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Burkina Faso : Les atrocités des groupes armés islamistes se multiplient

Exécutions sommaires, pillages et incendies criminels sont commis en toute impunité

Vue aérienne d'un camp de personnes déplacées à Djibo, au Burkina Faso, le 26 mai 2022. © 2022 AP Photo/Sam Mednick

(Nairobi) – Des groupes armés islamistes au Burkina Faso ont tué des dizaines de civils, pillé et incendié des biens, et forcé des milliers de personnes à fuir lors d’attaques menées à travers le pays depuis la fin de l’année 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les groupes armés ont également assiégé plusieurs villes, privant les habitants de nourriture, de services essentiels et d’aide humanitaire.

En avril 2023, le gouvernement militaire de transition du Burkina Faso, formé en octobre 2022, a annoncé une « mobilisation générale » dans le cadre d’un plan de reconquête des territoires saisis par les groupes armés islamistes.

« Les groupes armés islamistes font des ravages au Burkina Faso en attaquant des villages et des villes et en commettant des atrocités contre les civils », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, Directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les autorités de transition devraient travailler avec les organismes régionaux et les gouvernements préoccupés pour fournir une meilleure protection et une assistance renforcée aux personnes en danger. »

Depuis 2015, les gouvernements qui se sont succédé au Burkina Faso luttent contre une insurrection islamiste qui se propage depuis le Mali voisin, et qui a fait des milliers de morts et provoqué le déplacement forcé de près de deux millions de personnes. Les combats se sont intensifiés ces dernières années, au point que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), lié à Al-Qaïda, et, dans une moindre mesure, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) contrôlent désormais jusqu’à 40 % du territoire du Burkina Faso, selon la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’augmentation du nombre de victimes civiles et militaires et la perte de territoires tenus par le gouvernement ont provoqué deux coups d’État militaires au Burkina Faso depuis 2022.

Entre janvier et mai, Human Rights Watch a menée des entretiens en personne ou par téléphone avec 36 personnes, au sujet d’abus qui auraient été commis par des groupes armés islamistes dans les régions du Centre-Ouest, du Centre-Nord et du Sahel depuis le mois de novembre 2022. Il s’agissait notamment de 19 témoins d’abus, 4 membres de familles de victimes, 6 membres d’organisations de la société civile burkinabè et 7 représentants d’organisations internationales.

Aucun groupe armé n’a revendiqué ces attaques. Plusieurs témoins pensent néanmoins que les assaillants étaient des membres de groupes armés islamistes en raison de leurs méthodes d’attaque, du choix de leurs cibles, de leurs vêtements et de leurs turbans. Les personnes interrogées ont également fait état de déclarations de plusieurs assaillants, qui ont notamment ordonné aux habitants de quitter la zone. Ces dernières années, les groupes armés islamistes ont utilisé le déplacement de populations comme stratégie pour asseoir leur pouvoir et leur autorité, et infliger des punitions collectives aux habitants des villages et des villes qui collaborent avec les autorités gouvernementales et les forces de sécurité.

Les autorités militaires se sont fortement appuyées sur les milices locales pour contrer ces attaques. En octobre 2022, elles ont lancé une campagne pour renforcer ces milices en recrutant 50 000 supplétifs civils, appelés Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). En réponse, des groupes armés islamistes ont attaqué des villages qu’ils accusent de soutenir les milices.

De décembre à janvier, des groupes armés islamistes ont attaqué à plusieurs reprises la ville de Dassa et ses environs dans la province du Sanguié, où se faisait le recrutement des milices, chassant les habitants de la région.

Un habitant de 46 ans a déclaré que des combattants islamistes avaient tué 12 hommes à Dassa le 26 janvier, apparemment en représailles au recrutement des milices dans la région. « [Les combattants islamistes] sont arrivés et ont demandé qui s’était inscrit comme VDP. [Les habitants] ont répondu : "Il n’y a pas de candidat parmi nous". [Les combattants] ont dit qu’ils savaient que des personnes s’étaient inscrites comme VDP. Après que les gens ont démenti, ils ont tué ces hommes et sont partis. »

Une femme de 27 ans a déclaré que des combattants armés qui circulaient à moto et portaient des ceintures de munitions ont pris d’assaut son village de Zincko, dans la province du Sanmatenga, le 4 janvier, et ont lancé un ultimatum aux habitants pour qu’ils quittent la région. « Ils nous ont donné 48 heures pour partir », a-t-elle déclaré. « Ils se sont arrêtés pour dire qu’une vague [de combattants] arriverait après-demain et qu’ils ne voulaient plus voir personne ici. »

Les groupes armés islamistes ont aussi assiégé plusieurs villes dans les régions du Sahel et de l’Est du Burkina Faso, et bloqué l’acheminement de nourriture, d’autres produits de première nécessité et d’aide humanitaire à la population civile, provoquant la famine et les maladies parmi les habitants et les personnes déplacées. Des familles de Djibo, dans la région du Sahel, ont raconté avoir dû nourrir leurs familles affamées avec des feuilles bouillies, pendant plusieurs jours.  

Human Rights Watch a précédemment documenté divers abus commis par les groupes armés islamistes au Burkina Faso, notamment des exécutions sommaires, des viols, des enlèvements et des pillages. Les groupes ont également attaqué des élèves, des enseignants et des écoles.

Les forces armées du Burkina Faso et les milices pro-gouvernementales ont également commis de graves abus lors d’opérations contre des groupes armés islamistes. Human Rights Watch a enquêté séparément sur les meurtres et disparitions forcées de dizaines de civils depuis février, commis par des forces armées burkinabè présumées dans la région du Sahel.

Les combats entre les forces gouvernementales du Burkina Faso et les groupes armés constituent un conflit armé non international en vertu du droit de la guerre. Le droit applicable à ce type de conflit comprend l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et le droit coutumier de la guerre, qui s’applique aux groupes armés non étatiques aussi bien qu’aux forces armées d’un pays. Le droit de la guerre interdit les attaques contre les civils, les exécutions sommaires, les punitions collectives, le pillage et les incendies criminels, entre autres. Quiconque se livre à des violations graves des lois de la guerre avec une intention criminelle commet des crimes de guerre.

Dans une déclaration du 30 avril, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a condamné « les attaques terroristes dirigées contre les forces de défense et de sécurité et la population civile » et a souligné que « la responsabilité d’un État peut également être engagée en cas de tueries par des acteurs non étatiques s’il approuve, soutient ou acquiesce [à] ces actes ou s’il n’exerce pas la diligence requise pour empêcher ces tueries ou s’il ne veille pas à ce qu’il y ait une enquête en bonne et due forme ».

Les attaques répétées et impunies menées par des groupes armés islamistes contre des villages et des villes ont semé la peur au Burkina Faso, et entraîné des représailles.

« Les groupes armés islamistes ajoutent à la misère des civils pris au piège des combats en les privant illégalement de nourriture et d’aide humanitaire », a déclaré Carine Kaneza Nantulya. « La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ne devrait pas perdre de vue la situation alarmante au Burkina Faso, et devrait veiller à ce que les autorités militaires de transition mènent des enquêtes impartiales et poursuivent les membres des groupes armés islamistes impliqués dans ces atrocités. »

Informations complémentaires
Abus commis par des groupes armés islamistes de novembre 2022 à février 2023

Les témoignages et récits qui suivent s’appuient en grande partie sur des entretiens que Human Rights Watch a menés avec des habitants des villes et villages touchés par ces abus.  Les noms des personnes interrogées n’ont pas été divulgués pour leur protection.

Dassa, province du Sanguié, région du Centre-Ouest, décembre 2022 à février 202

Deux habitants de Dassa, une ville où des milices ont été recrutées, ont déclaré que des groupes armés islamistes ont mené des attaques répétées et de plus en plus intenses contre la ville et ses environs à partir du mois de décembre, qui ont culminé avec plusieurs meurtres ayant poussé les habitants à fuir la région. Dassa se trouve dans la province du Sanguié, où il est avéré que le GSIM a mené des opérations et attaques.

Un homme de 46 ans a déclaré que des hommes armés avaient attaqué Dassa à deux reprises en décembre. Il a déclaré qu’autour du 15 décembre, « ils [sont venus] pour attaquer, brûler des magasins, mettre la main sur des tricycles, [et] prendre de la nourriture. ... Ils ont également pris possession d’un véhicule et sont partis dans la brousse ». Le 21 décembre, ils ont brûlé des boutiques, dont la sienne, « jusqu’aux tôles [ondulées] », a-t-il ajouté.

Le 26 janvier, des hommes armés ont attaqué Doh, un village situé à environ quatre kilomètres de Dassa, tuant 12 hommes, et blessant deux autres habitants. « Nous les avons retrouvés ensemble dans la même grange », a-t-il déclaré en décrivant le moment où, le lendemain, il a pu constater par lui-même les conséquences des exécutions sommaires.

Les hommes armés les avaient « amenés là », leur avaient dit de « d’abaisser la tête... vers le sol » et de « s’agenouiller l’un à côté de l’autre » avant de tirer. Il a expliqué que son frère, un pêcheur de 43 ans, avait été tué d’une balle dans la tempe et d’une autre dans la cuisse. Il a identifié les 11 autres victimes, tous des hommes, pour la plupart des agriculteurs et des propriétaires de magasins. Il a indiqué que les deux survivants avaient raconté aux habitants ce qui s’était passé.

Il a déclaré qu’en conséquence, « il n’y a plus personne » à Dassa et à Doh. « Tout le monde est parti. » Des hommes armés portant des vêtements couleur sable et des turbans ont de nouveau attaqué Dassa le 9 février et tué deux hommes. Un autre habitant, qui a assisté aux meurtres, a déclaré que les hommes armés avaient abattu son père de 50 ans et son frère de 27 ans. « Les terroristes sont arrivés et vu que nous avions très peur, nous avons tous pris la fuite », a-t-il déclaré. « Mais ceux qui n’ont pas pu s’enfuir ont tous été tués. » Il a indiqué que lui et sa famille avaient déjà été déplacés de Dassa vers la ville de Reo à la suite d’attaques de groupes armés islamistes. La faim les a forcés à retourner dans la région de Dassa à la recherche de nourriture, le jour de l’attaque.

« Nous étions en train de finir de prier et nous nous apprêtions à retourner à Reo... quand nous les avons vus », a-t-il déclaré. « Nous avons commencé à courir. Quand ils nous ont vus courir, ils ont commencé à tirer... sur nous tous. »  Il a ajouté qu’il avait fait une embardée pour se mettre à l’abri dans un sillon. Quand il s’est finalement aventuré hors de son abri, il a trouvé les cadavres de ses deux proches. Son père avait été touché à la hanche et à la tête, son frère au cou et à la hanche.

Tougouri, province du Namentenga, région du Centre-Nord, novembre 2022

Des groupes armés islamistes auraient tué plusieurs civils en novembre 2022 à Tougouri, une ville située dans une zone où le groupe armé GSIM mène régulièrement des attaques et où les milices pro-gouvernementales opèrent en nombre important suite à une campagne de recrutement qui a eu lieu aux mois de novembre et décembre.

« Nous avons entendu des tirs qui venaient de nulle part », a déclaré un homme de 37 ans qui a été témoin d’une attaque en novembre 2022. Selon lui, les assaillants, vêtus de vêtements gris et de turbans, sont arrivés en grand nombre sur des motos et ont pillé la ville.

Une femme déplacée de 25 ans a déclaré que des hommes armés portant des turbans et des treillis militaires ont tué cinq hommes, tous des civils, lors d’une attaque sur le marché de Tougouri, début novembre. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier si ces deux témoins décrivaient le même incident.

La femme a déclaré qu’elle était en train d’acheter du jus de fruit quand vers 16 heures, une centaine d’hommes armés qui circulaient sur des tricycles motorisés « ont encerclé le marché et ont commencé à tirer ». Elle a raconté qu’elle avait couru se cacher et qu’elle avait ensuite vu les corps des cinq hommes qui avaient été abattus. Tous présentaient des blessures par balle à la tête. Elle a précisé que les victimes n’étaient pas des membres de la milice – qui, selon elle, n’ont pas riposté ce jour-là – mais des propriétaires de magasins et des travailleurs de mines artisanales, tous des hommes, âgés de 25 à 45 ans. Elle connaissait l’un d’entre eux, Arouna B. [pseudonyme], un commerçant de 35 ans.

Elle a indiqué que les assaillants étaient restés en ville pendant environ deux heures et qu’ils avaient pillé du carburant et des sacs de riz. « C’était la débandade», a-t-elle déclaré. « Beaucoup [d’habitants] ont quitté la zone. Ceux qui n’ont pas pu partir rapidement sont encore là, mais la plupart des gens sont partis vers des villes plus importantes... où ils pensent qu’on est plus en sécurité ». Cette femme a fui avec sa famille vers la ville de Kaya après l’attaque.

Pissila, province du Sanmatenga, région du Centre-Nord, décembre 2022 à février 2023

Des groupes armés islamistes ont mené au moins trois attaques dans des villages de la ville de Pissila et autour de celle-ci entre décembre et février, tuant des civils dans une tentative apparente d’expulser la population. Pissila fait partie d’une zone où le GSIM a l’habitude de mener des opérations, des attaques et des raids.

Un habitant de Pissila âgé de 41 ans a déclaré qu’en décembre 2022, il avait vu une quarantaine d’hommes armés portant des turbans arriver à moto et commencer à tirer sur une antenne de téléphonie mobile à l’extérieur de la ville. Il se trouvait avec d’autres habitants sur une colline à environ 200 mètres de là pour essayer de capter le signal pour un téléphone portable. « Ils ont principalement tiré des coups de feu sur l’antenne, les panneaux solaires et les batteries. Cela a déclenché un incendie. »

Une commerçante locale âgée de 39 ans a déclaré que des hommes armés avaient de nouveau attaqué Pissila à la mi-décembre, incendié des magasins et volé des denrées alimentaires. Elle a expliqué qu’après l’attaque, elle et sa famille avaient fui la ville pendant la nuit.

En janvier, une quarantaine d’hommes armés circulant à moto et portant des treillis militaires et des turbans sont entrés dans le village de Dofinega, à environ 16 kilomètres de Pissila, et ont tué 17 hommes, a déclaré une femme qui a perdu trois de ses frères dans l’attaque.

Elle a déclaré être sortie de sa maison avec quatre autres femmes pour voir ce qui se passait. Elle a dit avoir vu six hommes armés qui avaient regroupé ses frères et quelques enfants dans un champ situé à une cinquantaine de mètres :

Les autres étaient des enfants, et [les hommes armés] [les ont épargnés et] ont choisi les adultes pour les exécuter... Ils les ont fait s’allonger ... à plat ventre... Les adultes les ont suppliés en leur demandant à être épargnés, mais les terroristes ont refusé. Ils les ont exécutés devant nous. Ils leur ont tiré une balle dans la tête.

Les hommes armés ont tué d’autres hommes ailleurs dans le village, dont un agriculteur et un éleveur. Elle a déclaré que les hommes armés avaient demandé aux habitants de partir pendant l’attaque : « "Vous n’avez plus le droit de rester ici !" ont-ils dit. » L’attaque a provoqué un exode massif du village. Elle dit avoir entendu dire que 1 500 personnes au moins s’étaient enfuies.

En février, une centaine d’hommes armés ont regroupé environ 60 habitants du village de Noaka, à une douzaine de kilomètres de Pissila, pour leur adresser un ultimatum afin qu’ils quittent la région, a déclaré une femme de 41 ans qui faisait partie du groupe. Elle a déclaré :

Vers 14 heures, [...] le bruit des motos et les tirs ont commencé. Les djihadistes [combattants islamistes] roulaient deux par deux et portaient des vêtements militaires. ... Ils ont tiré en l’air et ont regroupé les habitants. Ils ont essayé de regrouper ceux qui prenaient la fuite. ... Ils ont expliqué qui ils étaient... [qu’ils] étaient des djihadistes. ... Et ils ont donné leur ultimatum, de quitter Nouaka dans les trois jours, et que si [nous] n’obéissions pas, ils tueraient le maximum [de personnes] à leur prochaine visite.

Elle a indiqué qu’elle et sa famille avaient fui dès le deuxième jour, en emportant tout ce qu’elles pouvaient sur des charrettes. « Dès le premier jour, certaines personnes sont parties, le deuxième et le troisième jour aussi », a-t-elle déclaré. « Je ne pense pas qu’il reste qui que ce soit là-bas ».

Les premières incursions de groupes armés islamistes dans le village de Ouanobian, à environ 15 kilomètres au nord de Pissila, où les milices étaient basées, se sont produites en novembre 2022, selon une villageoise de 26 ans. Elle a déclaré qu’elle était occupée à moudre du grain pour le dîner quand elle a aperçu « un grand nombre de djihadistes qui arrivaient » en tirant des coups de feu en l’air. Elle a ajouté qu’elle s’était cachée dans sa hutte et que lorsqu’elle était sortie plus tard, elle avait pu « constater des magasins pillés, des animaux volés... En regroupant les petits ruminants [et] les bovins, [ils avaient volé] au moins 1 000 [animaux] ».

Une femme de 25 ans a déclaré qu’en décembre, une trentaine d’hommes armés portant des turbans et des cartouchières sur les épaules avaient tué deux de ses proches, Ousmane O., et Yacouba I. [pseudonymes], tous deux agriculteurs à Ouanobian et âgés respectivement de 70 et 65 ans : « J’ai vu les hommes armés les faire sortir de la maison où ils se cachaient, leur donner l’ordre de mettre les mains derrière le dos, puis l’un d’entre eux les a abattus ». Elle a déclaré qu’Ousmane avait reçu une balle dans la poitrine et Yacouba une balle dans l’estomac. Elle a ajouté qu’elle avait quitté Ouanobian sept jours après l’attaque avec d’autres membres de sa famille pour se rendre à Kaya, dans la province du Sanmatenga.

Elle a expliqué que vers la mi-janvier, des hommes armés portant des treillis militaires et des turbans étaient revenus à Ouanobian et avaient incendié sa maison. Elle a été témoin de l’attaque, qui s’est déroulée un vendredi vers 7 heures du matin et qui s’est déroulée selon un scénario identique :

Ils ont commencé à tirer en l’air. ... La colonne s’est dirigée vers notre enceinte et a tout brûlé. Ils nous ont mis dehors. Les quelques animaux qui étaient dans la cour, ils les ont détachés. [À l’aide] de briquets ils ont mis le feu... à la paille... Les entrepôts, les huttes : tout a brûlé ... les vêtements, la vaisselle, notre literie.

Zincko, province du Sanmatenga, région du Centre-Nord, décembre 2022 à janvier 2023

Des groupes armés islamistes qui seraient liés au GSIM ont mené au moins trois incursions dans le village de Zincko en décembre et au début du mois de janvier, pillant, tirant en l’air et demandant aux villageois de leur indiquer où ils pouvaient trouver des membres des forces de sécurité gouvernementales, selon plusieurs habitants. Ils ont finalement adressé deux ultimatums aux habitants pour qu’ils quittent le village et ont attaqué une patrouille de la milice qui se trouvait à proximité, selon des témoins. À la suite d’une fusillade, presque tous les villageois se sont enfuis.

Des hommes habillés de turbans et treillis militaires et arborant des drapeaux noirs avec des inscriptions non précisées se sont emparés de motos et de téléphones et pris de la nourriture lors d’une attaque sur le marché de Zincko un matin au début du mois de décembre, a déclaré une femme de 27 ans qui se trouvait sur le marché ce jour-là. Elle a raconté :

Quand les djihadistes sont arrivés sur nos marchés, ils ont commencé à tirer en l’air et les gens ont couru dans toutes les directions. Ils ont pris tout ce qu’ils voulaient... beaucoup de sacs de riz et des bidons d’huile de cuisine... des motos... des téléphones. [Ils ont aussi] incendié des magasins.

Elle a déclaré que le 1er janvier, des hommes armés étaient revenus pour l’interroger sur la présence des forces de sécurité et des milices, et pour acheter de l’huile de moteur.

Trois jours plus tard, des hommes armés qui portaient des « vêtements pour temps froid », munis de fusils d’assaut de type AK-47 et circulant à moto sont revenus et ont fait le tour de la ville pour adresser un ultimatum aux habitants et les enjoindre de quitter le village sous 48 heures. « Cela a duré une minute ou deux », a-t-elle déclaré. « Ils se sont arrêtés pour dire qu’une vague arriverait après-demain et qu’ils ne voulaient plus voir personne ici. »

Un autre habitant de Zincko a déclaré qu’une soixantaine d’hommes armés qui circulaient à moto et portaient des « vêtements pour temps froid » et des turbans étaient arrivés en ville en janvier et s’étaient divisés en groupes pour ordonner aux habitants de quitter les lieux sous 48 heures. Il a expliqué que le groupe d’hommes armés s’était divisé pour informer les habitants dans différentes parties de la ville : « C’est lorsqu’ils sont passés dans ma cour qu’ils m’ont donné l’information... en nous disant de partir dans les deux jours ». L’homme a fui avec sa famille le lendemain.

Vers 17 heures, un jour à la fin janvier, un groupe armé a attaqué une patrouille de miliciens à Zincko, selon une femme de 55 ans qui a été témoin de l’attaque et y a perdu deux membres de sa famille. Elle a déclaré que les forces de la milice étaient arrivées à Zincko en provenance de Mané ce matin-là pour rechercher et interroger plusieurs personnes. La fusillade a duré deux heures, a-t-elle ajouté, en précisant que sept membres de la milice et « de nombreux terroristes » avaient été tués.

Elle a déclaré que ses proches, Ousmanou B., septuagénaire, et Abdoulaye B., 31 ans, [les noms ont été changés] étaient tous deux des civils. Elle a expliqué qu’ils avaient été tués par des balles perdues :

Ousmanou était... à l’est du village.... [Il] était allé détacher son animal, un bœuf qu’il avait attaché quelque part pour le faire paître. C’est là qu’il a reçu une balle dans la poitrine. Nous sommes allés... le lendemain ... après le départ des VDP pour identifier les corps, et c’est là que nous l’avons trouvé.

Elle a expliqué qu’ils avaient trouvé Abdoulaye devant sa maison avec une balle logée dans le flanc droit.

Après cette fusillade meurtrière, a-t-elle ajouté, « il y avait tellement de corps qui n’avaient pas été enterrés que la vie n’était plus possible à cause de l’odeur. ... Tout le monde est parti ».

Arbinda, province du Soum, région du Sahel, janvier 2023

Le 12 janvier, des hommes armés ont enlevé plus de 60 personnes qui cherchaient de la nourriture dans le département d’Arbinda. Arbinda est situé dans une zone principalement contrôlée par le GSIM, mais où des combattants de l’État islamique dans le Grand Sahara ont également mené des attaques. Une semaine plus tard, l’agence d’information burkinabè a annoncé que les captifs – identifiés comme étant 39 enfants et 27 femmes – avaient été retrouvés.

Cinq survivantes ont déclaré que le 12 janvier, avec d’autres femmes et enfants des villages voisins, elles étaient parties dans la brousse, juste à l’extérieur d’Arbinda, pour chercher de la nourriture. Vers midi, dans la commune de Liki, une trentaine d’hommes armés circulant à moto, vêtus de treillis militaires et portant des turbans, les ont arrêtés.

Les ravisseurs ont emmené les femmes et les enfants et les ont fait marcher de Liki à Foubé, dans la région du Centre-Nord, à environ [130 kilomètres] de là, où ils ont été détenus pendant toute la durée de leur captivité. Les survivantes ont déclaré que même si leurs ravisseurs leur donnaient de la nourriture et de l’eau, elles passaient leurs journées en captivité dans la crainte de ce que leurs agresseurs pourraient leur faire et de ce qu’il adviendrait de leurs familles restées au pays.

L’une des femmes a déclaré que leur enlèvement n’était pas une première et qu’elle avait déjà vu des groupes armés dans la brousse pendant qu’elle cherchait de la nourriture, mais que jusqu’alors, les femmes avaient été épargnées ou renvoyées chez elles avec des menaces verbales pour s’être aventurées sur le territoire des groupes armés islamistes. « Depuis janvier 2022, les hommes ne peuvent plus sortir d’un périmètre d’un kilomètre autour d’Arbinda sans être attaqués par des terroristes », a-t-elle déclaré. « C’était plus facile pour les femmes de sortir, nous pouvions nous déplacer plus facilement que les hommes ».

Les habitants d’Arbinda sont aux prises avec une famine extrême, conséquence directe du siège imposé par les groupes armés islamistes. En novembre 2022, des habitants en manque de vivres ont vandalisé un entrepôt de céréales géré par l’État.    

Siège de Djibo, province du Soum, région du Sahel

Les forces du GSIM assiègent la ville de Djibo depuis février. Ce groupe armé islamiste  contrôle les routes d’accès à Djibo, le long desquelles il a placé des explosifs. Ils ont détruit les ponts, les infrastructures d’eau et de communication et empêché les livraisons de marchandises, isolant ainsi la ville du reste du pays.

Les habitants ne peuvent pas se déplacer librement et n’ont pas accès aux biens et services de base tels que la nourriture, l’eau, l’électricité et les soins de santé. Les prix ont tellement augmenté qu’ils ne sont pas en mesure d’acheter des denrées alimentaires de base et d’autres produits de première nécessité. Le Réseau de systèmes d’alerte précoce contre la famine (Famine Early Warning Systems Network, FEWS), qui fournit des alertes et des analyses sur l’insécurité alimentaire extrême, a signalé que le prix du mil à Djibo avait augmenté de plus de 500 % par rapport à 2022 et que Djibo, dont le siège devrait se poursuivre, « fait face à un risque crédible de famine jusqu’en septembre 2023 ».

Une femme mère de cinq enfants, dont quatre sont atteints de handicaps physiques et psychologiques, a déclaré que ses enfants avaient souffert d’une faim extrême à Djibo depuis le début du siège. « Je n’avais que des feuilles pour nourrir mes enfants », a-t-elle déclaré.  « Depuis mars [2023], je reçois une aide alimentaire du Programme alimentaire mondial, mais c’est insuffisant. ... Nous ne pouvons pas cultiver nos champs, nous ne pouvons pas quitter Djibo, nous sommes comme prisonniers ici. » Elle a expliqué qu’elle s’était réfugiée à Djibo après que des groupes armés islamistes ont attaqué son village de Friguidi, dans la province du Soum, en mars.

Une travailleuse humanitaire qui s’est rendue à Djibo de mars à mai a déclaré avoir trouvé « une ville morte », où « tout est paralysé, où le marché est vide, où tous les produits sont chers et où le réseau téléphonique est inexistant ».

Les attaques des groupes armés islamistes et les opérations contre-insurrectionnelles menées par les forces armées burkinabè autour de Djibo ont entraîné des déplacements massifs de population, poussant des milliers de personnes à chercher refuge à Djibo. L’organisation humanitaire internationale Médecins sans frontières a déclaré qu’au début du mois de mai, « sur les 300 000 habitants [de Djibo], près de 270 000 sont déplacés, dont la moitié sont des enfants vivant dans des camps ou des familles d’accueil ».

Les communautés déplacées et les communautés d’accueil dépendent de l’accès à l’aide humanitaire pour survivre. En octobre 2022, la seule nourriture accessible aux habitants et personnes déplacées de Djibo étaient des feuilles sauvages. Human Rights Watch s’est entretenu avec cinq femmes déplacées qui ont déclaré avoir fui leurs villages à la suite d’attaques de combattants islamistes et s’être rendues à Djibo « seules », « traumatisées », « n’ayant rien emporté d’autre que mes vêtements », et avoir été forcées de « dormir à la belle étoile », en « mendiant de la nourriture ».

Une femme mère de neuf enfants, déplacée du village de Sê depuis 2018, a déclaré :

Pendant quatre jours [en décembre 2022] je n’avais plus que des feuilles pour nourrir ma famille. ... [Le quatrième jour], lorsque j’ai fait bouillir de l’eau avec des feuilles et que je l’ai donnée à mes enfants, ma fille de 3 ans m’a regardé dans les yeux et s’est mise à pleurer. J’ai pleuré avec elle. Je suis allée mendier de la nourriture. Un homme m’a donné un sac de riz que j’ai méticuleusement divisé en trois parties, et nous avons mangé cela pendant trois jours supplémentaires en attendant l’arrivée de l’aide humanitaire.

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