De nombreuses crises simultanées menacent les droits humains dans le monde entier. La pandémie de Covid-19 a coûté la vie à des millions de personnes, engendré des pertes d’emploi et de moyens de subsistance sans précédent et perturbé l’éducation de toute une génération de jeunes. L’invasion russe de l’Ukraine, qui a mis en évidence la fragilité des systèmes alimentaires et énergétiques mondiaux, contribue à une crise des inégalités et du coût de la vie, à des situations de famine et à la perspective d’une récession généralisée. Enfin, l’accélération et l’intensification des chocs climatiques contribuent à la raréfaction des ressources.
Des dizaines d’années d’inégalités croissantes ont sapé les structures politiques et la solidarité sociale nécessaires pour faire face à ces crises. Les programmes de déréglementation et de libéralisation des marchés mis en œuvre par de nombreux pays ces dernières décennies ont entraîné la montée en flèche des inégalités, et bien que les inégalités de revenus et de richesses entre les nations aient, en moyenne, diminué, elles sont devenues beaucoup plus prononcées à l’intérieur des nations. Selon le Fonds monétaire international, en 2021, seuls 10 % de la population mondiale possédaient la majorité des revenus mondiaux.
Les estimations des Nations Unies indiquent que dans les pays à faible revenu, plus de 71 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie au cours des trois premiers mois de l’année 2022. Si les gouvernements et les institutions internationales ne modifient pas radicalement leurs politiques, la situation économique de cette année sera très probablement pire, comme a récemment mis en garde le Fonds monétaire international.
La sécurité sociale et la protection sociale, comme d’autres politiques promouvant des services publics de qualité et une réglementation financière, constituent des outils essentiels pour aborder et prévenir ces crises qui s’aggravent.
La sécurité sociale est un droit fondamental qui remonte à la Déclaration universelle de 1948 et est inscrit dans toute une série de traités et de constitutions. Il est étroitement lié au droit à un niveau de vie suffisant, ainsi qu’à d’autres droits économiques, sociaux et culturels.
Ce document de questions et réponses élaboré par Development Pathways et Human Rights Watch examine le droit fondamental à la sécurité sociale et montre en quoi la sécurité sociale universelle peut constituer une protection contre les chocs économiques et d’autres menaces émergentes, notamment les risques climatiques, tout en bâtissant des sociétés justes où tous les droits sont réalisés. Il explique également pourquoi les décideurs politiques devraient orienter leurs politiques vers la mise en place de systèmes de sécurité sociale universels, préférables aux programmes étroitement axés sur les moyens.
Les termes « protection sociale » et « sécurité sociale » décrivent une série de politiques et de programmes fondés sur le principe selon lequel toute personne devrait jouir de tous ses droits économiques, sociaux et culturels à tous les stades de sa vie, quels que soient les circonstances de sa naissance, ou les crises ou défis auxquels elle peut être confrontée.
Bien que l’expression de « protection sociale » soit désormais largement utilisée au sein des Nations Unies et de certaines organisations de développement international, il n’existe pas de définition uniformément acceptée de ce qu’elle couvre, et elle est souvent mal comprise par les décideurs politiques, comme en témoignent les définitions souvent larges et vagues qui en sont données dans les stratégies et politiques nationales de protection sociale de nombreux gouvernements.
L’expression « sécurité sociale », quant à elle, est clairement définie dans le droit international des droits humains comme un ensemble de droits individuels qui protègent contre l’insécurité des revenus tout au long de la vie, notamment lors des événements qui la ponctuent — vieillesse, chômage, maladie, naissance ou prise en charge de personnes dépendantes.
Dans certains pays, comme les États-Unis, l’expression « sécurité sociale » est souvent assimilée à un programme spécifique d’assurance sociale financé par les cotisations des travailleurs et des employeurs. Il est toutefois important que les décideurs politiques se réapproprient cette expression telle qu’elle est comprise dans le droit relatif aux droits humains pour décrire une série de programmes — financés par des cotisations ou par l’impôt général — qui sont indispensables à un tissu social fondé sur les droits.
La sécurité sociale est un droit humain bien établi dans le cadre du droit international. L’article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, par exemple, énonce les éléments essentiels de ce droit :
Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale et est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.
Depuis 1948, le droit à la sécurité sociale a été largement inscrit dans les constitutions nationales des pays et renforcé par une série d’autres conventions et cadres internationaux. Le comité chargé d’interpréter le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (le Pacte), par exemple, définit ce droit comme englobant au moins neuf grands volets de soutien, illustrés dans la figure ci-dessous.
Les États parties au Pacte assument l’obligation de respecter, de protéger et de satisfaire le droit à la sécurité sociale dans chacun de ces volets de soutien, notamment en garantissant la disponibilité, l’accessibilité et l’acceptabilité de ces programmes, ainsi que la possibilité de les adapter. Cela nécessite également de fournir des prestations, en espèces ou en nature, qui soient adéquates à la fois en quantité et en durée.
Comme pour tous les autres droits fondamentaux, les gouvernements doivent également garantir le droit à la sécurité sociale sans discrimination fondée sur le sexe, l’âge, le handicap, la race, la nationalité, l’immigration ou tout autre statut. Cela signifie que les pays doivent veiller à ce que la conception et le fonctionnement des systèmes de sécurité sociale ne soient pas directement ou indirectement discriminatoires, par exemple en raison de barrières linguistiques ou technologiques susceptibles d’entraîner une exclusion de facto ou un traitement négatif. Et comme pour les autres droits fondamentaux, le droit à la sécurité sociale devrait être inscrit dans le droit national et prévoir un recours effectif pour les victimes de violations.
Des instruments plus récents du droit international des droits humains reconnaissent un droit à la protection sociale, qui s’ajoute au droit à la sécurité sociale et en est distinct. Par exemple, un protocole récent de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples reconnaît ces deux droits séparément. Selon ce protocole, la sécurité sociale protège contre l’insécurité des revenus causée par des événements tels que le chômage, la maladie ou la maternité. La protection sociale, quant à elle, englobe toutes les formes de sécurité sociale, mais aussi les stratégies et les programmes qui contribuent à garantir un niveau minimum de moyens de subsistance, de services de santé et de soins.
En ce sens, la protection sociale correspond à un ensemble de politiques et de programmes que les gouvernements doivent mettre en place pour remplir leurs obligations de garantir en toutes circonstances une série de droits économiques, sociaux et culturels, tels que les droits à l’éducation, à la santé et à un niveau de vie adéquat, ce qui inclut les droits à l’alimentation, au logement, à l’eau et à l’assainissement, entre autres.
De même, le concept de « socle de protection sociale », élaboré par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et l’Organisation internationale du travail (OIT), une institution des Nations Unies, s’inspire du droit humain à la sécurité sociale, qui comprend au moins quatre garanties de sécurité sociale :
- l’accès à un ensemble de biens et de services définis au niveau national, constituant les soins de santé essentiels, y compris les soins de maternité, qui répondent aux critères de disponibilité, d’accessibilité, d’acceptabilité et de qualité ;
- la garantie d’un revenu de base pour les enfants, au moins à un niveau minimum défini au niveau national, donnant accès à la nutrition, à l’éducation, aux soins et à tous les autres biens et services nécessaires ;
- la garantie d’un revenu de base pendant la vie active, au moins à un niveau minimum défini au niveau national, pour les personnes qui ne sont pas en mesure de gagner un revenu suffisant, en particulier en cas de maladie, de chômage, de maternité et d’invalidité ; et
- la sécurité du revenu de base, au moins à un niveau minimum défini au niveau national, pour les personnes âgées.
La sécurité sociale et la protection sociale dans quelques instruments du droit international des droits humains
1948 — Déclaration universelle des droits de l’homme
1951 — Charte de l’Organisation des États américains
1952 — Convention de l’OIT concernant la norme minimale de sécurité sociale, n° 102
1961 — Charte sociale européenne
1976 — Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
1981 — Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
1989 — Convention sur les droits de l’enfant
1990 — Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille
1999 — Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels, « Protocole de San Salvador »
2008 — Convention relative aux droits des personnes handicapées
2012 — Recommandation n° 202 du BIT sur les socles de protection sociale
2022 — Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des citoyens à la protection et à la sécurité sociales
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D’une manière générale, deux principales approches politiques déterminent la manière dont les gouvernements conçoivent les systèmes et les programmes de sécurité sociale :
- les programmes axés sur la pauvreté, qui sont soumis à des conditions de ressources et tentent de cibler les personnes en fonction de leurs revenus ; et
- les programmes universels, qui ne limitent pas l’éligibilité en fonction des ressources des personnes, mais mettent plutôt l’accent sur l’éligibilité universelle pour tous au sein de groupes spécifiques définis en fonction des étapes de la vie ou des statuts dans lesquels les droits économiques, sociaux et culturels des personnes sont particulièrement menacés (par exemple, les enfants, les personnes handicapées, les adultes au chômage, les proches aidants, les personnes âgées, etc.).
L’approche universelle de la sécurité sociale est ancrée dans l’idée que ces protections devraient être fournies à toute personne en tant que droit, indépendamment de ses revenus, tout en reconnaissant que les droits économiques, sociaux et culturels sont les plus menacés pour les personnes appartenant à certains groupes déterminés par les événements courants de la vie. L’éligibilité d’une personne à un programme universel de sécurité sociale dépend de son appartenance à l’un de ces groupes et non de ses revenus ou de sa richesse.
En revanche, les programmes de sécurité sociale axés sur la pauvreté donnent la priorité aux programmes soumis à des conditions de ressources, où l’éligibilité dépend des revenus ou du patrimoine.
Les systèmes de sécurité sociale universelle bien conçus combinent différents programmes de manière cohérente pour créer un système à plusieurs niveaux dans lequel chacun a accès à un ensemble de droits, ce qui lui garantit un niveau de vie décent tout au long de sa vie. Ce type de système, décrit dans le schéma ci-dessous, devrait comprendre un niveau de base financé par l’impôt et offert à tous. Les pays disposant de plus de ressources et d’institutions plus formelles devraient toutefois compléter ce niveau de base par un deuxième niveau de prestations de sécurité sociale destiné aux personnes cotisant à des systèmes d’assurance sociale gérés par l’État. Les pays disposant de ressources importantes peuvent même disposer d’un troisième niveau constitué de programmes privés et volontaires auxquels les personnes peuvent cotiser pour bénéficier d’un niveau de prestations plus élevé (par exemple, les investissements « 401[k] » aux États-Unis), qui sont réglementés par l’État.
Pour garantir le droit à la sécurité sociale, il est essentiel de renforcer le niveau de base financé par l’impôt tout en encourageant la croissance des programmes d’assurance sociale. Par exemple, dans de nombreux pays, les personnes ayant un emploi formel et qui cotisent à des fonds d’assurance sociale peuvent ensuite bénéficier d’une aide au revenu, généralement en fonction de leurs revenus antérieurs, lorsqu’elles sont confrontées à l’invalidité, à la vieillesse, à la maladie, à des responsabilités d’aidant ou au chômage. Cependant, les personnes n’ayant pas acquis suffisamment de droits dans un système contributif peuvent toujours bénéficier de revenus sûrs, éventuellement financés par des impôts progressifs et souvent sur une base inconditionnelle, à condition de remplir les critères d’éligibilité, tels que l’accès à une pension de vieillesse.
Si les programmes axés sur la pauvreté peuvent jouer un rôle complémentaire dans les systèmes de sécurité sociale, les programmes universels, eux, sont importants pour garantir que chacun puisse jouir de ses droits sans être exclu du fait d’un examen erroné de ses ressources, de préjugés, de critères d’éligibilité rigides ou d’informations obsolètes.
Les programmes axés sur la pauvreté visent à accorder des prestations aux personnes déjà tombées dans la pauvreté. La logique qui les sous-tend est apparemment simple : les ressources disponibles pour la sécurité sociale étant limitées, la meilleure façon de les utiliser est d’identifier les populations qui en ont le plus besoin et de canaliser les ressources vers elles. Toutefois, les données relatives à ces programmes montrent qu’ils sont souvent source d’exclusion et moins efficaces que les systèmes universels pour toucher toutes les personnes en situation de pauvreté ou pour faire respecter les droits de chacun.
Dans la pratique, il est très difficile de cibler les populations à risque. Les programmes ciblés sont souvent conçus de manière trop étroite et excluent de nombreuses personnes, y compris les plus pauvres. C’est souvent le cas, car les « pauvres » ne sont pas un groupe statique et, en réalité, les ménages évoluent de manière dynamique, sur de courtes périodes, dans les classements de bien-être sociétal. En outre, les processus de sélection sont souvent coûteux, inexacts et sujets à la mauvaise gestion ou à la corruption. Une étude de Human Rights Watch sur les prêts d’urgence octroyés par le FMI au Kenya, au Cameroun et au Nigeria, ainsi qu’à l’Équateur et à l’Égypte, a révélé des lacunes importantes dans les informations communiquées par les gouvernements sur la manière dont ils ont dépensé ces fonds, et ce, malgré leur engagement à mettre en œuvre une série de mesures de transparence.
De nombreuses personnes éligibles éprouvent des difficultés à postuler à ces programmes ou ne le font pas en raison de la stigmatisation associée à la pauvreté. Au Népal, Human Rights Watch a constaté que de nombreuses femmes, en particulier des communautés dalits et musulmanes, déclarent craindre la discrimination lorsqu’elles demandent des prestations. En outre, il s’avère que des programmes ciblés suscitent le ressentiment des personnes qui en sont exclues, ce qui érode le soutien de l’opinion publique.
Par ailleurs, certaines des méthodes de ciblage les plus courantes, telles que le « proxy means testing » (approximation du niveau de vie) sont souvent défaillantes. Ce type de test vise à estimer la richesse des ménages en adoptant une approche statistique complexe et automatisée. Celle-ci s’appuie sur l’analyse d’enquêtes réalisées auprès des ménages pour établir les principales caractéristiques de la pauvreté, lesquelles sont ensuite pondérées et classées afin de définir des critères d’éligibilité.
Cependant, les recherches menées par l’Organisation internationale du travail et Development Pathways laissent à penser que ces méthodes, très imprécises, ne permettent pas d’identifier les bénéficiaires, en partie parce que les données utilisées sont obsolètes, mais aussi en raison de critères d’éligibilité rigides ou propices à l’exclusion. À cela s’ajoute le fait que la technologie n’apporte pas de solution satisfaisante à ces problèmes.
Les critères d’éligibilité aux programmes sous condition de ressources peuvent systématiquement sous-estimer les populations dont les droits sont menacés ou non respectés. Par exemple, une étude récente réalisée par Human Rights Watch au Kazakhstan a montré que les revenus des membres de la famille élargie sont intégrés dans les évaluations d’éligibilité aux programmes publics de sécurité sociale, même lorsque ces revenus ne bénéficient pas au demandeur, ce qui exclut de nombreux ménages en difficulté.
Plus fondamentalement, comme l’a démontré Development Pathways, en s’appuyant sur un modèle caritatif qui ne parvient pas à créer un sentiment partagé de solidarité sociale ou à se fonder sur les droits de chacun, le ciblage de la pauvreté compromet non seulement l’utilité et l’impact des programmes de sécurité sociale, mais aussi leur popularité et leur résistance aux pressions réactionnaires visant à faire reculer les droits. Les programmes de sécurité sociale intrinsèquement conçus comme des aides aux pauvres, plutôt que comme des droits, risquent davantage d’être remis en cause, comme l’illustrent la campagne des « reines de l'aide sociale », aux États-Unis, dans les années 80, qui visait à soumettre l’aide sociale à l’obligation d’avoir un emploi, et la campagne de diabolisation des « tricheurs de l'aide sociale », au Royaume-Uni.
Ces programmes ciblés ne respectent pas non plus les obligations qui incombent aux gouvernements en vertu du droit international. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies a par exemple précisé dans son Observation générale no 19 (§ 23) que « chacun devrait […] être couvert par le système de sécurité sociale », qui doit être universel. Dans une déclaration de 2015 sur les socles de protection sociale, le Comité précisait (§ 8) que l’expression « l’ensemble des personnes et des familles [dans l’Observation générale no 19] renvoie au principe fondamental de l’universalité et à l’idée selon laquelle chaque individu compte ». Le Comité réaffirmait également (§ 5) que le droit à la sécurité sociale comporte « la fonction redistributrice de la sécurité sociale et le rôle qu’elle joue en favorisant l’inclusion sociale », soulignant ainsi l’importance des modèles fondés sur un sens partagé de solidarité sociale.
De même, le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des citoyens à la protection sociale et à la sécurité sociale exige que les États parties garantissent l’accès universel à la protection sociale (art. 24.d).
Les programmes axés sur la pauvreté peuvent encore jouer un rôle complémentaire dans les systèmes de sécurité sociale fondés sur des prestations universelles destinés à l’ensemble des individus tout au long de leur vie, de l’enfance à la vieillesse. Mais les systèmes ciblés qui excluent des personnes alors qu’il n’existe pas de socle de protections universelles laisseront des lacunes importantes dans la sécurité sociale. Or celles-ci peuvent avoir un impact négatif sur les droits de nombreuses personnes tout en ne favorisant pas la solidarité sociale nécessaire à une société fondée sur les droits.
La sécurité sociale et les filets de sécurité sociale ont des points communs, mais diffèrent sur des points essentiels. Bien que certains filets de sécurité puissent avoir une composante à plus long terme, L’Organisation internationale du travail considère que les filets de sécurité remplissent un rôle transitoire, ou un rôle de tampon réactif à court terme destiné aux personnes qui subissent des bouleversements économiques causés par des catastrophes naturelles, des conflits ou des crises économiques, par exemple. Ils peuvent également refléter une philosophie et un objectif différents. En effet, si les filets de sécurité sociale tentent généralement de faire en sorte que personne ne vive en dessous du seuil de pauvreté et prévoient un ensemble ciblé de transferts non contributifs, ils se préoccupent moins des inégalités et de la construction de la solidarité sociale.
La Banque mondiale utilise généralement l’expression « filets de sécurité » pour désigner les programmes d’aide sociale financés par l’impôt et destinés aux personnes ayant les revenus les plus faibles, plutôt que la sécurité sociale basée sur les droits. L’expression « aide sociale » ne définit qu’un sous-ensemble de la protection sociale, comprenant les transferts non contributifs (c’est-à-dire de transferts financés par les recettes des administrations publiques, plutôt que par des contributions spécifiques des individus). En revanche, la politique de sécurité sociale universelle ne se limite pas à l’impact des chocs et à la gestion de leurs conséquences, mais vise à prévenir la pauvreté, à réduire les inégalités économiques et à renforcer la solidarité sociale, et ce, bien avant l’apparition des crises et pas uniquement en période de crise. Les filets de sécurité jouent un rôle important dans la protection des droits des personnes dans les situations d’urgence ou de crise, mais ils doivent s’inscrire dans des systèmes de sécurité sociale plus vastes et axés sur les droits.
Les règles qui régissent l’accès à de nombreuses formes de sécurité sociale sont traditionnellement conçues pour les travailleurs occupant un emploi permanent auprès d’un employeur reconnu et souvent, les prestations sont financées par des cotisations provenant de la relation employeur/employé.
Les travailleurs indépendants ou ceux qui ont des relations de travail atypiques, comme les « travailleurs de plateforme » ou les travailleurs informels, peuvent se retrouver sans accès à une couverture sociale adéquate. Par exemple, aux États-Unis, la plupart des travailleurs de plateforme et informels ne sont pas éligibles à l’assurance chômage et n’ont pas accès aux pensions liées à la rémunération, car ces programmes, contributifs, sont destinés aux travailleurs faisant partie des salariés cotisants.
Mais l’accent mis sur les travailleurs du secteur formel ne tient pas compte des réalités du travail. Dans le monde, plus de 61 % de la population active âgée de 15 ans et plus travaille de manière informelle, selon une analyse publiée par l’Organisation internationale du travail en 2018. Mais l’incidence du travail informel n’est pas répartie de manière égale, la grande majorité des travailleurs de certaines régions travaillant dans des conditions informelles, comme en Afrique (86 %), en Asie-Pacifique (68 %) et dans les États arabes (69 %). Aux Amériques, en Europe et en Asie centrale, moins de la moitié des travailleurs occupent un emploi informel, et dans l’Union européenne, 40 % des travailleurs ont un emploi informel ou sont indépendants. Cette autre caractéristique de l’emploi peut elle aussi limiter l’accès à la sécurité sociale.
L’exclusion des travailleurs informels a aussi souvent un impact disproportionné sur les femmes. Bien que les hommes soient plus nombreux à occuper des emplois informels que les femmes au niveau mondial (63 % contre 58 %, respectivement), dans les pays à revenu faible et intermédiaire inférieur, la proportion de femmes occupant un emploi informel est beaucoup plus importante. En Asie du Sud, plus de 80 % des femmes ayant un emploi non agricole occupent des emplois informels comme c’est le cas pour 74 % et 54 % des femmes en Afrique subsaharienne et dans la région Amérique latine — Caraïbes, respectivement. Souvent, en raison de normes sexospécifiques et de la répartition des fonctions au sein du foyer, la charge des tâches ménagères et des soins incombe aux femmes. En conséquence, les femmes sont souvent confinées à des emplois informels, ce qui limite leurs capacités de gain et leur accès à la sécurité sociale.
Les gouvernements devraient prendre des mesures pour examiner et réduire les obstacles juridiques à l’accès des travailleurs aux programmes de sécurité sociale, qu’ils occupent des emplois formels, informels ou non traditionnels. Outre l’extension de la couverture légale, les pays peuvent offrir des incitations financières, simplifier les procédures administratives et améliorer l’accès aux services afin d’encourager l’adhésion et le respect des règles. Les États devraient également reconnaître le rôle des formes informelles de sécurité sociale et recenser les moyens d’intégrer les régimes dirigés par les travailleurs.
Pour permettre l’exercice du droit à la sécurité sociale, les États devraient également revoir les lois et règlements pertinents hors sécurité sociale et, si nécessaire, les modifier, notamment pour clarifier et adapter le champ d’application des lois afin de garantir une sécurité adéquate aux travailleurs qui ont des relations d’emploi déguisées ou peu claires. En outre, les États peuvent mettre en place des régimes distincts combinant des éléments financés par l’impôt et des éléments d’assurance pour les travailleurs informels afin de réduire les lacunes en matière de couverture.
Les non-ressortissants sont souvent confrontés à d’énormes problèmes d’accès à la sécurité sociale. Ils peuvent se voir refuser l’accès à la couverture dans leur pays de résidence, ou en avoir un accès limité, en raison de leur statut, de leur nationalité ou de la durée insuffisante de leur emploi ou de leur résidence. Dans le même temps, ils peuvent perdre leurs droits aux prestations des programmes de sécurité sociale de leur pays d’origine en raison de leur absence.
En tant que droit universel, le droit à la sécurité sociale s’applique à tous, indépendamment de la citoyenneté ou du statut d’immigration, conformément aux droits à l’égalité et à la non-discrimination. En outre, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille énonce les droits des travailleurs migrants, avec ou sans papiers, à la sécurité sociale (art. 27) et à des services publics spécifiques souvent liés à la couverture de la sécurité sociale, notamment les soins de santé (art. 28) et l’éducation (art. 30).
Les systèmes régionaux de protection des droits humains reconnaissent également les droits des migrants à la sécurité sociale et à l’accès aux services publics. Le récent Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, par exemple, exige des États qu’ils adoptent des mesures pour garantir que tous les migrants, y compris les travailleurs migrants, bénéficient de prestations de sécurité sociale et pour assurer la transférabilité de la sécurité sociale au-delà des frontières, avec un traitement égal pour les personnes des pays d’origine et des pays de destination. De même, une résolution de 2019 de la Commission interaméricaine des droits de l’homme a affirmé, en tant que principe fondamental des droits humains, le droit de chaque migrant d’accéder à égalité à la sécurité sociale (principe 36), ainsi qu’à la santé (principe 35), à l’éducation (principe 37) et au logement (principe 38).
Non, la sécurité sociale est un ensemble de droits pour tous qui est indépendant du droit à un salaire décent, ce dernier exigeant que les salaires versés garantissent la capacité de payer les biens et les services essentiels à la réalisation des droits humains.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels exige des États qu’ils garantissent le droit humain à des conditions de travail justes et favorables, ce qui inclut le droit à un salaire décent (c’est-à-dire une rémunération suffisante pour assurer un niveau de vie décent à tous les travailleurs). Des politiques telles que celles imposant un salaire minimum adéquat sont importantes pour réaliser ce droit en garantissant pour tous les travailleurs un salaire spécifique lié à leur emploi, que ce soit dans le secteur public ou privé. Mais même dans les pays où la réglementation exige des salaires décents, les prestations de sécurité sociale peuvent être nécessaires en cas de chômage ou d’événements imprévus empêchant de travailler (par exemple, une maladie).
En conséquence, la garantie de ces droits humains nécessite plus qu’un simple salaire de subsistance, mais un soutien direct du gouvernement par le biais de la sécurité sociale. En l’absence de réglementations salariales adéquates, la sécurité sociale pourrait subventionner les pratiques des employeurs qui ne paient pas un salaire décent.
Les États devraient garantir à la fois une sécurité sociale adéquate et des salaires décents dans le cadre du système global de protection sociale.
Si les programmes de sécurité sociale peuvent contribuer à garantir l’accès à certains services, tels que les soins de santé ou l’aide au logement, ils ne remplacent pas les services publics.
La sécurité sociale devrait s’inscrire dans une approche plus large des politiques visant à réaliser les droits humains. Elle devrait fonctionner parallèlement à un système solide de services publics de qualité qui contribuent à garantir la disponibilité, la continuité et l’accès aux biens et services essentiels aux droits humains, tels que l’eau, l’assainissement, la santé, l’éducation et l’aide sociale, entre autres. L’accès à de nombreux biens et services, tels que l’eau, la santé et l’éducation, est un droit fondamental.
Afin de contribuer à la réalisation des droits humains, la sécurité sociale devrait en principe être fournie à des personnes adultes plutôt qu’à des ménages, puisque chaque individu détient indépendamment ces droits humains. Cependant, tous les programmes de sécurité sociale ne sont pas conçus de cette manière, beaucoup d’entre eux se concentrant plutôt sur les ménages.
Le fait que les bénéficiaires soient des individus ou des ménages est important pour les droits à l’égalité et à la non-discrimination, car les ressources au sein des ménages sont souvent réparties de manière inégale et peuvent désavantager les femmes, en particulier les femmes âgées. Par exemple, dans le cas d’un programme qui transfère l’argent de la retraite aux ménages plutôt qu’aux individus, les personnes âgées pourraient ne pas en bénéficier de manière adéquate. Les programmes destinés aux particuliers peuvent également réduire les risques de violence domestique physique ou économique à l’encontre des femmes.
La sécurité sociale devrait donc être conçue de manière à tenir compte des relations de pouvoir et de l’inégalité des pouvoirs de décision au sein du ménage, notamment en fonction du sexe et de l’âge. Quant à la sécurité sociale destinée aux enfants, elle est généralement fournie aux personnes qui s’occupent d’eux.
De nombreux gouvernements numérisent et automatisent les programmes de sécurité sociale de base, tels que les transferts en espèces, les prestations d’aide alimentaire et les régimes d’assurance maladie. Certaines réformes technologiques sont indispensables pour garantir une sécurité sociale universelle, comme la modernisation de l’infrastructure informatique, essentielle à une fourniture cohérente des prestations et des services. Cependant, même les améliorations nécessaires risquent de négliger et d’amplifier les inégalités sociales existantes, telles que la fracture numérique. La mise en ligne exclusive des demandes d’inscription aux programmes de sécurité sociale et la numérisation complète des paiements de prestations, par exemple, peuvent accélérer la fourniture d’une aide en espèces en cas de crise, mais sont également susceptibles d’exclure les personnes dépourvues de moyens suffisants pour acheter un téléphone portable ou accéder à Internet, ou de connaissances numériques.
La technologie est également devenue un élément central des méthodes utilisées par de nombreux gouvernements pour vérifier l’identité des personnes, évaluer les niveaux d’éligibilité et de prestations, et enquêter, statuer, et imposer des sanctions en cas de fraude aux services publics.
Cependant, Human Rights Watch a constaté que de tels efforts risquent de rendre les systèmes plus complexes et arbitraires, et donc d’entraver l’accès aux prestations ou de légitimer des coupes dans la sécurité sociale au prétexte de l’efficacité technologique. Ces utilisations de la technologie permettent de profiler les personnes ayant de faibles perspectives d’emploi comme méritant moins d’aide et faire porter aux bénéficiaires de la sécurité sociale la charge de réfuter les erreurs de vérification de l’identité numérique. Les approches statistiques complexes et automatisées visant à cibler la pauvreté peuvent également aboutir à l’exclusion de personnes dans le besoin en raison de données non représentatives ou inexactes.
Oui. Le financement de la sécurité sociale universelle est essentiellement une question de volonté politique et de choix politiques plutôt que de ressources.
Moins de la moitié des habitants de la planète ont accès à au moins une forme de sécurité sociale, selon l’analyse de l’Organisation internationale du travail (OIT). Mais ce manque de couverture se concentre surtout dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, confrontés à des déficits de financement importants entre leurs niveaux actuels de financement et ce qui est nécessaire pour soutenir les droits à la sécurité sociale et à un niveau de vie adéquat.
Cependant, dans une étude de 2019, l’OIT a calculé qu’il suffirait d’une moyenne de 2 à 6 % du produit intérieur brut d’un pays, en fonction de la région et du groupe de revenu auxquels il appartient, pour combler ce déficit de financement et mettre en place des socles de protection sociale universelle.
L’OIT a également fourni des conseils utiles sur la manière dont les gouvernements des pays à revenu faible et intermédiaire peuvent créer l’espace budgétaire nécessaire pour combler ce déficit de financement. Parmi ces conseils figurent la réaffectation des dépenses publiques ; l’augmentation des recettes fiscales ; l’extension de la couverture de sécurité sociale et l’augmentation des recettes provenant des cotisations ; le lobbying en faveur d’une aide accrue et de transferts supplémentaires ; l’élimination des flux financiers illicites ; et la gestion de la dette.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, les États sont tenus de prendre des mesures, au maximum de leurs ressources disponibles, pour réaliser progressivement les droits, y compris le droit à la sécurité sociale et les autres droits économiques, sociaux et culturels. Le comité d’experts internationaux chargé d’interpréter le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels a souligné (§ 41) que la réalisation du droit à la sécurité sociale a « des incidences financières considérables pour les États parties, [mais que] l’importance fondamentale que revêt la sécurité sociale pour la dignité humaine et la reconnaissance juridique de ce droit par les États parties signifient qu’il devrait faire l’objet d’une attention prioritaire dans la législation et les politiques ». Il notait également (§ 13) :
Les États disposent de plusieurs options pour accroître leur marge d’action budgétaire à des fins de protection sociale, même dans les pays les plus pauvres, par exemple en redistribuant les dépenses publiques de façon à mettre l’accent sur les dépenses sociales, en augmentant les recettes fiscales, en réduisant la dette ou le service de la dette, en adaptant le cadre macroéconomique, en luttant contre les flux financiers illicites et en accroissant les cotisations de sécurité sociale. En outre, il faut bien voir que, compte tenu des obligations qui leur incombent en vertu du Pacte, les États ne peuvent pas se permettre de ne pas allouer suffisamment de ressources à la protection sociale étant donné que ces allocations favorisent la réalisation des droits de l’homme et le développement économique et social.
Mais l’augmentation des recettes pour financer la sécurité sociale n’est pas sans autres effets. La hausse du financement de la sécurité sociale peut entraîner une amélioration du niveau de vie, une relance de la consommation et une réduction des inégalités économiques. Avec l’instabilité économique mondiale croissante, la volonté politique d’allouer les ressources nécessaires au secteur de la sécurité sociale du pays revêt une importance plus cruciale que jamais.
Les nations créancières et les prêteurs internationaux comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) jouent un rôle important dans le financement et la conception des systèmes de sécurité sociale, en particulier dans les pays à faible revenu.
La pandémie de Covid-19 a engendré une hausse historique du financement international de programmes de sécurité sociale. Entre avril 2020 et juin 2022, la Banque mondiale a doublé le montant de son portefeuille de sécurité sociale ; en septembre 2022, le montant de son financement de programmes de protection sociale s’élevait à 30 milliards de dollars (environ 28 milliards d’euros). Bien que ce financement soit crucial, la Banque mondiale et le FMI ont privilégié les approches axées sur la pauvreté, qui ne protègent pas suffisamment les droits humains, plutôt que des programmes universels.
Un autre obstacle à la sécurité sociale réside dans la pression importante que les prêteurs internationaux peuvent exercer sur les pays débiteurs pour qu’ils réduisent leurs dépenses publiques afin de remplir leurs obligations en matière de dette publique. Les programmes de prêts du FMI, en particulier, peuvent imposer des limites strictes sur les dépenses du gouvernement, ce qui restreint souvent leurs investissements dans la sécurité sociale à des « planchers de dépenses sociales », fixés par le FMI.
Un rapport récent d’une coalition d’organisations non gouvernementales a révélé que les mesures d’austérité prises par le FMI auront une incidence sur 85 % de la population mondiale en 2023. Lorsque le FMI négocie de nouveaux programmes de prêts avec les gouvernements pendant cette période de crise, il devrait éviter d’inciter à une austérité préjudiciable aux droits humains en veillant à ce que les planchers de dépenses sociales fixés comme conditions de prêt soient plus que suffisants pour financer des programmes de sécurité sociale efficaces.
La dette publique extérieure des économies en développement a atteint des niveaux records. Près de deux tiers des pays à faible revenu sont soit en situation de surendettement, soit en risque élevé de surendettement ; cette proportion a doublé depuis 2015. À court terme, alors que des pays comme les États-Unis poursuivent des politiques monétaires visant à lutter contre l’inflation des prix intérieurs, l’augmentation des taux d’intérêt et des coûts d’emprunt pourrait engendrer, pour les pays à fort endettement, des déficits budgétaires et des difficultés de remboursement de leurs dettes.
Comme l’a noté le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies dans une déclaration de 2016 sur la dette publique et les mesures d’austérité (§ 7), « les prêteurs ont eux aussi des obligations en vertu du droit international général. Une institution financière internationale ou autre organisation internationale « est un sujet de droit international lié en tant que tel par toutes les obligations que lui imposent les règles générales du droit international, son acte constitutif ou les accords internationaux auxquels il est partie ».
Il est clair qu’en vertu du droit international, les institutions financières internationales et les prêteurs bilatéraux ont l’obligation d’éviter de causer des dommages en n’exigeant pas de coupes ou de refonte des programmes de sécurité sociale qui porteraient atteinte aux droits, et de fournir autant de ressources que possible pour aider à mettre en place des systèmes de sécurité sociale universels alignés sur les droits. En outre, les nations créancières et les prêteurs internationaux devraient reconnaître tous les droits humains, y compris le droit de chacun à la sécurité sociale.
Par conséquent, les politiques des pays riches et des institutions internationales qui détiennent une grande partie de la dette publique des pays à revenus faibles et intermédiaires peuvent avoir un impact important sur la réalisation de la sécurité sociale dans d’autres pays. Ils ont eux aussi la possibilité de contribuer à un financement équitable de la sécurité sociale en accordant la priorité à la mise en place de systèmes de sécurité sociale dans le cadre de leur aide internationale au développement et en soutenant également une proposition de Fonds mondial pour la protection sociale.
La crise climatique est une crise des droits humains qui touche le monde entier, mais dont les effets ne sont pas uniformément ressentis. Environ 3,5 milliards de personnes vivent déjà dans des contextes très vulnérables face au changement climatique, a récemment averti le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ces communautés sont plus exposées et souvent moins préparées à s’adapter aux effets négatifs du changement climatique. Le GIEC explique cette situation par « la pauvreté, des problèmes de gouvernance, un accès limité aux services publics et aux ressources, des conflits violents et une forte dépendance à l’égard de moyens de subsistance sensibles au climat », ainsi que par « des formes historiques et persistantes d’inégalité, telles que le colonialisme » (traduction non officielle).
Comme l’ont montré les recherches de Human Rights Watch, les catastrophes climatiques sont particulièrement préjudiciables à la santé et au bien-être des populations autochtones, des femmes enceintes, des femmes et des enfants. L’extension de la sécurité sociale permet de remédier à ces inégalités face aux risques climatiques, d’accroître la résilience des communautés et leur capacité d’adaptation, et de réduire le fardeau pesant sur un système humanitaire international déjà surchargé.
La sécurité sociale est également essentielle pour assurer l’équité au sein des nations et entre elles. Des systèmes de sécurité sociale solides sont nécessaires pour soutenir une transition juste et protéger les droits de chacun, dans le processus de décarbonisation, contre les effets que la fin des subventions aux combustibles fossiles entraîne sur les prix. De nombreux gouvernements recourent aux subventions aux combustibles fossiles, en particulier les subventions à la consommation, mais ce moyen est inefficace pour lutter contre la pauvreté énergétique, car il est extrêmement coûteux, profite de manière disproportionnée aux ménages les plus riches et aggrave la crise climatique.
Toutefois, pour protéger les droits, il est essentiel d’investir de manière adéquate dans la sécurité sociale, les énergies renouvelables et d’autres mesures afin d’évoluer vers une économie respectueuse des droits, car sans cela, la suppression des subventions peut nuire fortement aux personnes à faible revenu en augmentant les prix des biens et des services essentiels pour les droits. La sécurité sociale peut également contribuer à garantir les revenus des travailleurs et des ménages qui dépendent d’un emploi dans les industries à fortes émissions de carbone. Malgré cela, seuls 19 % des travailleurs dans le monde sont actuellement couverts par les allocations de chômage.
Les pays les plus riches, qui ont tendance à être moins sensibles et plus résistants au changement climatique, y contribuent très largement. En plus de réduire considérablement les émissions de carbone et de fournir des fonds pour atténuer les impacts du changement climatique, ces pays peuvent aider à limiter ces impacts sur les droits humains en soutenant les efforts déployés par les pays à revenu faible et intermédiaire pour mettre en place des systèmes de sécurité sociale solides.
La société civile indépendante, les mouvements sociaux et les mouvements syndicaux sont essentiels pour garantir que la conception, la mise en œuvre et le suivi des programmes de sécurité sociale respectent les droits humains aux niveaux local, national et international. Les acteurs de la société civile peuvent apporter leur expertise technique et fournir des informations sur l’adéquation des niveaux de prestations ou sur les obstacles à l’accès.
La recommandation de l’OIT sur les socles de protection sociale (no 202) mentionne explicitement l’implication des organisations non gouvernementales en tant que partenaires essentiels du dialogue national et du processus de suivi. Le dialogue national peut contribuer à garantir une sécurité sociale adéquate, en particulier pour protéger les enfants et les personnes âgées de la pauvreté. Le suivi et la comparaison entre les situations de pays connaissant des situations socio-économiques similaires permettent également de créer l’espace politique nécessaire pour progresser vers une sécurité sociale universelle.
Au niveau international, la Coalition mondiale pour les socles de protection sociale est un exemple de création de réseau de défense de la sécurité sociale. Elle compte plus de 110 membres qui mènent des recherches et des actions de plaidoyer auprès des gouvernements locaux et nationaux et des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et le FMI.