(Bruxelles, le 21 juin 2012) – La faculté de l’Union européenne (UE) à promouvoir efficacement des améliorations sur le plan des droits humains en Asie centrale est entravée par sa réticence à formuler des attentes claires en matière de réforme et à les faire suivre de mesures politiques lorsqu’elles ne sont pas satisfaites, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 25 juin 2012, les ministres des Affaires étrangères de l’UE publieront une évaluation de la Stratégie de l’UE pour l’Asie centrale, adoptée il y a cinq ans.
« Il n’est pas facile d’apporter un changement positif en Asie centrale, mais un bon point de départ serait d’énoncer clairement ses attentes et de lier tout renforcement des contacts aux progrès opérés », a expliqué Veronika Szente Goldston, directrice de plaidoyer à la Division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch. « L’UE s’est jusqu’à présent refusée à le faire, mais il n’est pas trop tard pour rectifier le tir. »
Les relations qu’entretiennent l’UE et ses États membres avec l’Asie centrale comportent des enjeux importants, notamment l’accès aux approvisionnements énergétiques et aux matières premières, ainsi que les questions liées à la sécurité, en particulier dans le contexte de l’Afghanistan, pays voisin de l’Asie centrale. Ces enjeux ne devraient toutefois pas constituer une excuse pour minimiser l’attention portée par l’UE aux violations des droits humains perpétrées dans la région, a souligné Human Rights Watch.
Les gouvernements d’Asie centrale – Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan – présentent tous des bilans nettement négatifs en matière de droits humains et résistent tous, à des degrés divers, à toute réforme significative, comme l’explique Human Rights Watch dans son nouvel aperçu des préoccupations et recommandations concernant l’Asie centrale.
L’Ouzbékistan et le Turkménistan se démarquent particulièrement par leur côté répressif et leur repli sur eux-mêmes, réprimant le militantisme de la société civile indépendante et réduisant au silence les voix critiques en conjuguant menaces, harcèlement et emprisonnements à caractère politique, a fait remarquer Human Rights Watch. La situation des droits humains au Kazakhstan, qui soutenait autrefois avantageusement la comparaison avec ses voisins plus répressifs, s’est considérablement détériorée au cours des 18 derniers mois. Dans l’intervalle, ce pays s’attèle à intensifier ses relations avec l’UE, sous la forme d’un partenariat renforcé et d’un accord de coopération, offrant à l’UE une occasion importante d’exercer des pressions pour que soient opérées des réformes bien nécessaires en matière de droits humains.
Pourtant, les efforts déployés par l’UE pour peser sur les progrès en matière de droits humains en Asie centrale offrent au mieux un bilan inégal, a noté Human Rights Watch. L’UE a levé ses sanctions à l’encontre de l’Ouzbékistan alors que le gouvernement n’avait pas satisfait aux critères définis pour y mettre fin, et elle s'emploie activement à renforcer ses relations avec le Turkménistan sans exiger en échange des mesures dans le domaine des droits humains.
Human Rights Watch a relevé que la promesse inscrite dans la Stratégie pour l’Asie centrale de faire des droits humains un « point clé » de la coopération n’a guère débouché, dans la pratique, sur autre chose que des « dialogues structurés sur les droits de l’homme ». Ces pourparlers annuels officiels de haut niveau avec chaque pays d’Asie centrale s’avèrent être des dialogues isolés avec des objectifs et des résultats peu clairs, et ils semblent n’avoir eu aucune incidence sur les relations globales de l’UE avec les pays concernés.
« L’UE ne devrait pas permettre que les dialogues sur les droits humains servent d’excuse pour ne pas soulever les problèmes des droits humains dans d’autres cadres - où elle pourrait exercer davantage d’influence –, ou ces dialogues ne feront que réduire le rôle des droits humains dans la politique européenne au lieu de l’affermir », a fait remarquer Veronika Szente Goldston. « Un examen ne fût-ce que sommaire de la situation en Ouzbékistan et au Turkménistan suffirait malheureusement à mettre clairement en lumière le fait que des contacts étroits non assortis de conditions ne produisent aucune amélioration digne de ce nom sur le plan des droits humains. »
L’UE devrait également s’employer à être davantage en prise avec la société civile des pays d’Asie centrale et à établir de véritables partenariats avec elle. L’UE devrait veiller à ce que les défenseurs des droits humains, dont beaucoup travaillent sous une pression énorme en s’exposant personnellement à de grands risques, se sentent réellement entendus et appuyés par l’UE, a ajouté Human Rights Watch.
Exprimer publiquement ses préoccupations en matière de droits humains pour attester officiellement de la position et des intentions de l’UE dans la région revêt également une importance cruciale, notamment au vu du caractère fermé des gouvernements d’Asie centrale, a souligné Human Rights Watch. Ces gouvernements cherchent, à des degrés variables, à monopoliser les informations sur les conditions qui règnent dans leurs pays et sur la nature et l’orientation de leurs relations avec l’UE. Dans certains États d’Asie centrale, en particulier l’Ouzbékistan et le Turkménistan, les échanges amorcés par l’UE à propos des droits humains ont constitué l’une des très rares occasions pour les militants des droits humains de connaître la position de leur gouvernement sur une question déterminée relative aux droits humains.
« Certes, les consultations et le partage d’informations avec la société civile dans le cadre de réunions privées sont positifs et importants, mais ils ne peuvent se substituer à un compte rendu officiel et transparent du contenu et des résultats des discussions sur les droits humains », a expliqué Veronika Szente Goldston.
Human Rights Watch a vivement recommandé à l’UE de tirer parti de l’examen des cinq années de Stratégie pour l’Asie centrale pour apporter de toute urgence des changements à son approche, et notamment :
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Vaincre sa réticence à fixer des conditions et des critères de référence et définir des mesures spécifiques concernant les réformes qu’elle souhaite dans chaque pays. Dans le cas de l’Ouzbékistan, ces mesures ont déjà été formulées par les ministres des Affaires étrangères de l’UE dans le cadre du processus de sanctions, tout récemment en octobre 2010, et dans le cas du Turkménistan, par le Parlement européen en 2008, et à nouveau en 2009. Néanmoins, aucune de ces séries de mesures n’est actuellement appliquée activement.
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S’engager dans un suivi politique actif et soutenu à tous les niveaux afin de s’assurer du respect des critères de référence, spécialement aux plus hauts niveaux – y compris dans les relations bilatérales des États membres de l’UE. Il s’agit notamment de soulever les problèmes de droits humains dès que l’occasion se présente, y compris publiquement, afin de faire clairement ressortir le rôle central des exigences en matière de droits humains dans ces relations.
- Dégager une volonté politique pour imposer des mesures politiques si les attentes en matière de réforme ne sont pas satisfaites. En ce qui concerne le Turkménistan et le Kazakhstan, la perspective d’un renforcement des relations devrait servir de moyen de pression pour encourager les avancées dans le domaine des droits humains, en conditionnant ces relations aux efforts déployés par le gouvernement pour mieux répondre aux attentes en matière de droits humains. Dans le cas de l’Ouzbékistan, les États membres de l’UE devraient fixer une échéance claire au gouvernement, le contraignant à se conformer, une fois pour toutes, aux critères de l’UE en matière de droits humains ou à en assumer les conséquences concrètes, notamment la perspective de nouvelles restrictions frappant leurs relations. Le Parlement européen a donné l’exemple en décembre, rejetant une proposition de réduction des tarifs douaniers européens sur les textiles pour l’Ouzbékistan jusqu’à ce que le gouvernement permette à des observateurs internationaux d’avoir accès à ses récoltes de coton et jusqu’à ce qu’il prenne des mesures concrètes visant à mettre fin au travail des enfants, soumettant ainsi les relations UE-Ouzbékistan à des conditions bien nécessaires.
« Le manque d’efficacité de la politique européenne envers l’Asie centrale ne constitue pas simplement un échec abstrait ou une occasion gâchée, il a un réel impact sur la vie des gens », a conclu Veronika Szente Goldston. « Il est temps de mettre en place une politique européenne qui a pour principe fondamental de promouvoir des améliorations tangibles pour les victimes de violations des droits humains en Asie centrale. »