencontré des obstacles simplement pour atteindre leurs écoles à cause des hostilités en cours, des restrictions de déplacements imposées par le gouvernement et du manque de transports.
« Les enseignants et les parents des deux côtés de la ligne d’affrontement ont fait preuve d’un immense engagement pour que l’éducation des enfants continue malgré la guerre », a ajouté Yulia Gorbunova. « Les parties en guerre devraient aussi faire bien plus pour éviter de nuire irrémédiablement à la sécurité et à l’éducation des enfants. »