Skip to main content

Le défi de Biden : Restaurer le rôle des États-Unis dans la défense des droits humains

Un jeune garçon lève son poing lors d'une manifestation à Atlanta, capitale de l’État de Géorgie aux États-Unis, le 31 mai 2020.

© 2020 Elijah Nouvelage/Getty Images

Au terme de quatre années au pouvoir d’un président indifférent et souvent hostile aux droits humains, l’élection en novembre 2020 de Joe Biden en tant que nouveau président des États-Unis fournit l’occasion d’un changement de cap fondamental.

Donald Trump a été une catastrophe pour les droits humains. Sur le plan national, il a bafoué les obligations juridiques permettant aux personnes persécutées de demander le statut de réfugié, arraché les enfants migrants à leurs parents, enhardi les suprémacistes blancs, agi pour saper le processus démocratique et fomenté la haine à l’encontre des minorités ethniques et religieuses. Il a également fermé les yeux sur le racisme systémique au sein de la police, démantelé les protections juridiques prévues pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT), révoqué les protections environnementales garantissant un air et une eau propres et cherché à affaiblir le droit à la santé, en particulier la santé sexuelle et reproductive et celle des personnes âgées.

À l’étranger, Trump a entretenu des liens amicaux avec plusieurs autocrates aux dépens de leurs populations opprimées, et encouragé la vente d’armes à des gouvernements impliqués dans des crimes de guerre. Il a attaqué les principales initiatives internationales visant à défendre les droits humains, promouvoir la justice internationale, améliorer la santé publique et prévenir le changement climatique, et dans certains cas a opéré le retrait des États-Unis de ces initiatives.

Cette combinaison destructrice de mesures a sapé la crédibilité du gouvernement des États-Unis, et ce même lorsqu’il s’est prononcé contre des abus. Les  déclarations condamnant le Venezuela, Cuba ou l’Iran ont sonné creux lorsque, parallèlement, des éloges ont été adressés à la Russie, à l’Égypte, à l’Arabie saoudite ou à Israël. Le soutien à la liberté de religion à l’étranger a été affaibli par des politiques islamophobes aux États-Unis. L’administration Trump a imposé des sanctions ciblées et d’autres punitions au gouvernement chinois et à des entreprises de ce pays, en réponse à leur implication dans des violations des droits humains. Mais le piètre bilan des États-Unis en matière de droits humains, les divers motifs ayant conduit aux critiques adressées à Pékin, et la façon dont Trump a fait de la Chine son bouc émissaire pour masquer ses propres échecs face à la pandémie de Covid-19, ont montré que ces interventions étaient tout sauf fondées sur des principes, rendant difficile la collaboration avec des pays alliés.

Pourtant, il serait naïf de considérer la présidence Biden comme une panacée. Au cours des dernières décennies, l’arrivée de chaque nouvel occupant de la Maison-Blanche a provoqué de fortes fluctuations dans la politique américaine relative aux droits humains. La « guerre contre le terrorisme » déclenchée par George W. Bush, avec un recours systématique à la torture et aux détentions en l’absence de chefs d’inculpation à Guantanamo, avait déjà constitué un précédent désastreux. Bien que Barack Obama ait ensuite annulé plusieurs éléments importants de cette politique antiterroriste, il en a maintenu certains et même développé d’autres, tels que les attaques illégales de drones, la surveillance intrusive et les ventes d’armes à des autocrates peu fréquentables. Ces changements de cap, sur le plan de la politique intérieure ainsi qu’étrangère, sont devenus coutumiers à Washington.

Les dirigeants mondiaux qui cherchent à défendre les droits humains se demandent naturellement s’ils peuvent compter sur le gouvernement américain. Même si Biden parvenait à améliorer considérablement le bilan des États-Unis dans ce domaine, les profonds clivages politiques dans le pays signifient qu’il serait difficile d’empêcher l’élection, d’ici quatre ou huit ans, d’un autre président aussi méprisant que Trump à l’égard des droits humains.

Cependant, cette réalité devrait être une source de détermination plutôt que de désespoir. Alors que l’administration Trump a largement délaissé la protection des droits humains à l’étranger, d’autres gouvernements ont fait agi. Plutôt que d’y renoncer, ils ont renforcé les protections existantes. Ainsi, alors même que des acteurs puissants comme la Chine, la Russie et l’Égypte cherchaient à fragiliser le système mondial des droits humains, une série de vastes coalitions est venue à sa défense. Les membres de ces coalitions comprenaient non seulement divers pays occidentaux, mais aussi un groupe de démocraties latino-américaines et un nombre croissant d’États à majorité musulmane.

Sous la présidence de Joe Biden , le gouvernement des États-Unis devrait chercher à rallier, et non à supplanter, ces efforts collectifs. Le leadership américain peut certes être encore important, mais il ne devra pas se substituer à la capacité d’initiative dont font preuve beaucoup d’autres, ni la compromettre ;  les quatre dernières années ont démontré que Washington est un élément important mais non indispensable de ces efforts plus larges pour la défense des droits. L’objectif de Biden en matière de politique étrangère ne devrait pas consister à diriger ce mouvement ou au contraire à le suivre de loin, mais plutôt de collaborer avec le groupe élargi de pays prêts à promouvoir les droits humains.

Pour le bien-être des citoyens des États-Unis et pour une efficacité maximale de la promotion des droits fondamentaux à travers le monde, Biden devrait également montrer l’exemple en renforçant l’engagement de son gouvernement à les respecter à l’intérieur du pays. Or, comme pour sa politique étrangère, l’engagement du pays en la matière a considérablement varié d’une administration à l’autre. Une fluctuation particulièrement marquée s’agissant des droits reproductifs, des droits des personnes LGBT, des droits des demandeurs d’asile et des immigrants, du droit de vote, des inégalités raciales et économiques, du droit à la santé et des droits relatifs au changement climatique. Le défi pour Biden ne sera pas simplement de réparer les atteintes causées aux droits humains par son prédécesseur, mais aussi de prévenir leur fragilisation par de futurs présidents.

L’une des mesures à prendre serait de renforcer l’engagement en faveur des droits humains sur le plan législatif, ce que les étroites majorités démocrates des deux chambres du Congrès pourraient rendre possible. Idéalement, Joe Biden pourrait faire pression pour la ratification des principaux traités relatifs aux droits humains que le gouvernement des États-Unis a longtemps négligés, mais il sera difficile de trouver le soutien nécessaire des deux tiers au Sénat. Biden devrait assurément permettre à la justice de suivre son cours en ce qui concerne Trump pour montrer que le président n’est pas au-dessus des lois, en résistant à la logique du « regarder vers l’avant, pas vers l’arrière » qu’Obama a utilisée pour fermer les yeux sur la torture pratiquée sous la présidence de Bush.  . Comme certains de ses prédécesseurs, Biden peut apporter des améliorations à court terme grâce à ses pouvoirs exécutifs, au risque, comme par le passé, d’un revers infligé par un futur président moins soucieux des droits humains.

Au final, l’objectif de Biden devrait être de faire évoluer le discours sur les droits humains plus profondément, qu’il s’agisse des politiques intérieure et étrangère des États-Unis. Renouer avec les méthodes d’Obama -à la manière d’un « troisième mandat » Obama, serait insuffisant. Les grandes manifestations en faveur de la justice raciale aux États-Unis en 2020 et les difficultés causées par la pandémie de Covid-19 pourraient fournir l’occasion d’impulser un tel repositionnement.

Biden pourrait à cet égard puiser une inspiration du côté de Jimmy Carter, qui fut le premier à faire des droits humains un élément primordial de la politique étrangère des États-Unis. À l’époque, cette décision avait été considérée comme radicale, mais elle a perduré des décennies durant. Chaque dirigeant américain depuis Carter a parfois relégué les droits humains au profit d’autres priorités – y compris Carter lui-même – mais aucun n’a pu les rejeter entièrement.

Biden devra trouver le moyen, sur le plan politique et en pratique, de mieux ancrer le respect des droits humains dans les actions gouvernementales, afin que cette approche ait une meilleure chance de survivre aux changements radicaux de politiques qui sont devenus un élément incontournable du paysage politique états-unien. Une telle tâche exigera de remodeler la compréhension de l’opinion publique en abordant plus régulièrement les problèmes qui se posent aux États-Unis en matière de droits humains, tout en énonçant des principes directeurs pour guider la politique étrangère, et en y adhérant même lorsque cela est difficile.

Une défense plus globale des droits humains

Bien que le gouvernement des États-Unis n’ait pas fait preuve de constance dans son soutien des droits humains au niveau mondial, il est capable d’en être un puissant défenseur. L’abandon général par l’administration Trump de la promotion des droits humains fut à la fois décevant et galvanisant. Heureusement, de nombreux dirigeants dans le monde ont reconnu que cette cause était trop importante pour que l’on n’y renonce simplement parce que Trump l’a fait. Plusieurs gouvernements, dont certains n’avaient auparavant pas agi pour cette cause, et généralement regroupés au sein de coalitions, ont à plusieurs reprises mis en place une défense solide et souvent efficace des droits humains. Leurs actions ont été d’autant plus robustes que ces pays étaient nombreux, et d’une grande diversité géographique, donc moins dépendants de Washington.

L’Amérique latine illustre cette tendance. Traditionnellement, les gouvernements de cette région se sont rarement critiqués mutuellement en matière de droits humains, en partie parce que cela était considéré comme quelque chose que Washington avait fait. Mais face au cycle de répression, de corruption et de dévastation économique au Venezuela sous la présidence de Nicolás Maduro, 11 démocraties latinoaméricaines et le Canada ont formé en 2017 le Groupe de Lima, une initiative sans précédent. Maduro n’aurait probablement rien aimé de mieux que d’avoir Trump comme principal critique de sa mauvaise gestion, pour lui donner l’occasion de dénoncer « l’impérialisme yankee », mais le Groupe de Lima a agi indépendamment des États-Unis, en indiquant clairement que ses préoccupations relevaient de principes et non de considérations politiques.

Le Groupe de Lima a intensifié sa pression sur Maduro. Il a persuadé le Conseil des droits de l’homme de l’ONU d’ouvrir une enquête officielle sur la répression en cours au Venezuela. Six pays membres du Groupe de Lima ont demandé à la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) d’enquêter sur les crimes contre l’humanité présumés commis au Venezuela, la première demande de ce type émanant d’États voisins d’un pays. Certes, Maduro poursuit sa répression, mais il est beaucoup plus isolé qu’il ne l’aurait été si le gouvernement des États-Unis avait maintenu son leadership traditionnel, largement unilatéral, sur le respect des droits humains au Venezuela. Certains États membres du Groupe de Lima tournent maintenant leur attention vers le Nicaragua, ayant réussi à convaincre le Conseil des droits de l’homme d’autoriser la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme à faire rapport sur la répression ordonnée par le président Daniel Ortega.

L’Organisation de la coopération islamique (OCI), qui regroupe 56 États à majorité musulmane, est un autre exemple frappant de cette défense élargie des droits humains. Par le passé, l’OCI s’est rarement tournée vers l’ONU pour condamner les violations autres que celles commises par Israël. Mais cela a commencé à changer à la suite de la  campagne de meurtres, de viols et d'incendies criminels menée par l'armée du Myanmar en 2017 contre les musulmans rohingyas dans l'État de Rakhine qui a provoqué la fuite de 730 000 d’entre eux vers le Bangladesh voisin.

En 2018, l’OCI s’est jointe à l’Union européenne pour prendre la tête d’une initiative au Conseil des droits de l’homme de l’ONU visant à créer le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar, afin de collecter des preuves à l’appui d’éventuelles poursuites judiciaires. En 2019, la Gambie, État membre de l’OCI, a porté une affaire devant la Cour internationale de Justice (CIJ), accusant le Myanmar de violations de la Convention sur le génocide à l’encontre des Rohingyas, la première allégation de cet ordre jamais portée par un État tiers. À titre de mesure conservatoire, la CIJ a ordonné au Myanmar de protéger du génocide les 600 000 Rohingyas qui se trouvent toujours dans l’État de Rakhine. En outre, la Cour pénale internationale enquête sur les officiels du Myanmar responsables d’atrocités commises contre les Rohingyas lors de leur déportation forcée vers le Bangladesh.

Une partie des actions de défense des droits humains au niveau international s’est largement déroulée en dehors des institutions internationales. L’action qui a peut-être sauvé le plus de vies concerne la province syrienne d’Idlib, située dans le nord-ouest de la Syrie, où trois millions de civils, dont la moitié sont des personnes déplacées en provenance d’autres gouvernorats du pays, ont subi des bombardements aériens répétés de la part d’avions russes et syriens. Souvent, ces attaques visaient des hôpitaux, des écoles, des marchés et des zones habitées. Les gouvernements allemand, français et turc (ce dernier malgré le durcissement de la répression en Turquie sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan) ont exercé une pression suffisante sur le président russe Vladimir Poutine pour obtenir un cessez-le-feu à partir de mars 2020, lequel a largement tenu tout au long de l’année.

La Russie et la Chine ayant opposé leur veto à une tentative du Conseil de sécurité de l’ONU de renvoyer les crimes atroces en Syrie devant la Cour pénale internationale, d’autres gouvernements ont entrepris d’agir. En contournant le Conseil de sécurité, le Liechtenstein et le Qatar ont, en décembre 2016, mené un effort fructueux à l’Assemblée générale de l’ONU pour établir un Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de recueillir des preuves de crimes de guerre et d’autres atrocités commis en Syrie, en vue de poursuites judiciaires - le premier mécanisme de ce type jamais créé. Plusieurs gouvernements européens, au premier rang desquels l’Allemagne, ont ouvert des enquêtes et des poursuites devant leurs propres juridictions nationales, sur la base du principe juridique de compétence universelle. Les Pays-Bas ont lancé un processus pour traiter de la torture systématique par le gouvernement syrien, susceptible de conduire à l’ouverture d’une affaire devant la Cour internationale de justice.

Des gouvernements européens ont également pris la tête d’autres initiatives importantes. Alors que les gouvernements de plus en plus autoritaires de la Hongrie et de la Pologne ont affaibli les contrepouvoirs de l’exécutif, essentiels dans une démocratie, l’Union européenne a insisté pour que ses subventions généreuses à ces gouvernements soient conditionnées au respect de l’État de droit, bien que le compromis auquel les parties sont parvenues fin 2020 a fini par rendre cet outil moins puissant que beaucoup ne l’avaient espéré. Lorsque le président du Bélarus Alexandre Loukachenko a revendiqué sa victoire très controversée aux élections d’août 2020 et que les forces placées sous son commandement ont procédé à la détention et à la torture de manifestants, l’UE a imposé des sanctions ciblées à l’encontre de 88 individus qu’elle jugeait responsables de la répression, dont Loukachenko lui-même. À l’instar des États-Unis plus tôt cette année, l’UE a également adopté un nouveau régime de sanctions ciblées imposant des interdictions de voyager et le gel d’avoirs aux personnes et entités responsables de graves violations des droits humains à travers le monde. Le Royaume-Uni et le Canada ont mis en place des mesures similaires et l’Australie semble en passe de faire de même.

Au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, un groupe clé formé des Pays-Bas, de la Belgique, du Canada, de l’Irlande et du Luxembourg a obtenu puis renforcé une enquête sur les crimes de guerre commis au Yémen. La Finlande a mené une initiative similaire pour ceux perpétrés en Libye, comme l’Islande l’avait initialement fait pour les milliers d’exécutions sommaires de personnes soupçonnées de trafic de drogue aux Philippines, à l’instigation du président Rodrigo Duterte. L’Australie, l’Autriche, la Belgique, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont pris l’initiative de faire ouvrir une enquête sur la répression en Érythrée. L’Australie puis le Danemark ont ​publiquement condamné la répression saoudienne.

L’administration Trump a rétabli et même considérablement accru la « règle du bâillon mondial » (« global gag rule »), une politique qui interdit aux organisations étrangères recevant une assistance financière des États-Unis de préconiser ou de fournir des prestations d’avortement légal dans leurs propres pays, ou même des informations à ce sujet. En guise de réponse, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et la Suède ont conjointement lancé une initiative internationale de défense du droit à la santé sexuelle et reproductive, appelée SheDecides. Les gouvernements africains, sous l’impulsion de l’Afrique du Sud, ont exigé l’ouverture d’une enquête sur le racisme systémique et la violence policière à travers le monde, créant une coalition interrégionale destinée à tenir tête au gouvernement américain à la suite du meurtre, par un policier, de George Floyd en mai 2020 à Minneapolis. Le Costa Rica, la Suisse et l’Allemagne ont pris l’initiative de déclarations conjointes pour rejeter les efforts de Trump visant à saper l’indépendance de la Cour pénale internationale, basée à La Haye. La Belgique a obtenu une déclaration similaire de la part de nombreux membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Et un large éventail de gouvernements, notamment l’Inde et l’Afrique du Sud, ont fait pression pour obtenir un meilleur accès aux vaccins et aux traitements contre le Covid-19.

Cette défense plus mondialisée des droits humains n’a pas toujours prévalu. Les gouvernements abusifs demeurent une puissante menace. Mais l’ampleur prise par cette mobilisation a intensifié la pression sur les dirigeants susceptibles de violer les droits de leur peuple, dressant un important rempart contre les tendances autocratiques à l’œuvre aujourd’hui.

Un nouvel élan de soutien populaire aux droits humains a renforcé cette défense par les gouvernements. Dans de nombreux pays, souvent au prix de graves dangers , des citoyen.ne.s sont descendus en grand nombre dans la rue pour faire pression sur des gouvernements abusifs et corrompus pour qu’ils soient plus démocratiques et responsables. Si les causes différaient selon les situations, les aspirations convergeaient de manière remarquable. En Égypte, des manifestations ont été déclenchées par les révélations, sur les réseaux sociaux, d’un ancien employé d’une firme travaillant avec l’armée au sujet d’une corruption scandaleuse. En Thaïlande, des manifestations menées par des étudiants ont été déclenchées par la résistance aux appels prodémocratie d’un gouvernement soutenu par l’armée. Au Bélarus, des manifestations, souvent menées par des femmes, ont répondu à la conviction largement répandue que le président Loukachenko avait volé sa réélection et réagi à la répression brutale des manifestants par ses forces de sécurité. En Pologne, des mouvements protestataires ont contesté la quasi-élimination de l’accès à l’avortement imposée par une cour constitutionnelle dont les membres avaient été manipulés par le parti au pouvoir, Droit et justice.

Aux États-Unis, des gens sont descendus dans la rue à travers le pays pour exiger la fin des brutalités policières et du racisme systémique. En Russie, des manifestants ont exprimé leur hostilité contre des réformes constitutionnelles qui affaiblissent les droits humains et permettent à Poutine de prolonger son mandat, tandis que dans l’est de la Russie, de nombreuses manifestations ont eu lieu en réponse à la destitution par le Kremlin d’un gouverneur populaire. À Hong-Kong, la menace agitée par Pékin d’autoriser l’extradition vers la Chine continentale, en l’absence de tout contrôle législatif ou public, a déclenché des manifestations qui se sont révélées intolérables pour le président Xi Jinping, car elles ont démontré que lorsque les gens sont libres de s’exprimer sur le territoire chinois, ils rejettent la dictature du Parti communiste. La défense mondiale des droits humains a été considérablement renforcée lorsque ces mouvements populaires se sont joints à un éventail croissant d’acteurs gouvernementaux.

Répression exacerbée en Chine

La Chine a été la cible la plus puissante de cette défense de plus en plus globale des droits humains. La répression dans ce pays s’est considérablement aggravée ces dernières années sous le règne de Xi Jinping, avec la détention de plus d’un million d’Ouïghours et d’autres musulmans turciques au Xinjiang en vue de les contraindre à renoncer à l’islam et à leur culture. En cause également, la répression brutale des libertés individuelles à Hong Kong, celles en cours au Tibet et en Mongolie-Intérieure et plus généralement les tentatives de museler toute voix dissidente à travers le pays. C’est la période la plus sombre pour les droits humains qu’ait connue la Chine depuis le massacre de 1989, qui a mis fin au mouvement démocratique de la place Tiananmen.

Pourtant, les gouvernements hésitent depuis longtemps à critiquer Pékin, par crainte de représailles. L’Australie a subi des représailles économiques en 2020 lorsque le gouvernement chinois a imposé des tarifs punitifs à divers produits d’exportation, pour sanctionner Canberra d’avoir soutenu une enquête indépendante sur les origines de la pandémie de Covid-19. Pékin craignait probablement qu’une telle enquête ne mette en lumière son déni initial, pendant trois semaines de fin décembre 2019 à la mi-janvier 2020, de la transmission interhumaine du virus. Durant cette période, des millions de personnes ont quitté Wuhan ou ont transité par cette ville lors de leurs voyages, dont une moyenne quotidienne de 3 500 personnes se rendant à l’étranger, contribuant ainsi à la propagation du virus à travers le monde. Les mesures de confinement à Wuhan ne sont entrées en vigueur que le 23 janvier.

En 2016, les États-Unis avaient organisé la première déclaration commune des gouvernements désireux de critiquer la Chine sur les droits humains, mais seuls 11 autres États ont pris part à cette initiative. Lorsque l’administration Trump s’est retirée du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2018, beaucoup ont supposé que cette décision signifiait la fin de toute critique vis-à-vis de la répression chinoise. En réalité, elle s’est renforcée. Au cours des deux dernières années, les gouvernements sont devenus plus confiants, enhardis par leur nombre, montrant l’incapacité de Pékin d’exercer des représailles contre le monde entier.

La première étape a eu lieu au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2019, lorsque 25 États se sont regroupés pour condamner la répression inouïe en cours au Xinjiang. Pourtant, la peur que suscite Pékin était toujours perceptible lorsque, en dépit des usages en vigueur au sein de cet organe, aucune des délégations signataires n’a lu la déclaration conjointe à haute voix. Depuis, le Royaume-Uni a pris la responsabilité de lire des condamnations similaires au Conseil et à l’Assemblée générale de l’ONU. Plus récemment, en octobre 2020 à l’Assemblée générale, l’Allemagne a pris les devants en condamnant, au nom de 39 autres pays, la répression au Xinjiang. La Turquie a fait une déclaration similaire.

À chacune de ces déclarations, Pékin a répondu par une contre-déclaration signée par d’autres pays enclins à valider sa conduite, généralement certains des pires auteurs de violations des droits humains dans le monde, dont le nombre était élevé du fait du levier économique utilisé par la Chine pour assurer de tels soutiens. Cependant, la plus récente d’entre elles, faite par Cuba en octobre 2020 pour louer la conduite du gouvernement chinois au Xinjiang, n’a attiré que 45 États signataires, contre 54 l’année précédente. Cette évolution, qui approche la quasi-parité avec la déclaration de condamnation portée par l’Allemagne, suggère que le jour pourrait bientôt venir où les instances onusiennes pourront commencer à adopter des résolutions formelles critiquant au moins certains aspects de la répression de Pékin.

Durant la majeure partie de ces deux dernières années, l’OCI et les gouvernements de pays à majorité musulmane ont eu tendance à soutenir la Chine. Cependant, cela aussi a commencé à changer en octobre. Le nombre d’États membres de l’OCI soutenant la répression de la Chine au Xinjiang est passé de 25 en 2019 à 19 en 2020, les 37 restants refusant de la soutenir. L’Albanie et la Turquie sont allées plus loin, ajoutant leurs voix à la condamnation conjointe des abus de la Chine au Xinjiang. Ces chiffres suggèrent que la situation pourrait encore évoluer, car de plus en plus de pays à majorité musulmane sont à juste titre indignés par le traitement horrible réservé par le gouvernement chinois aux populations du Xinjiang.

La Chine a également fait campagne en octobre pour être réélue au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. La fois précédente, en 2016, elle avait recueilli le plus de voix parmi tous les pays de la région Asie-Pacifique. Cette fois-ci, elle est le pays qui a reçu le moins de votes parmi tous ceux ayant obtenu un siège. Seule l’Arabie saoudite a fait moins bien et, résultat satisfaisant, cette dernière n’a d’ailleurs pas été élue.

Cette volonté internationale croissante de condamner le gouvernement chinois l’a contraint à réagir. Pour la première fois, il a fourni un chiffre pour les Ouïghours et autres musulmans turciques directement touchés par sa politique au Xinjiang – 1,3 million – bien qu’il affirme qu’ils ne soient pas en détention mais dans des « centres de formation professionnelle ». Pékin a également affirmé que beaucoup avaient « obtenu leur diplôme », encore que cette allusion à leur remise en liberté doive être tempérée par l’incapacité à vérifier de manière indépendante le nombre de ceux qui demeurent en détention, ainsi que par les preuves de plus en plus nombreuses qui accréditent l’hypothèse que beaucoup de ceux qui ont été libérés ont en réalité été contraints au travail forcé. Les efforts croissants déployés au niveau international pour veiller à ce que les chaînes d’approvisionnement au Xinjiang et dans d’autres régions de Chine ne soient entachées par ce travail forcé pourraient exercer une pression supplémentaire sur Pékin pour qu’elle cesse sa persécution des musulmans .

Il convient de noter à quel point l’administration Trump est restée à la périphérie de telles initiatives, voire y était souvent étrangère. Lorsqu’elle a pris position – comme ce fut le cas à propos de la Chine – la sélectivité de ses préoccupations, alors que Trump flirtait avec une multitude d’autocrates, a rendu ses condamnations peu crédibles.

La leçon à tirer de ces dernières années pour les autres gouvernements, est qu’ils peuvent faire une grande différence même en l’absence de Washington. Cette défense collective élargie devrait être maintenue même sous une administration américaine plus respectueuse des droits,. Et quand bien même Biden parviendrait à surmonter les variations et les deux poids deux mesures qui affectent souvent la politique des Etats-Unis, la défense des droits humains gagnera à être dirigée par un large éventail de gouvernements.

Enseignements à tirer pour Biden

Le président élu Joe Biden ne peut pas garantir qu’une future administration américaine, d’ici quatre ou huit ans, ne cherchera pas à faire marche arrière en matière de droits humains, mais il peut prendre des mesures pour rendre un tel retour en arrière plus difficile. De telles mesures feraient des États-Unis un membre plus fiable du système mondial de protection des droits humains.

Il est évident que plus une politique de respect des droits est inscrite dans la législation, plus elle est difficile à démanteler, ce qu’une majorité au Congrès des États-Unis peut rendre possible . Sans les deux-tiers du Sénat, la perspective de voir les États-Unis rejoindre la plupart des autres pays du monde pour ratifier les principaux traités relatifs aux droits humains qu’ils ont longtemps négligés paraît lointaine. Pour l’essentiel, Biden devra recourir aux décrets exécutifs et à la politique présidentielle pour réparer les dégâts causés par les années Trump. De telles mesures seraient en principe réversibles, mais elles peuvent être prises d’une manière qui rendrait plus difficile pour le prochain président d’opérer un virage à 180 degrés.

Pour pérenniser un engagement renouvelé en faveur des droits humains, Biden doit changer la manière dont ils sont perçus aux États-Unis. Comme précédemment indiqué, Jimmy Carter y est parvenu en faisant du respect des droits un élément clé de la politique étrangère américaine. De nombreux successeurs de Carter ne partageaient pas son engagement à cet égard, mais aucun ne l’a formellement rejeté. Il avait touché une corde sensible auprès de l’opinion publique aux États-Unis et répondu à une demande populaire internationale. Ainsi, par exemple, bien que Ronald Reagan ait rompu avec l’engagement de Carter en Amérique centrale et ailleurs, il a tout de même fini par institutionnaliser les rapports du Département d’État sur les droits humains et joué un rôle important dans la promotion d’un changement démocratique au Chili et dans le bloc soviétique. Biden devrait envisager une reconceptualisation similaire à celle de Carter.

Le moment est venu, alors que la pandémie a mis à nu des disparités flagrantes dans l’accès aux soins de santé, à la nourriture et à d’autres services de base, et que le mouvement Black Lives Matter (« Les vies de Noirs comptent ») a mis en lumière une injustice raciale profonde. De nombreuses segments de la population des États-Unis demeurent hostiles aux efforts gouvernementaux en vue de remédier à ces violations, expliquant en partie pourquoi aucune administration ne les a prises en charge. Mais les événements extraordinaires de 2020 pourraient inciter à l’action alors que l’intérêt commun pour le respect des droits de tous est apparu au grand jour. Le défi pour Biden consistera à saisir cette opportunité et à l’utiliser pour faire du respect des droits humains un élément central des politiques intérieure et étrangère des États-Unis.

Une solution consisterait à envisager davantage les problématiques sociales en termes de droits. Traditionnellement, le gouvernement des États-Unis s’est davantage concentré sur les droits civils et politiques que sur les droits économiques, sociaux et culturels. Il a ratifié le traité relatif aux premiers, qui codifie la liberté d’expression, le droit à un procès équitable et le droit de ne pas être torturé, mais jamais l’instrument juridique portant sur les seconds, qui garantit les droits à la santé, au logement et à l’alimentation. Pourtant, la pandémie de Covid-19 a montré à quel point ces notions sont interdépendantes. Ainsi, la censure exercée par un gouvernement au sujet de sa réponse sanitaire porte atteinte à la capacité des personnes à exiger que des ressources soient consacrées à leur santé plutôt qu’aux intérêts politiques du pouvoir en place. En effet, les deux catégories de droits se retrouvent souvent dans la législation américaine. Biden pourrait commencer à parler des droits humains en des termes plus vastes et compréhensibles pour la plupart des gens.

Alors que la pandémie fait toujours rage, un point de départ évident serait le plan déclaré de Biden pour renforcer l’accès aux soins de santé aux États-Unis, qu’il devrait présenter comme un droit. Il devrait préciser que le problème ne consiste pas simplement à renforcer ou à étendre la loi sur les services de santé abordables (Affordable Care Act, ou « Obamacare »), mais à défendre le droit de chacun de voir un médecin sans risquer la ruine financière. De même, alors qu’il fait pression pour une aide fédérale aux chômeurs provoqués par le confinement, il devrait préciser que tout le monde a droit à un niveau de vie suffisant et que le gouvernement le plus riche du monde est censé aider les gens à mettre de la nourriture sur la table même si ils ont perdu leur emploi dans des circonstances difficiles. Au moment où il évoque la fermeture des écoles, Biden devrait aborder le droit à l’éducation, en expliquant que la capacité d’une famille à le garantir pour ses enfants ne doit pas dépendre d’une connexion Internet à haut débit et de la possession d’un ordinateur portable. Plus les gens aux États-Unis reconnaissent que les droits humains reflètent des valeurs fondamentales, moins chaque nouveau président sera tenté de les aligner sur ses préférences politiques.

Confronté à d’autres défis extraordinaires lors de sa présidence, Franklin D. Roosevelt avait lancé le New Deal et plaidé en faveur du droit à être « à l’abri du besoin », dans son célèbre discours des « Quatre libertés » (« Four Freedoms »). Biden devrait profiter de ce moment-charnière pour élargir cette vision et en faire une réalité plus permanente aux États-Unis.

Même une référence plus constante aux droits civils et politiques pourrait contribuer à réduire les écarts politiques qui ont accompagné la plupart des changements d’administration. Par exemple, Biden a exprimé le désir de réduire le risque d’expulsion et d’offrir un recours légal pour régulariser 11 millions d’immigrants sans papiers aux États-Unis. Étant donné que les deux tiers environ d’entre eux vivent dans le pays depuis une décennie voire plus, dont beaucoup ont des enfants et des conjoints citoyens américains, Biden pourrait parler de leur droit de vivre avec leurs familles sans craindre constamment l’expulsion.

S’agissant de la discrimination raciale dans l’éducation, le logement, la santé ou le système de justice pénale, ou le droit de choisir si, quand ou comment former une famille, Biden pourrait souligner que ces droits sont consacrés par la loi américaine, mais aussi qu’ils sont considérés comme fondamentaux dans la plupart des pays du monde. Et il devrait certainement répudier la « Commission des droits inaliénables », projet conçu par le  secrétaire d’État de Trump, Mike Pompeo. Les autocrates du monde entier ne pouvaient que se réjouir de cet effort à peine déguisé pour privilégier certains droits au détriment d’autres au lieu de les reconnaître comme un ensemble d’obligations contraignantes.

Si une invocation plus régulière des droits ne sera pas suffisante, elle pourrait cependant contribuer à façonner le débat public sur les valeurs fondamentales en jeu et rendre plus difficile toute volte-face de la part du prochain président des États-Unis.

Vers une politique étrangère fondée sur des principes

Un changement similaire contribuerait à rendre plus cohérente la politique étrangère américaine. Biden devrait affirmer que la promotion des droits humains à travers le monde est un principe fondamental de la politique américaine et s’y conformer. Mais pour donner du poids à une telle déclaration, il aura besoin de la mettre en œuvre même lorsque cela sera politiquement délicat.

Par exemple, Biden a exprimé sa détermination à rejoindre les efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique. Il devrait le faire en remplissant sa promesse électorale de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre aux États-Unis et en encourageant les autres gouvernements à faire de même. Il a également déclaré qu’il reviendrait sur le retrait des États-Unis, initié par Trump, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il devrait aller plus loin et œuvrer à l’élargissement de l’accès aux soins de santé dans le monde entier.

Biden devrait en outre réintégrer les États-Unis au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et prendre pleinement part à ses travaux, même lorsque cet organe critique régulièrement l’oppression et la discrimination exercées par Israël à l’encontre des Palestiniens dans les territoires palestiniens occupés, ou quand il se penche sur le respect des droits humains aux États-Unis. Il devrait réautoriser le financement par Washington des activités de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), qui maintiennent d’innombrables personnes, en particulier femmes et filles, en bonne santé et en vie. Biden devrait aussi lever les sanctions déplorables décrétées par l’administration Trump contre la Cour pénale internationale  un violation du principe de l’Etat de droit.  Ces sanctions devraient être levées, quelles que soient les mesures prises par la Procureure pour enquêter sur des crimes n’ayant pas encore fait l’objet de poursuites judiciaires et qui préoccupent le gouvernement américain, tels que des actes de torture commis en Afghanistan (et ailleurs), et les crimes de guerre perpétrés par Israël dans les territoires occupés de Palestine.

Le mandat du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’achève fin 2021, avec une nouvelle élection prévue avant cette échéance. L’administration Biden devrait conditionner le soutien de tout candidat – Guterres s’il souhaite briguer un second mandat ou d’autres – à la promesse de ne pas réitérer la performance décevante de Guterres en matière de droits humains au cours des quatre dernières années. Le futur Secrétaire général devrait tirer profit de la puissante tribune offerte par l’ONU pour dénoncer les gouvernements répressifs – ce que Guterres n’a pas souhaité faire – et mettre en œuvre intégralement son Appel à l’action sur les droits humains de février 2020, qui doit passer de l’« appel » à l’« action ».

Biden devrait également faire du respect des principes des droits humains le critère majeur des relations des États-Unis avec les pays qui se sont rendus coupables d’abus. On peut s’attendre à ce que Biden entretienne des relations moins chaleureuses que Trump avec certains autocrates comme Poutine. Mais il devrait également insister sur le fait qu’en l’absence d’amélioration de leur conduite, le gouvernement américain limitera son aide militaire ou ses ventes d’armes (souvent subventionnées) à des gouvernements alliés qui commettent de nombreux abus tels que l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et Israël. Il devrait rejeter la fiction selon laquelle un simple « engagement » dénué de pression sérieuse modifie plutôt que n’encourage les comportements répressifs. Il devrait insister pour que l’ONU continue à faire rapport sur la situation au Sri Lanka et prenne des mesures concrètes vers l’établissement des responsabilités dans ce pays, maintenant que de nombreux auteurs de crimes de guerre passés siègent de nouveau au gouvernement. Biden devrait dénoncer davantage les encouragements du Premier ministre indien Narendra Modi à la discrimination et à la violence à l’encontre des musulmans, même si l’Inde est considérée comme un allié important contre la Chine.

Pour renforcer la défense mondiale des droits humains, Biden a prévu d’organiser un « Sommet pour la démocratie ». Il ne devrait pas répéter l’erreur de Bill Clinton, qui avait invité des gouvernements autoritaires alliés dans sa Communauté des démocraties dans l’espoir de les voir devenir démocratiques, une approche contreproductive. Une communauté permanente des démocraties peut uniquement faire respecter les normes démocratiques si le respect de ces normes en est le prix d’admission.

Dans le domaine de la politique étrangère, le plus grand défi pour Biden sera peut-être représenté par la Chine. Le gouvernement chinois exerce une répression brutale à l’intérieur de son pays, et est déterminé à saper  le système mondial des droits humains par crainte que ce dernier ne cible ses violations. Trump a initialement soutenu Xi Jinping, allant jusqu’à saluer la possibilité que celui-ci puisse devenir président à vie, et à manifestement approuver la détention massive des Ouïghours et autres musulmans turciques. Il a fini par devenir plus critique à l’encontre de Xi Jinping, d’autant plus qu’il lui fallait un bouc émissaire pour faire oublier l’échec de son administration à contenir la pandémie aux États-Unis, d’où ses allusions fréquentes au « virus chinois ». Certaines branches du gouvernement américain ont réagi à la répression de Pékin, par exemple en imposant des sanctions ciblées aux individus et aux entités responsables de la détention massive de musulmans au Xinjiang et de l’écrasement des libertés à Hong-Kong ; mais Trump lui-même a adopté une approche plus transactionnelle, comme si les importations chinoises du soja cultivé par ses partisans dans l’Iowa allait permettre de régler les problèmes. Le sentiment que Trump se servait du prétexte des droits humains pour poursuivre d’autres desseins, ainsi que la dimension unilatérale de sa politique « America First » (« L’Amérique d’abord »), ont dissuadé d’autres gouvernements de se joindre à ses efforts.

Pour être efficace, Biden devra adopter une approche davantage fondée sur des principes, plus cohérente et multilatérale. Après des années de ridicule causé par l’administration Trump, une partie importante de l’électorat des Etats-Unis serait fière que Washington s’exprime clairement sur les droits humains et affirme sur la scène mondiale sa différence vis-à-vis de puissances concurrentes telles que la Chine, la Russie ou l’Inde.

Biden devrait privilégier de larges coalitions gouvernementales pour condamner la répression de Pékin, même si leur lieu de formation est le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, là même où l’administration Trump a refusé de se joindre aux déclarations contre la Chine en raison des critiques formulées par cet organe à l’égard d’Israël. La diplomatie américaine pourrait aider à élargir ces coalitions pour y inclure des gouvernements qui ne se sont pas encore positionnés, en particulier dans le Sud, et assurer les pays économiquement vulnérables que le gouvernement américain les aidera en cas de représailles de Pékin. Après avoir vigoureusement condamné la répression chinoise au Xinjiang, Biden devrait également faire pression pour qu’une enquête internationale indépendante détermine les responsabilités.

Biden pourrait approuver une version plus vigoureuse de la législation envisagée par le Congrès américain pour contraindre les entreprises qui se fournissent au Xinjiang – et en Chine plus largement – à s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement ne dépendent pas du travail forcé des musulmans ouïghours. Et il devrait encourager les autres gouvernements à faire de même. Le Président élu devrait imposer des sanctions ciblées aux entreprises qui aident le gouvernement chinois à maintenir et renforcer sa surveillance particulièrement intrusive et encourager une action similaire par d’autres. Il devrait imaginer un modèle afin de combattre l’influence du Parti communiste chinois aux États-Unis sans exploiter le sentiment antichinois. Et, encore une fois, Biden devrait adopter une approche davantage fondée sur les principes des droits humains à domicile et à l’étranger, afin que les déclarations sur la répression chinoise ne puissent être assimilées par d’autres gouvernements à un outil de compétition entre superpuissances : ceux-ci pourraient alors y voir une préoccupation sincère vis-à-vis des droits humains d’un sixième de la population mondiale qui irait de pair avec une attention simultanée portée aux persécutés de tout bord.

Conclusion

Il ne suffira pas à Biden de seulement revenir en arrière de quatre ans, comme si un abandon des politiques de Trump pouvait inverser les ravages que ce dernier a causés. Le monde a changé, tout comme la promotion des droits humains. De nombreux pays qui les respectent ont comblé le vide créé par l’indifférence et l’hostilité de Trump à l’égard des droits humains en affirmant leur leadership. L’administration Biden devrait se joindre à cette défense accrue des droits, sans chercher à la supplanter.

Simultanément, Biden doit reconnaître que Trump a amplifié les traditionnels virages politiques d’une administration américaine à l’autre, ouvrant la voie à une crise de crédibilité pour Washington et posant un risque majeur pour les droits des personnes aux États-Unis et dans le monde. Biden devrait chercher à enraciner les droits humains dans l’opinion publique américaine pour que l’engagement des États-Unis ne soit pas aisément remis en cause par ses successeurs. Le rôle soutenu du gouvernement des États-Unis en tant que partenaire de choix dans leur défense partout dans le monde dépend du succès de Biden.

------------------