Le 6 janvier 2015, des conseillers militaires américains travaillant avec la Force régionale d’intervention de l'Union africaine (UA) en République centrafricaine ont placé le commandant de l'Armée de résistance du seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA) Dominic Ongwen en garde à vue. Les États-Unis, l'Ouganda – le contributeur principal de troupes participant à la force d’intervention de l'UA – et la République centrafricaine devraient assurer le transfert rapide d’Ongwen, que l'on estime avoir environ 34 ans, à la Cour pénale internationale (CPI). En 2005, la CPI a émis un mandat d'arrestation à l’encontre de Dominic Ongwen pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
- Qu'est-ce que l'Armée de résistance du Seigneur ?
L’Armée de résistance du Seigneur est un groupe rebelle armé dirigé par Joseph Kony. Organisé en 1987 environ, il s’est d'abord battu contre le gouvernement ougandais dans le nord de l'Ouganda, avec des incursions dans le Sud-Soudan.
Des opérations militaires ougandaises ont forcé le groupe à sortir de l'Ouganda en 2005 et 2006. Après cela, la LRA est devenue progressivement une menace régionale, opérant dans les zones frontalières reculées entre le Sud-Soudan, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine. Human Rights Watch a documenté les meurtres de plus de 2 600 civils et les enlèvements de plus de 4 000 autres par la LRA dans le nord de la RD Congo, la République centrafricaine et le Soudan du Sud entre 2008 et 2012. Plus de 400 000 personnes ont été déplacées de leurs foyers dans cette région en raison d’attaques de la LRA.
Tout au long de son histoire, la LRA s’est rendue responsable d’un grand nombre d’atrocités, notamment des massacres, des exécutions sommaires, des actes de torture, de viol, de pillage et de travail forcé. La brutalité de la LRA contre les enfants a été particulièrement horrible. Elle reconstitue ses rangs en enlevant les enfants, entraîne et utilise de force des enfants dans des opérations de combat, utilise les filles comme esclaves sexuelles et les contraint à se soumettre par la menace, la violence et la manipulation mentale.
- Qui est Dominic Ongwen?
Ongwen est originaire de Gulu, dans le nord de l'Ouganda. Selon sa famille, il est né en 1980 et a été enlevé par l'Armée de résistance du Seigneur en 1990, alors qu’il avait 10 ans et se rendait à l'école. Des hauts dirigeants supérieurs de la LRA lui ont donné une formation militaire et il a fini par être connu comme l'un des commandants les plus impitoyables de la LRA.
Après que les forces de la LRA ont quitté le nord de l'Ouganda en 2005 et 2006, les troupes sous le commandement d’Ongwen ont à maintes reprises terrorisé les communautés dans les districts du Haut-Uélé et du Bas-Uélé de la RD Congo. Ils ont été responsables de certaines des attaques les plus brutales de la LRA au cours des années suivantes, notamment le massacre de Makombo en 2009, lorsque des troupes sous le commandement d’Ongwen ont tué au moins 345 civils et en ont enlevé 250 autres, dont au moins 80 enfants, au cours d'un saccage de quatre jours dans la région de Makombo du nord-est de la RD Congo. Cela a été l'un des pires massacres commis pendant la longue histoire brutale de la LRA.
- Comment la CPI en est-elle venue à porter des accusations contre Ongwen ?
En décembre 2003, l'Ouganda a déféré la situation de l'Armée de résistance du seigneur à la CPI. En juillet 2004, le procureur de la CPI a annoncé que la CPI ouvrait une enquête sur la situation dans le nord de l'Ouganda. En juillet 2005, la CPI a émis des mandats d'arrêt sous scellés pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité à l’encontre des cinq principaux dirigeants de la LRA à l'époque : Joseph Kony, Vincent Otti, Okot Odhiambo, Raska Lukwiya et Dominic Ongwen. Les scellés de ces mandats ont été levés en octobre 2005. Lukwiya a été tué en 2006 et Otti à la fin de 2007. Odhiambo a peut-être été tué au cours de récents affrontements, ont indiqué des responsables ougandais.
- Quelles sont les accusations qui pèsent contre Ongwen ?
La CPI a accusé Ongwen de responsabilité pénale pour les crimes commis dans le nord de l'Ouganda en 2004 : trois chefs d’accusation de crimes contre l'humanité (meurtre, esclavagisme et actes inhumains causant des blessures et des souffrances graves) et quatre chefs d’accusation de crimes de guerre (meurtre, traitements cruels de civils, diriger intentionnellement une attaque contre une population civile et pillage).
- Quels sont les droits d’Ongwen en tant que suspect ?
En vertu du Statut de Rome de la CPI, une personne arrêtée doit être présentée devant l'autorité judiciaire compétente de l'État de détention, qui doit déterminer si les droits d’Ongwen ont été respectés selon le droit national pertinent. Notamment, en vertu de la législation de la République centrafricaine, Ongwen devrait avoir immédiatement accès à un avocat et recevoir des informations de la part d’un magistrat local sur les accusations portées contre lui dans une langue qu'il comprend.
Selon les normes internationales de procès équitable telles que celles figurant dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans le Statut de Rome de la CPI, Ongwen a généralement le droit à :
- disposer d’informations sur les accusations portées contre lui dans une langue qu'il comprend ;
- la présomption d'innocence ;
- le temps et les facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
- ne pas être forcé à témoigner contre lui-même ni à s’avouer coupable ;
- se faire assister par un avocat de son choix ; et
- être protégé contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
- Quel effet l'expérience d’Ongwen comme enfant soldat a-t-elle sur les poursuites judiciaires menées contre lui ?
Ongwen est considéré comme le seul suspect confronté à des accusations devant la CPI ayant été enlevé alors qu’il était enfant. Au cours de son histoire, la LRA a enlevé et recruté de force au moins 30 000 enfants dans ses rangs, en grande partie parce qu'ils sont plus faciles à manipuler que les adultes. Au moyen de méthodes de contrôle mental qui instillent la peur et de brutalité à l’état pur, la LRA initie les enfants au sein du groupe et les oblige à subir ce qu'ils appellent « une formation militaire ». Les enfants sont souvent forcés à tuer des adultes ou d'autres enfants qui n’obéissent pas aux règles strictes de la LRA ou qui tentent de s’échapper.
Le Statut de Rome de la CPI ne prévoit pas de compétence sur les crimes commis par une personne de moins de 18 ans, mais Ongwen peut être jugé pour les crimes qu'il a commis à l'âge adulte. Son statut d’enfant enlevé pourrait être une circonstance atténuante lors de la prononciation du verdict dans l’éventualité d’un procès et d’une condamnation, et il peut également être pertinent pour sa défense juridique.
- Ongwen pourrait-il être jugé en Ouganda ?
La CPI est une juridiction de dernier recours. Selon le Statut de Rome, la CPI ne poursuit des affaires que lorsque les tribunaux nationaux n’ont pas la capacité ou la volonté d’entamer de poursuites. Une fois qu'une affaire a été reprise par la Cour, comme dans le cas d’Ongwen, elle ne reviendrait aux juridictions nationales qu’en cas d’exception d'irrecevabilité, selon laquelle un État est en mesure de prouver qu’il mène déjà une enquête et des poursuites à l’encontre du suspect pour les mêmes crimes.
En 2011, l'Ouganda a officiellement créé la Division des crimes internationaux (International Crimes Division), afin de juger les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et d'autres crimes. Bien que des procès nationaux puissent apporter une contribution importante quant à garantir la justice pour les crimes commis pendant le conflit dans le nord de l'Ouganda, de graves obstacles juridiques sont apparus qui remettent en question la capacité de cette division à réaliser son potentiel en tant qu’instance apte à garantir de manière significative que les auteurs de crimes graves rendent compte de leurs actes.
La seule affaire liée au conflit dans le nord de l'Ouganda qui ait été portée devant la Division des crimes internationaux est celle concernant Thomas Kwoyelo, un ancien membre de la LRA capturé en RD Congo en mars 2009, qui est accusé de crimes de guerre. Le procès de Kwoyelo a été arrêté après que la Cour constitutionnelle de l'Ouganda ait conclu qu'il avait été traité de façon inéquitable en vertu de la loi d'amnistie ougandaise (voir ci-dessous) et a ordonné sa libération. Il reste en prison tandis qu'un appel de la décision de la Cour constitutionnelle est en instance devant la Cour suprême de l'Ouganda.
- De quelle façon l'Ouganda a-t-il répondu aux graves exactions commises par la LRA et par sa propre armée ?
En 2000, le gouvernement ougandais a promulgué une amnistie pour les citoyens ougandais, notamment les combattants de la LRA, impliqués dans une rébellion armée s’ils renonçaient à leur participation. En 2012, plus de 12 906 personnes affiliées avec la LRA avaient été amnistiées, notamment un certain nombre d'anciens commandants de haut rang de la LRA. L’amnistie pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité viole le droit international, qui rejette l'immunité contre les poursuites pour les crimes les plus graves.
Kwoyelo est le seul ancien combattant de la LRA en prison en Ouganda accusé d’activité au sein de la LRA. Un haut commandant de la LRA, Ceasar Achellam, est détenu par l'armée ougandaise depuis mai 2012 et son statut n’est pas connu. Le droit international exige qu'une personne détenue pour une infraction pénale soit inculpée ou relâchée rapidement. Un mandat d’arrêt national pour crimes de guerre est en suspens en Ouganda depuis novembre 2013, mais il n'a jamais été appliqué.
L'armée ougandaise a déclaré que les militaires ougandais qui ont commis des exactions durant le conflit ont été poursuivis et condamnés, bien qu’elle n'ait pas voulu fournir de détails sur ces affaires.
Human Rights Watch a documenté des exactions commises par les forces armées ougandaises au cours de leur conflit armé de 25 ans avec la LRA, notamment la torture, le viol, la détention arbitraire, les exécutions extrajudiciaires et le déplacement forcé de ses citoyens dans des camps sans protection ni un minimum d’aide humanitaire. Ces crimes ont très rarement fait l’objet de poursuites judiciaires. Human Rights Watch est au courant de certains cas où des soldats ont été exécutés après avoir été reconnus coupables de crimes contre des civils pendant le conflit de la LRA, suite au verdict d’une procédure sommaire en cour martiale. Les accusés n’avaient pas le droit de faire appel de ces verdicts et la Cour constitutionnelle de l'Ouganda a jugé ces exécutions comme étant inconstitutionnelles. Human Rights Watch s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances en raison de sa cruauté inhérente.
Au moins certains anciens combattants de la LRA, notamment certains hauts commandants, ont été intégrés dans l'armée ougandaise et sont activement déployés dans l'effort de lutte contre la LRA, sans aucune enquête sur les crimes qu'ils peuvent avoir commis pendant leur temps passé au sein de la LRA.
- La CPI ou d'autres pays pourraient-ils poursuivre Ongwen pour des crimes allégués commis en dehors de l'Ouganda ?
Il n’existe aucune accusation en cours par la CPI ou toute autre juridiction nationale contre Ongwen ou d'autres dirigeants de la LRA pour crimes présumés en dehors de l'Ouganda. Le procureur de la CPI devrait envisager d’ajouter des chefs d’accusation liés aux crimes graves commis dans les pays où la CPI a compétence, comme la République démocratique du Congo. Ces affaires pourraient également être poursuivies par les autorités nationales dans les pays où les crimes allégués ont eu lieu. Une analyse plus approfondie de ces questions figure dans le rapport de Human Rights Watch, « Le chemin de la mort ».
- Quelle est la position de l'Ouganda vis-à-vis de la CPI ?
L'Ouganda est un État partie au Statut de Rome de la CPI et a été le premier pays à demander une enquête de la CPI. La CPI a travaillé en Ouganda depuis de nombreuses années, en menant des enquêtes et en tenant des réunions de sensibilisation avec des groupes de victimes.
Depuis 2009, lorsque la CPI a émis un mandat d'arrêt à l’encontre du président du Soudan Omar al-Bachir pour crimes commis au Darfour, la Cour a été confrontée à l'hostilité de certains dirigeants africains. Cette réaction s’est renforcée en 2013, lorsque Uhuru Kenyatta et William Ruto, tous deux accusés par la CPI de crimes commis au cours des violences postélectorales de 2007-2008 au Kenya, ont été élus président et vice-président du Kenya. L'affaire contre Kenyatta a été abandonnée à la fin de 2014. Le Président Yoweri Museveni de l'Ouganda a soutenu les critiques à l’égard de la CPI et a suggéré de faire pression en faveur du retrait des pays africains de la CPI au prochain sommet de l'Union africaine.
Trente-quatre pays africains sont membres de la CPI et la CPI continue de bénéficier du soutien d’un grand nombre de ces pays.