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UE/France : Lettre au président Hollande au sujet des migrants en Méditerranée

Insuffisance du plan d’action en dix points visant à empêcher les décès en mer

Monsieur François Hollande

Président de la République

Palais de l’Elysée

55 rue du faubourg Saint-Honoré

75008 Paris
 

Objet : Sommet extraordinaire sur les migrants en Méditerranée – Lettre ouverte
aux 28 chefs d’Etat et de gouvernement de l'UE

 

New York, le 22 avril 2015
 

Monsieur le Président,

Human Rights Watch salue votre décision de tenir un sommet extraordinaire du Conseil pour répondre à la crise en mer Méditerranée. Depuis le début de l’année, au moins 1 600 migrants et demandeurs d’asile ont trouvé la mort en essayant d’atteindre les côtes du sud de l’Europe. Il est grand temps que l’Union européenne se confronte à ce  désastre humanitaire, et que les Etats membres se mettent d’accord  pour mener des actions courageuses afin de sauver des vies et d’offrir des alternatives sûres et légales à ces milliers de réfugiés, demandeurs d’asile et migrants qui n‘ont d’autre alternative que d’entreprendre des voyages en bateau, dangereux et  trop souvent mortels, pour atteindre l’Europe.

L’impératif le plus urgent est d’assurer qu’une opération sérieuse de recherche et de sauvetage soit déployée en mer Méditerranée. La fin de Mare Nostrum, l’importante opération humanitaire italienne, et son remplacement par l’opération Triton de Frontex, beaucoup plus limitée en termes de moyens, n’ont pas dissuadé la migration irrégulière, comme certains le soutenaient. En effet, au cours des quatre premiers mois de l’année 2015, le nombre de personnes réalisant ce voyage dangereux a presque doublé, par rapport aux chiffres de l’année 2014 pour la même période. Et le nombre de décès en mer est monté en flèche. Ces personnes ne fuient pas vers les côtes européennes parce qu’ils espèrent être sauvés. Ils fuient la guerre, les persécutions, la pauvreté et ils sont tellement désespérés qu’ils sont prêts à risquer leur vie.

Le plan en dix points mis en avant lundi par la Commission européenne, et approuvé par les ministres européens de l’Intérieur et des Affaires étrangères, propose de renforcer les opérations de Frontex en mer Méditerranée en lui donnant plus de moyens, un budget plus important, et une portée géographique plus étendue, mais encore inférieurs à ceux de l’opération italienne Mare Nostrum. Par ailleurs, ces ressources additionnelles ne vont pas modifier la mission de base de Frontex qui est de contrôler les frontières. Ce n’est pas une réponse adéquate. Pour répondre à la crise humanitaire, il est nécessaire qu’une opération multinationale soit menée. Son  mandat doit être clair : activement rechercher et sauver en mer les migrants et demandeurs d’asile en détresse, et les ramener en toute sécurité vers les ports européens où leurs demandes peuvent être examinées de manière adéquate en respectant et en protégeant tous leurs droits.

 

L’UE devrait aussi mettre en place des méthodes sécurisées pour les personnes qui demandent l’asile sans avoir à mettre leur vie entre les mains de trafiquants sans scrupules. Cinquante pour cent des gens qui arrivent en bateau fuient la Syrie, l’Erythrée, l’Afghanistan et la Somalie, pays où règnent la violence et la répression. Il est temps de reconnaître que ces personnes chercheront inéluctablement à rejoindre l’Europe, et de se préparer à les accueillir dignement, en respectant leurs droits, qu’ils soient des migrants économiques ou des demandeurs d’asile.

Le plan en dix points adopté lundi inclut des avancées positives, bien que modestes, pour alléger de responsabilités excessives les pays situés aux frontières externes de l’UE. Il prévoit également l’augmentation des projets de réinstallation volontaire de réfugiés. Cependant, plus d’efforts devraient être faits dans ces deux domaines. Tous les membres de l’UE peuvent et devraient répondre aux appels des Nations Unies, qui les exhortent à accueillir plus de réfugiés syriens ainsi que les réfugiés qui fuient d’autres situations de crise prolongée dans le monde.

D’autres propositions étudiées actuellement, notamment les camps « offshores» pour traiter les demandes d’asile dans des pays tiers, une assistance technique et financière aux pays voisins de la Libye pour renforcer leurs capacités en matière de patrouille en mer, et l’augmentation de l’assistance financière aux pays de départ comme l’Erythrée, doivent être conçues soigneusement pour assurer qu’elles n’engendrent  ou n’enracinent encore plus des violations de droits humains. Nous encourageons toute assistance pour renforcer la capacité des pays de la région à fournir une protection aux réfugiés. Cependant, nous mettons aussi en garde contre le fait de se limiter à renforcer les capacités de maintien de l’ordre en construisant davantage de centres de détention et de plus hautes clôtures aux frontières. Ce n’est pas une solution, et ne peut qu’aboutir à davantage de violations des droits humains. 

C’est une occasion pour l’UE de réaffirmer l’importance centrale du respect des droits humains, y compris le plus fondamental des droits, le droit à la vie, en tant que principe directeur non négociable devant servir de base à la politique de migration et d’asile.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération,

Kenneth Roth

Directeur exécutif

Human Rights Watch

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