(Paris) – Le président de la République française Emmanuel Macron et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen devraient faire des droits humains une priorité lors de leur visite à Pékin du 4 au 8 avril 2023, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Alors que le président chinois Xi Jinping cherche à rétablir les relations avec la France et d’autres gouvernements européens ainsi qu’avec l’Union européenne (UE), depuis qu’il a mis fin aux politiques draconiennes de « zéro-covid » de la Chine, Macron et von der Leyen devraient saisir l’occasion de leur visite pour inscrire les relations entre l’Europe et la Chine dans un cadre de respect des droits humains.
« Le président Macron et la présidente von der Leyen ne devraient pas mettre sous le tapis l’autoritarisme croissant du gouvernement chinois lors de leur visite à Pékin », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « Ils devraient profiter de leurs apparitions publiques avec Xi Jinping pour exprimer leurs vives inquiétudes au sujet des violations généralisées des droits humains dans toute la Chine, l’oppression grandissante à Hong Kong et au Tibet, et les crimes contre l’humanité au Xinjiang. »
Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen devraient demander publiquement la libération de toutes les personnes détenues et emprisonnées pour des motifs politiques, dont des centaines de milliers d’Ouïghours et d’autres musulmans turciques au Xinjiang, des activistes et des responsables politiques poursuivis pour des actions politiques pacifiques à Hong Kong, et des manifestants arrêtés pour avoir participé aux manifestations dites des « feuilles blanches », contre les restrictions anti-Covid-19.
Les deux dirigeants devraient également évoquer des cas individuels, comme ceux de l’économiste ouïghour Ilham Tohti, lauréat du prix Sakharov du Parlement européen, et du magnat de la presse de Hong Kong Jimmy Lai. Avant de se rendre à Pékin, ils devraient s’entretenir avec des organisations de la société civile de Chine continentale, du Xinjiang, du Tibet et de Hong Kong.
La visite officielle d’Emmanuel Macron et d’Ursula von der Leyen, dont l’invasion de l’Ukraine par la Russie semble être l’un des axes principaux, s’inscrit dans une série de plusieurs rencontres de haut niveau entre l’Europe et la Chine ces derniers mois. Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président du Conseil européen Charles Michel se sont rendus à Pékin en novembre et décembre derniers, respectivement. Charles Michel avait soulevé à cette occasion la question des droits humains, mais n’a pas laissé entendre que la poursuite des violations des droits en Chine affecterait les relations UE-Chine. En février, le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, a rencontré Emmanuel Macron à Paris et assisté à la conférence annuelle de Munich sur la sécurité.
Dans le cadre de ces récents échanges entre l’Europe et la Chine plusieurs développements importants en matière de droits humains ont eu lieu, selon Human Rights Watch. Mi-février, des responsables gouvernementaux du Royaume-Uni, de la France et de l’UE, sous la pression de l’opinion publique, ont annulé des réunions avec un haut fonctionnaire du Xinjiang, Erkin Tuniyaz, sanctionné par le gouvernement des Etats-Unis.
À peu près au même moment, l’UE a repris un « dialogue sur les droits humains » avec le gouvernement chinois, malgré les appels à le suspendre des organisations de la société civile. Pour ces dernières, ce dialogue était clairement inefficace, l’UE s’étant depuis longtemps montrer incapable de le lier à des progrès tangibles en Chine ou de s’attaquer à l’impunité du gouvernement chinois en matière de violations graves. À la mi-février également, le nouvel ambassadeur de Pékin auprès de l’UE a déclaré que Bruxelles et Pékin devaient lever les sanctions qu’ils s’imposaient mutuellement afin de permettre à un accord commercial bilatéral d’entrer en vigueur. L’UE avait imposé des sanctions à de hauts responsables du Xinjiang pour des violations des droits à l’encontre des musulmans turciques, auxquelles Pékin avait riposté.
Depuis 2019, l’UE et certains gouvernements et institutions européens ont contribué à créer une dynamique visant demander des comptes à Pékin pour les crimes contre l’humanité commis à l’encontre des Ouïghours et d’autres musulmans turciques au Xinjiang, en imposant des sanctions aux hauts responsables de la région. En octobre 2021, à l’ONU, la France a pris la tête d’une condamnation transrégionale sans précédent de ces abus.
L’année suivante, deux mois après la publication par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme d’un rapport inédit concluant que les exactions commises au Xinjiang « pourraient constituer des crimes contre l’humanité », la France et d’autres États membres de l’UE ont soutenu une motion du Conseil des droits de l’homme de l’ONU visant à organiser un débat sur la situation au Xinjiang. Bien qu’elle ait été rejetée par 19 voix contre 17, cette marge étroite a mis à mal le sentiment d’impunité du gouvernement chinois pour ses graves crimes, a déclaré Human Rights Watch.
De récents développements suggèrent que les droits humains en Chine risquent à nouveau d’être relégués au second plan, comme cela a été le cas avant 2019, quand de nombreux dirigeants et gouvernements européens privilégiaient une « diplomatie discrète » en réponse aux violations croissantes commises par la Chine. Cette approche n’a généré que peu de pression sur Pékin pour infléchir la spirale de détérioration de la situation des droits humains sous Xi.
Lors de sa dernière visite d’État en Chine, en novembre 2019, Emmanuel Macron n’a pas mentionné publiquement les graves abus commis par Pékin au Xinjiang. Lors de sa conférence de presse de clôture, il avait déclaré avoir insisté auprès de son homologue chinois sur la nécessité du dialogue et de la retenue à Hong Kong. Il ne l’a toutefois pas appelé à respecter les droits de la population de Hong Kong qui était pourtant le théâtre depuis six mois de manifestations prodémocratie massives marquées par un usage excessif de la force par la police.
Le prochain sommet UE-Chine devrait se tenir à Bruxelles en juin et le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, prévoirait de se rendre bientôt en Chine.
« Les crimes de guerre de la Russie en Ukraine ne devraient pas être une raison pour Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen d’ignorer les violations croissantes des droits humains par le gouvernement chinois », a conclu Bénédicte Jeannerod. « Ils devraient profiter de leur déplacement à Pékin pour s’exprimer sur la détérioration des droits humains en Chine et montrer que l’engagement proclamé de la France et de l’UE en faveur des droits et des libertés fondamentaux s’applique aussi à la Chine, de manière cohérente. »
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